7. Une matinée infernale




Notre héroïne ne s'était jamais questionné sur son originalité. Elle n'en avait pas le temps : la gestion de sa vie et l'écoute du chant des oiseaux prenaient toute la place qui aurait pu être allouée à cette activité. Mais si, malgré cet obstacle, elle s'était un jour pensée originale, son réveil de ce matin l'aurait directement éjectée de cette case. C'est en effet en parfait cliché qu'elle se réveilla, accompagnée d'un mal de tête conséquent et un souvenir pour le moins approximatif du déroulement de la soirée. Rien de très surprenant, finalement, et ce même lorsqu'on était Maria Rosa.

Cependant, pour continuer sur une lignée de vu et revu, tout lui revint brusquement en mémoire quand elle remarqua le bras de Red posé en travers de sa taille, par-dessus les draps du lit qu'elles partageaient. Alors, forcément, elle rougit.

Tandis qu'une douleur sourde lui vrillait un point incertain quelque part derrière l'œil, la jeune fille s'attela à retracer les événements de la nuit dernière. Si les détails s'émoussaient déjà dans son esprit, les différentes étapes du trajet chaotique qu'avait été la soirée étaient suffisamment claires.

Il y avait eu les gâteaux, la chambre vide de Ash et la déception qui allait avec, et le petit mot qu'elle avait laissé à son intention pour ne pas qu'il soit désappointé en trouvant son présent. Puis il y avait eu Pikachu, le lapin de Red, qu'elles avaient dû chercher dans toutes la maison après qu'il se soit enfui de sa cage. Il y avait aussi eu les verres, les gens rencontrés dont elle ne se souvenait plus du prénom dès qu'ils quittaient son champ de vision, les danses sous la musique trop fortes et les sourires échangés avec sa nouvelle amie.

N'allez pas croire qu'elle remplaçait Grâce et Porg. Ces deux-là restaient ses deux meilleurs amis, avec qui elle pataugeait sur la même longueur d'onde et se sentait comme un poisson dans l'eau. Mais Red était Red, et si elle n'avait rien partagé sentimentalement parlant avec la jeune fille, elle était visiblement allée plus loin sur le plan physique qu'elle ne le ferait jamais avec les deux autres.

Elle rougit à nouveau, jeta un coup d'œil à son amante endormie, se demanda si elle n'avait pas fait une bêtise, puis se dit qu'elle n'avait qu'à occulter ce fait s'il la gênait. C'était sa défense face aux événements les plus stressants de sa vie : si elle s'était si vite rétablie d'avoir échappé à la mort par deux fois, elle pouvait sans problème se remettre d'avoir couché avec la soeur de son crush.

Son coup d'oeil suivant fut pour sa montre. Une intense vague de stress balaya sa confusion et les bribes de sommeil qui s'attardaient dans son corps alangui. Presque onze heure. Sa mère allait la tuer, tuer Juan Pepito, puis se tuer et leur famille s'éteindrait par sa faute.

Une poussée d'adrénaline la releva d'un bond. Elle devait y aller. Une minute pour remettre ses vêtements, une autre pour laisser un mot à Red, et une dernière pour retracer le chemin à l'extérieur de la maison. Toute à son idée de rentrer chez elle, elle ne notifia ni les adolescents endormis un peu partout, ni les gobelets vides sur le sol, ni le regard bleu impénétrable qui la regarda s'éloigner.


*


- MDR !

Alors qu'elle venait de tourner au coin de sa rue, un grand cri la fit sursauter. Quelques mètres plus loin, son frère dévalait les marches de l'entrée de leur immeuble et s'élançait vers elle avec toute la fougue que lui conférait son mètre soixante-dix de jeunesse. Surprise par cette effusion, elle laissa apparaître un sourire incrédule. Elle n'était pas habituée à un tel accueil ! Mais il s'effaça bien vite quand, la distance s'amenuisant, elle remarqua le visage ravagé par les larmes de Juan Pepito Pedro.

- JPP ? interrogea-t-elle tandis qu'une terrible angoisse lui glaçait le sang.

Essoufflé aussi bien par les sanglots que par sa course soudain, le jeune homme la regarda dans les yeux. Une hésitation passa sur son visage, et c'est d'une voix douce quoique heurtée, qu'il annonça la nouvelle. Celle qui allait changer leur vie à jamais. Celle qui signerait la fin de son insouciance.

- Maman est morte MDR.

- JPP c'est impossible !

Les larmes arrêtèrent brusquement de couler sur le visage de son frère, et son air abruti habituel affleura sous sa tristesse. Cela ne conforta ni l'un, ni l'autre.

- Bah pourquoi ?

Subitement muette, Maria Rosa le contempla quelques secondes. Le temps qu'elle réalise. Sans prendre conscience que ce moment allait se graver pour toujours dans sa mémoire, elle détailla les traits familiers de son frère tout en faisant tourner en boucle sa question. Oui, pourquoi ? Pourquoi c'était impossible ?

Les bruits s'attéunaient à ses oreilles tandis qu'elle comprenait que la plus grande des peurs de son enfance venait d'arriver. Alors, elle comprit : c'était impossible parce qu'elle s'y refusait, tout simplement. Felicia Teresa ne pouvait être morte. Elle ne pouvait être partie sans avoir laissé à ses enfants le temps de lui dire au revoir.

L'horreur de la situation et la sincérité désarmante des yeux de son frère la frappèrent en même temps. En cet instant, même le chant des oiseaux ne lui était d'aucun réconfort. Puis, à son tour, elle s'effondra en sanglots.

- Mais JPP, pourquoi, se mit-elle à répéter en boucle.

Pour toute réponse, Juan Pepito passa ses bras autour d'elle, et au beau milieu de la rue, tandis qu'une odeur de poulet rôti et d'égout se mélangeaient dans cette fin de matinée désastreuses, ils se serrèrent l'un contre l'autre sans mot. Sans savoir qui soutenait l'autre, ils continuèrent à se tenir debout au milieu de la rue, jusqu'à ce qu'une troisième silhouette fasse son apparition dans la pathétique scène.

- Vous êtes bien Maria Rosa ?

Elle trouva la force de hocher la tête ; mais pas celle de croiser le regard de l'inconnu.

- Toutes mes condoléances pour votre maman. Vous allez devoir venir avec moi tous les deux... pour... en discuter.

Maria Rosa n'en avait pas envie. Elle voulait s'endormir et tout oublier. Mais elle n'avait pas vraiment sommeil. Alors elle renifla, hocha la tête à nouveau, et, le bras de Juan Pepito glissé autour de sa taille, elle emboîta le pas à leur interlocuteur, consciente qu'une page de sa vie venait de se tourner.

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