1. Les oeufs
Maria Rosa n'aimait pas le Nutella. Elle n'en mangeait donc jamais. C'est pourquoi en cette matinale heure elle étala consciencieusement son beurre sur la tranche de pain grillé que lui avait gentiment préparée sa mère avant de partir travailler. Elle était infirmière et commençait très tôt le matin.
Son frère ne tarda pas à arriver dans la cuisine à son tour.
- Bonjour Juan Pepito Pedro.
En général, elle nommait son cadet JPP, parce que c'était plus court.
- Bonjour Maria de la Rosa du matin.
En général, il la nommait MDR, parce que c'était plus drôle.
- Tu veux une tartine Juan Pepito ?
Maria Rosa était gentille et cela ne la dérangeait pas de préparer des tartines pour un adolescent bougon qui parlait espagnol dans son sommeil.
- Oui je veux bien une tartine s'il te plait Maria Rosa.
- Installe-toi, je vais te faire cette tartine Juan Pepito.
Juan Pepito Pedro aimait le Nutella, lui. Il en mangeait donc souvent. C'est pourquoi en cette matinale heure elle étala consciencieusement la pâte à tartiner sur la tranche de pain grillé qu'avait gentiment préparée leur mère avant de partir au travail.
- Que comptes-tu faire aujourd'hui JPP ?
- Je vais aller en cours MDR et toi ?
- Je vais aller en cours JPP.
Juan Pepito était encore au lycée. Il faisait une terminale ES mais préférait jouer du saxophone dans leur garage avec son groupe de musique hardcore et cacher des magasines phonographiques sous son lit.
Maria Rosa était en première année de fac de sémiologie déontologique appliquée. Elle préférait faire des tartines de Nutella à son petit frère et écouter le chant des oiseaux.
Mais voilà qu'il n'avait plus faim, et qu'elle devait retourner se préparer pour aller en cours.
En ce mercredi matin, Maria Rosa ne commençait qu'à dix heures, mais elle considérait qu'une bonne journée commençait en se levant tôt. En outre cela lui permettait de passer un peu de temps avec Juan Pepito.
De plus, elle avait ainsi le temps de faire le ménage dans la maison. En effet, sa mère était souvent fatiguée en rentrant du travail et elle lui évitait ainsi cet effort. Maria Rosa était une gentille fille, et passer le balai ne la gênait pas, car elle pouvait ainsi prendre le temps de réfléchir à la vie et écouter le chant des oiseaux.
Quand la pièce fut propre, elle se rendit compte qu'il était l'heure de partir. Elle se précipita dans l'ascenseur sans oublier de se saisir de son sac de cours, et de fermer la porte de l'appartement à clef. Elle inspecta brièvement son reflet dans le miroir qui constituait l'un des murs.
Maria Rosa avait hérité de la peau mate de sa mère qui l'avait elle-même hérité de sa mère, qui l'avait par contre hérité de son père. Le chemisier blanc qu'elle avait revêtu soulignait son teint et faisait ressortir la blancheur de son sourire niais. La jeune fille avait noué ses cheveux en une queue de cheval basse qui dégageait son visage serein aux traits fins. Ses yeux noirs lui renvoyèrent son regard satisfait. Voilà une bonne journée de plus qui commençait.
Pour aller à la fac, elle devait prendre le métro puis marcher pendant une dizaine de minutes. Ce trajet quotidien ne la dérangeait pas puisqu'elle l'effectuait en général en compagnie de Grâce et de Porg, ses deux amis.
Ce jour-là ne fit pas exception à la règle : ils la rejoignirent tous deux à la sortie du métro, comme selon le rituel qu'ils avaient tacitement établi.
- Bonjour Maria Rosa.
- Bonjour Grâce, bonjour Porg.
Ces paroles échangées, ils se mirent en marche. Ils n'étaient pas pressés par le temps, et pouvaient profiter de la température glaciale de ce mois d'octobre. Les cours n'avaient repris que depuis deux semaines. C'est lors de la rentrée que Porg et Maria Rosa, amis de lycée, avaient fait la connaissance de Grâce. Ils avaient rapidement tissé des liens d'amitiés et les trois jeunes gens étaient toujours fourrés ensemble.
- Je vous apprécie les amis, s'épancha Maria Rosa qui venait d'être envahie d'une bouffée de bonheur.
Grâce et Porg lui sourirent.
- Nous aussi chère amie !
Ils se mirent tous trois à rire de bon cœur. C'est donc le sourire aux lèvres qu'ils continuèrent leur marche tandis que les klaxons insupportables de la rue trop fréquentée les berçaient. Que la vie était belle !
Maria Rosa écouta distraitement ses deux amis discuter, tandis qu'ils passaient devant la faculté de médecine. Voir ce grand bâtiment s'élever devant eux lui fit penser à sa mère. En effet, elle travaillait dans l'hôpital, situé juste derrière le campus. Et penser à sa mère lui rappela qu'elle était censée faire les courses en sortant des cours.
- J'ai oublié de noter la liste de course ! s'écria-t-elle.
Elle posa son sac à ses pieds pour en sortir un papier et un stylo. Maria Rosa aimait les stylos bic, elle en avait donc acheté.
- J'aime les stylos bic, se dit-elle à elle-même, satisfaite de cet état de fait.
Ses amis s'arrêtèrent pour l'attendre sans pour autant cesser de discuter. Ils devaient échanger sur un sujet passionnant et elle regretta un instant de ne pas s'être intégrée dans la conversation.
Elle allait remédier à ça, mais il fallait avant qu'elle finisse ce qu'elle était en train de faire. Elle s'assit sur le muret et retira le capuchon de son stylo, avant de se mettre à le mâchouiller. Concentrée sur sa liste (elle ne savait pas s'il lui fallait une boîte de six ou de douze œufs), elle n'avait pas remarqué que Porg s'était approché et essayait d'attirer son attention.
Si bien qu'elle sursauta lorsque le visage du jeune homme surgit devant le sien alors qu'il hurlait son prénom.
Content de la frayeur qu'il venait de lui faire, son ami commença à rire. Il n'avait pas remarqué que sous le coup de la surprise, Maria Rosa avait malencontreusement avalé son capuchon de stylo.
La jeune fille porta les deux mains à sa gorge et essaya de tousser. Impossible de déloger l'objet. Elle ne pouvait plus respirer. Grâce se mit à crier et Porg cessa de rire en la voyant lentement pâlir. Cependant, les deux jeunes gens se contentaient de la regarder lentement virer au bleu ; pris au dépourvus, ils se révélaient dans l'incapacité de réagir.
Maria Rosa se demanda si sa vie allait défiler devant ses yeux, comme dans les films, mais tout ce qu'elle vit, c'est Grâce en train de s'évanouir. Elle était déçue que son existence se termine ainsi, sans qu'elle n'ait su trouver l'amour de sa vie, le sens de celle-ci, ou la réponse à sa question sur le nombre d'œufs qu'elle devait acheter.
Mais, tandis qu'elle allait perdre connaissances, elle sentit que quelqu'un lui mettait une grande claque dans le dos, puis une autre, puis encore une autre, jusqu'à ce qu'elle recrache le capuchon meurtrier. Elle eut à peine le temps d'apercevoir le visage de son sauveur qu'elle tomba dans les pommes.
Mais elle était sauvée.
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