Chapitre 5

Ceci explique cela.
La méditation avant d'entrer dans l'eau. Sa respiration régulière, profonde.
Le mystère n'en sera pas resté un longtemps.
L'apnée.
C'est marrant parce que je ne l'aurais pas imaginé faire ça.
Du surf oui. Du yoga très certainement. Du beach volley peut-être. Mais de l'apnée ? C'est une discipline assez rare, pas vraiment connue.
Peut-être que je devrais lui demander le pourquoi du comment. Ou pas.

Depuis que nous avons appris ça, les autres essaient tous de se rapprocher d'elle. Ils sont comme des mouches sur un morceau de viande.
Je la plains. Ça se voit qu'ils la dérangent. Mais le jour où mes contemporains s'apercevront de ce genre de choses, il fera nuit noire à midi. La notoriété et la visibilité qu'Arya peut leur apporter passent avant tout le reste. Des sangsues qui s'accrocheront coûte que coûte.
Le soulagement se lit sur son visage quand le cours se termine.
Elle sort bonne dernière des vestiaires. Comment je le sais ? Je l'attends.
Pourquoi ? Je ne sais pas vraiment.
Elle sursaute quand elle m'aperçoit devant le gymnase.

—    Tu veux quoi ? Etre mon ami toi aussi ?
—    Non.

Ma réponse semble la surprendre.

—    Alors quoi ?
—    Alors demain matin, tout le monde sera au courant.
—    Parce que tu crois que je ne le sais pas ?

Je me retrouve penaud. Bien sûr qu'elle le sait. Elle ne sort pas de nulle part. Elle a seulement changé de bahut.

—    Désolé.
—    De quoi ?
—    Que les autres soient si cons.
—    Et toi non ?
—    Non. Moi, je suis juste un abruti qui ferait mieux de la boucler.

Elle sourit. Un petit sourire en coin. Moqueur.

—    Tu restes vraiment toujours tout seul ?
—    La plupart du temps. Qui t'a dit ça ?
—    Ambre. Elle craque sur toi d'ailleurs.
—    Je sais. J'ai des yeux pour voir.

Elle rit. Un rire un peu étrange. Communicatif. Je sens la colère qui m'habite en permanence refluer devant ce son que j'entends pour la première fois.
Comme je ne rajoute rien, elle prend la parole. Change de conversation.

—    Il est chouette ton skate. Tu en fais depuis longtemps ?
—    Depuis que j'ai découvert que ça existait. J'en parlais tous les jours à mes parents et ils ont fini par m'en acheter un pour mes sept ans.

Ce n'est pas tout à fait vrai. Enfin, je leur en parlais bien tous les jours, ça oui. Mais ce n'est pas pour mes sept ans qu'ils me l'ont offert. Ils avaient oublié mon anniversaire, comme chaque année. Ils s'en sont souvenus quinze jours plus tard et me l'ont offert pour se faire pardonner.

—    C'est classe.
—    Ouais.

Son téléphone sonne dans son sac. Elle s'excuse, fouille dans ses affaires et sort le trouble-fête. Elle fait une mine ennuyée en voyant le message.

—    Ça ne va pas ?
—    Si. Enfin, non, j'ai... Je suis à la bourre pour mon entraînement. Mais vraiment. Je dois y aller. A demain ?
—    Ben ouais, c'est pas comme si on avait le choix.

Elle sourit encore une fois à ma remarque et s'éloigne.
Je reste là, comme un con, à me demander pourquoi je lui ai parlé. Moi, le mec asocial du lycée. Qui a, en tout et pour tout, un seul ami et quelques autres qu'il tolère. Le pire, c'est que ça ne me dérange pas.
Mais je ne sais pas, cette fille, elle est différente des autres. Elle fait écho en moi. Elle a quelque chose qui m'attire. Au-delà de sa beauté. Parce qu'elle est canon, il faut bien l'avouer. Comme je lui disais tout à l'heure, j'ai des yeux pour voir. Et je ne vois pas pourquoi je me priverais de regarder. Ce n'est pas la seule à sortir du lot dans la classe.
Il y a Ambre bien sûr mais elle me dévisage avec ses yeux de merlans frits depuis déjà un an et ça a quand même bien gâché les choses.
Mila ensuite. Mais elle est insupportable. Elle joue avec les sentiments de tout le monde, ne pensant qu'à sa petite personne.
Et enfin Maya. Sa beauté exotique fait se retourner tous les mecs sur son passage. Chose qu'elle ne remarque pas étant donné que la gent masculine ne l'intéresse absolument pas.
Enfin bref. J'ai des yeux pour voir.

Si Arya était en retard pour son entraînement, je le suis pour aller en perm.
Heureusement que, quand je débarque, c'est Alexis qui est de surveillance. Il ne m'adresse qu'un rapide coup d'œil. Je m'installe et sors mon bouquin. On n'a pas encore eu de devoirs, du coup, j'en profite pour avancer dans ma lecture.
Je retrouve ces personnages que je suis maintenant depuis plusieurs années, attendant avec impatience la sortie de chaque nouveau tome. Je me perds dans les lignes, encore un peu plus fermé au monde qui m'entoure que d'habitude.
J'entends à peine la sonnerie du lycée qui marque la fin de l'étude. Hugo me ramène à la réalité.

—    Ohé du bateau.

Il n'y a que mon pote pour dire des expressions si démodées.
Il jette un coup d'œil au pavé que je suis en train de refermer.

—    Et dire que c'est moi qui suis en littéraire.
—    On échange si tu veux.
—    Moi, faire des maths ? Sans façon.

Tu m'étonnes. Je l'ai aidé un nombre incalculable de fois l'année dernière et c'est une cause perdue.
Je range mon roman et sors à sa suite.
Nous allons dans notre chambre poser nos affaires puis nous rendons au self. C'est infect, une fois de plus. Vivement demain midi que je puisse manger ailleurs.

—    Tu fais quoi demain aprem ?
—    Je me barre d'ici.
—    Non, c'est vrai ? J'aurais jamais deviné, tiens !

Hugo rigole tout seul à sa remarque pourrie. Je lève mon majeur vers lui et il rit encore plus. Pendant quelques minutes, il en rajoute. J'hésite à lui rabattre son caquet. Il ne me faudrait pas grand-chose. Juste susurrer le prénom de cette fille dont il parle tout le temps et lui dire par le détail ce que je serais capable de lui faire. Si de la fumée pouvait lui sortir par les oreilles, c'est ce qui se passerait. Mais ce soir, je suis de bonne humeur alors je me contente de lui dire la vérité.

—    Je vais faire de la slack. Tu veux venir ?

Hugo me dévisage d'un air complètement débile.

—    Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de mon pote Saïg ?

C'est là que je réalise ce que je viens de dire. Jamais, je ne partage ces moments-là avec quelqu'un. Je me retrouve pris à mon propre piège. Je voudrais revenir en arrière mais je ne peux pas. Je ne suis pas magicien. Remonter le temps et tout arranger n'existe que dans les livres ou les films. Dans l'imagination débordante des gens.

—    Oublie ce que je viens de dire.
—    Certainement pas. L'occasion est trop belle.

Putain. Je fais vraiment n'importe quoi aujourd'hui. Je ne dis plus rien pendant le reste du repas. Hugo assure la conversation pour nous deux, bien content de me mettre un peu plus mal à l'aise au fil des minutes qui passent.
Je finis par quitter la table et le réfectoire. Il me faut un moment de calme avant de le retrouver dans la piaule.
Je trouve un coin tranquille et à l'abri des regards dans la cour, m'installe par terre et sors mon livre. Il fait encore suffisamment clair pour que je puisse lire pendant quelques minutes.
Mon téléphone sonne, m'arrachant un grognement. On ne peut jamais être tranquille.

Hugo : « grouille toi. C'est le casse-c... qui surveille ce soir. T'as trois minutes. »
Moi : « c'est comme si j'étais déjà là. »

Il me faut deux minutes pour entrer dans la chambre. Si j'avais eu mon skate, j'aurais pu améliorer mon temps d'au moins trente secondes. Enfin...

—    C'était moins une...
—    Tu parles, je suis large.
—    Tu devrais au moins faire semblant de ne pas venir d'arriver.

Il a raison. Je jette mes Vans à travers la pièce, enlève mon t-shirt et m'affale sur mon lit. Je récupère mon bouquin dans mon sac et fais mine de lire. Mon cœur bat bien trop vite pour que j'y arrive.
Ça ne fait que dix secondes que je suis allongé quand la porte s'ouvre à la volée.
Le pion scrute la pièce.

—    Saïg...

Je grince des dents. Il a bien appuyé sur le g final de mon prénom alors qu'il sait pertinemment que ça ne se prononce pas comme cela.
Hugo me somme silencieusement de ne rien répondre de déplacé. Sinon, adieu la slack et bonjour les heures de colle.

—    Oui ?
—    Tu as vu le bordel que tu as mis ?
—    J'suis désolé. Je vais ranger.
—    Remets un t-shirt aussi.
—    Pourquoi ?

Un sourire mauvais apparaît sur ses lèvres. Voilà ce qu'il aime. Abuser du peu de pouvoir que son rôle lui confère.

—    Parce que je le dis. Immédiatement.

C'est peut-être aussi parce que tu es jaloux, pauvre tache.
J'obtempère de mauvaise grâce. Range mes affaires sous ses yeux. Ce n'est que quand il n'y a plus rien par terre qu'il semble satisfait. Il s'apprête à sortir et s'arrête sur le pas de la porte.

—    Je sais que tu es rentré en retard. Je ne peux rien faire parce que je ne t'ai pas pris sur le fait. Mais la prochaine fois, je ne te louperai pas.

Connard.
Il sort enfin.
Je soupire.
Pendant quelques minutes, Hugo prend un malin plaisir à se moquer de moi. Mais pourquoi lui ai-je proposé de venir avec moi demain ?
Je n'ai pas le courage de reprendre ma lecture. J'éteins ma lumière et m'allonge. En posant un bras sur mes yeux, j'espère faire comprendre à mon colocataire qu'il doit se taire et me laisser tranquille. Cela ne marche pas au début puis, quand il voit que je ne réagis plus à ses vannes, il se lasse et éteint à son tour.
Bientôt tous les bruits s'effacent.

Comme je l'avais prédit tout le monde est au courant du palmarès d'Arya. Ils ont fait fort, des photos d'elle et des articles la concernant circulent un peu partout, tout le monde veut lui parler, l'approcher dès qu'elle apparaît dans la cour.
Elle est gentille avec tout le monde mais ne se laisse happer par aucun, gardant soigneusement ses distances. Le plus marquant dans tout ça, c'est qu'elle les rembarre gentiment sans qu'aucun ne se vexe.
Elle passe à côté de moi, je l'arrête d'un geste.

—    Si tu veux qu'ils te laissent tranquille, tu n'as qu'à rester avec moi.
—    Pour que tu me rabattes les oreilles en me disant à quel point tu avais raison ? Non merci, sans façon. À moins que ce soit une manière subtile de me draguer. Auquel cas, oublie, t'es pas mon genre.

Son sourire contredit ses mots. Elle se moque, la garce. Et elle le fait bien. Tellement bien que j'ai envie de rentrer dans son jeu. Sauf qu'elle ne m'en laisse pas le temps. Elle est déjà en classe le temps que je prenne ma décision.
Pour me narguer un peu plus, elle s'est assise à la place que j'ai choisie à chaque fois hier. Si seulement elle savait que ma seule condition est d'être près de la fenêtre. Je m'abstiens évidemment de lui dire et fais mine d'être agacé en m'installant derrière elle.
Elle ne le remarque même pas. Ou alors, elle arrive admirablement à faire comme si de rien n'était.
Je crois que je ne le saurai jamais.

Les cours passent. Lentement. Bien trop lentement. Et enfin, enfin, cette fichue sonnerie retentit. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je range mes affaires, ramasse mon skate et quitte la salle.
Ce n'est qu'une fois que j'ai passé les grilles que je me sens respirer. Cela ne fait que deux jours et demi et j'en ai déjà marre.
Comme j'ai proposé à Hugo de m'accompagner, je suis obligé de l'attendre. Bien sûr, il est en retard.
Enfin, en retard... Il est en train de parler à une petite blonde. Il la drague, c'est évident. S'il n'est pas là dans cinq minutes, je me casse. Tant pis pour lui. Ma gentillesse a des limites.
Il sort enfin du lycée accompagné de sa potentielle conquête...

—    Arya ?

Sérieusement ?
Hugo nous dévisage une seconde.

—    Vous vous connaissez ?
—    Ben ouais, on est dans la même classe.
—    Pas la peine de me parler sur ce ton, espèce de rabat-joie.

Il se tourne vers Arya.

—    Il est aussi insupportable en cours qu'en dehors ?
—    J'sais pas. Ça fait que deux jours que je le côtoie.
—    Deux jours de trop si tu veux mon avis.

Il explose de rire et lui tape dans la main, fier de lui.

—    Bon, quand tu auras fini de draguer, on pourra peut-être quitter cet endroit pourri et faire ce qu'on a prévu.

C'est au tour d'Arya de rire. Elle n'en peut tellement plus qu'elle a les larmes aux yeux. Elle en devient même légèrement flippante.

—    Je peux savoir ce qui te prend ?

C'est Hugo qui répond pendant qu'elle parvient péniblement à se calmer.

—    On est amis depuis toujours. Nos pères bossent ensemble. Et si tu n'étais pas aussi asocial et arrêtais de dire non à chaque fois que je t'invite à une soirée, vous vous connaîtriez déjà.

OK. Là, il m'a mouché.
Je ne sais pas quoi répondre et je déteste ça.
Arya doit deviner que je suis mal à l'aise car elle annonce qu'elle nous laisse entre mecs et qu'ils se verront un peu plus tard à la boutique. Bon débarras. J'ai vu le moment où Hugo allait lui proposer de venir avec nous. Déjà que je préférerais être seul, si en plus on est trois...
On se dirige vers la boulangerie et nous nous achetons à manger.
Assis sur la plage, nous dégustons notre repas. En silence. Pourtant je vois bien qu'Hugo meure d'envie de parler. Il attend cependant que nous ayons fini.

—    Tu as vraiment cru que je draguais Arya ?
—    Ouais.
—    Tu sais, Saïg, c'est comme ça que les gens normaux se comportent. Ils se parlent gentiment, sourient, sont agréables...
—    Ça va, j'ai compris.

Ma voix est cassante. Je me renfrogne. Ça ne l'empêche quand même pas de reprendre.

—    Et même si j'avais un jour l'idée de la considérer autrement que comme une pote, je l'oublierais direct. J'aurais trop peur de la réaction de son père.

Là, il m'intrigue. Mais je ne rentrerai pas dans son petit jeu. Je musèle ma curiosité et donne le signal du départ. Je veux profiter au maximum de mon après-midi loin du lycée. Sur le trajet, nous parlons de tout et de rien. Des profs, des pions, de nos camarades.
Soudain, je réalise qu'Hugo ne devrait pas être interne mais surtout que je ne sais rien de sa vie. Ça m'allait bien jusqu'à présent mais maintenant, ça m'intrigue.

—    Il y a un truc que je ne comprends pas...
—    Oui ?
—    Pourquoi t'es interne ?
—    Pourquoi cette question ?
—    On ne répond pas à une question par une autre, bordel...
—    Ma mère s'est barrée quand j'avais cinq ans. Avec un autre mec à l'autre bout de la planète. Pendant l'année de troisième, avec mon père, on s'engueulait en permanence et je lui ai demandé de rentrer en internat pour la seconde. Ça nous a fait beaucoup de bien à tous les deux. J'aurais pu rentrer chez moi mais finalement c'est bien comme ça. On y trouve notre compte tous les deux. On passe les bons moments ensemble, je ne vois pas les femmes qu'il ramène à la maison. Tout est pour le mieux.

Je le comprends. C'est également rassurant de voir que je ne suis pas le seul à avoir une famille pas totalement fonctionnelle.

—    Et toi ?

Forcément. J'ai posé la question, il me la retourne. Rien de plus normal. Sauf que je n'ai pas envie d'en parler. J'opte pour la solution de facilité, espérant que ça lui suffira.

—    Mes parents sont des cons.
—    N'est-ce pas tout ce qu'un bon ado dit de ses vieux ?
—    Peut-être. Mais les miens sont vraiment des cons.
—    Ok.

Notre arrivée au parc clôt la conversation.
Plus rien ne compte à présent que ma slack. Je vais pouvoir tout oublier.

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