Chapitre 2 - elle

A bord de notre bateau, alors que mon père nous conduit vers notre endroit préféré, j'enfile ma combinaison et fais mes exercices de respiration. Ils durent de longues minutes. Dans mon champ de vision, mon père s'équipe, met ses bouteilles, son masque. Il ne me dérange pas. Me laisse tout le temps nécessaire.
Et enfin, il est temps. Temps de faire ce pourquoi j'ai l'impression d'être venue au monde.Temps de me reconnecter à mon corps, à la réalité. Au monde.
Nous plongeons.

Il n'y a plus rien.
Rien.
Que l'immensité de l'océan.
Juste l'eau tout autour de moi. Et mon père quelque part derrière.
Seulement le calme. Un calme profond. Envoûtant.
Et pourtant, pourtant, il y a du bruit. De nombreux bruits. Mais ce ne sont plus ceux de la surface. Alors que ceux d'en haut me stressent, m'agacent, me font même mal parfois, ceux d'ici m'apaisent. Ils me remettent à ma place. Petite chose insignifiante face à l'immensité de l'océan.
Nous observons la faune marine, ne remontant que le temps de me laisser prendre cet air si indispensable à la vie.
Bientôt, j'ai besoin d'aller plus loin.
Mon père dans mon sillage, je descends vers les abysses. Vers moi. Les profondeurs océanes m'entraînent au plus profond de moi-même.
Chacun de mes mouvements devient une méditation. Je ne pense plus. Je suis là. Juste là. Il n'y a pas de passé. Pas d'avenir. Seulement le moment présent qui s'étire à l'infini.
Je suis bien. Je me sens bien.

Mais même l'infini se termine. Bientôt, bien trop tôt à mon goût, je dois remonter à la surface chercher cet air si précieux qui me permet de vivre. C'était trop court. Et pourtant si bon.
Mon père me dévisage pour s'assurer que je vais bien.
Je vais bien. Plus que bien même. Un sourire naît sur mes lèvres et n'en part pas.

—    C'était génial.
—    Oui, tu as vraiment progressé.

Papa.
Toujours à me dire que ce que je fais est bien. Toujours à me valoriser.
Je l'aime. Je n'ai pas honte de le dire.

—    Tu veux y retourner ?

Oui.

—    Non. Il doit être tard.

Et en toute objectivité, je suis fatiguée.
Nous remontons sur le bateau. Rejoignons le port et la maison.
Pour un instant encore, je vais sous l'eau. J'enlève le sel qui colle à ma peau et la fait tirailler dès que je suis sur la terre ferme.
Seulement quelques minutes après que je sois sortie de la douche, Léo arrive. Il est ponctuel, toujours. Il s'affale sur mon lit, prend mon oreiller et le cale derrière sa tête.

—    Fais comme chez toi.

Il me tire la langue. Avant de m'attraper la main et de m'attirer contre lui. Ma tête appuyée sur son épaule, je regarde les étoiles qui ornent mon plafond pendant qu'il joue avec mes bracelets.
Le silence entre nous n'est pas pesant. Ce n'est pas comme avec Luna. Avec elle, tout n'est que bruit. S'il n'y en a pas, elle a peur. Peur de ce que ça remue en elle. Elle ne m'en a parlé qu'une seule fois. Me faisant promettre de ne plus jamais remettre la conversation sur le tapis.
J'ai promis.
Tout à coup, la voix de mon ami brise la quiétude de la pièce.

—    Tu vas me manquer au lycée.
—    Pendant les trente premières minutes.
—    Arya...
—    Mais si Léo, tu sais bien que j'ai raison.

Je n'ai même pas besoin de le voir pour voir son air outré. Mais je ne renonce pas.

—    Et puis, tu pourras enfin draguer tranquille.
—    N'importe quoi.
—    Bien sûr que si. Elles ont toujours été jalouses de notre amitié. Ce que je comprends totalement.
—    Si elles étaient jalouses, c'est qu'elles ne me méritaient pas.
—    Peut-être. Mais au moins je ne serai plus dans tes pattes.
—    Et moi, pas dans les tiennes, c'est ça.
—    Exactement.

Il rit. Moi aussi.

—    Tu promets de ne pas m'oublier ?
—    Ce que tu peux être con ! Je te rappelle qu'avant le collège, on n'était pas dans la même école et que ça ne nous a jamais empêché d'être amis.

Il me serre un peu contre lui en me murmurant que j'ai raison. Il ne le dira jamais à haute voix de peur que quelqu'un le surprenne. Même ici, dans ma chambre.
C'est ce moment-là que choisit mon père pour nous appeler pour le repas. Finalement, il avait peut-être raison de chuchoter.
Nous rejoignons mon paternel sur la terrasse. Les pizzas sont déjà posées sur la petite table. Nous nous installons chacun sur un pouf et mangeons en parlant de tout et de rien. Des jours à venir, de la rentrée, des conditions météorologiques, des vagues. De surf. Et inévitablement, de mon été.

—    Il avait l'air génial ce stage.
—    Carrément. J'ai rencontré les plus grands apnéistes français. Et mes deux idoles.
—    Tu as réussi à te retenir de baver ?

Mon père m'empêche de répondre en me coupant la parole.

—    C'était limite.

Léo s'esclaffe. Outrée, je réponds à mon père d'une voix un peu trop aiguë qui provoque leur hilarité à tous les deux.
Je suis vexée. Mais je leur cache. Je respire et leur rétorque d'une voix blanche.

—    Au moins, ils méritaient qu'on bave pour eux. Stéphane est d'une gentillesse incroyable et Guillaume, je ne sais pas, il m'a plus appris en une semaine que ce que j'ai fait pendant toute l'année qui vient de passer. Ils sont impressionnants.
—    Et les filles ? Elles étaient comment ?
—    Incroyables aussi. Julie, la compagne de Guillaume est un modèle de vie.

Pendant je ne sais pas combien de temps, je parle de cet été que j'ai passé dans la rade de Villefranche-sur-mer. Je ne peux plus m'arrêter. Au bout d'un moment, je vois bien que Léo en a marre.

—    Si c'était si bien que ça, tu aurais dû y rester.
—    Jamais de la vie.
—    Pourquoi ?
—    Parce qu'il n'y avait pas de vagues. Et que Luna et toi n'étiez pas là. Vous êtes mon moyen de rester les pieds sur Terre. Avec toi, papa évidemment.

Ils se redressent fiers comme des paons. Gonflent le torse. Je souris.

—    Et alors, tu es descendue à combien de mètres ?
—    Sans palmes et en poids constant, 45 mètres.
—    WoW.

Je sens l'admiration dans sa voix.

—    Et avec palmes ?
—    69 mètres.

Ce n'est rien par rapport aux champions que j'ai croisés. Guillaume, même si c'était involontaire, est descendu à 139 mètres de profondeur. À côté de lui, je suis une petite joueuse mais je suis jeune et je ne peux que progresser.

—    Tu déchires.
—    Merci.

Nous finissons de manger et mon père déclare qu'il lance la série.

—    Vous faites ce que vous voulez mais moi, j'y vais.

Sans réfléchir, nous lui emboîtons le pas. Regarder Game of Thrones tous les trois est presque une tradition.
Nous nous installons confortablement. Les épisodes défilent. Un. Deux. Trois. Quand le quatrième commence, je réalise que ce soir, je n'étais pas dans ma chambre pour entendre le skateboard passer.
Je me perds dans mes pensées alors que Jon se fait assommer par Craster. Qu'est-ce que je ne l'aime pas celui-là. Et puis depuis que mon père m'a laissé regarder la série, je craque sur Jon.
Mais ce soir, je ne pense pas à Jon. Je pense au propriétaire de la planche qui n'aura eu personne pour écouter le bruit de ses roues sur la route. Ça me manque presque.
Je secoue la tête et me replonge dans la série. En vain. Mes pensées vagabondent toujours.
Peut-être qu'il n'est pas passé ce soir...
Peut-être...
Que ferait-on avec des suppositions ? Il est trop tard de toute façon pour le savoir.
À côté de moi, Léo pique du nez. J'ai toujours aimé le regarder dormir. Ses traits se détendent et il ressemble au petit garçon que j'ai rencontré des années auparavant.
Mon père éteint la télé à la fin de l'épisode.

—    Il dort là je suppose ?
—    Je dirais que oui.

Nous nous sourions avant de nous souhaiter bonne nuit.
Une fois dans ma chambre, dans mon lit, je ne dors pas. Je guette quand même le bruit du skateboard. Combien de temps se passe-t-il avant que je l'entende ?
D'abord, je crois rêver. Très vite, je sais que non. Je me lève précipitamment et regarde par la fenêtre ouverte.
Il est déjà trop tard. Je n'aperçois qu'une silhouette perdue dans la nuit.
Je jurerais quand même que c'est un garçon.
Je me recouche et essaie de l'imaginer. En vain. Seules me viennent des questions étranges. Pourquoi est-il passé aussi tard ? Où était-il avant ? À une fête ? Peut-être était-il à LA fête sur la plage ? Peut-être que j'aurais du y aller...
Peut-être...

Le soleil est haut dans le ciel quand je me réveille enfin. Je trouve Léo encore endormi sur le canapé. Papa a laissé un mot sur la table du salon, disant qu'il est parti surfer. Cela ne m'étonne même pas.
J'erre dans la maison, me demandant si je dois réveiller mon ami et décide de lui laisser encore un peu de temps.
Le roman que j'étais en train de lire se retrouve dans mes mains comme par magie. Installée sur la terrasse avec l'océan en face de moi, je plonge dans les mots de l'auteur.
La voix de Léo me tire de l'univers dans lequel j'étais perdue...

—    Salut sœurette. Bien dormi ?
—    Nickel. Mais c'est plutôt à toi qu'il faut demander ça.
—    J'ai mal au cou.

Alors ça, c'est évident. Vu la position dans laquelle il dormait, il ne peut en être autrement. Il était d'ailleurs tellement drôle que j'ai immortalisé ce moment. Une photo comme ça peut toujours servir.

—    Tu m'étonnes. Tiens, regarde.

J'exhibe le cliché sous son nez. Suffisamment loin quand même pour qu'il ne puisse pas attraper mon téléphone.
Sa réaction est immédiate. Il me saute dessus et essaie de saisir mon portable. Sauf que je suis plus rapide. Plus perverse aussi. Je le cache à un endroit où il n'ira jamais le chercher.

—    T'es vraiment qu'une gamine, Lady Stark.

Ah, il est vexé ! Il m'appelle comme ça uniquement quand il n'est pas content. Mais rien n'y fera. Je n'effacerai pas cette photo beaucoup trop géniale et il arrêtera de bouder avant que ça me prenne.
Il s'assoit à côté de moi et reste mutique. Une minute. Deux. Une troisième.
Il lutte pour ne pas reprendre la parole. Il lutte pour ne pas rire.
Il est incapable de me faire la tête bien longtemps. L'inverse est d'ailleurs également vrai.

—    Tu me promets de ne l'envoyer à personne ?
—    Non. Tu imagines le moyen de pression que cette photo me confère ?
—    Tu n'es qu'une sale manipulatrice.
—    Peut-être. Mais je m'en fous, tu m'aimes comme ça.

Il soupire en en rajoutant des tonnes. J'explose de rire devant sa tête de martyr.
Il me faut un moment pour me calmer. Une fois remise, et comme j'entends son ventre gargouiller, je m'inquiète de sa santé.

—    Tu as faim peut-être ?
—    Oui. Mais je peux rentrer chez moi si tu préfères.
—    Tu sais bien que non. Allez, viens, il doit y avoir des restes d'hier.

Nous sortons du frigo tout ce qui nous tente. Et finalement, je dirais que pour des jeunes de notre âge, nous nous en tirons plutôt pas mal. Notre repas est bien équilibré. Pas gras, pas trop salé. Enfin jusqu'au dessert. Là, nous nous empiffrons de glace avec de la chantilly pour lui et du chocolat fondu pour moi. Je n'ai même pas honte. Le chocolat, c'est la vie.
Comment font les gens qui n'aiment pas ça ?

—    Tu as des nouvelles de Luna ?
—    En plus des milles photos qu'elle a envoyées hier soir ?
—    Ouais.
—    Et bien non. Elle doit encore dormir.
—    On la réveille pour aller à la plage ?
—    Tu es horrible.
—    M'en fous, c'est Luna. Elle ne nous en voudra pas.
—    Fais-le toi. Comme ça, je pourrais lui dire que c'était ton idée. Ce qui est le cas.

Il l'appelle une première fois. Bien sûr, elle ne répond pas. Alors il insiste jusqu'à ce qu'elle décroche en jurant tout ce qu'elle sait. Leur conversation est tellement animée que je n'ai même pas besoin du haut-parleur pour entendre mon amie parler.
Elle finit par se calmer et nous donner rendez-vous à notre endroit habituel dans une heure.
Une heure alors qu'il ne nous faudra que cinq minutes.
Comme nous avons le temps, Léo emprunte la salle de bains, pendant que je prépare quelques affaires. Des gâteaux, de l'eau, mon appareil photo. J'enfile mon maillot, une robe longue par-dessus. Je tresse mes cheveux.
Enfin Léo est prêt. Il est pire qu'une fille pour se préparer...
Nous arrivons avant Luna et l'attendons en silence. Le moment où il n'y en aura plus sera là bien assez vite.

Une tornade brune nous saute dessus quelques minutes plus tard. Et le silence explose. Il est brisé en milliers de grains de sable qui rejoignent ceux qui jonchent déjà la plage.

—    Oh bordel, vous m'avez manqué.
—    On s'est vu hier, Luna.
—    Non mais à la soirée. C'était génial mais avec vous, ça aurait été le summum.

Sans nous demander le moindre avis, elle nous raconte sa soirée en détails. Dans les moindres détails. Qui est sorti avec qui, qui a trop bu, qui a passé les meilleures ou les pires vacances. Ce qu'ils ont mangé, bu, fumé.
Heureusement que je n'y étais pas. Je ne peux pas rester à côté de quelqu'un qui fume.

—    Enzo a demandé après toi, Arya.
—    Ça, ça m'étonnerait.
—    Bon, après Léo aussi.

Le pincement que je ressentais quand on me parlait de lui a disparu. Je souris. Je suis guérie.
Elle nous apprend qu'il y avait de nouvelles têtes. Des gens sympas qui arrivent dans notre lycée. Peut-être prendront-ils la place que je laisse vacante...
Deux filles très mignonnes et un garçon un peu renfermé.

—    Elles te plairaient Léo.
—    Ah ben, tu vois, ça confirme ce que je te disais hier soir.
—    Tu lui disais quoi ?
—    Qu'il aurait le champ libre.
—    Les filles, je suis là.

Il ajoute la main devant nous.

—    Oh pardon.

Alors que nous ne sentons pas le moins du monde coupables de quoi que ce soit.
Ils vont me manquer. Ne plus les voir en cours va me manquer. M'asseoir à côté d'eux. Partager la vie de tous les jours.
Peut-être que je devrais leur dire. Je ne le fais pas.
Je me contente de les regarder plaisanter, de me baigner avec eux et qu'on s'amuse à se couler.
Je me laisse toujours faire quand ils veulent me mettre la tête sous l'eau. Être en apnée. Nager autour d'eux et les surprendre en ressortant d'un coup à côté d'eux.
Même après toutes nos années d'amitié, ça marche encore.

Il est malheureusement bientôt l'heure de rentrer. L'heure de reprendre nos vies maintenant que la fin des vacances est en train de sonner.
Nous nous quittons devant chez moi. Ils partent chacun de leur côté. Et moi, je reste là. Face à l'océan. J'ai beau essayer de me mentir, de ne pas vouloir l'admettre, j'ai le cœur gros.
Le message whattsap que je reçois fait briller mes yeux.

« Tu vas me manquer. »

Je réponds à Luna dans la seconde.

« Tu me manques déjà. »

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