VI
« Il te plaît ?
— Hein ?
— Jungkook, il te plaît ? »
J'agitais frénétiquement la serviette sur mes cheveux encore trop humides pour l'heure qu'il était déjà.
La bouche pâteuse et le crâne douloureux, je m'étais difficilement levé pour ma deuxième journée au café tandis que, Yoongi, en pleine nuit blanche et qui n'avait rien d'autre à foutre de sa vie, m'avait appelé.
« Alors ?
— Bah...
— Ok, il te plaît. »
La vérité, c'est que j'y pensais depuis que j'étais levé.
Les bons et les mauvais moments, mais, une fois redevenu lui même, mon esprit ne réussissait qu'à retenir le négatif.
Surtout le fait que je n'avais pas vu son nom s'afficher sur mon écran en me réveillant, en fait.
Il était le seul du groupe qui ne s'était pas invité dans mes notifications Facebook.
Quelqu'un au fin fond de mes pensées m'hurlait qu'il n'allait jamais venir me parler, et on pouvait entendre au loin, si on se concentrait bien, cette voix chuchoter qu'il n'était que sept heures trente du matin et que nous étions le lendemain d'une soirée bien arrosée.
Et puis, à côté, trônaient Yoongi et ses questions.
Bref, j'avais mal au crâne.
Pour aller vers quelqu'un comme j'avais été vers Jungkook, il m'en fallait beaucoup, et Yoongi le savait.
« Oui, enfin, j'en sais rien, t'emballes pas, si ça se trouve je le reverrais même pas.
— Et pourquoi ce serait le cas ? »
C'est là que ça coinçait,
lorsque je devais m'expliquer sur ce qui me foutait si mal. Souvent, j'en avais honte.
Peut-être parce que c'était trois fois rien, ou alors parce que j'avais l'impression omniprésente qu'on se moquait de moi.
« On a pas échangé nos numéros, donc. »
Bien sûr que j'ai tu le fait que je lui avais proposé, lorsqu'il m'avait raccompagné, et qu'il s'était rabattu sur l'option Facebook.
Une sorte de moitié de râteau, en y repensant.
Et un râteau complet s'il n'avait pas l'intention de m'ajouter.
« En même temps, si tu lui avais proposé... »
J'ai posé ma serviette,
puis j'ai attrapé un peigne,
sans un mot.
« ...Merde, tu l'as fait ? »
A-t-il enchaîné, et j'ai démêlé une mèche.
Il a soupiré.
J'en ai ri pour lui cacher la honte que ça me procurait.
« J'm'en remettrai.
— Jimin..
— C'est bon j'te dis, prononce pas mon nom avec pitié comme ça. »
Il a voulu rétorquer, mais je l'ai coupé.
« Faut que j'te laisse, j'ai pas envie de perdre de temps et d'encore devoir courir. Tu devrais aller dormir, t'es moche avec des cernes.
— Hum...
— Hum ?
— Hum.
— Aller, à ce soir.
— Hum. »
Mais il m'a interrompu à la seconde où j'allais raccrocher.
« Chim ?
— Oui ?
— J'suis là, hein.
— Je sais, mais tout va bien. »
Yoongi savait tout de moi.
De moi, et de cette époque là.
J'avais vécu pendant quatre ans ce qu'on appelait du harcèlement.
Cette nuit là, dont je venais de me réveiller, j'en avais rêvé. Pas d'histoires farfelues et incroyables dignes d'une série, seulement "quelques chamailleries".
Des humiliations à l'école, des insultes, des moqueries.
Un classique.
J'ai toujours détesté les classiques.
C'est comme ça que l'appel s'est terminé.
Je suis parti travailler après m'avoir briefé seul en descendant les escaliers. Puisque le positif attire apparement le positif, j'avais décidé de donner mon possible pour l'être comme je ne l'avais jamais été ce jour là. Après tout, j'avais passé une bonne soirée. J'avais l'air de m'être fait des amis, et puis, j'avais bien dormi. C'était déjà ça.
Mais c'était sans compter sur la radio du café qui s'est mise à jouer City Of Stars dès mon arrivée,
et mon téléphone qui s'est éteint quelques secondes après, puisque je l'avais mal branché durant la nuit.
« Wow, dure soirée ? »
M'a lancé Youngjae qui passait derrière moi, encore un carton à la main.
J'ai grogné en réponse pendant que j'ajustais ma magnifique casquette verte emblématique du café qui semblait me compresser le crâne.
Le métro m'avait donné la gerbe.
Plus que je ne l'avais déjà, je veux dire.
Et l'entièreté de mon corps était secoué de minuscules tremblements.
J'ai accueilli les clients du début de la matinée du mieux que je le pouvais, le sourire éclatant et mes yeux rouges cachés par la visière de la casquette que j'ai bien remerciée.
« Jimin ? Tu peux me rendre un service ? »
M'a lancé Mina tandis qu'elle avait les mains plongées sous l'épaisse couche de mousse dans l'évier.
Elle a enchaîné en voyant que je m'approchais.
« Aller chercher une élastique dans mon sac et revenir m'attacher les cheveux,
s'il te plaît. »
C'est là qu'elle m'a bêtement souri, et que j'ai remarqué qu'une bonne partie de ses cheveux noirs lui gênait le visage.
Un rire fatigué m'a échappé.
« J'arrive. »
Ai-je dit en allant dans la réserve pour fouiller son sac à main à la recherche d'une élastique.
Elle s'est immobilisée pour m'aider lorsque je suis revenu derrière elle, l'élastique en main.
« Qu'est-ce que je fais ?
— Une queue de cheval, ça passera. »
J'ai attrapé ses cheveux, le bout de ma langue pincée entre mes dents tant j'avais besoin de me concentrer pour voir correctement ce que je faisais.
« J'te présente mes talents de coiffeur en train de décuver. »
Elle a ri, puis j'ai doucement resserré sa queue de cheval, plutôt fier du résultat.
« Voilà !
— Merci ! Tu m'épargnes d'un shampoing pour éradiquer le liquide vaisselle que j'aurais sûrement réussi à me foutre dans les cheveux. »
J'ai ri, puis suis retourné à l'accueil.
Les seuls clients présents étaient tous installés à leurs tables, alors je me suis permis de souffler, les coudes posés sur le comptoir et les mains sur le visage. Mon mal de crâne et mes vertiges empiraient.
« Promis, je boirai plus jamais. »
Ai-je dit pour moi même, mais Yon qui passait derrière moi au même moment m'a entendu.
« C'est ce qu'on dit tous ! »
Un léger rire à retentit face à moi,
puis
« Elle a pas tord. »
J'ai relevé la tête vers un Jungkook amusé,
les cheveux un peu plus relevés que la veille et les sourcils dévoilés.
Sous la lumière du jour, sa peau semblait un peu plus hâlée.
Et soudain, j'ai réalisé à quoi je devais ressembler.
« Et merde. »
Ai-je lâché à haute voix sans réfléchir, et il a ri.
« Alors, tu t'en remets ?
— Quoi, moi ? Je déborde d'énergie, ça se voit pas ? »
Ai-je lancé en me tournant vers les gobelets, mais c'est à ce moment que mon pied a frappé un carton sur le sol.
Je me suis baissé pour ensuite le poser sur le comptoir en soupirant.
Jungkook souriait joyeusement, l'air gentiment moqueur, les coudes posés sur le comptoir où les miens étaient quelques secondes auparavant.
« J'ai toujours pas compris pourquoi y'avait autant de cartons dans ce foutu café.
— Réapprovisionnement ?
— Certainement. »
J'ai finalement attrapé un gobelet.
« Qu'est-ce que je te sers ?
— Un caramel macchiato. »
En attrapant un marqueur pour écrire son nom, j'ai légèrement souri.
« Pourquoi tu souris ?
— Si on m'avait dit que j'écrirais ton nom sur un gobelet. »
Il a ri.
« C'est si surprenant que ça ?
— Pour moi, oui. »
La conversation continuait tandis que je préparais le macchiato.
« Tu viens souvent par ici ?
Ai-je rétorqué.
— Assez oui, y'a ma fac juste à côté.
— En plein mois de juillet ?
— J'suis passé pour des... renseignements. »
En le regardant à nouveau, son air joueur n'avait pas changé. Comme s'il attendait patiemment d'entendre ce que j'allais dire.
Mes yeux se sont plissés, et j'ai enchainé.
« T'es en train de me pousser à te poser des questions ? »
Son sourire s'est agrandi.
« Peut-être un peu. »
Une fois le macchiato terminé, je l'ai posé face à lui.
« Et si je rentre pas dans ton jeu ? »
Lui ai-je lancé, yeux dans les yeux,
comme si l'alcool faisait encore ses effets.
Il est resté à me regarder quelques secondes,
puis a plongé l'une de ses mains dans sa poche avant de me la tendre pour y laisser tomber l'argent.
« Si t'y rentrais,
qu'est-ce qui se passerait ? »
Ses yeux n'ont pas quitté les miens lorsqu'il a pris son gobelet.
En me voyant figé, il a fait quelques pas en arrière, le sourire malicieux, avant de se retourner entièrement et d'ouvrir la porte.
Mais à la dernière seconde,
il s'est arrêté et s'est tourné vers moi, le regard un instant dans le vide, comme s'il réfléchissait à ce qu'il était en train de faire, un fin sourire idiot collé aux lèvres.
Il a fini par me regarder à nouveau.
« Tu fais un truc, demain ?
— Hum, je sais pas ?
— Dis moi quoi. »
A-t-il conclu avant de réellement s'en aller.
J'ai recollé mes lèvres qui s'étaient entrouvertes,
puis je me suis dit que lui dire quoi sans avoir de moyen de le contacter allait être compliqué,
et j'ai compris qu'il devait sûrement m'avoir envoyé une invitation dans la matinée,
mais que je n'avais plus de batterie.
À ce moment là, je me suis maudit.
« Comment se nomme cette merveille au p'tit cul bombé ?
A lancé Mina en attrapant un gobelet.
— Personne.
C'est personne. »
Elle a ri avant de mimer un rugissement en sortant ses griffes imaginaires.
Après ça et malgré tout, ce fin sourire n'a plus quitté mes lèvres de toute la matinée. En plus de la petite boule de stress qui n'avait visiblement plus envie de me quitter.
Il s'est un peu estompé durant l'après-midi, pendant laquelle j'ai bien cru mourir une fois ou deux sous l'avalanche de client et mon mal de crâne.
J'ai jonglé entre commandes et aspirines jusqu'à dix-neuf heures trente, et j'ai béni Yon une nouvelle fois lorsqu'elle a rappelé le fait que le café fermait le lendemain.
« C'est exceptionnel ! Tous les dimanches ne seront pas aussi reposants.
— T'inquiète, c'est noté ! Bisous Yon ! »
A dit Mina avant de nous emmener dehors.
C'est comme ça que la journée s'est terminée,
que j'ai sauté dans le premier métro et que je me suis affalé sur mon lit à peine rentré, mon chargeur en main.
Quelques minutes après, Yoongi m'avait appelé avant que je n'ai le temps de regarder quoi que ce soit de mes notifications.
J'avais activé le haut-parleur, étalé en étoile sur mon matelas et le téléphone posé à plat sur le deuxième oreiller.
« J'te jure, j'ai cru que j'allais crever. »
Ai-je assuré après lui avoir tout raconté.
Il a ri.
« Couche toi tôt, ce soir.
— Hm. »
Après ça, un silence s'est installé, et ma journée m'est revenue à l'esprit, les yeux rivés sur le plafond.
Je l'ai entendu s'activer à travers le téléphone, sûrement comme s'il rangeait.
« T'sais, ta loi d'attraction là, ai-je lancé.
— Ouais ?
— J'essaye.
Je positive, je relativise, et je suis heureux de ce que j'ai déjà.
— Et ?
T'as vu des changements ? »
J'ai entendu sa cafetière défectueuse s'activer.
En l'imaginant, comme à chaque vacances, boire douze cafés par jour et passer ses journées en caleçon, j'ai souri.
« Bah..
Ai-je répondu, revenant sur le sujet, mais je me suis vite rendu compte que je n'en savais rien.
— C'était quand la dernière fois que t'as décidé de positiver ?
— Ce matin, en arrivant au café avec le crâne sur le point d'exploser, plus de tel et aucune nouvelle de Jungkook en prime, alors que j'avais mis toute mon âme pour aller vers lui, ai-je répété en exagérant à peine.
— Hum, et qu'est ce qui s'est passé ensuite ? »
A-t-il rétorqué, sachant très bien ce qu'il faisait et disait.
Mes lèvres se sont entrouvertes, sur le point de répondre que
" Bah, Jungkook est arrivé "
puis, j'ai compris, et je me suis figé.
En n'entendant aucune réponse, Yoongi a ri.
Je me suis redressé sur mon lit, et j'ai pris mon téléphone entre mes mains.
Un rire estomaqué m'a échappé après quelques secondes passées à ne pas savoir quoi dire.
« Alors, j'suis toujours le hippie trop perché ?
J'te l'avais dit, t'as été récompensé de ta positivité.
— Attends, c'est quel genre de magie ?
— Je sais pas, la magie de la vie ?
— Putain, Yoongi, t'es génial, tu sais ?
— Je sais. »
C'est là que je me suis jeté sur mes notifications.
Une invitation Facebook trop attendue y trônait, mélangée à d'autres notifications qui n'avaient plus réellement d'intérêt.
Mais c'est là que mon côté pessimiste s'est manifesté.
Je me disais que s'il avait préféré m'inviter sur Facebook plutôt que de me donner son numéro en me raccompagnant en fin de soirée,
c'est que quelque chose n'allait pas.
Que j'avais fait une erreur quelque part, un détail qui m'avait échappé, auquel je n'avais pas assez réfléchi.
J'ai fini par me dire qu'il était peut-être comme ça, finalement. Qu'il n'aimait pas parler par sms, qu'il n'aimait pas se précipiter.
Puis, je me suis rappelé qu'en fait, moi non plus, je n'aimais pas me précipiter, et que je me prenais peut-être un peu trop la tête, mais que du coup, j'aurais mieux fait de ne pas le proposer, que ça ne me ressemblait pas.
Fatigué, j'ai coupé court à mes pensées envahissantes,
et à la seconde où j'ai accepté l'invitation,
un message est apparu.
Son numéro de téléphone.
• ॐ •
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