Chapitre 18 : Tian


Le son rauque qui lui échappa le fit frémir, la force de son orgasme lui donnant l'impression de se désintégrer par la queue. Bon sang, depuis quand ne s'était-il pas branlé aussi frénétiquement ? La force du désir qui l'avait frappé face à Gabriel était plus que ce qu'il pouvait accepter. Dans les toilettes d'une aile peu fréquentée, Tian s'était réfugié pour se masturber dans une frénésie qui ne lui ressemblait pas. L'odeur de Gabriel, la douceur de sa peau, de ses cheveux, la chaleur de son souffle contre son menton, la pression de son corps contre le sien. Bon sang, pourquoi n'avait-il pas réagi à l'érection de Tian ? Il était persuadée qu'elle était visible à cent lieues de là, il était impossible que Gabriel ne l'ait pas senti.

Et lui ? Tian n'avait pas senti le moindre désir, outre son comportement, se matérialiser physiquement de son côté. Était-ce à cause des gaines qu'il portait ? Il avait déjà vu ce que mettaient certains des artistes durant ses rondes dans les loges – voire certains partaient chercher des affaires en courant dans les couloirs, à peine en sous-vêtements – et l'idée que son sexe était séquestré ainsi le fit frémir. Le sang dans son entrejambe avait du mal à refluer, même après avoir explosé jusqu'à voir blanc. Ce n'était pas la première fois qu'il s'imaginait la chose, déshabiller Gabriel, son sexe s'extirper et claquer contre son ventre. Lourd, gorgée, empourpré. Il avait l'impression que ses testicules se serraient de nouveau contre lui à ces simples pensées, aux images qui lui venaient, si graphiques que son cœur pompait encore plus de sang pour le diriger vers le sud. Il fallait qu'il se ressaisisse. Ce n'était peut-être pas la première fois qu'il devait se satisfaire dans les toilettes du Manoir, mais il ne pouvait pas non plus s'y adonner trop souvent. Il avait des responsabilités.

Je t'appellerai.

Il retint un gémissement et referma sa main sur son sexe sensible. Ça irait. Pas d'érection intempestive, bon sang ! Il ne comprenait même pas comment il avait pu garder son sang-froid face à Gabriel. Ses traits torturés sous son self-contrôle avaient remué tous les instincts protecteurs de Tian, sans compter ceux qu'il mettait en branle uniquement quand il s'agissait de cet homme.

C'était pour cela qu'il ouvrait tant de fois cette application de rencontre, bon sang. Pour passer à autre chose, ou pour éloigner ce désir, sans succès dans les deux cas.

Le souffle encore rapide, il sursauta quand la porte des toilettes s'ouvrit et que des voix s'élevèrent. Des pas se dirigèrent vers les urinoirs, à une distance non négligeable de la cabine où il s'était réfugié. Reprends-toi. Il était néanmoins soulagé de reconnaître Théo et Éric, le rire de ce dernier si léger qu'il en fut presque jaloux durant quelques secondes. En silence, Tian se releva et frotta ses genoux, essuya tout ce qu'il pouvait pour effacer son passage et tira la chasse. Ranger son attirail et fermer son pantalon fut plus facile cette fois, la présence de ses collègues refroidissant ses ardeurs. Quand il sortit enfin, fébrile jusqu'au bout des doigts, ce fut pour se tenir à leurs côtés aux lavabos. Le regard de Théo ne le manqua pas, ses yeux gris interrogateurs.

— T'as l'air encore plus mal que tout à l'heure, dit l'homme. T'aurais pas de la fièvre ?

Non, j'ai juste une furieuse envie de baiser le patron. Tian frissonna à cette simple évocation.

— Peut-être, grommela-t-il.

— Tu devrais rentrer si ça ne va pas, je préviendrai Gabriel, ajouta Eric en se penchant pour lui jeter un coup d'œil.

— Non ! s'exclama-t-il aussitôt puis, sous leurs regards surpris, il se racla la gorge. Je veux dire, non, ça va aller, je vais juste y aller doucement.

— Je mets Loïc sur tes postes, rétorqua Théo en plissant les yeux. Putain que tu es rouge ! T'as moyen de voir un toubib rapido ?

Trois grosses branlettes, porno, suppo et dodo. L'idée était intéressante et quand il se rendit compte qu'il l'envisageait sérieusement, il se détesta. Depuis quand était-il démissionnaire pour quelque chose d'aussi trivial qu'une envie de sexe ?

— Aucune idée, articula-t-il lentement.

Pas besoin de se forcer, au moins. Même sa langue n'avait pas envie de passer à autre chose.

— Tu récupèreras tes heures, au pire, dit Éric. La surveillance molle, c'est l'accident assuré si quoi que ce soit se produit.

— Je peux peut-être aider au...

— Tu rentres.

Tian grimaça. Sur l'échelle hiérarchique, Éric était au-dessus de lui et pouvait à son aise lui donner des ordres. Le renvoyer chez lui et en référer à Gabriel était également en son pouvoir, ce qu'il n'avait encore jamais eu besoin de faire, mais il y avait définitivement un début à tout.

— Je viendrai plus tôt demain, marmonna Tian.

— Tu rentres, tu vas voir le toubib, et tu reviens quand ça ira mieux. Envoie un message pour tenir au jus, OK ?

— Je peux quand même...

— Casse-toi, Tian, soupira Théo. Pour ce qu'on en sait, tu pourrais avoir une grippe, y'en a plein qui arrivent là.

— Ou une gastro, grimaça Éric. Tu peux t'éloigner, s'il te plait ?

Le ricanement de Théo à cette idée n'enchanta pas Tian. Lorsqu'il rejoignit les vestiaires, sa température corporelle descendait à peine. Peut-être parce qu'il avait aperçu Gabriel à l'entrée de la salle de restauration lorsqu'il avait remonté le couloir. Peut-être parce que de dos, cette robe était indécente, l'ouverture descendant bas dans son dos, jusqu'à ses reins. Le costumier était un macaque libidineux, Tian ne pouvait se défaire de cette idée. A chaque nouvelle tenue, c'était comme si quelque chose devait le faire réagir, d'une manière ou d'une autre, malgré son manque d'intérêt initial pour ces accoutrements.

Son casier métallique grinça quand il l'ouvrit pour prendre ses affaires. Il attrapa également le classeur qui était rangé là, empêcha un CV de s'enfuir car mal glissé dans les fiches plastifiée, et l'enfonça dans son sac à dos. Il n'était pas dit qu'il se tournerait totalement les pouces. Blouson enfilé et sac sur l'épaule, il évita une collision en quittant la pièce. Les grands yeux de biche de Maël clignèrent en se levant sur lui, Van sur les talons.

— Tian ! Tu t'en vas ?

— Ouais. Pas en forme.

Le moins de mots possible, c'était le mieux qu'il pouvait faire. S'il se sentait plus calme, il n'était pas certain d'assurer en croisant cinquante fois Gabriel et sa chute de reins diabolique.

— Oh merde, t'es malade ?

— Sais pas. T'es bien installé ?

Le garçon hocha la tête, sautillant sur place.

— Gabriel m'a dit que mes affaires étaient arrivées, dit-il plus doucement. Je sais pas comment il a fait, ce type est comme une bonne fée. Tu sais ? Une vraie marraine.

Et son cœur, cette fois, entama une descente. J'ai des contacts, disait Gabriel l'air de rien. Malheureusement, Tian ne pensait pas qu'il s'agissait d'un joli conte qui finirait bien.

*

— Norbert, mon chéri !

— Salut m'man.

— Tu ne travailles pas aujourd'hui, je croyais que ton jour de repos était passé ?

— J'ai des dossiers à traiter, je vais faire ça chez moi.

Un demi mensonge que sa mère prit avec le sourire. Tian se laissa tomber sur la chaise qui se trouvait devant son assiette. Lorsqu'elle l'avait entendu rentrer chez lui à l'étage en dessous, elle l'avait aussitôt appelé pour le déjeuner. Une habitude qu'il avait un peu repoussée lorsque Maël était présent chez lui, malgré quelques repas qu'ils avaient partagés chez elle sur son insistance.

— Ton ami n'est pas là aujourd'hui ?

— Il a trouvé un nouveau logement.

— Oh ! Il était gentil. Un peu... particulier, mais gentil.

« Un peu de la jaquette, mais supportable », traduisit mentalement Tian. Elle n'était pas mauvaise, il le savait, mais vieux jeu. Très, très vieux jeu, avec parfois des propos qui ne passeraient pas au Manoir. Il connaissait plusieurs des garçons qui pouvaient faire une dégringolade dans leur propre enfer pour moins que ce qu'elle disait avec une innocence toute relative.

— Ouais, se contenta-t-il de dire pour éluder le sujet au plus vite. Ah, j'ai vu Annelise hier, au fait. Elle va bien.

— D'accord.

Elle ne le regarda pas, concentrée pour remuer sa petite salade.

— Maman.

— Oui ?

— Vous vous faites encore la gueule ?

Elle bougonna tout doucement.

— Ça fait bientôt cinq and, tu sais, soupira-t-il. Tu peux pas être contente pour elle ?

Elle se contenta de lever les yeux au plafond et lui tendit le saladier.

— Oh, Iris et Marie ont une sortie scolaire cette semaine, elles partent demain avec le collège, je t'en avais parlé ?

Comme d'habitude, elle changeait de sujet. Sa mère détestait peu cordialement son gendre, pour des raisons qui défriseraient la bien-pensance. Annelise faisait avec et s'en fichait royalement, vivant sa vie pour elle-même. Une force de caractère que Tian lui enviait. A sa place, elle aurait sauté cinquante fois sur la moindre occasion de se taper Gabriel, sans nul doute.

— Trois fois, renifla-t-il.

— Je suis sûre qu'elles te ramèneront un petit souvenir, ne t'en fais pas, s'amusa-t-elle.

Il soupira. A dire vrai, il espérait que les jumelles démoniaques l'oublieraient et qu'il ne serait pas obligé d'exhiber un nouveau trophée pour chaque fois qu'elles venaient chez lui, un étage plus bas.

— J'ai vu madame Hosen hier, continua sa mère tandis qu'il attaquait ses feuilles de salade en se sentant comme un lapin.

— Mh mmh.

— Mei, sa fille, tu sais ? Elle était là, elle a bien grandi.

— M'ouais ? Cool. Y a du pain dans la cuisine ?

— Oui, oui, attends, je vais le chercher.

Il se retenait de faire des commentaires, mais après six ans sans voir la fille Hosen, il espérait pour elle qu'elle n'avait plus rien à voir avec l'adolescente babillante qu'elle avait été.

— Si tu voyais comme elle est jolie à présent ! reprit-elle en posant la petite corbeille sur la table.

— Top. Sa mère doit criser avec tous les mecs en rut autour d'elle, non ?

— Non, non, pas si elle trouve un bon parti très vite.

Fixe ton assiette, vite. Il connaissait cette entrée en la matière. Pourquoi n'avait-il pas compris plus vite ?

— On dîne chez eux le week-end prochain, après le retour des filles. Leur fils a juste un an de plus qu'elles, ils pourront discuter. Oh, et j'attends de toi que tu sois plus disponible que la dernière fois.

Il grogna.

— Mais j'ai pas envie de...

— Norbert, coupa-t-elle sèchement. Nous dînerons tous ensemble chez les Hosen dans dix jours. Sois gentil et prévenant avec Mei, elle n'est pas de celles qui batifolent.

C'est-à-dire, pas comme Annelise qui faisait le mur pour se rendre en boîte de nuit et rentrer déchirée au petit matin avec un amant différent tous les samedis.

— Ne me fais pas honte comme la dernière fois, ajouta-t-elle.

Il rentra la tête dans les épaules. Donc, pas de téléphone caché sous la table pour noyer son ennui. Et obligation de parler à la douce pour faire honneur.

Pour la peine, il n'avait plus envie de baiser. Pas de suppo avant le dodo.

Quand il rejoignit son appartement, il était épuisé et se demanda s'il n'était pas réellement malade. Peut-être le poisson qui n'était pas si frais que sa mère le disait. Elle essayait sans doute de l'affaiblir en catimini pour qu'il se comporte comme elle le désirait ? Il se laissa tomber sur son petit canapé, l'assise émettant un bruit inquiétant sous son poids. Sur l'autre coussin, son sac à dos était grand ouvert et il attrapa le classeur. Au moins, il pourrait se changer les idées avec ça, songea-t-il. Mais devant les CV d'une horde de brutes qui n'avaient pas leur place dans ses équipes au Manoir, il ne sut pas vraiment que faire de cette étrange journée qu'il venait de vivre. Un peu comme s'il était décalé. Un peu comme si rien n'allait dans le bon sens.

Gabriel F. : Éric m'a averti. Tiens-moi informé. Bon repos.

Même ce message sonnait étrangement, comme si rien ne s'était passé le matin même. Peut-être était-ce le cas. Peut-être qu'il se montait la tête. Peut-être que non, Gabriel n'avait aucun intérêt pour lui, qu'il se fichait éperdument de Tian et n'émettait aucun sous-entendu ni dans son comportement ni dans ses réactions ni dans ses propos.

L'après-midi lui sembla durer des années. La soirée, plus encore. L'ennui était mortel. Il avait gribouillé des annotations sur à peu près toutes les lignes de toutes les feuilles présentant les types qui postulaient pour travailler dans son équipe, mais à présent il ne pouvait pas en faire plus.

Ting !

Allongé en travers de son lit, il grogna à la notification qui venait de faire clignoter l'écran de son téléphone. Pourquoi avait-il mis le son sur ce truc, déjà ?

Ah oui. L'application de rencontre. RedSoul. Il n'était pas vraiment d'humeur... Malgré tout, Tian se redressa, curieux. Comme il l'avait un peu espéré, ce n'était personne d'autre que cet homme mystérieux qui promettait des choses lui mettant l'eau à la bouche. Et quand il ouvrit le message, il sut que sa journée devait se finir sur cette note :

RedSoul : Serais-tu intéressé pour une rencontre ?

Et il ne savait pas vraiment qu'en penser. 

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