Chapitre 30

Le lendemain, je me réveille aux aurores, un mauvais pressentiment me tordant le ventre. Je ne saurais pas donner la source de cette inquiétude, mais mon corps entier est tendu, et m'avertit que quelque chose cloche. 

Une partie de mon cerveau encore dans les songes, je me lève brusquement — ce qui n'enlève rien à ma fatigue, au contraire, me déstabilise encore plus —, et, les yeux à moitié clos, va m'asseoir sur une chaise du salon.

La lumière du soleil levant projette une douce lueur chaude, synonyme du monde qui s'éveille, et d'une nouvelle journée. 

Je me prépare des tartines de pain grillé (j'ai découvert l'usage du grille pain il y a quelques jours), que je mange accompagnées de confiture de fraises. 

Ma montre à la main, je regarde l'heure. 6h52. Je tenterai de réveiller Cassiopée à 8h30, pour lui laisser le temps de se reposer. De toute façon, les portes s'ouvrent à 9h00, alors cela ne sert à rien de se presser. Le nuage passe vers 10h00 ici. Les moustiques, je ne les ai pas encore croisé, mais ils semblent toxiques, vu l'état de Cassiopée quand je l'ai récupérée. Quant aux oiseaux et aux loups, il se déplacent chaque jour, mais je ne leur ai jamais fait face. Quelquefois, j'entends des cris, mais pas encore d'abandons. Tout cela traîne. 

Tout en regardant l'astre du jour peu à peu se lever, je songe au nouveau danger qui pourrait apparaître aujourd'hui. La lumière du soleil m'éblouit en même temps qu'elle me réchauffe, doux réconfort. 

Après avoir mangé, je m'installe sur le canapé avec un livre. Je suis bien décidée à me reposer, pour me préparer au prochain danger auquel je devrai faire face — ou adversaire. 

A 8h00 passées, je me rends à pas de loups dans la chambre de Cassiopée. Celle ci dort paisiblement, le visage détendu, et je crois même voir apparaître un sourire sur ses lèvres.

Je me penche doucement au-dessus d'elle, et lui secoue l'épaule.

— Cassiopée, c'est l'heure de te réveiller! lui murmurai je.

Soudain, ma patiente se réveille en sursaut, manquant de ma frapper avec sa tête. Je recule vivement, si bien que je me cogne l'omoplate contre l'armoire.

— Aïe! grimaçai je, me massant la partie meurtrie de mon corps. 

Cassiopée, elle, est à présent assise sur le lit, les cheveux en bataille, et une lueur folle dans le regard. Elle halète, soulevant à toute vitesse sa poitrine, comme si elle venait de courir un marathon. Mais ce n'est pas le cas. Inquiète, j'hésite à m'approcher d'elle. Je ne sais pas si elle me reconnaîtra, elle peut se montrer dangereuse. Après tout, je ne connais pas les effets du venin injecté par les moustiques. 

Mais je dois l'aider. Alors, pas à pas, prudemment, je m'approche de la malade. Celle ci ne réagit pas, alors, confiante, je lui prends l'épaule. Toujours aucune réaction.

— Hey! Cassiopée! Ca va? 

Elle ne me répond pas, ne semble même pas entendre ce que que je lui dis. Un frisson glacé coule le long de mon dos, et mon mauvais pressentiment revient en force, reprend sa place dans mon ventre. Si elle devient incontrôlable, je ne pourrai plus la garder. 

— Cassiopée? Tu m'entends? 

Toujours aucune réponse. Puis, d'un coup, la jeune fille s'affaisse comme une poupée de chiffon, et retombe allongée sur le lit. Ses yeux sont fermés, et es paupières remuent. Je crois que c'est le signe qu'elle rêve. 

Perturbée, je reste quelques instants assise sur le lit, à la regarder la bouche grande ouverte, et les muscles bandées, prête si elle si se réveille. 

Puis, je pars. Il est 9h00, les portes se sont normalement ouvertes. J'ai besoin de sortir, j'étouffe dans cet appartement. Le mauvais pressentiment ne me quitte plus, est désormais bien installé. J'hésite à laisser Cassiopée seule, puis décrète que, de toute façon, elle est alitée. Elle ne pourra rien faire. 

Mon inquiétude mise en sourdine, je sors dans l'air frais du matin. Une légère brise agite mes cheveux et rosit mes joues. 

Au fur et à mesure que je progresse dans les rues de la ville, une tristesse que je n'avais jamais ressentie jusque là m'envahit. J'ai l'impression de ne servir à rien, et, que de toute façon, Cassiopée ne survivra pas. A quoi bon m'échiner à me battre? Je sais que je vais perdre. Je suis vouée à l'échec, nulle, pourrie jusqu'à la moelle. Je ne sers à rien, et si je meurs, je ne manquerai à personne. Je n'ai pas d'amies, même Maya s'est rendue compte que je n'étais pas méritante! 

Je sens l'envie de pleurer monter du fond de mon âme, alors je m'écroule sur un banc, et relâche toutes mes émotions. Mes larmes sont l'exutoire de mes pensées, long fleuve sombre de tristesse et de désespoir. Ma mère me manque. Ma vie, aussi misérable soit elle, me manque. 

Je ne prends même pas la peine de me cacher, où d'être discrète. Peu importe. Les larmes coulent si facilement, pourquoi les retenir? 

Bientôt, mon pantalon est recouvert de gouttes salées, et mes yeux sont rouges d'avoir pleuré.

 Je reste longtemps comme ça, à me purger. Puis, peu à peu, le fleuve s'assèche. Je n'ai plus de larmes, elles sont toutes taries. Je renifle maintenant, tente de retenir la morve qui menace de couler. 

Mon auto apitoiement terminé, je rentre. Le nuage toxique ne va pas tarder à passer. 

Voyant le ciel bleu s'assombrir, je claudique jusqu'à l'immeuble. Je ne me suis pas encore habituée à courir avec ma jambe bionique, alors je boite plus que je ne cours. 

Le chemin est long, il me semble durer toute une vie, mais j'atteins enfin mon immeuble. C'était moins une: j'entends le grésillement familier du nuage quand je grimpe les escaliers. Heureusement, l'appartement filtre l'air, et le nuage ne peut pas s'y immiscer. 

Je m'écroule sur le sofa, pantelante. Le retour m'a épuisé. Je m'endors, bercée par le tic tac rassurant des aiguilles de l'horloge, ma tête posée sur un coussin, recroquevillée. 


Un souffle chaud me caresse la nuque. Gênée, je fouette l'air mollement avec ma main, puis la pose contre mon cou.

— Perle! J'ai faim.

— Laisse... je réponds, plongée dans mes songes. La voix vient comme d'un autre monde. J'ai l'impression d'être dans un gouffre, et qu'une personne postée en haut de ce gouffre essaie de me parler, mais qu'il y a du vent. Bref, je n'entends rien, et ses paroles sont entrecoupées par ces rafales.

Soudain, quelque chose appuie mon épaule et me secoue, violemment. Enervée, je fouette l'air, entends un claquement et un cri bref. Je repose ma tête sur le canapé, et tourne le dos à mon agresseur. 

Un souffle me parvient, des pas, qui s'éloignent puis reviennent. Soudain, je sens de l'eau glacée se répandre sur ma tête. J'hurle, mais mon cri est recouvert par une main. Je la mords, puis me redresse, totalement réveillée.

Cassiopée me fait face, se mordant la lèvre et se tenant la main.

— Mais qu'est ce que t'a foutu?! Laisse moi me réveiller, bordel! J'ai le droit de dormir aussi? Tu connais le respect de l'autre? Parce que j'ai pas l'impression! criai je sans m'arrêter. Cassiopée se décompose, et bafouille quelques excuses.

— Tu peux fouiller si t'as faim, merde! T'as plus huit ans! Sers toi de ton cerveau! Je suis fatiguée, j'ai besoin de me reposer, et toi tu me renverse de l'eau dans la gueule! C'est hyper égoïste, tu te rends compte?! J'en ai marre, marre marre! explosai je tout en me levant. 

Je sors un paquet de gâteaux du placard, et les balance sur la table. Voyant qu'elle ne réagit pas, je lui crie encore dessus:

— Allez, prends tu m'a fait chier pour les avoir!

Puis je tourne les talons et va dans la salle de bain. J'entends le bruissement du papier, et des sanglots. Elle se prend pour qui, à me réveiller comme ça? Je ne m'excuserai pas tout de suite.

La douche brulante me réconforte. Peu à peu, ma colère retombe. J'ai eu tort de lui crier dessus comme ça. J'irai lui demander pardon après.

Quand je sors, une serviette sur la tête pour sécher mes cheveux, je trouve Cassiopée assise sur une chaise. Les gâteaux sont finis.

Je m'assois près d'elle, et, constatant qu'elle se recule, je lève les mains en l'air.

— Calme toi, je ne vais pas te frapper! Ecoute, je suis désolée pour tout à l'heure, je n'aurais pas dû m'énerver comme ça. Je te demande pardon.

Cassiopée ne dit rien, elle se contente d'hocher la tête. Elle ne s'excuse pas? Son comportement m'indigne. Elle fait comme si j'étais la seule responsable, la fautive qui l'a agressée. Mais je ne dis rien. Je sais que j'ai besoin d'elle. Après tout, peut être qu'elle est encore sous le coup de ses émotions.

— Tu vas mieux?

Cassiopée acquiesce encore, un biscuit dans la bouche.

Je lui tends la main, et déclare:

— Alliées? 

Cassiopée me dévisage quelques instants, l'air de m'analyser, puis me rends ma poignée de main.

— Alliées. 

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