Chapitre 47

Après réflexion, je me rends compte que plonger la tête dans le Rhône n'était peut être pas la meilleure idée que j'ai pu avoir. Le ciel se voile désormais, et de lourds nuages noirs nous cachent le soleil, nous privant de sa lumière et de sa chaleur. Il n'y a plus de temps à perdre, l'orage n'est pas loin. Des grondements lointains nous parviennent déjà, et je reçois quelques gouttes d'eau. 

Visiblement, Gwendoline a eu la même conclusion que moi, car elle presse le pas. Plus question de faire les fines bouches sur notre prochain abri, il doit juste contenir un toit, et être un minimum salubre. Nous traversons le pont à toute vitesse. La pluie se fait plus insistante, comme si elle nous avertissait que l'orage arrivait. Puis, à la sortie du pont, Gwendoline oblique à droite, dans une petite ruelle. Je la suis, mais bientôt il m'est impossible de la voir complétement: je distingue  à peine sa silhouette. Et pour cause: la pluie est devenue averses, des trombes d'eau descendent du ciel. Et, pour couronner le tout, un épais brouillard s'est installé, empêchant tout repère. Mais pourquoi diable Gwendoline n'entre pas dans un appartement? Je suis trempée jusqu'aux os, et mes dents s'entrechoquent avec violence. Si je m'en sors avec un simple rhume, je suis chanceuse. 

Et, je m'arrête en plein milieu d'une rue. Mes pieds sont dans l'eau, et une cascade d'eau de pluie me tombe toujours sur la tête. Je crois que plus rien n'est sec, sur moi. Je cherche du regard mon amie, paniquée. Celle ci n'apparaît nulle part. Je l'ai perdue. Je suis perdue. Le désespoir m'accable, mais un peu de raison me reste, et elle m'empêche de me coucher en chien de fusil sur les pavés trempés. Elle me tend son fil, que je tire avec l'énergie du désespoir. Celui ci mène à un cage d'escalier recouverte par les graffitis. Je monte les escaliers, qui sont bientôt trempés: je goutte de partout, mes pas laissent des empreintes mouillées et sales. 

Je décide de m'installer au dernier étage: les risques d'une inondation sont élevés, très élevés. Trop élevés. Le couloir dans lequel je m'engage est plongé dans l'obscurité. Un frisson me parcourt. Je trouve assez rapidement un interrupteur, que j'actionne. Les lumières s'allument, blafardes. Elles font un petit grésillement, ce qui confère à l'endroit un ambiance assez glauque. Les murs sont décrépis, des rangées de portes me font faces. Je n'ai pas pris le plus petit immeuble, on dirait. Je me sens mal à l'aise, ici. Comme si je n'étais pas à ma place. Une partie de moi m'ordonne de partir tout de suite: c'est endroit est dérangeant. L'autre, raisonnable, me somme de rester: après tout, il n'y a rien de dangereux ici. C'est juste mon angoisse, qui remonte sous forme de paranoïa exagérée. Mon côté rationnel prend les dessus, et je m'engage. Malgré tout, ce sentiment désagréable ne s'arrange pas. Il empire, même. Des gouttes de sueur dévalent mon front, mes yeux s'agitent dans leurs orbites, mon rythme cardiaque s'est accélérée. L'adrénaline court en moi, prête à me faire réagir. La peur est mon moteur principale, mais aussi mon frein. 

Je m'arrête alors devant une porte en bois, semblable à tout les autres: un judas à hauteur de mon front, un poignée argentée en un paillasson noir devant. Seul changement: le numéro de l'appartement, inscrit sur une plaque en bois accrochée au dessus du judas. Le mien, le 46, est au milieu du couloir, pas trop sur la gauche, pas trop sur la droite. Equilibré. Je ne sais pas pourquoi, mais cette pensée me rassure. 

Je prends une grand inspiration, et abaisse la poignée. Je frémis au contact froid de la matière avec ma main, encore humide. Je m'essuie les pieds avant d'entrer, soucieuse de laisser l'appartement propre. Mon passage laisse de longues traces marrons sur le paillasson. 

Quand j'ouvre la porte, celle ci grince, et le bruit résonne dans tout le couloir. Glaçant. Je me précipite à l'intérieur, et referme à tout vitesse. Je mets le loquer, pour être sûre que personne n'entre. A ma grande surprise, l'appartement est assez vieillot. Tout en bois, les meubles sont recouverts de plaids rouges (le canapé), de coussins (les chaises) ou de nappes (pour la table). Une forte odeur de bois mêlée à celle des vieux livres me parvient. En passant un doigt sur la table, je me rends compte que tout est recouvert d'une épaisse tâche de poussière. Personne n'est venu là depuis longtemps. 

Je visite également la salle de bain, étriquée et remplie de bibelots. La chambre, elle, possède un lit simple, collée à une bibliothèque tapissant le mur entier. Dedans, des livres vieux comme le monde, qui, j'en ai l'impression, pourraient se réduire en poussière si je les tenais dans mes mains. L'ancienneté est telle que je distingue à peine les titres et auteurs, effacés par la gigantesque main du temps. 

Un petit placard, située juste en face du lit, contient des habits beaucoup trop grands pour moi, et aucun sous vêtement. Super. Les miens sont tous trempés. Je soupire, et pose mon sac sur la table. Je sors mes affaires, toutes imbibées d'eau, évidement. Et une évidence me frappe: ma tablette? Est elle encore fonctionnelle. Avec frénésie, je l'attrape et l'allume. L'écran reste d'abord noir, ce qui fait monter mes larmes jusqu'aux yeux. Puis, il s'allume sur la page d'accueil. Je pousse un soupir de soulagement, et rejette la tête en arrière, pour souffler un bon coup. Mais un éternuement me ramène devant ma tablette. Puis un autre, et encore un. Satané allergie.

Pourtant, je ne veux pas quitter cet appartement. Rien qu'à l'idée d'en choisir un autre, mon cœur bat la chamade, et une immense terreur s'agrippe à moi. L'image du couloir suffit pour que je manque d'air. Mais, aussitôt, un certitude vient à moi, claire dans le chaos, arrangée dans le désordre qui règne dans mon esprit: quelque chose cloque dans ce bâtiment. Pourquoi ce couloir me fait tant d'effet, alors que j'en ai traversé d'autres, semblables? Pourquoi je refuse de quitter cet appartement, alors qu'il a si peu d'avantages pour moi? 

Une seconde, je pense à passer par la fenêtre, pour ne pas avoir à traverser le couloir. Puis, je me rappelle l'inondation, et la hauteur: je suis au quatrième étage, impossible de ne pas descendre sans me blesser, ou pire, mourir. L'effroi me saisit. Je suis piégée, coincée, réduite à attendre que le temps se calme. Et, pour couronner, le tout, bloquée dans un appartement qui ne m'inspire que de la peur. Sans Gwendoline. Gwendoline que j'ai perdue de vue, qui doit être en sureté sous un toit elle aussi, peut être à se demander où je suis passée.

Prise d'une impulsion, je prends ma tablette, et vérifie le profil de Gwendoline. Mais une chose a changée. Du statut d'en compétition, elle est passée à celui d'éliminée.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top