Chapitre 6
Il aura fallu que j'attende vendredi matin pour que le cours pour lequel j'ai changé de lycée ait lieu. Cette option qui me tenait à cœur.
Nous ne sommes pas nombreux dans la salle de cours. Une quinzaine tout au plus.
Sommes-nous les seuls intéressés par l'avenir de la planète ? J'espère que non.
Ambre est là, elle aussi. C'est la seule de ma classe. Les autres viennent des autres terminales S.
Nous attendons la prof en discutant sur ce que nous attendons de cette option, en refaisant le monde.
Lorsqu'elle entre enfin, je suis contente de retrouver ma prof de SVT. Je la trouve vraiment géniale.
Elle nous présente ce que nous allons faire au cours de l'année et je l'écoute avec des étoiles dans les yeux.
— Comme je connais la majeure partie d'entre vous, ce n'est pas la peine que vous vous présentiez. Je vais seulement faire l'appel.
Elle a à peine fini sa phrase que quelqu'un frappe à la porte.
— Entrez.
Je souris en voyant la personne qui entre.
Ça ne m'étonne pas vraiment de lui qu'il ait choisi cette option.
Par contre, qu'il soit en retard est étrange.
Il s'excuse auprès de la prof et s'assoit à la première place qu'il trouve. Une place loin de la fenêtre, à côté de la porte. Je sens d'ici que ça le gêne. Sans doute pour voir qui partage le cours avec lui, il jette un regard circulaire à la salle. Ses yeux glissent sur Ambre et moi sans même nous remarquer.
Ce que je devine, c'est qu'il semble préoccupé. Ses traits sont tendus. Ses yeux plus noirs que jamais. On dirait qu'une tempête fait rage sous son crâne.
Je laisse de côté mes envies de l'aider. Mon empathie. Cela ne sert à rien. D'abord parce que nous sommes en cours et ensuite parce que je doute qu'il me laisse approcher.
J'écoute le cours. Prends consciencieusement mes notes lorsqu'il le faut. Participe au débat quand la prof pose une question.
La fin de l'heure arrive bien trop vite malheureusement. Après avoir noté ce que nous avons à faire pour la semaine prochaine, je range mes affaires et sors de la classe.
Le vendredi étant le jour de repos de mon père, je lui ai promis de manger avec lui. Je le rejoins donc le plus vite possible devant le lycée, n'ayant pas beaucoup de temps avant que les cours ne reprennent.
— Comment va ma fille préférée ?
— Je te rappelle que tu n'en as qu'une... À moins que tu ne me caches certaines choses. Que je ne suis pas sûre de vouloir connaître cela dit si c'est le cas...
Il fait mine de réfléchir pendant que nous nous éloignons pour rejoindre la plage qui se situe juste devant le lycée. Sa réponse est identique à celles de toutes les autres fois où je lui ai sorti ma tirade...
Que c'est un modèle de vertu, que je ne devrais pas douter de lui, que je ne suis qu'une fille indigne.
— Ah ? Je ne suis plus ta fille préférée ?
Il rit en s'asseyant sur le sable. Une fois que je suis installée à ses côtés, il me tend ma part de salade qu'il a préparé avant de venir. Je lui raconte ma matinée, mon dernier cours à grand renfort de paraboles et de gestes.
— Au moins, tu n'as pas changé de lycée pour rien.
— Ouais.
Je finis ma salade et mange les prunes que mon père a ramenées pour le dessert en vitesse en voyant des élèves de ma classe quitter la plage. Quand j'embrasse mon père sur la joue en lui disant que je l'aime, certains me regardent d'un drôle d'air.
Ça alimentera un peu plus leurs conversations et ne me fera pas pour autant changer de comportement. Je ne vois pas pourquoi j'agirais différemment. Pourquoi je ferais semblant. Ce n'est pas moi.
Je le salue et emboîte le pas à mes camarades.
Il ne nous reste plus que deux heures mais elles me semblent durer une éternité. Les minutes s'allongent. S'allongent. Pourtant, je suis là. Bien là, à écouter. Réceptive à tout ce qui se passe autour de moi. Aux bruits des crayons sur les feuilles de mes camarades. À leurs murmures.
Aux mots du prof d'histoire-géographie.
Je suis là.
Si seulement, le seul adulte de la pièce n'était pas aussi soporifique. Pourquoi faut-il que les enseignants de cette manière n'arrivent pas, la plupart du temps, à nous intéresser ?
Notre délivrance arrive enfin sonnant la fin de cette première semaine de cours. Signant le début du week-end.
Comme Léo et Luna finissent un peu plus tard, je décide d'aller les attendre devant mon ancien bahut. Je prends mon temps pour y aller. Rien ne presse. Je profite du moment. Regardant la vie autour de moi. Captant les conversations, les rires. Ici un baiser. Là, des au revoir. Les promesses des soirées à venir. Celle de ce soir, celle de demain. Avec l'idée d'en profiter un maximum tant qu'il fait beau et que nous ne croulons pas sous les devoirs et autres joyeusetés.
Je tends l'oreille à chaque fois qu'un skateboard passe à côté de moi mais leur bruit se perd dans la masse m'empêchant de le reconnaître. Le pourrais-je seulement ?
Une petit voix sous mon crâne ne peut s'empêcher de me rappeler que son propriétaire peut habiter n'importe où dans cette ville, avoir dix ans comme quarante-cinq.
Elle a raison.
Je presse le pas.
Quelques-uns tentent de me rattraper pour m'inviter à leur soirée. Je décline poliment. Peut-être que l'intention est bonne. Peut-être pas. Mais si elle ne l'est pas, il est hors de question que je leur serve de faire valoir. Et puis j'ai besoin de mes amis. D'ailleurs quand on parle du loup.
« Soirée chez moi ce soir. Toi, Luna, Hugo, Camille, Alia et moi. T'as pas le choix, tu nous manques trop. Enfin peut-être pas à Hugo vu que lui, tu l'as vu... »
Je sens la pointe de jalousie dans ses mots. Je m'empresse de donner ma réponse. Elle ne peut être que positive. Ces cinq-là, c'est mon groupe. Trois filles, trois garçons. Six personnalités différentes. Et même si Léo et Luna sont un cran au-dessus des autres dans mon cœur, je serais prête à tout pour les trois autres.
J'aime le calme d'Alia, sa simplicité et son intelligence.
J'aime la spontanéité d'Hugo, le fait qu'il n'est pas sa langue dans sa poche.
J'aime le côté je m'en foutiste de Camille alors que c'est certainement le plus stressé de nous tous réunis.
J'aime Luna et Léo et le pire, c'est que je ne sais même pas pourquoi. Parce que c'est eux et parce que c'est moi.
Bref.
Me voilà devant mon ancien lycée et certains de mes anciens camarades viennent me saluer. L'un de nos surveillants aussi. Nous discutons de tout et de rien. Des vacances, de la rentrée. Jusqu'à ce qu'enfin apparaisse Luna.
Elle se jette sur moi dès qu'elle m'aperçoit, faisant fuir les autres, qui s'éparpillent tels une nuée de papillons.
— Mais qu'est-ce que tu fais là ?
— Surprise... J'ai fini tôt alors je me suis dit que j'allais venir vous voir.
— Je t'aime.
— Je sais.
Elle déteste quand je lui réponds ça et vexée, me tire la langue.
— Tu sais qu'on n'a plus huit ans ?
— Ouais et alors ?
Sa réponse légèrement agressive et son visage renfrogné sont à mourir de rire. Pourtant, je me retiens. Je ne veux pas qu'elle boude pendant des heures et finis donc par céder et lui dire ce qu'elle attendait depuis tout à l'heure.
— Moi aussi, je t'aime.
Son visage s'illumine aussitôt.
— Mais tu es une horrible manipulatrice et je cède uniquement parce que je n'ai pas envie que tu fasses la tête exprès pendant des heures.
Elle fait l'innocente. Me dit qu'elle n'est pas comme ça et j'en passe. Ça ne marche pas. Au bout de quelques minutes, lasse de voir que je ne réagis pas, elle change de sujet. Les premiers mots de sa phrase sont à peine sortis de sa bouche quand nos autres amis arrivent.
Que c'est bon de les voir.
Ils me serrent chacun à leur tour dans leurs bras.
— Dis-nous qu'on t'a manqué...
— Vous m'avez manqué.
Ils savent que je le pense.
— Alors, tu t'es fait des amis ? Ils sont sympas les élèves de ta classe ? Tu as eu droit à des réflexions ? Ils savent que tu es apnéiste ?
— Ça fait beaucoup de questions ça...
— Ouais mais ça fait une semaine qu'on veut les détails alors, tu réponds, point barre.
— A vos ordres cher Camille.
Ils rient tous, surtout le principal intéressé.
— Donc, oui, j'ai eu droit à des réflexions, oui, ils savent que je plonge. C'est notre prof de sport qui a éventé la chose, étant donné que c'est Thomas, l'entraîneur des petits au club. Certains ont l'air sympa, les autres, j'en sais trop rien. Et une fille de ma classe peut potentiellement devenir une amie.
— C'est tout ? Une seule ?
— Ben quoi, au moins, personne ne vous fait de l'ombre. C'est pas ce que vous vouliez ?
— Ben si mais où on trouve des gonzesses, nous ?
— Camille, y'en a plein autour de toi...
— Ouais mais tu vois, la nouveauté, le goût d'ailleurs...
— T'es con.
— Incontestablement.
Camille, le roi de l'auto-dérision...
Nous en rajoutons tous une couche avant que Luna fasse une remarque judicieuse. Ça ne sert à rien que nous campions devant le lycée. Évidemment.
Nous errons à travers les rues de la ville, nous racontant nos vacances un peu plus en détails que par messages.
Petit à petit, nous prenons le chemin de la boutique de surf de mon père où nous devons retrouver Hugo.
Il y a du monde dans le magasin quand nous y entrons. Des vacanciers qui regardent les fringues, des surfeurs en devenir qui bavent devant les photos dédicacées des grands champions qui sont passés ici, d'autres qui discutent avec Éric, l'associé et meilleur ami de mon paternel.
Il nous fait un clin d'œil, nous indique le bureau et continue sa conversation.
Hugo nous attend, le nez plongé dans les catalogues de planches. Rien que de loin, elles ont l'air magnifiques.
— C'est pour les nouvelles commandes ?
Il sursaute en entendant ma voix et redescend de sa planète. Il faut dire que le surf et Hugo, c'est plus qu'une histoire d'amour, alors forcément, il était ailleurs.
Il acquiesce d'un signe de tête à ma question, ferme la revue à contrecœur et se lève pour saluer tout le monde. Tout le monde sauf moi. On s'est déjà vu ce matin.
— Attendez, vous êtes tous là... Ça veut dire qu'on se fait une soirée ?
— Exact. Chez Léo.
— Je peux pas...
On le dévisage tous, l'air interloqué. Hugo ne dit jamais non.
— Pardon ?
— Ben, je peux pas, j'ai déjà un truc de prévu.
— Plus important que nous ?
Ça, c'était Luna. Et c'était bas. Très très bas.
— J'ai invité un pote du bahut pour le week-end.
Nous n'avons que deux options. Et je vois bien que mes amis y pensent tout autant que moi.
Soit on fait la soirée sans lui. Mais nous serons amputés.
Soit on lui dit d'amener son pote. Mais il y aura un intrus. Intrus qui peut être sympa cela dit. Mais intrus quand même.
Finalement, Alia tranche pour nous.
— Viens avec lui. On est quand même capable de se tenir correctement et d'être polis.
— Toi oui. Mais les autres barges, pas sûr...
Il n'a pas tout à fait tort mais ce qui m'interpelle le plus, c'est comment il lui a dit ça. Comme il la regarde, là, maintenant, tout de suite. Jamais, ses yeux ne se sont posés sur elle, Luna ou moi de cette façon.
Qu'est-ce qui a changé cet été ? Je voudrais bien le savoir. C'est mon côté curieux ça. Mon regard passe de l'un à l'autre, cherchant un indice, une faille, un rien. Juste un minuscule rien.
En vain.
J'entends à peine Luna s'énerver, le traiter de tous les noms parce qu'il a osé dire de nous que nous étions « barges ». Bien sûr, personne ne rentre dans son jeu. Sa vindicte se tarit d'elle-même au moment où Éric franchit la porte du bureau.
— Alors les jeunes, comment ça va ? La rentrée s'est bien passée ?
Nos voix fusent dans tous les sens. Les unes couvrant les autres.
Soudain, la sonnette de la porte du magasin retentit.
Je ne sais pas pourquoi mais je me précipite dans la boutique en faisant signe à Éric que je m'en occupe.
Le client est en train de regarder les roulements de skateboard, à moitié caché par le mobilier. Il ne m'a pas entendue arriver. Il faut dire qu'ici, c'est un peu ma deuxième maison. Je connais chaque recoin, chaque endroit où le plancher craque. Je sais être invisible.
J'arrive presque à sa hauteur. Seule une étagère de skates nous sépare. Pour ne pas lui faire peur, je fais un peu plus de bruit et m'annonce.
— Bonsoir. Je peux vous aider ?
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