Chapitre 8 : Tian
— Il y a des plats dans le congélateur, n'hésite pas à regarder, sinon ma mère pourra...
— Tian, je suis un grand garçon, je sais m'occuper de moi !
Tian leva les yeux de son écran de téléphone pour jeter un œil au jeune homme. Debout au milieu du petit salon, les poings sur les hanches et littéralement en tee-shirt et caleçon, Maël le dévisageait avec une expression sévère. Enfin, qui se voulait sévère. Savait-il à quel point il ressemblait à un enfant faisant une petite colère quand il était ainsi. Absolument adorable.
— Tu veux dire, comme quand tu as essayé de faire une omelette ?
— C'était mangeable !
— Je préfère quand l'alarme incendie de l'immeuble ne se déclenche pas, ma biche.
Tian rit à la moue boudeuse de son impromptu colocataire. Il avait fallu quelques jours, mais il s'habituait au garçon et à sa personnalité débordante. Il était expressif, se précipitait pour aider dès qu'il le pouvait – et quand il ne le pouvait pas non plus, ce qui était plus gênant pour l'envoyer paître sans qu'il ne le prenne mal. Un gentil garçon, mais un peu encombrant quand même. Tian avait eu du mal à planifier sa sortie de la semaine le plus discrètement possible.
Impossible.
Comment le gamin faisait-il pour deviner ses intentions ? Est-ce que le manque était inscrit sur son visage ? Ou peut-être était-il resté trop longtemps sur son téléphone à partir du moment où il avait matché avec un type sur son application de rencontre.
Pour sa défense, chaque photo de sa rencontre du jour valait son pesant d'or. D'après son profil, il était mannequin pour sous-vêtement et Tian pouvait presque y croire. Cependant, il avait connu trop de menteurs pathologiques pour s'attarder sur cette prétention. Pour la soirée, tout ce qui l'intéressait, c'était le corps de ce type, sa bouche et son cul.
Avec deux journées de repos par semaine, et rarement consécutives, Tian avait appris à jongler entre ses désirs et ses besoins pratiques. En semaine, il s'occupait de lui. Son dimanche, le plus souvent, était consacré à des occupations plus familiales, quand bien même il passait du temps en semaine à l'étage supérieur, chez sa mère. Les jumelles ne se gardaient pas toutes seules, et même la présence de Maël à présent ne l'empêchait pas de remplir ses missions quotidiennes.
Dix jours à se supporter, c'était plus que suffisant.
— Donc je disais, si tu as faim, demande à ma mère.
Elle avait haussé les sourcils en rencontrant le garçon, mais heureusement l'explication succincte de Tian sur le fait qu'il aidait « le fils d'un ami » avait fait son office. Ce qui avait offusqué Maël, mais il avait au moins eu la présence d'esprit, in extremis, de se taire. Plus tard, la décence l'avait retenu de poser des questions, auxquelles Tian n'aurait pas répondu.
— Ta mère va me demander si je suis pas plutôt la petite sœur de ton collègue, grommela Maël en croisant les bras, bougon.
— Elle m'a déjà posé la question.
— Sérieux ?
— Non.
— Tian !
— Donc, tu restes calmes, tu peux utiliser la télé et la console, comme d'habitude. Je serai rentré à...
— Tian.
Deux doigts enfoncés à l'arrière de sa chaussure pour y rentrer son pied, l'autre main accrochée au mur, Tian cligna des yeux au ton plus sec de Maël et le regarda de nouveau. Le garçon, ses grands yeux de biche sur lui, soupira doucement.
— Prends ton temps, dit-il. Tu n'es pas ma mère, merci, et tu n'as pas à changer tes habitudes pour moi. Je suis un grand garçon, je te dis, j'ai survécu jusque-là et je n'ai même pas toujours eu la télé pour m'occuper. Donc franchement, c'est cool. Merci. Vraiment. Beaucoup.
Le dernier mot fut prononcé tout bas, avant qu'il se détourne en lançant un « Va t'amuser, y'a un mec super sexy qui n'attend que toi ! » et Tian, avant de quitter son petit appartement, se demanda si le gosse avait un troisième œil.
Le temps de dévaler les escaliers pour se retrouver à l'extérieur, dans la fraîcheur de l'après-midi, Tian se défit de ses pensées. Un moment pour lui. il réajusta sa veste et, tandis qu'il entamait sa longue marche dans les rues éternellement encombrées de la ville, il consulta son téléphone. L'application qui rendait sa journée si intéressante présentait des messages non lus dans sa discussion la plus récente.
SmashMyAss64 : Je suis en route.
SmashMyAss64 : J'ai mis mon plus beau plug.
SmashMyAss64 : J'ai hâte que tu me ravages.
Accompagnés d'une petite photo coquine, vraisemblablement prise avant que l'homme ne prenne le volant.
Vraiment, ça s'annonçait bien.
C'était la période de l'année qu'il préférait, celle qui ne nécessitait pas d'épais manteaux entravant les mouvements ou coupant la circulation sanguine dans ses bras dès qu'il les pliait, ni celle qui impliquait un besoin urgent et pourtant inutile de se mettre à poil pour supporte la chaleur écrasante. L'automne était probablement sa saison favorite, avec sa douceur, l'odeur terreuse des feuilles qui tricotaient une longue couverture au pied des arbres, et dans l'air l'humidité annonciatrice de la prochaine saison. Lorsqu'il leva le nez, le ciel était d'un blanc immaculé qu'il aimait profondément. Il y avait quelque chose d'apaisant dans cet immensité sans fin, sans qu'il puisse dire en quoi.
Il envoya un rapide « En route aussi, je t'envoie le numéro de la chambre dès que je l'ai. Hâte de prendre ma place dans ton cul. » Et cette vulgarité qui ne lui était pas habituel lui envoya une décharge, simple et efficace, de désir. Quelque chose de sale qui glissait dans ses veine, flirtant à la limite de l'interdit avec lequel il avait été éduqué. A chacune de ses sorties, il bénissait l'existence du Manoir et des hôtels. Le premier pour la liberté d'expression qu'il lui permettait, le second de lui offrir un moyen simple et efficace de s'envoyer en l'air à peu près quand il en avait envie, bien que cela demandât un peu d'organisation parfois. Ça fonctionnait depuis des années. La seule chose qu'il regrettait, c'était l'impossibilité de construire quelque chose avec quelqu'un, dans sa situation bancale, mais il ne s'en plaignait pas pour autant. Il ne voyait pas vraiment où il pourrait caler un petit ami dans son quotidien, entre son travail prenant et sa famille. Il avait déjà eu suffisamment de mal à lui faire arrêter ses recherches de la bru idéale. Savoir que ses parents avaient une dot prête à être versée à une inconnue lui soulevait le cœur, et tout à la fois il était soulagé qu'ils n'aient jamais à le faire. C'était seulement dommage que sa mère ne sache pas pourquoi, mais parfois le silence valait bien mieux. L'histoire de Maël et de sa famille bigote le lui prouvait encore une fois, et pourtant il était d'une génération plus... approuvée.
L'hôtel qu'il choisissait était toujours le même, simple et ouvert à ces échanges qui pouvaient durer quelques minutes, quelques heures, ou une nuit complète. Il avait déjà croisé d'autres personnes qui se voyaient en coup de vent, hommes comme femmes. Peu lui importait leurs raisons, et peu leur importait ses raisons à lui. Ils étaient tous une horde d'inconnus présents pour une raison en particulier. Le quartier de mauvaise réputation ne donnait pas envie de suivre quiconque pour découvrir ses petits secrets.
Dans le hall, l'homme derrière son comptoir l'accueillit avec un sourire plein de dents, son « bonjour » voguant jusqu'à Tian le temps que ses pas le rapprochent suffisamment.
— Bonjour. J'ai une réservation à « Petit », dit-il tout en glissant sa carte d'identité sur la surface blanche.
Quartier mal famé ne rimait pas avec intérieur désuet, et il aimait cet endroit pour le sérieux et le soin apporté aux clients.
— Petit-Chang, oui, murmura l'homme en consultant la carte puis son écran d'ordinateur.
Rapidement, il posa une carte d'accès.
— Chambre cinquante-trois. Vous avez réservé jusqu'à vingt heures, souhaitez-vous le service de chambre ?
— Pas besoin. Quelqu'un me rejoindra bientôt, je lui indiquerai le numéro.
— Très bien, monsieur. Je vous souhaite un bon séjour.
Il serait bon. Tian évita soigneusement le sourire en coin de son vis-à-vis et bifurqua pour rejoindre les escaliers. Cinquante-trois, premier étage, couloir de gauche. Au rez-de-chaussée, c'étaient les cuisines, l'espace restauration, un petit salon qui ne payait pas de mine et était peu utilisé, mais pas désagréable quand on en avait besoin. Un petit bar apportait le nécessaire pour faire patienter.
La moquette sur le sol rendait ses pas silencieux, conférant un aspect intime à tout le couloir. La porte se déverrouilla presque sans bruit, à peine ce petit « clic » lorsqu'il inséra la carte dans le boîtier.
Il aimait le minimalisme des hôtels, et particulièrement celui-ci qui s'était adapté à sa condition singulière. Être positionné dans un quartier réputé pour ses sex-shops et son défilé de prostitués la nuit à peine tombée n'était pas évident, et devenir le point de chute des couples d'un instant encore moins. Cependant, en avisant le grand bol rempli de préservatifs et d'échantillons de lubrifiants, il se doutait qu'ils en avaient pris leur parti et en jouaient autant que possible.
De bonne humeur, il attrapa plusieurs carrés brillants et les glissa sous un oreiller, sifflotant presque sous l'odeur fraîche des draps. Après avoir prévenu son contact, il posa son téléphone sur le petit bureau qui occupait un espace ridicule. Sa veste prit place sur le dossier d'une petite chaise. Un coup d'œil dans le miroir en pied, installé au bout du lit, le fit sourire. Si son compagnon temporaire était de ce genre, cet accessoire serait un joli bonus pour leurs activités.
SmashMyAss ne vivait pas très loin du centre, de ce qu'il en avait compris. Aussi, quand il entendit des coups à la porte, il fut ravi d'avoir attendu juste ce qu'il fallait pour anticiper ce rendez-vous. Regarder les photos de cet homme qui s'était préparé pour des heures au lit avec lui donnait un coup de fouet à son ego et à sa libido. Ce n'était pas négligeable et c'était plaisant, il devait l'avouer. Lui-même savait ce qui plaisait à ses amants ; son aspect massif régalait ceux qui avaient besoin de soumission, ou encore ceux qui ignoraient désirer être pris en charge. C'était ce qu'il faisait de mieux : mener la danse, diriger, et le plaisir de son partenaire sous ses mains n'avait pas d'équivalent à ses yeux, ses oreilles ou sous ses lèvres.
La porte se referma discrètement derrière SmashMyAss. Des yeux sombres et rieurs, des cheveux longs attachés dans un catogan simple mais étudié, des épaules larges et une taille étroite sous une chemise noire qui . Une peau claire et lisse, qui ne demandait qu'à se teinter sous la brûlure du plaisir. Sous son observation, les pommettes de l'homme se coloraient déjà, ou peut-être était-ce à cause de ce qu'il cachait dans son intimité en prévision de leur rencontre.
— Juste pour vérifier : ton pseudo ? demanda-t-il en se mordillant la lèvre inférieure. Non pas que je me plaigne de ce que je vois ici, mais tu sais comment c'est...
Tian sourit malgré lui. Cette demande était loin d'être amusante ; elle montrait au mieux que cet homme était responsable et avait la tête sur les épaules, au pire qu'il avait vécu des situations l'amenant à vérifier l'identité de la personne devant lui. Ses premiers mots n'étaient d'ailleurs en rien tournés sur le sexe, par précaution ; c'était la deuxième option.
— RadiantObus.
Le sourire de Smash se fit plus grand. Carnassier. En demande. Son long corps ondula quand il s'avança jusqu'à Tian, un parfum riche et envoûtant glissant jusqu'à ses narines. Il était presque aussi grand que lui. Ses yeux pétillaient à présent, la faim dans son regard le rendant prédateur. Du bout des doigts, il traça une ligne entre les pectoraux de Tian, sur le tissu de son tee-shirt noir. Contre son entrejambe, le sexe raide de Smash appuyait déjà. Le désir semblait s'écouler par sa peau et se frayait déjà un chemin jusqu'à Tian. Il savait précisément ce qui lui avait plu sur son profil.
Affamé.
Domine-moi.
Possède-moi.
L'histoire d'un instant qui nous désintègrera.
— J'ai hâte que cet obus face son office, dans ce cas, susurra-t-il.
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