8. Illustre adoption




Maria Rosa et Juan Pepito Pedro étaient assis côte à côte sur des fauteuils inconfortables. La qualité des sièges tout comme la décoration dépareillée du bureau avaient beau être le cadet de leurs soucis, quitte à être triste, autant l'être bien assis. Mais comme aucun des deux n'aurait osé dire quoique ce soit, ils devaient endurer la douleur en silence ; et avec plus moins de dignité. Juan Pepito ne cessait de changer de position, là où Maria Rosa trouvait la force de reste sagement assise. Il fallait dire que tout son esprit était accaparé par un cercle vicieux très cruel : dès que les larmes se mettaient à couler, elle se rappelait sa mère lui disant qu'elle était moche lorsqu'elle pleurait, et penser sa mère n'avait pour effet que d'intensifier le flot d'eau et de sel qui dévalait ses joues.

La jeune fille était douée pour sourire, elle le savait. Mais elle se découvrait aujourd'hui un vrai don pour pleurer.

En quelques mots et à voix basse, son jeune frère lui avait rapidement expliqué la situation. « Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un appel de l'hôpital. Elle s'est faite écraser en sortant du travail. ». Si Maria Rosa avait trouvé la formulation très violente, elle ne lui en avait pas tenu rigueur. Cependant, elle ne savait pas si c'était grâce à son indulgence coutumière, ou à cause de la tristesse. Elle était bien loin, son insouciance de la nuit.

L'homme qui les avait interpellés un peu plus tôt était assis au bureau, en face d'eux. Il mangeait une pizza quatre-fromages tout en les observant. Le but de sa manœuvre était, selon ses dires, de laisser un peu de temps aux deux jeunes gens pour se remettre. Mais Maria Rosa trouvait que la gentillesse et les bonnes intentions derrière cet acte était réduits à néant par le regard inquisiteur qu'il dardait sur eux – et le filet de mozzarella qui oscillait appendu à son menton. Elle n'aurait pas eu de telles pensées en temps normal, mais elle était en ce moment trop perturbée pour réguler sa gentillesse.

« Bon, dit-il soudain très fort, les faisant tout deux sursauter. Parlons de votre avenir.

Cette phrase, Maria Rosa l'avait déjà attendue à deux reprise : dans un téléfilm à l'eau de rose du dimanche soir, et dans la bouche de sa conseillère d'orientation en première. Cette fois-ci, les enjeux avaient l'air d'être plus importants.

- Mais d'abord, parlons de moi. Je suis Jean-Gladys.

Pendant les dix minutes suivantes, il leur conta sa biographie complète, depuis sa naissance consanguine dans un petit village montagnard jusqu'à la nouvelle cravate qu'il s'était payé grâce à une prime. Si c'était celle qu'il portait en ce moment-même, Maria Rosa était toute disposée à lui donner quelques conseils vestimentaire – une fois qu'elle aurait fait son deuil.

Jean-Gladys disserta sur son propre sujet pendant encore quelques minutes, mais comme elle avait l'habitude des cours magistraux soporifiques de son université, elle resta aussi concentrée qu'il était possible de l'être. Du côté de Juan Pepito Pedro, c'était tout autre chose et elle le vit distinctement sursauter lorsque leur interlocuteur prononça son nom d'une voix forte.

- Oui ? couina-t-il.

Maria Rosa lui tapota l'épaule pour le réconforter. Elle savait qu'elle allait devoir s'occuper de son petit frère à présent qu'ils étaient tous les deux seuls.

- Tu m'écoutes mon garçon ?

- Oui, mentit-il avec peu de conviction.

- Bien. Parce qu'à présent, je vais parler de vous.

Les deux adolescent furent effrayés à l'idée de le voir raconter leur propre vie, mais il semblait moins calé sur le sujet. En effet, il leur annonça simplement qu'ils allaient devoir arrêter les études et trouver un travail, sans quoi ils seraient à la rue et seraient renvoyés dans leur pays parce que, ça va un peu les étrangers, mais lui il avait travaillé toute sa vie et il n'avait pas que ça à faire de payer des impôts pour des aider feignasses comme eux.

Maria et Juan échangèrent un regard consterné, trop abasourdis par de tels propos pour y croire vraiment. La tristesse était pour la première fois passée au second plan, derrière une surprise fort à propos.

- Mais quel pays ? osa enfin demander l'ainée.

- On est nés ici, renchérit son frère.

Alors que Jean-Gladys s'emportait contre eux et leur ingratitude, des coups frappés à la porte le stoppèrent dans son élan. Rouge de colère et de sauce tomate, il s'accorda quelques secondes pour retrouver un semblant de calme. Le délai sembla visiblement trop long pour leur visiteur qui n'attendit aucun signal pour entrer dans la pièce.

Le nouvel arrivant portait une chemise parme et un pantalon de couleur bordeaux. Il avait assorti le tout avec un béret d'un beau jaune moutarde. Avec un soupir, Maria Rosa constata qu'elle avait du boulot de ce côté-là aussi.

- Jean-Gladys, sors de mon bureau et retourne dans ta cage ! tonna-t-il.

- Oui Gonzague, soupira Jean-Gladys.

Maria Rosa et Juan Pepito se regardèrent, consternés, pendant que l'imposteur sortait de la pièce. Tête basse, le carton à pizza serré dans ses bras, il disparut bientôt dans le couloir. La porte ponctua sa sortir d'un claquement solennel.

- Les enfants, je suis désolé pour ce qui vient de se passer. Jean-Gladys n'est plus le même depuis sa commotion cérébrale, mais on n'ose pas le virer. C'était un élément important de l'équipe avant qu'il glisse sur un lego.

Il ricana puis, voyant leur air blasé, reprit un visage de circonstance et leur offrit toutes ses condoléances. S'ensuivit un discours très administratif et plutôt ennuyeux, duquel ils ne retinrent pas grand-chose. En ce moment terrible de leur vie, un interlocuteur devrait avoir un sacré talent d'éloquence de charisme pour parvenir à capter leur attention.

Cela ne tarda pas à arriver, puisque soudain, une nouvelle personne fit son apparition.

- Jean-Gladys, j'ai dit dégage... Oh, excusez-moi Monsieur le maire !

Soudain moins sûr de lui, il se leva maladroitement. Le maire Suzann regarda les trois personnes présente, Maria Rosa et Juan Pepito le regardèrent, se regardèrent, et regardèrent Gonzague, qui regarda ses pieds. Puis, on les éjecta de la pièce, et ils regardèrent la porte fermée devant eux. Cela dura plusieurs minutes.

- Maria Rosa, finit par geindre le plus jeune, qu'est-ce qui va nous arriver ?

- Les enfants, tonna le Maire en ouvrant la porte à la volée sur le ton qu'il devait utiliser pour tous ses discours. À partir de maintenant, vous viendrez vivre chez moi.

Il y eu un instant de flottement.

- Mais pourquoi ?

- Mais parce que vous êtes orphelins, mes petits.

- Mais c'est légal ? s'inquiéta la jeune fille.

Le maire écrasa son index sur sa bouche.

- Chhhht. Je suis le Maire. Je vous recueille. C'est de la simple générosité. Ne posez pas de question, les enfants.

Sur ce, considérant que tout était réglé, il se mit à marcher vers la sortie.

- Alors, vous venez ? lança-t-il par-dessus son épaule.

N'ayant rien à faire d'autres, et fatigués par avance de chercher à obtenir des réponses, Maria Rosa et Juan Pepito lui emboîtèrent le pas.

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