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     Me voici, face à lui.

Il me contemplait avec des yeux remplis de douceur et d'incompréhension. Ce qu'ils voilaient la vérité à la perfection. Je l'avais retrouvé au même endroit, six jours après notre première rencontre. Il n'avait pas changé, si ce n'était peut-être son pantalon, auquel quelques tâches s'étaient ajoutées. Il arborait le même sourire, vraiment agréable à regarder.

Consciente que cela faisait un moment que nous nous observions, je décidais de briser ce silence en prenant soin d'adopter un ton aussi solennel que celui de mère.

« Comment se fait-il que mon identité ne te soit pas inconnue ?

— M'avouerais-tu donc que tu m'as menti ? fit-il taquin.

— Cela ne répond en rien à ma question.

— Eh bien... »

Ses yeux avaient lâché les miens, les fuyant pour parcourir le paysage. Il semblait chercher des mots qu'il utiliserait avec précaution. Puis lorsque son regard revint vers moi, il ouvrit la bouche et quelques secondes s'écoulèrent avant que sa phrase sorte.

« Dans mon village réside une femme que l'on nomme Gothik. On raconte qu'elle était là avant notre naissance et qu'elle sera toujours présente après notre mort. C'est une femme sage, et nous avons toute confiance en elle. C'est elle qui m'a prédit notre rencontre.

— Elle a... prédit notre rencontre ?

— Oui ! Je sais que ça peut paraître inconcevable, mais c'est le cas ! Et... Elle m'a dit qu'elle souhaitait te rencontrer.

— Comment cela ?

— Eh bien... Je peux t'emmener chez elle, et...

— Dans ton village ?

— Évidemment.

— Alors que nous sommes ennemis ?

— Oui. Enfin, non ! Mais...

— Comment suis-je en mesure de savoir que ce n'est pas un piège ?

— Je ne sais pas, mais ce n'en est pas un ! Et puis, elle souhaiterait réellement te parler.

— Et de quoi ?

— Je... Pense qu'il serait préférable que ce soit elle qui te le dise. »

La curiosité qui s'emparait de mon esprit rendait mes discernements flous et impossibles. À cet âge, mon impulsivité et ma soif d'aventure me poussaient dans des situations dangereuses bien souvent. Cette fois-ci ne fut pas exception à la règle. Et aujourd'hui j'en paye les conséquences.

« Je ne viens qu'à une seule condition. Mon arc reste avec moi et je n'aurai aucun remords à te faire du mal si la situation me l'obligeait. »

Un sourire naissait aux coins de ses lèvres alors que son ton était clairement enjoué.

« Ton arc ? J'ai peur que ça ne retienne l'attention de mon village.

— Dans ce cas, je ne viens pas. »

Mes paroles parurent le décontenancer avant de lui voler son arrogante confiance. Il réfléchit un moment, fouilla sa sacoche afin d'en sortit un poignard ainsi qu'une cape brune.

« Tiens, ce n'est pas une épée mais c'est tout ce que je possède. Et ceci est la cape que Gothik m'avait remise pour toi.

— Comment savait-elle que j'accepterai de te suivre ? Et cette cape n'attirerait-elle pas plus l'attention ?

— Je te l'ai dit, Gothik a prédit notre rencontre... Elle a prévenu mon père qu'aujourd'hui elle soignerait une personne souffrant des rayons du soleil. Il faut dire que ta peau et tes cheveux ne passeront pas inaperçu... »

Je pris en main son poignard et revêtis la cape en l'attachant soigneusement à mon cou.

« Prête ?

— Prête. »

Il se retourna et entama la route menant à son précieux village. Je le suivais de près, mais pas après pas, une angoisse nouée à une culpabilité se forma au creux de mon ventre. J'allais voir pour la toute première fois un village Viking.

Mais avais-je raison de le suivre ? Et s'il me mentait ? Et si depuis le commencement, il n'avait pour but que de me faire captive ? Et pourquoi, pourquoi après toutes ces incertitudes, je restais à ses côtés ?

« Est-ce que ça va ? » Surprise, je plongeai mes yeux dans les siens.

« Oui, merci.

— Ne t'en fais pas, Beurk n'est plus qu'à quelques mètres. Essayes juste de ne pas te faire repérer » plaisanta-t-il.

Un rire nerveux m'échappa et j'eus envie de marcher encore plus rapidement, de courir jusqu'à ce que toutes mes pensées se soient envolées avec ma force.

Les fleurs avaient des pétales disproportionnées et des couleurs vives, quant aux autres plantes, elles me semblaient plus sauvages que celles qui prenaient racine en nos terres.

Les rugissements des animaux étaient plus forts, et plus lourds. Lorsque j'entendis le premier, un frisson me parcourut l'échine tandis que je guettais une réaction de la part d'Harold. De dos je ne vu point son visage se contracter, tiquer, ou rester impassible ; pourtant je pariais qu'il jetait de vifs regards.

« Alors... Hum, comme ça tu es l'héritière du royaume de DunBroch ?

— Oui, et toi ? Qui es-tu exactement ?

— Oh c'est vrai. Nous n'avons pas eu le temps de nous présenter lorsque tu t'es enfuie » se moqua-t-il.

Je frappai son bras tout en essayant de contrôler la honte qui tintait mes joues en rose. Il rit de plus belle avant de continuer :

« Que pourrais-je bien dire sur moi ? Il y a quelques temps j'ai rencontré un formidable dragon. J'ignore si tu sais qu'ici ils sont nombreux, mais le fait est que mon clan se bat contre eux. Et la peur que j'éprouvais à leur égard était spectaculaire !

— J'ai entendu parler des dragons... Mais tout ça ne te défini pas.

— Si, au contraire. Je n'étais pas assez fort pour rejoindre mon clan et combattre les dragons directement. Alors je restais en retrait dans une forge. Je ne pense pas que mon père soit fier du fils que je suis. Pourtant, ce dragon m'a apporté une certaine paix. D'ailleurs, Gothik est la seule qui soit au courant de cette histoire.

— Tes parents ne le sont pas ?

— Ma mère n'est plus de ce monde depuis bien longtemps, et ma relation avec mon père est assez compliquée. Cette grande brute épaisse et aveugle ! »

Pour la énième fois il rit, et pour la première fois je remarquais qu'il sonnait faux.

« Nous y sommes... Mets ta capuche et reste bien derrière moi. »

J'acquiesçais et m'exécutant, je pris soin de dissimuler mes cheveux ainsi que mon visage. Ma tête était baissée et déjà mon cœur prenait un rythme effréné.

Un brouhaha intense parvint à mes oreilles, frappant mes tympans aussi violemment que le vent glacé de l'hiver. Au départ le flot de discussions me paraissait incompréhensible et biscornu, mais à présent j'en distinguais quelques bribes.

Des marchands ventaient leurs produits dont je devinais à l'odeur, être du poisson. D'autres, des armes à la qualité douteuse ; et pour finir des rires roques mêlés à des pleurs d'enfants.

Nous étions serrés et cette foule compacte me tirait à l'opposé d'Harold. J'étais bousculée et je ne pouvais pas relever les yeux de peur de rendre mon visage visible.

J'avais perdu Harold, je marchais droit devant, me dépêchant de le rattraper. J'avais le coeur compressé par mon thorax, un manque d'air en contradiction avec mes grandes inspirations, et une chaleur envahissante.

J'aurai voulu m'en aller mais je n'étais pas capable de me diriger vers une possible sortie.

Entrouvrant mes lèvres et prenant une bouchée d'air je m'arrêtais. Immobile parmi mes ennemis, mais tremblante et chancelante je prononçais son nom. Ma voix était dépourvue d'assurance et de force.

Hachant ma parole, je me rendais compte que personne ne pouvait m'entendre dans un tel bruit. Ma respiration devenait saccadée, soumise au stresse et à la peur qui s'alliaient pour détruire mon esprit. Obnubilée par cette pensée, je remarquais également que mes jambes allaient fléchir et me lâcher.

« Ha-rold... » soufflais-je une seconde fois.

Soudain le contacte de ma main avec celle d'un autre me fit sursauter. Exténuée, et sur le point de tomber à terre, c'est lors de ce manque d'attention que relevais le visage. Les prunelles d'Harold me fixaient, et immédiatement la teinte rouge de ses joues attira mon regard.

« Je t'avais dit de ne pas t'éloigner. J'ai cru que tu t'étais enfuie tu sais ?

— Merci... Mais... Je devrais rentrer chez moi.

— Nous y sommes presque, et cette fois je ne te perdrai pas en route » tenta-il pour me rassurer.

Il me souriait, me manipulait. Nos mains liées, j'oubliais le monde qui tournait autour de nous. Et rabaissant le visage, j'abdiquais. Harold se retourna et rompit  le lien qui m'avait fait nier la réalité.

Les bruits m'accablèrent de nouveau, tout comme les secousses de mon corps reprirent. Mais cette fois-ci c'était différent. Je n'y prêtais guère attention. Mes joues prenaient une couleur rosé, puis rouge. Les yeux au sol, ce n'était plus pour dissimuler mon identité, mais pour cacher mon embarassement.

Plusieurs fois mes épaules se sont retournées sur le passage de mes ennemis, mais jamais mon attention ne les suivis. J'étais comme en léthargie, incapable de penser à autre chose, incapable de contrôler mon esprit comme mon corps.

Je ne faisais que respirer, subissant une excitation nouvelle qui naissait au creux de mes côtes. Une émotion qui me rendait confuse puisque jamais je n'avais ressenti de sentiment comparable.

« Voilà... C'est ici » souffla-t-il hors d'haleine.

Il défît nos mains et m'indiqua une vieille maison de bois. Elle se situait au bord d'une immense falaise avec la mer à ses pieds. Le soleil rouge se reflétait à travers ce miroir d'eau et donnait chaleureusement plusieurs nuances rosées au ciel.

Il se faisait tard et j'avais pour consigne de revenir avant que l'astre lunaire n'ait fait son apparition. Néanmoins, cette vieille bâtisse sous les yeux, je ne pouvais pas lutter contre ma curiosité.

Encore un peu méfiante je m'avançais vers l'entrée tandis qu'Harold suivait mes pas. Puis, les doigts cognant contre le bois âgé je toquais. Le soleil continuait d'embraser le ciel lorsque la porte grinça et s'ouvrit sur une femme à l'allure frêle.

Elle posait sur moi un regard bleu et amorphe. Le temps l'avait attaqué, sa jeunesse semblait s'être complètement allée. Son visage était tracé de rides alors qu'un long bois la soutenait.

Elle se décala et m'invita à entrer. D'abord hésitante je regardais cette femme les lèvres pincées, les mains serrées. Je levais les yeux vers Harold et d'un signe de tête, je compris qu'il avait l'intention de rester avec moi. Je pénétrais dans sa maison et remarquais que le sol craquait à chacun de mes pas.

L'odeur qui en émanait semblait appartenir à la mer, comme si toutes les planches de bois avaient pourri au fond des abysses. La lumière était peu présente et ne me permettait pas de voir grand-chose. Tournant sur moi-même pour faire face à Gothik, je la vis empêcher Harold d'entrer. Les cliquetis de ses coquillages retentissaient, tandis que son bâton barrait la porte. J'allais protester lorsqu'il me regarda d'un air désolé.

Aussitôt elle ferma la porte, et me fit volte-face.







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