Acte 1 - Scène 1
Dans ma jeunesse, j'étais celui qu'on appelait « la star du dernier instant » ou « l'homme du match », si vous préférez. Dans mon équipe de football - celui qui se jouait avec les pieds, on est pas aux États-Unis, ici - mes équipiers attendaient toujours le moment où j'allais faire grimper le score et imposer une remontada à laquelle personne ne s'attendait.
Je ne jouais pas en Ligue 1, mais c'était déjà ça. Je m'étais très vite rendu compte qu'on avait pas forcément besoin de viser plus haut pour se sentir acclamé par les foules, en particulier par les filles. C'était amplement suffisant, déjà qu'elles n'y connaissaient absolument rien. Cristiano Ronaldo et Choupo-Moting, c'étaient à peu près la même chose pour elle : des mecs musclés qui couraient après un ballon.
C'était d'ailleurs après un match que j'avais décidé d'aller parler à l'une d'entre elle. Isabeau Delacour, cette belle brune à la taille de guêpe et au corps skinny fit qui me regardait avec une lueur d'admiration dans les yeux, même lorsque je n'avais pas la possession de balle. Une bombe qui était devenu ma femme, une femme que je n'aurai jamais eu sans mon maillot fétiche et l'histoire qui s'est construite avec lui.
Quand tu vois un gamin de dix-neuf ans à peine avec un maillot floqué à son nom, il faut admettre que tu pouvais venir d'un club paumé, ça les faisaient quand même mouiller. Et tant mieux pour moi. À chaque fois que je le rangeais dans le tiroir ou balançait dans le bac à linges sales, je ne pouvais cesser d'embrasser mon numéro 45, ma bonne vielle étoile.
J'avais choisi ce numéro simplement parce que ça rendait stylé quand on se rappelait des mémoires de la guerre. Et puis j'avais cette tendance à imiter un canon avec mes doigts lors de mes célébrations. Je les achevais toujours avec des « on va faire du sale comme en 39-45 ». C'était fourbe, c'était mesquin, mais ça marquait et c'était ma marque de fabrique. Croyez-moi qu'aucune équipe ne voulait subir le coup de la mitraillette en humiliation. En me voyant la singer, ils savaient d'avance qu'ils avaient perdus le match.
Malheureusement, comme je l'ai dis un peu plus tôt, je n'étais même pas en Ligue 2 alors je n'avais pas droit à l'éloge de la télévision et des grandes chaines de diffusions comme CANAL+. On va dire que j'étais extrêmement limité dans mon succès - pour ne pas dire « bridé ».
Mon père me disait que j'avais toute les aptitudes pour passer en Ligue 2 voire 1, mais qu'il me fallait davantage d'entraînement sur le terrain et d'abnégation quant à mes loisirs. J'avais la rage et la motivation de réussir mais pas la sagesse de l'âge et la patience.
Et finalement, ce talent en devenir, ces éloges, ce futur espoir en lequel mes entraîneurs et recruteurs plaçaient leurs infimes confiance s'était éteinte durant ce seul putain de match. J'en ai la gorge qui se lacère de frustration rien que d'y penser. Une seule action, une seule initiative de trop m'avait coûté ma carrière de footballeur.
C'était pendant une prolongation, il ne restait plus que quelques minutes et on faisait jeu égale avec l'équipe adverse. Jusque-là, rien ne semble perdu ou gagné pour nous, sachant qu'on était déjà bien placé dans le classement général. Un match qui n'allait pas nous faire gagner ou perdre des points, ça annonçait une égalité au goût amer.
Sauf que j'étais « l'homme du match » comme m'appelaient mes coéquipiers, ou encore « la star du dernier instant ». Mon entraîneur me regardait, les recruteurs étaient là, aussi, les bras croisés à nous observer attentivement sans une once d'émotions. Isabeau joignait ses mains comme pour prier à Dieu de m'offrir cette victoire.
Tout le monde était là, je devais prouver que j'étais au-dessus de tout le monde. Pourtant je savais bien que le type qui allait tirer ce coup franc était loin d'être un petit joueur. Florent Andre, élu « favori » durant quatre match consécutif, était le redoutable attaquant de l'équipe adverse. Mais j'étais aussi dans le collimateur, il ne fallait pas que je le laisse marquer.
Trois de mes coéquipiers formaient un mur à la gauche du gardien. Une main devant, l'autre derrière, je pouvais entendre mes camarades hacher leurs respirations quand d'autre se prenaient presque d'une hyperventilation. Je ne pouvais pas laisser passer ça, et je savais qu'on était mal placé et que la balle de Florent allait réussir à atteindre notre cage.
Ça n'avait pas loupé. Je ne pouvais m'empêcher de contracter les muscles de ma mâchoire - comme une rage de dents - en voyant qu'il avait lui aussi perçu la faille sur le côté gauche du mur. Je chancelais en arrière, balançant mon regard apeuré sur le gardien démuni de tout courage, tentant de garder le peu de force qu'il avait pour maintenir ses bras en croix face au projectile.
Dans un élan de désespoir, c'est alors que je me jette en arrière, le visage fermé, les muscles plus contractés que jamais. Ainsi, je me déboita le genou gauche sur un dégagement en fin de match : la rotule sorti complètement de son axe.
Je n'ai pas le temps de hurler ni même de prendre en considération mon choc que je m'éclate l'arrière du crâne sur la pelouse. Tout devint noir. Je ne le savais pas encore, mais je venais de mourir et d'emporter mon rêve avec moi dans ma tombe.
***
J'ouvre les yeux et constate une lumière blanche. Un ventilateur de plafond tourne juste au-dessus de moi. Son grincement strident semble comme menacer de me tomber dessus et me trancher.
J'entends un gloussement familier juste à côté de ma tête. Lorsque je me redresse pour écouter ma jambe me fait un mal de chien. Mon bas du dos aussi. Isabeau était assise sur une chaise juste à côté du lit sur lequel j'avais atterri.
Vu la couleur blanchâtre et l'ambiance terne de la pièce, j'avais manifestement fini à l'hôpital. J'avais juste une blouse de patient sur moi et Dieu sait que j'ai horreur qu'on me déshabille pendant mon sommeil, même pas Isabeau.
Depuis qu'elle avait accouché, je la trouvais de plus en plus insupportable. Il n'y en avait plus que pour le petit monstre. Je l'entends gazouiller dans le creux de ses seins - là où était jadis ma place.
« Tu vas t'en sortir » disait-elle en passant sa main sur mon front. Elle était froide et ses paroles sonnaient presque fausses. On aurait dit qu'elle m'avait balancé ça l'air de rien. Simplement pour faire un semblant puisque je venais de me réveiller de mon coma.
Comment une femme que je trouvais autrefois aussi sexy avait-elle pu autant basculer dans un élan de monotonie morbide ? Je cale mon oreiller sur le dossier de lit pour le rendre plus confortable et maintiens mon regard fixé sur la poignée de la porte qui s'abaisse.
Le médecin s'avance vers moi. Il tient une sorte de classeur dans sa main.
« Vous voilà enfin rétabli, monsieur Corne » dit-il. Pareil que pour Isabeau, je ne sentais pas l'entrain dans sa voix. J'arrive à sentir une émotion à la différence de celle-ci. Il tremblait. Peut-être qu'il venait d'assister à un accident chirurgicale, qui sait ? Du moins je l'espérais, parce que sinon ça voudrait dire que la mine dépitée qu'il est en train de m'afficher lorsqu'il se poste juste devant moi n'est autre que pour mon cas.
« Je ne sais pas comment vous l'annoncer. Mais vous avez une luxation du genou ainsi qu'un ligament croisé. Je... nous supposons tous ce que cela signifie pour vous. »
Attends, c'est une blague ? Lorsque je me tourne pour regarde Isabeau, elle ferme les yeux et se contente de secouer lentement de la tête. Putain de bordel de merde. Est-ce que...
« Je suis sincèrement désolé de vous l'apprendre, monsieur Corne. Il n'y a aucune possibilité que vous puissiez continuer à jouer en professionnel après cette blessure »
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