Acte 1 - Scène 3
Je m'arrête à une station. Le siège conducteur est baissé, de la fumée se dégage de la vitre pendant que j'inspire une grande quantité de nicotine pour me calmer. La boisson à 21% que je repose dans mon porte-gobelet me fait déjà tourner la tête.
Il n'y a rien de mieux que ces deux choses pour prendre toutes les situations avec un peu plus de légèreté et de recul.
Enfin, ça, c'était si mon téléphone ne commençait pas à vibrer soudainement. Je pense d'abord à Isabeau – je vais devoir cacher mon paquet et jeter mes boissons si je ne veux pas me faire cramer. Mais lorsque j'attrape mon portable, un numéro non-enregistré s'affiche.
Peut-être que le président du club m'appelle depuis le fixe. Ils se sont rendus compte de leur erreur et qu'il ne fallait pas boire les paroles de cette grognasse de Sophie Martin.
« Salut, Jonathan ! Ça fait un bail. »
Et merde. J'aurais dû m'en douter. Rien avoir.
« Ronald ? Bordel... »
Surpris, je me mets à tousser, heureusement qu'on ne peut pas sentir l'odeur de mégot derrière le portable.
« Qu'est-ce que tu deviens ?
— Depuis le temps que je te dis de venir en Corse ! s'exclama-t-il. Maintenant tu as tout le temps pour passer boire un coup !
— Ah... tu as appris la nouvelle ?
— C'est Éric qui m'en a parlé. J'attendais que tu sortes du coltar pour te passer un appel.
— Éric ? Il a bien du culot, celui-là. Je viens tout juste de sortir de son bureau de merde.
— Justement, c'est ce qu'il m'a expliqué lorsque tu es parti. Toutes ces histoires avec l'avis de Sophie et tout le reste...
— Ouais. Je suis comme une merde, en résumé. »
Il y avait quelque chose de bizarre. J'entendais brusquement Ronald racler de la gorge, comme s'il s'apprêtait à me dire quelque chose d'important.
« Ça tombe bien que tu dises ça, parce que ce n'est pas le cas et que ton meilleur ami à une proposition à te faire.
— De quelle proposition tu me parles, Ronald ?
— Il y a un poste de vacataire en éducation physique et sportive qui vient de se libérer dans le lycée où je travaille.
— Je ne comprends pas vraiment le rapport avec moi. »
Je n'arrive pas à réaliser l'imbécilité de sa proposition, au point où j'en manque de m'étouffer à l'autre bout du combiné.
« Écoute, Ronald. Je sais que tu es super heureux dans ton modeste job de prof de français et qu'enseigner à des petits enfoirés te faisait plus bander que d'afficher tes prouesses footballistiques à un stade rempli de supporters mais ne crois pas que c'est mon rêve à moi aussi.
— C'est un poste vacataire ! Pourquoi ne pas essayer ?
— Je ne peux quand même pas me rabaisser à faire prof d'EPS pour des lycéens ? Il manquerait plus que Sophie l'apprenne pour que je devienne la risée de Twitter !
— Arrête de raconter des bêtises, tu veux... Qu'est-ce que tu as à perdre ? Ce n'est pas comme si le club allait te reprendre de sitôt. »
Malgré le silence que j'impose à l'autre bout du fil, Ronald continue sa tribale.
« Je suppose que ça doit être difficile pour toi. Venir en Corse te permettrait de changer un peu d'air. Et puis, ça fait un bail que j'ai pas vu mon frérot.
— Tu dis au moins quelque chose de censé... j'espère que tu t'y plais.
— Tellement ! Et c'est pour ça que j'ai envie que tu viennes y jeter un œil. Ça se trouve, d'ici quelques mois t'auras plus envie de retourner sur le continent. »
J'étais d'accord pour revoir mon vieil ami, mais travailler ici ? Laissez-moi rire, il en est hors de question.
« Je sais très bien ce que tu penses. Tu devrais y réfléchir, Jonathan.
— Ça ne va rien me rapporter, Ronald. Tout me dégoute...
— C'est normal que tu penses comme ça après ce qu'il t'ait arrivé. Mais prends le temps de la réflexion, mon frère. »
Je pousse un profond soupir en regardant fixement la canette de Lavish entamé dans mon porte-gobelet.
« Allez, je te laisse. La nuit porte conseille.
— Merci, Ronald.
— Embrasse Isabeau de ma part, ça fait un bail que je ne l'ai pas vu. »
Mon gars si tu savais, elle ne m'embrasse même plus moi, son propre mari.
***
Pour enlever l'odeur de cigarette dans la voiture, il faut activer la climatisation. Ça permet de dégager les résidus de nicotines qui pourraient s'y être infiltrés. Et par dessus-tout, cela me permettrait de ne pas me faire allumer par Isabeau une fois de retour à la maison.
Je patiente encore une heure devant la station pour laisser le temps aux dernières odeurs de s'en aller et je jette les canettes de 21% dans une poubelle située juste à côté de l'entrée. Un SDF passe derrière moi pour voir mes restes et lance un regard grincheux lorsqu'il constate que j'ai vidé toutes mes boissons.
Ça me fait marrer un instant avant que je me rappelle que l'autre m'attendait à la maison. J'active le moteur et démarre. Pourquoi, une fois sur la route du retour, j'avais ce nœud à l'estomac en pensant à elle ?
Je compris finalement très vite ce que mon corps avait réalisé avant moi : j'ouvre la porte et lui tombe nez-à-nez. Je jette un œil par-dessus son épaule, comme pour fuir mentalement un duel de regard difficile avec elle. Léo est sur son tapis d'éveil, allongé sur le dos, observant d'une attention particulière les formes qui s'agitent au-dessus de sa tête. Quoique, il est peut-être agacé par sa mère et regarde dans le vide pour souffler un peu. Ça expliquerai pourquoi cette boule d'énergie est subitement allongée, d'ailleurs.
« Alors, qu'est-ce que le club a dit ? »
Même pas un bonsoir, comme d'hab.
« J'ai reçu une proposition importante... »
Importante ? Mon cul. C'était un poste de vacataire, mais sous le joug de ses yeux perçants, j'ai cédé à la pression et me suis laissé emballer.
« D'une école privée en Corse. Oui, je sais, c'est un peu délirant. Mais ils me veulent comme professeur de sport.
— C'est vraiment remarquable ! Ça alors ! »
J'avais l'impression – pendant un instant – que ses yeux s'illuminaient comme la première fois où nous nous étions rencontrés.
« Ouais, après je ne sais pas si c'est une bonne idée. On ne peut pas laisser ton cabinet ici ? ricanais-je en posant une main sur son épaule.
— Je n'aurai qu'à la vendre à un autre avocat, répondit-elle d'un ton sec. Tu connais mes confrères, aussi affamés que des hyènes. Ils vont forcément sauter sur l'occasion. »
Je ne m'y attendais pas. Estomaqué, je lui demande si elle en est sure. Je me rappelle qu'elle avait tellement sué pour acheter ce cabinet. Et je ne parle même pas du concours d'avocat qu'elle a dû repasser trois fois – à l'époque elle était encore dans sa fraîche vingtaine.
« Maintenant que tu as un poste de professeur qui nous attend, je pense à prendre quelques congés.
— Ah oui ? »
Je me rends compte de la stupidité de la question lorsqu'elle laisse un blanc à ma réaction.
« On pourrait échanger les rôles, c'est pas faux. T-tu as tellement travaillé ces trois dernières années.
— Tu n'imagines pas à quel point ça me fait plaisir de savoir que tout va rentrer dans l'ordre. »
Elle attrape mon visage. Je le crispe, songeant à une brimade surprise. Mais, elle l'attire vers elle. Puis marque un temps. Et, fit quelque chose de surprenant : elle m'embrassa. C'était peut-être à cet instant que je fermais les yeux pour me souvenir de la complicité qui nous unissait. À l'époque où je me disais qu'elle était la raison pour laquelle j'avais une bouche et un cœur.
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