Chapitre 23.
Je papillonne des paupières, surprise de ne pas reconnaître ma chambre et surtout de sentir quelque chose dans le lit. Ma joue repose sur le bras d'Ulysse tandis que son poitrail est collé contre mon dos. Cela fait trop longtemps que je ne me suis pas réveillée dans les bras de quelqu'un.
Encore un peu étourdie, je me retourne. Le héros est encore endormi. C'est enrageant mais même plongé dans un profond sommeil, il reste beau. Ses cheveux bruns cachent une partie de son visage. Endormis, il a l'air d'un doux érudit, pas d'un guerrier. Évidemment, ce n'est qu'un air. Aucune couverture ne recouvre nos corps nus ce qui me laisse le temps d'admirer sa silhouette héroïque. Je me rappelle soudain pourquoi est-ce j'ai cédé au désir.
Un sourire narquois aux lèvres, je me relève totalement, en position assise, m'appuyant sur mon bras. Le mouvement réveille Ulysse qui bat des paupières. Un instant, ses yeux gris à moitié endormis me dévisagent, l'air de se demander ce que je fais là, avant qu'il ne fronce des sourcils. Ah tiens, lui aussi vient de se rappeler ce qu'il s'est passé cette nuit. Je ne peux me retenir de rire tandis qu'il bondit pour s'assoir à son tour, loin de moi.
« Il semble que nous venons de donner raisons aux futurs rumeurs et mythes...
C'est la seule chose que je trouve à dire alors qu'il se masse la nuque profondément gêné.
- C'était une erreur... souffle-t-il.
J'acquiesce. Je suis bien d'accord. Pourtant, sur le moment nous en avions tout deux besoin. Hier soir était un moment d'égarement tandis que nous nous pensions tout deux trahis. J'ai appris que les dieux avaient menti pour Lore. À voir la tristesse qui marque les traits de mon compagnons, je me surprends à me demander s'ils n'ont pas également raconté des fadaises quant à Penelope. Il n'y a qu'un moyen de savoir.
Je me laisse glisser hors de la couchette, ramassant mon chiton. Tandis qu'Ulysse semble perdu dans ses réflexions, je me rhabille, attachant grâce à une fibule d'or mon vêtement au niveau de mes épaules. Mes voiles totalement déchirés, je préfère ne pas les remettre. Instinctivement, je cherche ma tiare d'or avant de me rendre compte que le cercle est resté sur l'île. Ma déception est si profonde que mes épaules s'affaissent. Non pas que je sois attachée à mes bijoux et à leur valeur matérielle, c'est simplement que cela fait des années et des années que je le porte. Il fait partie de mon attirail d'enchanteresse, au même titre que ma baguette.
- Dis, bel héro, dans vos cales remplis de trésor, n'avez-vous pas de bijoux ?
- Nos trésors ont coulé lors d'un de nos nombreux naufrages.
Flûte ! Je ne suis pas sûre que gaspiller ma magie pour me créer un nouveau serre-tête soit une bonne idée. Tant pis, je ferais sans. Le problème est, que sans l'émeraude, le symbole qui apparait sur mon front quand cela lui chante sera visible pour tout le monde. Comme maintenant où la sensation désagréable se fait ressentir, signe que la marque là. Étrangement, je m'habitue et ce n'est presque plus douloureux.
- Les dieux ont parlé de ce symbole... se rappelle le brun tandis qu'il se lève à son tour et m'imite, récupérant ses vêtements.
- Selon eux, cela signifierait que je suis une clé.
- Tu ne les crois pas ?
Je hausse des épaules avant d'attraper un ruban trainant au sol et d'entreprendre de nouer ma tignasse.
- Je crois surtout que de nombreuses choses leur échappent. Et ça les terrifie.
- N'as-tu pas peur, toi, face à tout ce poids sur tes épaules et toutes ces choses qui ne dépendent de toi ?
- T'attends-tu vraiment à ce que je fasse un aveu de faiblesse ? je m'exclame, interloquée.
- Avoir peur n'est pas une faiblesse. Et ce que j'attends de toi, c'est de l'honnêteté.
J'esquisse une petite moue. Allez, Circé, tu peux faire un effort avec ce pauvre homme égaré. En plus, il ne t'est même pas antipathique ! Loin de là, même. Comme peut l'en témoigner cette très agréable nuit...
- Je n'ai pas peur. J'ai conscience de ce que cela me coûtera probablement. Et comme aucun de nous n'a la moindre idée quant à un lieu qui pourrait accueillir les dieux, je ne peux rien faire pour le moment, hormis fuir. Aucune raison de craindre quoique ce soit !
Un instant, Ulysse me dévisage, son expression d'une neutralité surprenante. Le gris de ses iris s'est assombrit. Il finit par soupirer tragiquement avant de lancer :
- On retentera une autre fois en ce qui concerne l'honnêteté.
Ses lèvres frémissent lorsque je me rends compte qu'il se moque de moi. Je lève les yeux au ciel avant de me diriger vers la porte. Mais je ne peux m'empêcher de penser à la peine et la culpabilité qui l'habite, que je sens tendre ses muscles et peser sur son caractère pourtant serein. Les ombres entachent son âme vertueuse et étrangement, cela ne me laisse pas de marbre. Juste avant de quitter sa cabine, je me retourne pour lancer, sûre de moi :
- Peu importe tes actes et tes erreurs, essaye de ne rien regretter. Les regrets n'amènent à rien.
Son regard gris, marqué de la même bienveillance avec laquelle il me couve depuis plusieurs jours déjà, plonge dans le mien.
- Encore une fois je ne suis pas d'accord, Circé. »
*
Après avoir harcelé et menacé Euryloque pendant quelques minutes, celui-ci m'a finalement trouvé une marmite que j'ai remplie d'eau pure, ce qui m'a valu quelques réprimandes et regards noirs puisqu'elle est d'ordinaire réservé au marin afin qu'ils se désaltèrent. Je l'ai tiré sur un coin de pont, à l'écart des hommes.
« J'peux t'aider ?
Mes yeux s'arrondissent face à la question de Dareios qui s'est glissé à mes côtés.
- Toi, tu veux faire de la sorcellerie, gamin ?
- Et pourquoi pas ? J'ai pas peur ! rétorque-t-il effrontément.
Après m'être faite qualifier de sorcière tout au long du voyage par cet infernal blondinet ou par les autres membres de cet équipage peu ravi de m'avoir à bord, ce revirement de situation me surprend. Mais soit ! Si ça l'amuse !
- Tu n'as qu'à remuer pendant que j'ajoute les ingrédients.
Trop content d'avoir le bâton en main, il mélange circulairement la mixture dans laquelle je verse quelques poudres, deux gouttes d'un liquide ambré dont je dissimule la fiole dans mes jupes et trois ou quatre autres plantes ramassées un peu partout et aux vertus magiques. M'assurant que l'adolescent a bien fait son travail, je hoche la tête, satisfaite. Dareios semble tout fier de lui à l'idée d'avoir contribuer à l'élaboration de la potion. Sans lui montrer que sa jovialité m'amuse, je grogne :
- Maintenant, file ! La magie n'est pas pour les enfants. »
Il râle mais face à mon air sévère, finit par obtempérer et s'éloigne en trainant des pieds avant qu'un marin ne le gronde pour ne pas être en train de travailler. Je secoue la tête. Puis, me penchant au-dessus de la marmite, je murmure :
« καθρέφτη, ο όμορφος καθρέφτης μου*, montre-moi celle pour qui son cœur bat ! »
Lorsque je touche la surface de la potion du bout de ma baguette, elle se trouble, se teintant d'un doré profond, semblable à la surface d'un miroir. Mais ce n'est pas mon reflet qui m'est renvoyé.
En lieu et place de mon visage et du ciel marin, je vois un palais grec sur une sublime île au cœur d'un archipel. Ithaque.
Une femme dont les boucles se perdent entre la couleur de couché de soleil et de son zénith, tisse soigneusement une toile représentant un fier marin sur un navire. Ulysse, devine-je. C'est donc Penelope qui tisse. Elle est d'une beauté certaine. Peu étonnant que beaucoup la considèrent comme l'une des plus belles femmes. Sa voix douce et clair résonne dans les somptueux couloirs de son palais alors qu'elle s'exprime à l'intention des prétendants :
« Je n'épouserais l'un de vous que lorsque j'aurais fini de tisser ce suaire pour Laërte, mon vénéré beau-père et père du roi et de l'homme que vous prétendez vouloir et pouvoir remplacer. »
Et tout le jour, la voilà qui tisse. Mais quand la nuit vient, je la vois se glisser près de son métier à tisser et défaire ce qu'elle avait fait la journée. Le suaire n'avançait pas, et les prétendants ne pouvaient remplacer Ulysse.
À ses côtés se tient un jeune garçon, plus jeune que Dareios. Si ses cheveux sont de la même couleur que ceux de Penelope, ses yeux sont d'un gris saisissant et ses traits bien trop semblables à ceux de mon compagnon d'aventure. Télémaque, son fils. Lui aussi, continue de croire en son père. Cette ferveur familiale me fascine. Je ne l'ai jamais connue.
Une main se pose sur mon épaule, me tirant de ma contemplation. Je fais vivement volte-face, tombant nez à nez avec Ulysse. Avant qu'il ne puisse dire quoique ce soit, je m'exclame :
« Penelope ne s'est pas remariée !
L'incompréhension nait sur son visage me donnant envie de me moquer de lui.
- Comment ?
- Vois par toi-même !
Je me décale pour le laisser regarder dans le fond de la marmite. Il s'exécute. Ses yeux s'écarquillent de surprise et ses doigts se crispent autour du bord de l'objet. Une joie indescriptible dévore soudain son visage, chassant le malheur et il se tourne à nouveau vers moi. Ses prunelles scintillent d'une manière que je n'avais vue auparavant.
- Par tous les enfers ! C'est... Incroyable... Mais... Et Lore ?
Le fait qu'il s'inquiète pour ma propre situation à ce moment même me surprend autant que ça me donne l'impression d'avoir quelqu'un d'autre qui tient à moi. C'est étrange. Je me contente de répondre, gagnée par sa bonne humeur :
- Elle n'a pas trahi. Les dieux nous ont menti sur toute la ligne !
Son sourire s'agrandit et je me surprends à rire. Soudain, avant que je ne comprenne ce qui m'arrive, je me retrouve dans les bras du héros qui me serre contre lui dans une étreinte purement amicale. Sa force herculéenne me soulève du sol tandis qu'il tournoie. Je m'accroche comme je peux à ses larges épaules, rassérénée par cette démonstration d'attachement sous les yeux de son équipage. Son visage enfoui dans ma crinière indomptable, il murmure, comme une prière :
- Merci, Circé... »
Le capitaine du bateau me repose au sol, gauchement et je recule de quelques centimètres, échevelée. Il est si heureux que même ce geste inhabituel ne l'impact pas. Contrairement à son sourire si éclatant qui me touche plus que je ne l'aurais voulu. Serais-je contente pour quelqu'un d'autre que moi ?
Après tout, j'ai bien vérifié si Penelope avait bel et bien abandonné l'espoir de revoir Ulysse un jour juste pour rassurer celui-ci.
Il y a quelques semaines, je n'aurais fait cela pour personne.
* καθρέφτη, ο όμορφος καθρέφτης μου = miroir, mon beau miroir (référence au miroir magique de la méchante reine dans Blanche-Neige) en grec. Mais ne parlant pas grecque, il est possible qu'il y ait des fautes.
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