2. La promesse

Maria Rosa, depuis le lycée, avait pris l'habitude de se réveiller au son de Pour que tu m'aimes encore de Céline Dion, une de ses chansons préférées. C'est pourquoi elle fut légèrement déstabilisée lorsque ouvrit les yeux non pas à causes des premières notes de la chanson mais bien parce qu'un automobiliste venait de klaxonner comme un malpropre non loin d'ici.

Pour la seconde fois de la journée, elle sursauta, mais cette fois-ci, aucun objet ne vint bloquer sa ventilation en se logeant dans ses voies aériennes supérieures. C'était une bonne nouvelle.

Ce fut donc le sourire aux lèvres qu'elle émergea du sommeil. Quelle ne fut pas sa surprise de constater qu'elle était dans un lit d'hôpital.

- Mais je suis à l'hôpital ! s'écria la jeune fille.

Ou du moins, elle essaya de s'écrier. Cependant, sous l'effet de ses antalgiques et d'une douleur présente dans son larynx, elle n'arriva qu'à le murmurer. Cela fut suffisant pour que les deux autres personnes présentes dans la pièce la remarquent.

- MDR, tu as failli mourir !

- JPP, je suis en vie ne t'inquiète pas !

- J'ai eu peur MDR...

Juan Pepito prit sa sœur Maria Rosa dans ses bras. Celle-ci était à la fois contente et triste qu'il se soit inquiété pour elle et des larmes paradoxales humidifièrent ses globes oculaires. Elle se sentait aimée.

- Maria Rosa !

Leur mère poussa Juan Pepito Pedro de devant le lit et adressa à sa fille un regard noir.

- Combien de fois t'ai-je dit de ne pas mâchouiller les capuchons des stylos ?

- Beaucoup de fois... Tu as raison, je sais désolée !

Le regard de leur mère s'adoucit. Il s'agissait d'une plantureuse femme d'une quarantaine d'années qui ressemblait beaucoup à sa fille aînée, le sourire niais en moins. Elle s'appelait Felicia Teresa Gabriela mais ses enfants l'appelaient Maman, c'était plus commode.

- Et je suis désolée de ne pas avoir pu faire les courses aussi ! ajouta-t-elle sur un ton plaintif.

En effet, à en juger par la luminosité, la soir venait de tomber. Cela voulait dire qu'elle était restée plusieurs heures dans l'inconscience. Ce qui expliquait qu'elle se sente dans les vapes. Cette sensation n'était pas très agréable, elle préférait de loin écouter le chant des oiseaux.

- Nous ne pourrons pas faire d'omelette, soupira-t-elle.

- Pas grave, intervint Juan Pepito, nous ferons des œufs brouillés MDR.

Felicia Teresa Gabriela n'était pas ici pour parler du repas, et elle le leur fit savoir en disant :

- Je ne suis pas ici pour parler du repas.

Penauds, les deux adolescents acquiescèrent. Leur mère n'avait pas la patience pour principale qualité, et le fait de s'inquiéter pour ses enfants la rendait particulièrement bougonne et acariâtre. Ce qui laissait à penser qu'elle s'inquiétait souvent.

C'était peut-être la négativité de Felicia Teresa qui avait poussé Maria Rosa à avoir un naturel si optimiste et joyeux ; c'est sans doute ce qu'elle aurait pensé si elle s'était posé la question. Pour autant, ce jour-là, elle arrivait difficilement à être aussi pétillante que d'ordinaire. Après tout, elle avait échappé de peu à la mort. Y repenser la fit frissonner, mais elle se rappela qu'elle était en vie et un grand sourire revint bientôt sur ses lèvres.

Ce sourire ne la quitta pas de la soirée, même quand elle apprit que les claques dorsales à répétitions avaient fêlé une de ses côtes, que Juan Pepito avait eu un quatre sur vingt en math, et qu'elle avait loupé un cours très intéressant à la fac sur la sensibilisation ergonomique des tribulations mimétiques.

La jeune fille avait donné de ses nouvelles à ses deux amis dès qu'elle avait retrouvé son téléphone portable. Rassurés, Porg et Grâce lui avaient promis de tout lui expliquer le lendemain lors de leur rendez-vous habituel.

Elle était en train de leur souhaiter une bonne nuit lorsque quelqu'un toqua à la porte de sa chambre.

- Tu peux entrer ! lança-t-elle en redressant la tête.

Comme elle ne savait pas s'il s'agissait de sa génitrice ou de son frère, elle n'ajouta ni « maman » ni « JPP » à la fin de sa phrase.

Et ce fut Felicia Teresa qui pénétra dans la chambre. Après réflexion, Maria Rosa se rendit compte que Juan Pepito n'aurait jamais frappé avant d'entrer. Elle gloussa.

- J'aurais dû savoir que c'était toi !

Sa mère ne répondit rien et s'assit sur le bord de son lit.

- Maria Rosa, tu n'es pas passée loin de mourir aujourd'hui.

- Oui maman. Mais j'ai survécu.

- Mais tu aurais pu ne pas être aidée.

- Mais cela ne fut pas le cas.

- Mais cela était une possibilité.

- Mais j'ai été sauvée.

- Mais tu as failli ne pas l'être.

- Mais je ne suis pas morte.

- Mais tu aurais pu.

- Oui maman.

Elle lui sourit de toutes ses dents. Sa mère hocha la tête.

- Bien.

Maria Rosa hocha la tête à son tour et continua de sourire. À force de le faire, elle avait des joues très musclées et pouvait tenir des heures comme ça. Un jour, Juan Pepito lui avait parlé du concours de sourires et elle s'était dit qu'elle devait y participer. Cependant, elle n'avait pas encore dix-huit ans à l'époque, et cela n'avait donc pas pu se faire.

Aujourd'hui, les choses avaient changé. Elle se saisit d'un stylo bic et d'un post-it pour le noter : elle avait tendance à toujours oublier ce qu'elle devait faire.

- Comme ça je n'oublierai pas ! se justifia-t-elle à haute voix.

Elle mit machinalement le capuchon de stylo dans sa bouche avant de le recracher sous l'effet du regard noir de sa mère. Elle commença à s'énerver en parlant en espagnol et Maria Rosa savait que lorsqu'elle parlait dans sa langue natale, l'heure était grave.

Elle cessa donc de sourire.

- Je suis désolée maman !

Sa mère croisa les bras. Maria Rosa savait que lorsqu'elle adoptait cette posture menaçante, l'heure était grave. Elle cessa donc de la regarder.

- Regarde-moi Maria Rosa.

Elle la regarda donc.

- Je veux que tu me promettes trois choses. Tout d'abord, arrête de mâcher tes capuchons de stylo bic.

- Sinon tu vas m'interdire d'en racheter ? geignit la jeune fille.

- Parfaitement.

Maria Rosa baissa la tête brièvement. Elle aimait vraiment les stylos bic.

- J'aime vraiment les stylos bic...

- Ensuite, je veux que tu fasses ton testament.

- Sinon tu vas m'interdire de fréquenter Porg et Grâce ?

- Parfaitement.

Maria Rosa laissa couler une larme. Elle appréciait vraiment ses amis.

- J'apprécie vraiment mes amis...

- Et enfin, je veux que tu fasses des petits gâteaux au jeune homme qui t'a sauvée.

Le sourire revint sur les lèvres de Maria Rosa : ça, ce serait de bon cœur.

- Alors, promis ?

- Promis, sourit-elle en se jetant au cou de sa maman, mettant tout son amour et toute sa joie d'être envie dans l'effusion.

Et puis, maintenant, elle savait combien d'œufs il lui fallait acheter.

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