Chapitre 25.
La grande voile est déroulée en proie aux assauts du Zéphyr, le vent de l'ouest, qui nous pousse vers l'Est. De concert et pour arriver bien plus vite en terre d'Asie occidentale, les marins ont accélérés la cadence. Selon ma carte nous aborderons la côte d'ici quelques heures. Il faudra quelques heures supplémentaires pour atteindre Pétra. C'est le temps qu'il me reste pour trouver le sortilège adéquat. Voilà des jours que je travaille là-dessus. Des jours où je ne fais que frôler la réussite. Car il me faudrait un sort suffisamment puissant pour absorber tant de magie et ouvrir une prison. J'ai déjà griffonné des dizaines de peau de mouton de mots. Les phrases ne veulent plus rien dire, assemblement de mots qui se veulent emprunts de pouvoirs.
Mais je ne fais qu'échouer.
J'aurais bien besoin de l'aide des muses pour trouver l'inspiration à ce sortilège. Malheureusement, celles-ci semblent s'être liguées contre moi. Peut-être soutiennent-t-elles les dieux ?
Je n'en peux plus. Je sens que ma magie va exploser, gonflée à bloc comme elle-est, alimentée par mon impatience et ma frustration de ne pas trouver le juste sortilège. Je dois me lever, faire quelque pas. Je dois bouger, m'aérer l'esprit. Ou je vais devenir folle ! Les Maniaes m'ont épargnée jusque-là mais elles rodent attendant de pouvoir se paître de ma raison avec voracité.
Je me lève de mon siège, me mettant à arpenter le pont en faisant les cent pas. Je me rends compte que je tremble même d'appréhension. Je suis une boule d'énergie, prête à exploser. « Une bombe à retardement ». Ce sont les mots qu'a utilisé Chronos la première fois où j'ai fait appel à lui alors que j'étais dans un état similaire. Je ne sais toujours pas ce qu'est une bombe. Mais ça sonne bien. Je me sens ainsi.
« Circé ? Tout va bien ?
C'est Ulysse. Je secoue la tête affirmativement dans l'espoir qu'il s'en contente. C'était sans compter sur son caractère et sa capacité à ne pas se laisser abuser par mes mensonges.
- Dois-je te croire ?
- Crois ce que tu veux bel héro, mais laisse-moi seule ! Avant que je ne te transforme en crapaud...
- On repasse aux menaces ? Moi qui croyais que nous avions dépassés ce stade dans notre relation. rétorque-t-il avec trop de calme pour que ça ne soit de la moquerie.
L'idiot est sincèrement inquiet. Et ça m'emmerde sincèrement aussi.
- Il nous reste peu de temps. Je n'ai que peu de temps pour trouver ce sortilège. Alors j'ai vraiment, mais vraiment besoin d'être tranquille maintenant.
Il acquiesce, avec raideur. Aucun reproche dans son regard. Seulement de la compréhension et de l'espoir. J'ai l'impression de me retrouver face à Lore. Cet espoir me met encore plus sur les nerfs.
- Il y a peu de monde du côté de la poupe. Tu y trouveras une certaines paix si c'est ce que tu cherches Circé. »
Je ne réponds rien, m'éloignant déjà à grande allure. Rejoignant l'arrière du bateau, mes mains se referment contre la bordure du bastingage que je presse fort entre mes doigts. L'étendue bleue face à moi ne m'apaise nullement. Il me faut lever la tête vers le ciel, vers les airs pour récupérer un semblant de calme. Comme j'aimerais me transformer à nouveau en oiseau et prendre mon envol...
Soudain, un courant d'air m'électrise de la tête aux pieds tandis que l'atmosphère se rafraîchit. Pourtant, cela n'a rien de menaçant. Au contraire, c'est doux, revigorant. Mes paupières sont soudain bien lourdes et je crois bien que mon cœur a cessé de battre pour de bon dans ma poitrine alors que l'air n'entre plus dans mes poumons. Je plonge dans le noir complet.
« Tu n'as nul besoin des muses, enchanteresse. Ta magie est inégalée. Puise en toi et laisse tes dons parler... »
En écho à ces paroles, d'autres murmures emplissent mon crâne de mille murmures, de mille mots. Des mots qui trouvent aussitôt résonnance en moi. Lorsque je reprends brutalement pieds avec la réalité, j'ai l'impression de revenir à la vie, comme si l'espace de quelques instants, j'étais morte. À en croire la façon dont mon organe vitale repart dans ma poitrine, ça a bien été le cas.
Je ne sais pas si je suis terrifiée ou fascinée par cette expérience glaçante.
Au moins, à présent, je sais ce que j'ai à faire. Les mots de la formule sont là, gravés dans mon esprit à jamais. Je n'ai pas besoin de les retranscrire. Ils sont en moi. Ce sont mes propres mots.
D'un pas décidé, je retourne à ma cabine et me laisse tomber sur mon siège, entreprenant de trouver tout ce qui me permettrait d'augmenter la puissance du sortilège.
Une telle magie ne fonctionnera qu'avec la puissance du sang. C'est l'une des énergies les plus pures au monde. D'autant plus que le mien descend directement d'un dieu et d'une néréide. Autrement dit, la combinaison parfaite pour faire fonctionner un tel sortilège. Je déglutis.
Je ferme les yeux, la mâchoire crispée. J'ai toujours haïs le sang. C'est si... Si ingrat, si humain, si vivant... Loin de l'élégance de la magie. Le sang salit, le sang tâche, c'est le fardeau de tout ce qui est mortel. De toute façon, j'ai toujours haïs le rouge.
Mais je n'ai pas le choix. Mon sang devra couler à flot pour maintenir ouvert le portail de la prison des dieux. Il en sera la clé.
Au même titre que je suis la Clé.
Le poignard d'Ulysse que j'ai conservé après le lui avoir enfoncé dans le cœur se trouve toujours dans les plis de ma robe, aux côtés de ma baguette. Il me sera enfin utile. Tendue comme un arc, je commence dès lors à détacher les bracelets d'or qui couvrent mes bras. Ils ne me seront plus d'aucune utilité. La tâche bleue, signe du pacte avec Poséidon apparaît. Je l'effleure du bout des doigts avant d'encercler mes poignets de mes doigts dans un geste instinctif, les ramenant vers ma poitrine. Mon cœur bat calmement. À croire qu'il est prêt avant moi à faire ce qui nous attend.
Enfermer les dieux ne videra pas que mon énergie. Cela videra aussi mes veines. Survivre me semble de plus en plus compromis. Mais je ne reculerai pas. C'est cela ou mourir de leurs mains. C'est cela, ou les laisser gagner
Ça, jamais !
Laissant la fierté d'avoir enfin trouvé une solution à notre ultime soucis me gagner, je bondis sur mes pieds, prête à en alerter le capitaine de la Trière. Mais soudain, le monde se brouille devant moi tandis que mon front s'embrase d'une douleur habituelle. Une vision. Encore.
Le ciel est noir, couvert de nuages de la couleur du sang. De la couleur de la Mort. Aux cieux, les dieux principaux se préparent à défendre coûte que coûte leur suprématie sur le monde.
Dans les ténèbres des profondeurs de la Terre et surface de celle-ci, les divinités secondaires organisent quant à elles leurs attaques dévastatrices. Le temps semble s'être arrêté et le monde paraît au bord du chaos. Il ne suffirait que d'une étincelle pour que tout dégénère.
Soudainement, un éclair me frappe de plein fouet, me projetant au sol. La souffrance m'aveugle et ma vue devient aussi sombre que la nuit l'espace de quelques instants. Puis, une lumière agressive, mauvaise perce l'obscurité. J'ai mal partout. Je ne sais même pas si je suis entière. Mon cœur semble battre au ralenti dans ma poitrine. À bout de souffle, je parviens à me relever. Sous mes yeux embués de larmes de douleur, le monde entier est en proie aux flammes. Je chancèle, peinant à tenir debout. La Terre s'est fissurée à plusieurs endroits, les monstres ravagent tout. Les hommes s'entre-déchirent comme en écho aux guerres divines, et des cadavres jonchent le sol. Le désordre règne. Etait-ce vraiment ce que les dieux avaient prévu ?
J'ai ma réponse en voyant certaines divinités se lamenter de ce que leur a coûté cette guerre. Tout a un prix, et les dieux viennent de s'en rendre compte. Ils n'avaient jamais voulu détruire le monde. Pourtant, c'est ce qu'ils ont fait à travers cette guerre. Une guerre qui se poursuit dans les cieux malgré les regrets, malgré la mort. Les dieux ont compris. Ils n'ont jamais été fondamentalement mauvais. Seulement aveuglés par l'ambition et le pouvoir. Et leur aveuglement a causé la fin de ce sur quoi ils régnaient. Des rois sans royaumes ne sont plus des rois.
Cette voix souvent présente dans mes visions résonne soudain au beau milieu du chaos.
« Voilà ce qui arrivera si tu n'agis pas... »
La douleur du monde entier résonne en mon être, tirant sur les parcelles de ma raison. Et je saigne, encore et encore. Je saigne du cœur, du ventre, de la poitrine. Je saigne parce que les dieux m'ont tué.
« Demain, tout sera trop tard. »
Soudain, un cri déchire l'air, me tirant de ma vision cauchemardesque.
« Terre en vue ! »
Perdue dans l'horreur et la douleur, je peine à comprendre ces quelques mots pourtant simples et que j'ai entendu de nombreuses fois durant mon voyage. Pourtant, quand j'en saisis le sens, mon cœur s'accélère dans ma poitrine tandis que je serre des poings. Le sang dans mes veines, ce sang qui me sera tant précieux vient de se geler.
Au loin, le rivage se dessine.
Nous y sommes.
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