Chapitre 43

Je m'ennuie. Cela fait une semaine que je suis enfermée dans cet appartement de malheur, sortant une à deux heures par jour. Après avoir fait l'inventaire de tous les objets de l'habitat, compté les carreaux, les oiseaux qui passent devant la fenêtre, tenté de bouger mon bras (sans succès), inventé de nouvelles recettes culinaires, lus les livres présents (même ceux pour les enfants), je n'ai plus rien à faire. Je commence un peu à désespérer. Je consulte régulièrement ma tablette, et rien n'a bougé: nous sommes toujours six: Gwendoline, moi, Sasha, Matthias, un certain Gaël, et, pour mon plus grand malheur, Kate. Celle à cause de qui ma jambe n'est plus de chair. Pour Sasha, ça ne m'étonne pas. C'est un battante, une gagnante. Je parie qu'elle est à l'origine de plusieurs éliminations. Matthias, lui, est un stratège. Il analyse avant d'agir, prépare le terrain avant d'entrer en action. Toutes ses actions sont réfléchies, maîtrisées, et si il fait quelque chose sur un coup de tête, c'est que c'est la dernière option possible, réalisable. Je pense qu'il erre de bâtiments en bâtiments, une arme à la main, un sac rempli de victuailles sur le dos. Quant à moi... Je suis coincée entre quatre murs, un bras cassé, une jambe bionique, et je dépends d'une concurrente. C'est assez ironique. Parfois, j'arrive à rire de cette situation, mais pas aujourd'hui. 

Précautionneusement, je me lève de mon lit, une main sur le matelas, l'autre repliée contre mon thorax. Avec une grimace de douleur, je déplie mon dos. Mes blessures me font toujours mal, même si elles sont presque guéries. Selon Gwendoline, il me restera uniquement la trace de la cicatrice comme souvenir. Rien de bien terrifiant. Je fais quelques pas, jusqu'à la cuisine, puis m'arrête, et m'appuie sur le plan de travail, essoufflée. Depuis mon "accident", je suis à court de souffle beaucoup plus rapidement. Faire quelques pas devient un effort extrême, et je dois dormir plusieurs heures pour récupérer. Cela m'inquiète beaucoup: et si ça restait comme ça toute ma vie? Que je ne guérissais pas? 

Heureusement, Gwendoline rentre, et coupe court à mes tourments intérieurs:

— Salut! Ca va? fait elle, les sourcils froncés, en me voyant appuyée contre la table, le souffle rapide.  Dans ses mains, de sacs, remplis à ras bord de nourriture, médicaments et vêtements, pillés dans les bâtiments alentours. Immédiatement, elle lâche son butin et se précipite vers moi, ses bottes encore aux pieds. Celles ci frappent le sol avec force, et, pendant un instant, j'ai la pensée absurde que ses chaussures sont tellement puissantes qu'elles pourraient faire s'effondrer l'appartement. Des bottes magiques, capables de détruire ce sur quoi elles posent la semelle. 

Le contact des mains de mon amie sur mes épaules me ramène à la réalité:

— Hé? Ca va? Qu'est ce qu'il se passe? s'enquiert elle, le visage si près du mien que je peux sentir son souffle caresser mon front (oui, elle est beaucoup plus grande que moi, mais ce n'est pas si compliqué, en même temps). 

— Et... et si je ne me remettais jamais de cet accident? demandai je, les larmes au bord des yeux. Sentant l'urgence, Gwendoline me prend dans ses bras. Sa chaleur réchauffe mon cœur, me fait comprendre que je ne suis pas seule dans ce combat.  

— Oh, ma Perle, c'est ça qui cause ton tourment? Et qui te fait pleurer?

Et doucement, elle m'emmène sur le canapé, toujours en me soutenant. Je m'effondre dans les coussins moelleux, qui m'accueillent. A côté de moi, mon amie s'empresse de me rassurer:

— Même si ça met du temps, tu va guérir. Ne t'inquiète pas. Et je ne dis pas ça uniquement pour te rassurer, mais parce que je le pense. Si je savais que tu n'avais aucune chance, je te l'aurais dit, crois moi! Mais là, j'en suis sûre, tu vas sortir de ton mal! Tu es combative, et en bonne voie! Ce qu'il faut, c'est s'entraîner, préparer ton corps à, de nouveau, exécuter des efforts physiques.

Je me blottis contre mon alliée, revigorée, soudain pleine d'énergie. Elle a raison. Je vais m'en remettre, car je ne vais pas abandonner. Marcher, marcher, et encore marcher. J'ai été affaiblie, c'est vrai, mais pas tuée. 

Après un petit moment, Gwendoline se lève doucement. A moitié consciente, j'entrouvre à peine les yeux, et m'allonge dans le sofa de tout mon long. Un songe ne met pas longtemps à venir me cueillir.

Je suis dans une plaine, le vent bat mes longs cheveux, le soleil frappe ma peau déjà bronzée. Mes muscles sont développés, puissants. Je sais que, si un danger arrive, je peux m'enfuir ou combattre. Après tout, je suis une fille de la nature. Celle ci m'a vue naître, grandir, pleurer, rire, me disputer, aimer. Vivre. Un peu comme une deuxième mère. Quand je ne vais pas bien, je laisse mes larmes tomber sur la mousse, quand j'ai quelque chose à dire, je glisse mes confidences à un arbre. La nature est une partie de moi, tout comme je suis une partie d'elle. 

Mes mains caressent les fougères, rencontrent les fleurs. Pour protéger mes pieds, rien d'autre que des sandales, dont les lacets m'arrivent aux genoux. Ma poitrine est bandée par un tissu, pour éviter qu'elle ne me gêne pendant un exercice physique. Ma tenue, elle, est courte, faite pour que je sois libre de mes mouvements, tout en étant protégée aux points vitaux. 

Soudain, une main se pose sur mon épaule. Immédiatement, je sais de qui il s'agit. Matthias. Mon cœur, que dis-je, mon être entier me le hurle. Je souris, et me retourne. Les mains du jeune homme se posent sur mes épaules, et il m'offre un sourire éclatant. Je l'embrasse tendrement, et il me rend mon baiser. Main dans la main, nous repartons. Aucun mot n'est échangé. Je n'en ressens pas le besoin. Tout chez nous passe par les sourires partagés, les mains pressées, les regards échangés. 

Nous arrivons enfin dans une sorte de clairière, parsemée de tentes et de lits de pailles posés sous des arbres. Des humains rient, jouent, discutent. A l'écart, un tas de gibier, prêt à être cuit et cuisiné par quelques hommes et femmes. 

Puis, ma main quitte celle de mon amoureux, et je pénètre dans une tente. Y est assise une femme, occupée à tresser ce qui ressemble à un panier. Quand elle lève la tête, je la reconnaît tout de suite: c'est ma mère. Je me précipite dans ses bras. Elle me murmure des mots que je ne connais pas, mais que je comprends pourtant. Da'lvak. Ma chérie. Je lui répond, dans la même langue, instinctivement. 

Quand je sors de la tente, il est le soir. Tous les habitants sont réunis autour d'un immense feu. Une femme, resplendissante, se tient debout, alors que tout le monde est assis. Ses yeux, d'un bleu profond, se posent sur moi avec douceur. Sa peau brille, et illumine littéralement le village. Ses cheveux dorés, eux aussi brillants, tombent en cascade autour d'elle, jusqu'à ses pieds. Dès qu'elle prononce mon nom, tous les regards se tournent vers moi. Je suis le centre de l'attention.

— Avance toi, jeune fille de la forêt, me somme-t-elle, d'une voix chaude, et douce. J'ai envie de l'écouter pour le restant de mes jours. 

Et j'obéis. Mes pas me portent juste devant cette véritable déesse. Les autres sont désormais en demi cercle autour de cette créature surnaturelle et moi. La femme pose ses mains sur ma tête, et une douce chaleur, agréable, se répand dans tout mon corps.

— Aujourd'hui, nous célébrons une fille, devenue femme. Une humaine, qui a grandi parmi vous. La nature et ses compagnons l'ont forgée, faite d'elle ce qu'elle est maintenant. Moi, fille du fleuve, sœur des arbres, amie des plantes et des arbres, j'invoque la protection de la nature. Faite que cette femme reste en vie, grâce à vous. Prenez une partie de son âme, et, en retour, donnez lui une partie de la votre. Ainsi, vous serez liés. Humaine et nature, ensemble. Alliés. 

A ces mots, les plantes s'éveillent, et des particules de lumière se déposent sur chaque parcelle de nature de la clairière. Subjuguée, je vois autour de moi la flore prendre vie, se réveiller. 

— Perle, ma fille, accepte tu ton union avec les végétaux qui t'entourent? 

— Oui, je l'accepte, fais je sans hésitation, émerveillée. Et, alors que je prononce ces mots, des lianes se dessinent sur mes bras, une fleur au bout. Une orchidée. Et je remarque à cet instant que tous les adultes autour de moi arborent ce tatouage sur leurs bras. Une preuve d'appartenance à la nature, un lien étroit, tissé par cette déesse. 

— Alors, à partir de maintenant, Perle, tu es considérée comme femme, et plus fille. Tu appartiens à la nature. L'orchidée t'a choisie. Je t'aime, ma fille. Chérit toujours la nature comme tu chérirais ta famille. 

Et elle disparaît. Ne reste que le feu, les arbres et fleurs se sont éteints, tout est comme avant. Comme si j'avais rêvé. Mais, je sais que tout cela est réel. Sur mon bras, une orchidée est tatouée.


Salut!! J'espère que vous avez aimé ce chapitre! Personnellement, j'ai beaucoup aimé écrire le rêve de Perle, cette cérémonie... Je sais pas pourquoi, j'avais envie XD

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