Acte 1 - Scène 2

  Le retour de l'hôpital fut très difficile et ne put empêcher ce gout de défaite amer s'installer peu à peu au sein de ma vie quotidienne. C'était comme si, depuis cet accident, le monde s'écroulait autour de moi. Et, impuissant ne pouvait que m'asseoir et tenter de me délecter des dégâts.

  Pour commencer, Isabeau. Cela devait faire un mois que j'étais en « accident maladie », mais madame décrétait purement et simplement que j'étais au « chômage ». Pour moi, ça pouvait s'arranger. Pour elle, je devais chercher un nouveau travail.

  Je pense que si mon salaire mensuel n'avait pas fini de payer l'hypothèque de la maison, elle m'aurait mis à la porte. Son regard avait changé, je l'avais vu depuis que je m'étais réveillé du lit d'hôpital. Elle ne paraissait plus comme une petite gamine écervelée et émerveillé devant son idole, mais plutôt comme une militaire froide et acariâtre qui avait vécu les pires sévices lors d'une mission suicide en Palestine.

  Pour vous la faire court : on ne baise plus. Lorsque je lui disais – toujours sur le ton de la blague – que mon ligament croisé ne se trouvait pas au niveau de mon entrejambe, elle se mettait à râler, me traitait de pervers et continuait de lire ses livres de psychologie à la con.

  Et ne me faites pas dire que la libido a diminué à cause de la survenue du bébé. Pendant que l'infirmière était parti le laver, on l'avait fait sur son lit d'hôpital. Voilà pourquoi j'ai toujours aimé les femmes à la silhouette élancée, digne des mannequin des années 2000. À califourchon sur moi, seule cette magnifique petite brune, mince de ce type, était capable de faire des folies.

  Lorsque Léo venait de fêter ses un an — bordel, j'impression que c'était hier – notre vie sexuelle se portait à merveille. On trouvait toujours des jeux obscènes à réaliser. Maintenant qu'Isabeau allaitait Léo, ses petits seins avaient triplés de volumes. Plus tard, quand Léo apprendra que je lui dérobais du lait, j'espère qu'il ne m'en voudra pas trop.

  Mais je pense aussi que mon sevrage est proche. Léo aura deux ans à la fin du mois d'octobre. Plus cette pomme de terre grandit, plus j'ai l'impression qu'Isabeau s'éloigne de moi. Si je me réfère à la vie intime des couples normaux, c'est l'inverse. Que voulez-vous ? Cette femme fonctionne à l'envers, peut-être que c'est ça qui la rend si unique.

  En parlant du loup, elle venait tout juste de rentrer. Je le sais au claquement de porte habituel dont j'avais droit toujours à la même heure.

  « Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui ? » me demande-t-elle. Même pas un « bonsoir, mon cœur » non, non. Cette époque était révolue depuis.

  « Le petit réussi enfin à faire ses rots tout seul ! » répondis-je avec un sourire niais. Parce qu'elle avait cette façon de me toiser lorsqu'elle rentrait.

  La réalité était que je me sentais faible. Isabeau ne me regarde plus de la même façon et même si elle ne le dit pas franchement, elle doit se dire que je n'en branle pas une depuis ma blessure.

  « Léo va bientôt rentrer à l'école. Il serait peut-être temps de voir si tu peux devenir entraineur dans le club où tu jouais ?

  — Ça tombe bien que tu dises ça, j'y pense jour et nuit !

  — Et qu'est-ce que tu fais pour remédier à ça ?

  Elle fait un mouvement de tête méprisant pour m'humilier lorsqu'elle appuie sur le ça. Ce soir, je sens que ça va être ma fête.

  — Comme tu l'as dit, on devrait attendre que Léo rentre en maternelle et... je pense que je vais revenir dans l'équipe... en tant qu'entraîneur, bien sûr »

***

  « Désolé, Jonathan. C'est tout simplement pas possible.

  — Vous vous foutez de moi ?! »

  Éric Mayer me détourne le regard et se contente d'allumer son cigare. Il fait rouler son énorme carcasse supporté par sa chaise de bureau jusqu'au fenêtre pour ouvrir les volets. Était-ce peut-être sa façon à lui de m'ignorer ou tout simplement de me dire « d'aller me faire foutre.

  « Comment vous pouvez me répondre avec un air aussi convaincu ? Vous avez peut-être oublié les exploits que je faisais sur le terrain ?!

  — Là n'est pas la question, Jonathan, dit-il avant de vapoter une épaisse fumée dans mon visage.

  — Bah alors ?! l'interrompis-je en frappant d'un coup enragé sur le bureau. Qui s'est sacrifié lors du dernier match pour apporter la victoire ?! Moi ! Toute l'équipe m'a dit que sans mon action, Frejus-Saint-Raphaël ne l'aurait jamais emporté !

  — Ton accident à davantage fait un tollé qu'autre chose, Jonathan ! Ne crois pas si bien dire. Nous ne sommes pas dans de la fiction ici. Et quand bien même tes compétences en tant qu'attaquant sont reconnues sur le terrain, il y a quelques complications à ton sujet...

  — Qu'est-ce que vous êtes en train de me chier ? Vous même disiez qu'à trente-deux ans j'étais encore l'un des meilleurs espoirs de ce club pour remporter la National 2 ! Maintenant que je me suis blessé et que je demande à rester dans ce club, ça me crache à la gueule ?! Vous devez oublier depuis combien de temps je suis ici ! Vous devez forcément oublier !

  — Je ne dis pas le contraire. Mais, il faut que tu saches que les problèmes que nous rencontrons à ton sujet ne viennent pas de moi »

  Je ne comprends rien à son charabia. La seule chose que je remarque, c'est qu'on essaye de m'entuber.

  « Cracher le morceau au lieu de tourner autour du pot ! »

  Il voit que je m'énerve et sa le fait tressaillir. L'espèce de bruit grinçant de sa chaise s'était accentué, ses jambes devaient probablement bouger sans s'arrêter en-dessous d'elle.

  « Nous rencontrons pas mal de conflits internes en ce qui te concerne, Jonathan.

  — Je ne vous demande absolument pas pardon ?

  — La membre du conseil d'administration, par exemple...

  — La pute de Sophie ? »

  Il n'hoche pas de la tête pour ne pas acquiescer ma méchanceté mais ferme les yeux pour m'indiquer qu'on parlait bien de la même petite garce.

  « Ça doit la faire jouir de savoir que je ne pourrai plus jamais mettre les pieds sur un terrain. Je suis pratiquement sûr qu'elle a même du faire une soirée en cette occasion pendant que j'étais sur le brancard.

  — Au contraire, balbutie Éric d'un ton peu convaincant. Elle s'est fait un sang d'encre à ton sujet. Aussi bien par rapport aux répercussions physiques et mentales que cela a pu engendrer.

  — Quoi ?

  — Ce n'est pas une chose facile de se raisonner à abandonner le football par rapport à des ligaments croisés. Avant même que tu sortes de l'hôpital, elle avait anticipé le fait que tu allais forcément revenir pour négocier un poste d'entraineur. C'était devenu le sujet principal de nos réunions médicales et de direction de l'équipe technique.

  — Et pour ne rien changer, elle était contre.

  — Avec raison, sans doute »

  Il poursuit avant que je n'ouvre la bouche, mes yeux étaient déjà injectés de sang.

  « C'est vrai, Jonathan. Cet accident t'aurait peut-être laissé des séquelles psychologiques comme une forte dépression en voyant tes anciens coéquipiers sur le terrain...

  — C'est pas vrai, mais quelle pute !

  — ...ou encore le fait que cet accident aurait pu te laisser des séquelles physiques. Des séquelles qui rendent difficiles le passage au poste d'entraîneur, le stress et tout ce que cela implique.

  — J'ai toujours dit que cette quarantenaire était mal baisée, mais là !

  — Et puis ça a mis la puce à l'oreille du président qui a remis en cause ta capacité à faire une transition de joueur à entraîneur...

  — Et voilà que même le président s'est mis à lui sucer la quequette. C'est ma fête dans ce club de merde, décidément !

  — ...parce que, tu vois, ce poste s'éloigne en tout et pour tout du poste de capitaine que tu avais. Cela nécessite une autre forme de leadership »

  Je me lève de ma chaise et pousse un profond soupir avant de fermer les yeux. J'arrivais à sentir des battements de cœur au niveau de ma veine à la tempe droite.

  « Moi, tout ce que je note, c'est la malhonnêteté de Sophie ! Et vous avez tous accepté ses suppositions la bouche grande ouverte.

  — Je savais que tu allais le prendre comme ça.

  — Arrête un peu, Éric ! Tu sais très bien qu'elle a une dent contre moi depuis des années, cette bonne femme !

  — Et peut-être avec raison, tu ne penses pas ?

  — On ne va tout de même pas reparler de ce qui s'est passé il y a dix ans, merde ! Et quand bien même ça serait le cas, ça prouve encore plus qu'elle n'est pas et ne sera jamais impartiale en ce qui concerne mon compte. Et puis... j'ai payé ma dette, je te ferai signaler.

  — Ce n'est pas quelque chose qui se marchande et s'oublie avec de l'argent. Mais ce n'est pas le sujet »

  Je ne le laisse même pas finir que je lui donne mon dos et avancer d'un pas précipité vers la porte. Je vocifère un dernier juron dans un murmure lorsque que l'enculé me sort « Que dis-tu ? »

  « Après tout ce que j'ai fait pour ce club, vous osez me mettre de côté comme si je n'avais existé. Bonne continuation à vous et vos supérieurs à la con, Éric Mayer.

  — Ne claque pas la porte ! On a des problèmes avec la... (CLACK !) serrure. »

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