Chapitre 12 : Tian
— Habiter au Manoir ?
Maël croisa les bras sur son torse mince, penchant légèrement la tête dans une expression pensive. A ses côtés, le jeune Lucca avait posé le menton à même la table comme un enfant, ses grands yeux bleus levés sur les deux hommes face à lui, sa longue frange blonde tirée en arrière avec une barrette. Debout à côté de la table, Tian tentait de rester stoïque. L'idée n'était pas mauvaise, loin de là. Il savait que d'autres établissements proposaient des logements de fonction dans leurs étages supérieurs, mais il était aussi à peu près certain qu'aucun d'eux n'avaient des employés comme les leurs.
Cette pensée l'agaça aussitôt. Depuis quand sous-estimait-il tant ses jeunes collègues ? Ce n'était pas parce qu'ils étaient jeunes et en proie à leurs propres problèmes qu'ils étaient des incapables. D'ailleurs, depuis deux semaines qu'il était chez Tian, Maël le lui prouvait quotidiennement. Même s'il avait tendant à sautiller dans tous les sens et à babiller pour un oui ou un non pour attirer l'attention, le garçon était propre et ordonné. Sans parler du fait qu'il cuisinait, ce qui n'était pas désagréable du tout. Tian savait gérer une poêle, mais ce n'était pas ce qu'il aimait le plus. Il était tentant de se laisser nourrir soit avec les plats de sa mère, soit avec des trucs tout prêts qu'il allait chercher en magasin. De la merde, avait rouspété Maël en s'en rendant compte. Et après dix jours à se faire nourrir comme un prince, avec l'éventualité que cela s'arrête, il ne savait pas vraiment comment le vivre. Dommage que ce gosse ne soit pas son genre. Et qu'il soit si jeune, aussi. Comment serait-il en grandissant ? Probablement très loin des gorilles qui constituaient son équipe de gros bras. Avant même d'y penser, Tian porta son attention sur l'homme qui dirigeait la discussion. Gabriel. Sa voix était plutôt profonde lorsqu'il était concentré. Et il l'était toujours. Tian l'avait-il vu dans l'insouciance, ne serait-ce qu'une fois ? Certainement pas. Maël lui ressemblerait-il, plus tard ? Ses cheveux étaient déjà longs et son corps mince et souple était similaire, bien que beaucoup plus maigre. Il ne lui faudrait pas beaucoup pour se rattraper, s'il était entre de bonnes mains. Et ensuite ? Que ferait-il ? Continuerait-il à travailler au Manoir indéfiniment ? Chercherait-il un nouveau compagnon ? Est-ce que la peur le tiendrait ? A quel point avait-il été marqué ? Quel genre de type fallait-il pour un gamin comme Maël ?
Quel genre d'homme faut-il pour quelqu'un comme Gabriel ?
Cette pensée, aussi soudaine qu'inattendue, le fit presque sursauter. Tian eut tout juste le temps de se reprendre que le regard miel qu'il connaissait pour s'y perdre lors de leurs échanges était déjà sur lui, curieux.
— Tu voulais dire quelque chose ?
Gabriel était maquillé. Ses yeux semblaient plus profonds que lorsqu'il s'enfermait dans son bureau, si humain que Tian en avait le ventre et la libido retournés lorsqu'il y était demandé. Il savait que peu d'employés étaient conviés à le voir sans ses artifices, pour une raison qu'il ne saisissait pas. L'image, probablement. Gabriel y était attaché.
Et cette bouche.
La robe cocktail qu'il avait revêtu pour la soirée à venir glissait pour montrer ses épaules, la coupe les faisant paraître moins larges qu'elles ne l'étaient réellement. Cependant, Tian n'était pas dupe. Quatre ans qu'il scrutait ce corps sous toutes ses coutures.
— Euh, non. Non, tout va bien. Continuez.
— Très bien. Je disais donc. Il n'y aura pas que vous deux, mais vous seriez probablement les premiers à utiliser l'étage. Trois chambres sont déjà réaménagées et prêtes à l'accueil.
Tian déglutit en fixant l'homme. Si vite ? Quand avait-il eu le temps de s'en charger, au juste ? Les plans ? Les appels aux prestataires ? L'organisation ? Le planning financier ? Tian se souvenait encore clairement de leur face-à-face dans le bureau de Gabriel. Une semaine à peine s'était écoulée. Gabriel ne lui en avait pas reparlé. Avait-il déjà réellement mené le projet à bien ?
Quand, bon sang ?
Il passait ses journées à gérer les aléas du Manoir. Les fuites venaient tout juste d'être complètement résorbées et il était continuellement sur place. C'était la même chose concernant l'organisation du bal d'Halloween. Tian était tombé sur l'homme en pleine explication du projet qui se tiendrait un peu plus d'un mois plus tard. L'année précédente, la soirée spéciale Halloween avait donné de bons résultats et l'idée était un peu plus poussée cette fois.
Le matin même, les premières réceptions de produits pour le projet était là.
Et maintenant, il parlait de l'emménagement des deux benjamins de l'équipe à l'étape ?
Il avait du mal à le suivre. Dormait-il la nuit, au moins ?
Quand il se souvenait des traces sombres qui cernaient les yeux de Gabriel, le doute était permis. Son entourage ne voyait-il rien ? Quelque chose clochait avec lui. Il se faisait fréquemment la réflexion et, à chaque fois, Gabriel agissait de manière à renverser tout ce qu'il s'imaginait.
Comme ici.
Il n'avait pas le droit de resplendir ainsi. Pas maintenant. Pas avec cette voix si douce, ou encore tout ce maquillage qui lui procurait littéralement un masque pour cacher un épuisement que Tian avait parfaitement compris.
Le prenait-on pour un idiot ? Ou pour un de ces types qui se foutaient des problèmes des autres ? Il était justement là pour que les choses se passent au mieux. Et ça ne concernait pas que les employés.
Son patron aussi méritait un peu d'intérêt.
Plus qu'un peu.
— Je vous invite à y réfléchir, dit Gabriel en se levant.
Ses longues jambes apparurent dans la fente de sa robe. Tian détestait le styliste du Manoir, qui choisissait chaque jour la tenue de l'homme. Chaque détail était fait pour mettre son corps en valeur, et pourtant Dieu savait que Tian n'était pas friand de féminité.
— Maël, si tu as besoin d'aide pour... récupérer des choses, tiens-moi informé. J'ai des contacts qui pourraient s'en occuper, reprit l'homme. Lucca, ce ne sont pas mes affaires en ce qui concerne ton lieu de vie actuel, mais penses-y. Tu peux dormir dans une des chambres dès ce soir si besoin. Le reste ne demandera qu'un peu d'ajustement.
Tian s'était figé à la moitié de son discours. Des contacts ? Est-ce qu'il parlait de ce que Maël avait abandonné chez son ex ? A l'expression craintive du garçon et son discret hochement de tête, Tian sut qu'il avait visé juste. Et qu'ils en avaient parlé en amont.
Quand, bordel ?
Cette question était si redondante qu'elle le mettait sur les nerfs. Il détestait ne pas comprendre, ne pas savoir.
— Vous pouvez disposer. Vous savez où me trouver.
Avec un « Oui, Gabriel », Maël et Lucca prirent tous deux congé. L'un sautillant, l'autre roulant des hanches. Deux caractères différents, et pourtant ils s'entendaient comme des frères.
Perché sur ses hauts talons, Gabriel les suivait également des yeux jusqu'à ce qu'ils disparaissent. Le bar n'était pas encore ouvert, les deux barmen bien loin d'arriver au vu de l'heure, alors l'immense salle était le meilleur endroit pour discuter au calme. Entre l'entrée et le comptoir dudit bar, un escalier menait à l'étage dont il était question dans l'affaire.
— Tu as l'air d'avoir bien géré, lâcha soudain Tian.
Comme s'il était brusquement conscient de sa présence, Gabriel se tourna vers lui en haussant ses fins sourcils.
— Mh ? Oui, ça se passe plutôt bien.
Sans déconner.
— As-tu vu le dossier des candidatures retenues ?
Tian cligna des yeux, pris de court.
— Quoi, les candidatures ? ânonna-t-il.
— Pour tes équipes.
— Tu as fini le recrutement ?
— Tout dépend de toi, maintenant.
Quand, putain ?
— Quand est-ce que tu dors, exactement ? s'entendit-il dire.
— Je ne suis qu'un homme, Tian.
Des mots soufflés tout bas. Un sourire en coin. Un regard fatigué. Sans vraiment savoir ce qu'il attendait lui-même de cette maigre tentative d'échange, Tian regarda la longue silhouette quitter la salle, le pas rythmé par le claquement des talons. Clac, clac, clac. Les portes à doubles battants se refermèrent sur Gabriel.
Et il resta là, seul comme un con, à regarder une image qui n'était plus là. Peut-être fallait-il qu'il se ressaisisse. Avec la présence de Maël, son quotidien était un peu perturbé. Reprends-toi. Il frotta son visage de ses paumes et tourna les talons. Une clope. Il avait besoin de fumer et de se changer les idées.
A l'extérieur, , l'air était tiède et ne l'aidait pas. Il n'aimait pas particulièrement ce temps, comme si l'été avait trop pris racine et avait décidé de ne pas s'en aller. Septembre était un mois bâtard, avec une météo mitigée.
Avec un soupir, il dégaina son téléphone et ouvrit l'application habituelle. Combien de fois avait-il effectué ces gestes en dix jours, même inutilement ? Bien trop souvent. Ça lui occupait au moins l'esprit, même si son corps en resterait frustré. Du bout du pouce, il fit défiler les quelques nouveaux profils proposés pour correspondre au sien. Rien de transcendant. La même chose que chaque jour, chaque heure.
RedSoul est en ligne.
Qui était-ce, déjà ? Le profil ne lui disait rien à première vue, mais la lecture de la biographie lui fut familière, à quelques détails près. C'était ce profil plutôt anonyme et qui hurlait au dominateur peu habitué à Internet. Amusé et curieux, il le parcourut de nouveau. Visiblement, il avait matché avec plusieurs autres profils, s'il en jugeait par l'historique qui y était accolé. Pas forcément les meilleurs. Il était vraiment intéressé par ce genre d'hommes ? Il y avait autant du bodybuilder que du twink gringalet. Il devait bouffer à tous les râteliers.
Le type avait mis une photo de profil, ce qui e fit qu'accentuer sa curiosité, mais là encore une petite surprise l'attendait. Ce n'était pas exactement ce qu'il imaginait. Du noir et blanc, de longues jambes croisées. Le plan s'intéressaient principalement aux mains de l'homme, nonchalamment posées sur ses genoux. Et il avait peut-être raison, si la taille de ses doigts et leur beauté étaient à la hauteur de ce qu'il pouvait proposer. Une promesse alléchante pour beaucoup d'hommes, mais Tian aurait été plus intéressé par la courbe de son cul. Pas d'autre photo disponible. Un peu déçu de sa trouvaille, il jeta un œil sur ce qui était écrit.
Le pseudonyme n'était pas le même, mais c'était toujours mieux que « Member45729 » lorsque l'homme avait ouvert son compte.
« Respect et abandon. Anonymat total et mutuel. Pas de visage. Messages uniquement, à voir si rencontre. »
C'était devenu plus flou qu'avant, de mémoire. Plus concis. Qu'entendait-il par abandon ? Tian s'était tenu suffisamment tranquille quand il avait s'agit de Gabriel, il n'avait pas cette patience pour ses affaires personnelles. Il envoya donc un message, sa cigarette coincée entre ses lèvres.
RadiantObus : Bonsoir.
RadiantObus : Votre profil m'intrigue. De quel abandon s'agit-il exactement ? Le vôtre ? Votre partenaire ? Sous quelle forme ?
Il fallut à peine trente secondes pour avoir une réaction.
« Vu ».
Puis...
Rien.
Bâtard.
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