Mémé & Maurice
Vendredi soir, Jungkook était de mauvaise humeur. Ça le faisait royalement chier lorsqu'il devait approvisionner les rayons. Lui ce qu'il préférait faire, c'était être derrière la caisse et tenter d'analyser le quotidien des gens en fonction de leurs achats. Et potentiellement lire un magazine quelconque, aussi. Une heure auparavant -avant que Do-hyun ne lui sonne de faire le rayon papier toilette- Jungkook s'était amusé lorsqu'un lycéen, boutonneux comme pas possible, était venue à sa caisse avec une bouteille de lubrifiant, un magazine sur des collants féminin et un pack de sopalin. Il aurait presque pu hurler de rire, mais il s'était retenu. C'était le packaging complet du bon gros puceau qui n'ose pas encore aller sur des sites porno de peur que papa et maman aillent fouiller l'historique de recherche. C'était soit ça, soit un problème de contrôle parental, au choix.
Il avait vraiment fait de la peine à Jungkook, parce qu'il n'y avait franchement rien d'excitant à mater des collants sur cent pages. Il était à deux doigts de se retourner derrière sa caisse pour lui refourguer un vrai magazine cochon bien plaisant. À la place, il lui avait seulement offert un sourire compatissant. L'adolescent l'avait quelque peu mal pris. Le mec en face de lui était physiquement agréable à regarder, lui était encore dans la phase brouillon, épargne-moi ta pitié, on se revoit dans trois ans, avait-il pensé en s'emparant rageusement de ses articles avant de sortir de l'épicerie d'un pas guindé.
Jungkook se souvient de cet époque-là, celle des premiers émois sexuels, le moment où l'éveil de la chair s'élève enfin. Celle de la première branlette, du premier rêve humide, et de la première attirance. Il a été chanceux, ses parents n'avaient installé aucun accord parental sur son ordinateur. Ils n'ont pas non plus regardé son historique de recherche. En revanche. Oui, en revanche, il avait Junghyun pour frère. Ce fichu Junghyun qui était scandalisé à chaque fois que son regard curieux se posait sur une vitrine de magasin de lingerie. Junghyun qui n'arrêtait pas de le secouer lorsque ses mirettes se perdaient sur des corps à moitié dénudés à la plage. Son foutu grand frère qui, alors qu'il était âgé de quinze ans à l'époque, lui disait gaiement d'aller s'amuser dans la piscine à boules du fast-food.
Si Jungkook n'avait pas connu Sora, aucun doute qu'il serait lui aussi en train de se dégorger le poireau devant des portes-jarretelles à l'heure actuelle. Ça, plus des rendez-vous chez le psy, à son avis. Dieu soit loué, au moins un truc pour lequel ce connard avait été utile.
Jungkook laisse son esprit s'égarer au loin, à une époque lointaine. Il repense à ce que Sora a été pour lui, à ce qu'il sera toujours malgré lui. Un goût amer s'empare de son palais lorsqu'il réalise qu'il sera toujours là. Il repense au fait qu'avant de rencontrer Namjoon, Jimin et ses amis, Yoongi, Junghyun et lui avaient connu Sora et Soren. Ils avaient grandi ensemble, avaient fait les quatre cents coups et avaient parlé des nuits durant de tout et de rien à la vue des étoiles. Cette époque lui paraît tellement lointaine désormais. Peut-être que tout aurait été différent s'il n'avait pas avoué à celui qui fut son monde ses sentiments ambiguës. Peut-être que s'il n'avait rien dit, à ce moment-là, alors cette facette malsaine de Sora ne serait jamais apparue.
Lorsqu'une main se dépose sur son épaule, il sursaute brusquement avant de se tourner vers une dame âgée qui le regarde, les yeux brillants de malice.
-Eh bien, jeune homme, ça fait au moins trois fois que je vous appelle.
Jungkook bats des cils avant de s'excuser maladroitement. Il lui demande poliment si elle a besoin de quelque chose et celle-ci semble sauter sur l'occasion en caressant longuement son bras.
-J'ai besoin de votre aide. Je n'arrive pas à choisir mes avocats.
Mémé, si tu sais plus tâter des légumes il va falloir consulter, quand même, se retient-il de dire. Il passe outre l'excuse de la vieille femme qui lui explique qu'elle n'a plus assez de force dans les mains pour palper les avocats. Jungkook se relève prestement avant de l'emmener dans le rayon tant convoité, passant devant la caisse où Yugyeom s'amuse à faire des grimaces à travers la surface grise métallique. Celui-ci arrête de faire le guignol lorsqu'il voit le regard du fossile détailler sans vergogne le cul de son pote. La situation était intéressante, là.
-Il vous en faut combien ?
-Cinq, minaude-t-elle.
Elle a la bouche tellement grande ouverte que Yugyeom craint de voir son dentier se faire la malle sur le sol. Il a franchement pas envie que cela se produise tout en sachant qu'il a passé la toile y'a même pas une heure. Jungkook hoche la tête et commence à presser les avocats entre ses mains, les sourcils froncés, comme si c'était le truc le plus dur de son existence et que ça nécessitait toutes ses capacités mentales. Lorsqu'il trouvait un avocat pas trop mûr, il le foutait dans le sac en plastique avec une violence à peine dissimulée, comme si ces malheureux étaient les coupables de toutes ses peines.
-Vous avez un bon doigté apparemment.
Oh Seigneur. Jungkook se retient presque de pleurer. Il fait mine de ne pas comprendre le sous-entendu de la vieille femme derrière lui. Pourtant, il était bien là. Yugyeom ricane doucement derrière sa caisse et le noiraud le foudroie du regard. Il se retourne ensuite vers la grand-mère et celle-ci l'observe comme s'il était son potage sans morceaux du soir. C'est franchement malaisant. L'étudiant en marketing trouve ça flatteur de savoir qu'il plaît, mais là c'est quand même mémé, quoi. Il ne sait pas si c'est le fait d'être en fin de vie qui lui donne des ailes, mais il doit reconnaître qu'elle a du culot.
Il se retient de lui dire que les rendez-vous à base de coloscopie ou bingo le dimanche sont loin d'être sa came. Tenter des nouveaux trucs, sexuellement parlant, ouais c'est cool, mais il ne pense pas forcément à ce genre-là. Ça c'est pas du sexe, c'est une fouille archéologique. Il est bien trop vigoureux pour cette vieille dame qui ne va peut-être même pas passer la prochaine canicule. Juste une caresse et il est sûr qu'elle sera desséché. Cette pensée lui donne un frisson d'effroi. Il lui sourit maladroitement avant de s'excuser pour s'extirper en direction de la réserve. Mais c'était sans compter sur mamie qui a franchement envie de s'envoyer en l'air avec un jeunot.
-Ce n'est pas vous qui m'encaissez ?
Jungkook observe la vieille feuille tremblante qui lui sert de main posée sur son biceps. Là, il commence à être légèrement irrité. Il jette un regard suppliant à Yugyeom, mais celui-ci est bien trop ravi par ce spectacle pour faire quoi que ce soit.
-Non, ce sera mon collègue.
À cette réponse sèche, la vieille dame griffe légèrement sa peau. Elle se rapproche de lui, l'air bien triste.
-Ah, mais peut-être que...
Jungkook sent qu'il va bientôt exploser. Trop, c'est trop. Grand-mère, si tu veux que je t'emmène au septième ciel, tu risques bien d'y rester. Il est à deux doigts de lui cracher à la figure lorsque Yugyeom arrive devant eux, tout guilleret.
-Laissez-moi prendre vos articles, madame.
Poli, et courtois, celui-ci s'abaisse pour s'emparer du sac en plastique, mais mémé ne l'entend pas de cette façon. Yugyeom a à peine frôlé ses doigts fripées que celle-ci lève son sac en plastique dans les airs avant de l'abattre sur sa tronche.
-Me touchez pas, malotru !
Yugyeom ne pensait pas un jour se manger des avocats dans la gueule, mais il est dans la vingtaine donc tout est encore possible. Il trouve quand même vachement gonflée que cette vieille soit scandalisée par un malheureux frôlement alors qu'elle harcèle Jungkook qui a au moins trente ans de moins qu'elle depuis au moins dix bonnes minutes. Le brun n'est pas con, il sait comment sont les vieux. Il a envie de lui donner une bonne leçon. Lorsqu'il voit Jungkook à ses côtés, l'air franchement blasé et aussi réactif qu'un rat crevé, il sourit avant de s'avancer vers lui. Le noiraud n'a le temps de rien faire qu'il voit Yugyeom s'approcher à la vitesse de l'éclair avant de plaquer fermement sa bouche contre la sienne.
Yugyeom était un être humain étrange avec des réactions tout aussi étranges. Chaque action débile qu'il faisait, il la fait à fond. C'est pour ça que Jungkook n'est pas franchement étonné lorsqu'il sent les dents de son ami mordiller sa lèvre inférieure. Le brun à deux neurones fourre ses mains dans ses mèches ondulées avant de soupirer lourdement contre ses lippes d'une façon quasi obscène. Yugyeom est carrément à fond dans sa mascarade et, putain, Jungkook ne peut pas s'empêcher de se dire que Hoseok et lui sont forcément âme soeurs. C'était beaucoup trop grave de se ressembler autant. Lorsqu'il voit du coin de l'œil la silhouette de la vieille dame sortir de l'épicerie, l'air écoeurée, il repousse doucement son ami. Yugyeom tourne alors la tête et affiche un air outré.
-Elle a volé les avocats !
Jungkook hausse les épaules, prêt à repartir dans son rayon papier cul, comme si une grand-mère ne lui avait pas fait du rentre dedans et que Yugyeom ne l'avait pas embrassé, tout ça en l'espace d'un quart d'heure.
-Laisse-la, on s'en fout.
Jungkook n'en avait franchement rien à foutre qu'elle vole cinq malheureux avocats. Yugyeom détaille l'air anéanti de son ami et s'approche de lui, inquiet.
-Ça va pas ?
-Si, je vais juste au rayon détergent pour nettoyer ma bouche, ricane-t-il.
Yugyeom voyait bien que quelque chose n'allait pas chez son ami. Doucement, il enroule ses bras autour de sa taille et le berce, son grand bébé d'amour.
-Dis tout à tonton Yugyeom.
Jungkook sourit doucement à cette appellation. Il l'aime bien, ce grand con. Cependant, il ne peut pas nier que cette situation avec cette vieille femme l'avait quelque peu attristé.
-C'est rien, c'est juste..., il se mord la lèvre inférieure, hésitant. Je devrais avoir l'habitude de ce genre de choses, mais c'est assez ennuyeux à la fin.
Yugyeom lève la tête et fronce les sourcils. Son regard plonge sur l'étendue du beau visage de son compagnon de calvaire. Il n'aime pas vraiment les paroles de Jungkook.
-Tu devrais être habitué à être sexualiser de cette façon ?
Jungkook hausse mollement les épaules en réponse. Oui, ça lui arrivait assez souvent, ce genre de choses. Cette vieille l'avait sexualiser, Hyun-su l'avait fait et Sora avait été le premier. Il devrait presque considérer ça comme quelque chose de normal, mais il a l'impression de n'être rien à côté de ça. Il a la sensation que c'est la seule chose que les gens voient en lui.
-C'est faux, Jungkook. Les gens n'ont pas à te voir que comme ça, ils n'en valent pas la peine.
Le noiraud referme les bras autour de son ami. Ils ont l'air un peu cons comme ça, à être enlacés au beau milieu du rayon fruits et légumes. Yugyeom tapote quelques instants son dos avant de reculer doucement.
-Moi j'suis sûr qu'il y a quelqu'un qui t'aime vraiment.
Jungkook doutait vraiment de ça, c'était peut-être un peu trop beau pour être vrai. Mais ça devait être plaisant, de se faire aimer réellement.
-Si ça se trouve, il y a une personne qui rêve d'être avec toi, de te voir sourire, rire, et qui veut juste faire un truc aussi couillon que regarder un film sous la couette avec un chocolat chaud et tous ces trucs-là.
Jungkook lui sourit maladroitement. C'était un sentiment merveilleux, que de se faire aimer. Mais ce qui était encore mieux, c'était d'aimer la personne en retour. Si lui n'était pas amoureux, à quoi ça servait en fin de compte ? Quel dommage que les sentiments ne puissent pas se contrôler.
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Ce samedi matin, Hoseok se réveille aux environs de onze heures, après une nuit bien reposante. Là, tout de suite, ses batteries sont rechargées. Il avait réduit à néant toute la fatigue accumulée de la semaine. Il reste environ cinq minutes dans son lit, à regarder le plafond, à penser au sens de la vie, aussi, avant de se lever pour rejoindre la salle de vie. Il était heureux, c'était le week-end et la fête d'Halloween approchait à grand pas. Rien n'aurait pu entacher sa bonne humeur. Rien. Sauf une chose
Lorsqu'il pénètre dans le salon avec sa tasse de café fumante, son sourire dégringole légèrement à la vue qui lui fait face. Taehyung est assis près de la table à manger, griffonnant dans son carnet à dessin. Ses jolis cheveux argentés sont retenus par une mignonne barrette avec des coccinelles et ses lèvres sont pincées sous la concentration. Lorsque le rouquin s'approche pour voir ce qu'il dessine, il se retient de soupirer. C'était Jungkook, évidemment. Au moment où il lève le regard, il aperçoit la silhouette de Jimin avachi sur le canapé devant une émission plus qu'étrange. Il a l'air d'une véritable loque humaine.
-Tu regardes quoi ? demande-t-il.
Le blond ne prend pas la peine de le regarder ou de lui souhaiter un bonjour. Non. Son regard reste scotché sur l'écran de télévision comme une ménagère devant une émission de télé-achat merdique.
-Un documentaire sur Jésus ou un truc du genre, répond platement Jimin.
D'accord, pense Hoseok. Ces deux garçons lui faisaient franchement de la peine. L'un s'amusait à esquisser les traits de celui qu'il aimait depuis maintenant deux semaines sans cependant oser s'excuser pour arranger la situation et l'autre avait commencé à se cultiver sur la religion pour s'approcher de son béguin. C'était quoi toutes ces putains de conneries ? Ça faisait deux semaines que ses deux colocataires agissaient de manière franchement incompréhensible.
-Arrête de solliciter Jésus, c'est pas ton pote, tranche-t-il.
-Écoute, j'ai lu un article comme quoi il aurait pu potentiellement être gay, donc je pense qu'on peut devenir amis.
Hoseok se retient de lui demander la source de ces foutaises parce qu'il sent que la réponse ne va faire que le dépiter un peu plus. Franchement, pourquoi ils réagissent comme ça ? Au même moment, Taehyung jure parce que la mine de son crayon vient de se casser. Le joli étudiant en art se précipite sur le taille-crayon reposant dans sa trousse pour fignoler les détails de la chevelure du noiraud qui hantent ses pensées.
-Taehyung, tu n'es toujours pas aller voir Jungkook ?
En réponse, le grisé grogne et se penche un peu plus sur son dessin. Son expression est franchement irritée.
-La tentative d'il y a deux semaines a été vachement concluante.
Hoseok se retient de lever les yeux au ciel. Oui, évidemment, ils avaient tous été mis au courant du fait que Jungkook l'avait envoyé baladé lorsqu'il avait tenté de s'excuser. En même temps, Taehyung avait osé dire qu'il avait une bonne raison pour l'avoir traité de pute. Grave erreur.
-Je n'arrive pas à lui dire, c'est au-delà de mes forces. Je n'ai pas le courage, je ne suis pas prêt et...
-Mais de quoi tu parles ? le coupe Hoseok.
Le grisé relève la tête avant de froncer les sourcils. Pourquoi Hoseok semblait-il aussi perplexe ? C'était pourtant évident de quoi il parlait.
-Bah, de lui avouer mes sentiments.
Oh mais quelle brêle, se lamente Hoseok. Il soupire dramatiquement avant de boire une gorgée de son café. Au loin, il entend que Jésus était apparemment en train de se faire salement trahir par Judas. Il se masse les tempes, voyant sa bonne humeur s'évaporer doucement.
-Tae, on te demande pas d'aller lui dire que t'es amoureux de lui et que tu veux lui sucer la bite, là, grogne-t-il, mais de t'excuser pour ce que tu lui as dit. C'est tout.
Taehyung ouvre la bouche quelques secondes avant de la refermer, ébahi. Hoseok n'avait pas tort. Il n'était pas obligé de lui dire ses sentiments, mais juste de s'excuser pour son comportement exécrable. Il pouvait lui expliquer la raison, mais pas entièrement. S'il n'avait pas réussi à s'excuser, il y a deux semaines, c'est parce qu'il voulait tout lui révéler. Mais il ne s'en sentait pas encore capable. En voyant son expression, Hoseok ricane doucement.
-Tu n'y avais pas pensé, hein ? s'amuse-t-il.
Taehyung hoche lentement la tête. Bien, pense l'étudiant en théâtre. Il faisait doucement bouger les choses. Évidement que le grisé n'était pas obligé de tout lui déballer, c'était compréhensible. Ça demandait du courage. Hoseok ne disait pas que Taehyung n'avait pas de courage, mais il savait qu'il était juste trop timide pour l'avouer de but en blanc.
Laissant l'étudiant en art dans ses pensées, il se lève, s'apprêtant à se débarrasser de sa tasse. Cependant, il oublie un certain problème. En voyant la silhouette amorphe de Jimin, il sourit doucement.
-Si tu lui avais demandé, Jimin, tu saurais que Yoongi n'est pas croyant, c'est sa famille qui l'est.
Jimin tourne vivement la tête vers lui, les yeux écarquillés. Putain, ça pour une révélation, c'en était une. Cela faisait des jours qu'il s'imaginait que Yoongi priait dans son lit tous les soirs, qu'il allumait des cierges à l'église, ou que, gamin, il avait fait partie du chœur lors des messes du dimanche. Mais Yoongi n'était pas croyant, sa famille l'était, bordel. Après tout, il était le meilleur pote de Jungkook qui était ouvertement bi et il l'avait supporté pendant un an faire ses blagues graveleuses sans montrer de réel dégoût. Il n'avait aucune jugeote, des fois.
-Comment tu sais ça ?
Hoseok hausse les épaules s'apprêtant à sortir.
-On en a parlé lors d'une soirée. Je lui ai dit que je ne croyais pas en Dieu et il m'a confié que lui non plus. En revanche, il a lourdement planer sur son enfance. Yoongi n'a pas l'air d'avoir une famille franchement facile.
Jimin avait complètement laissé de côté son documentaire parce que - merde- son messie était juste devant ses yeux. Il avait l'apparence d'un rouquin un peu maboul qui s'amusait à répéter ses textes de théâtre à la plante verte du salon et qui pensait que les labyrinthes derrière les boîtes de céréales étaient un vrai casse-tête. Le monde était décidément plein de mystère.
-Je ne dis pas que tu as forcément toutes tes chances avec lui, reprend-il. Mais peut-être que s'il est aussi réticent envers toi, c'est pour te protéger.
Hoseok ne se rend même pas compte des regards de pure admiration que lui lancent ses deux colocataires. À leurs yeux, l'étudiant en théâtre est la parole de la sagesse. Il est clairement leur salut. Ils sont à deux doigts de se précipiter sur lui pour lui baiser les pieds. Hoseok vient de se réveiller, et il règle tous leurs maux. La seule chose qui leur viennent en tête c'est pourquoi seulement maintenant ?
-Au fait, Seokjin veut que vous alliez chercher vos costumes. La soirée d'Halloween est la semaine prochaine.
Les deux garçons hochent bêtement la tête et Hoseok sort alors de la pièce en sifflotant. Quel était ce puissant Zéphyr qui venait de faire son apparition et chambouler cette routine morose qui s'était installée dans leurs vies pour partir comme si de rien n'était ? Les deux meilleurs amis se dévisagent longuement, semblant communiquer par la pensée. Ça leur arrivait, parfois.
-Je vais aller chercher les costumes, assure Jimin.
Taehyung hoche la tête. Oui, aujourd'hui il avait quelque chose de bien plus important à faire. Il remercie silencieusement son meilleur ami et se retourne pour détailler quelques instants son dessin. Aujourd'hui, il allait s'excuser et régler la situation.
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L'une de ses anciennes partenaires lui avait dit un jour être agréablement surprise en voyant les innombrables livres qui croulaient dans sa bibliothèque. Jungkook avait été encore plus surpris en entendant ces mots. Il ne voyait pas ce qu'il y avait d'étonnant à ce qu'il lise, jusqu'à ce que cette jolie fille ne lui explique le fond de sa pensée.
"Ne le prend pas mal, mais quand on te voit, on s'imagine pas tout de suite que t'es le genre de mec qui aime lire, tu vois ?"
Non, Jungkook n'avait pas saisi. Il fallait avoir une apparence particulière pour lire des bouquins, maintenant ? Ce commentaire l'avait quelque peu renfrogné. Franchement, qu'est-ce que les gens s'imaginaient à son propos ? Que c'était un briseur de cœur qui foutait le bordel en cours, avait des notes merdiques et qui lisait que les notices sur les boîtes de pilule du lendemain ? Il croyait rêver. Non, Jungkook aimait lire, de tout d'ailleurs. Il n'avait pas de style préféré. Du moment que l'histoire le transportait, il s'en fichait qu'il y ait des meurtres, un dragon, ou que sais-je dans son récit.
Cet après-midi, Jungkook lisait Maurice, l'histoire d'un jeune bourgeois londonien du début du XXème siècle, intelligent et sensible, qui se lie d'une tendre amitié avec un de ses condisciples, Clive. Des sentiments qui se transforment peu à peu en amour, mais dans la société victorienne, l'homosexualité, considérée comme pêché, est passible de prison. En bref, un truc bien gay. Il aimait bien l'histoire, même s'il pressentait déjà la fin tragique. Il était carrément happé par sa lecture.
Il est presque à deux doigts de pleurer sur un passage particulièrement émouvant lorsque sa porte s'ouvre violemment, le faisant sursauter. Il en fait presque tomber son livre. Ses yeux s'écarquillent lorsqu'il voit Taehyung sur le pas de sa porte, rouge et essoufflé. Je rêve, pense-t-il.
Mais non, Jungkook ne rêvait pas. Après sa discussion avec Hoseok, l'étudiant en art avait pris une bonne résolution. Il s'était hâté à la base avant de se souvenir qu'il risquait de potentiellement tomber sur Min Yoongi, aka le mec qui voulait sa peau. Qu'elle ne fut pas son soulagement, lorsque c'est Namjoon qui lui ouvrit. Le grisé avait formulé maladroitement sa requête et le plus âgé n'avait pas franchement attendu qu'il finisse de s'expliquer avant de le laisser passer, agacé lui aussi par toute cette situation. Taehyung avait vraiment eu de la chance.
Alors, voilà, il se retrouvait dans la chambre du garçon dont il était amoureux, stressé et essoufflé. Il détaille quelques instants la pièce, légèrement en bordel, avant que son cœur ne se réchauffe en voyant Orgueil & Préjugés de Jane Austen qui dépasse de la grosse bibliothèque. Lui, ne pense pas un seul instant que c'est surprenant ou bizarre. Il se demande simplement comment fait Jungkook pour avoir l'air de plus en plus parfait à ses yeux. Il adorait Jane Austen, lui aussi. En réalisant ce point commun autre que la musique, un sourire niais se dessine lentement sur ses lèvres.
Mais le cœur de Jungkook ne se réchauffe absolument pas. Au contraire, il se glace. Il se demande ce que l'étudiant en art fout dans sa chambre et surtout de quel droit il se permettait de débarquer sans s'annoncer, en plus. Au fond de lui, il était légèrement honteux que Taehyung voit à quel point il était négligé. Il ne s'attarde pas sur son sourire adorable et se redresse précipitamment.
Lorsque Taehyung voit Jungkook commencer à se relever, sûrement dans le but de pousser une gueulante, celui-ci panique et se précipite sur le lit avant d'enjamber le matelas à toute vitesse. Sans que Jungkook n'ait rien vu venir, le grisé s'assoit sur ses cuisses et plaque sa main si fermement contre sa bouche que sa tête cogne contre le mur derrière lui. Il grogne de douleur avant d'ouvrir les yeux et de fusiller Taehyung du regard. La respiration hachée du joli garçon face à lui s'échoue lourdement sur son visage et le noiraud ne pense à rien d'autre qu'à Taehyung assis sur ses cuisses. C'était quoi, cette situation ? Son regard se perd sur ses joues rougies, ses grands yeux inquiets, ses cheveux, avant qu'il ne remarque quelque chose de bien curieux. Qu'est-ce que... Malgré lui, un sourire amusé prend lentement place sur ses lèvres. Sourire que Taehyung ne voit pas.
Celui-ci ne réalise même pas la position ambiguë et gênante dans laquelle il se trouve. Il avait simplement agi par instinct. Il ne fallait pas que Jungkook lui échappe. À cette pensée, il déglutit franchement avant de prendre la parole d'une voix timide.
-J'ai été horrible de te dire ça, je sais. Je suis désolé de t'avoir blessé et je t'assure que je m'en veux énormément. Il n'y a aucune bonne raison qui justifierait que je t'insulte de pute. C'est juste que...
Taehyung détourne légèrement le regard et Jungkook hausse un sourcil, curieux. Le grisé ferme quelques instants les paupières, prêt à être honnête. À moitié.
-C'est juste que tu as rigolé, quand tu as su ce que Bogum pensait de nous et, hum, ça m'a blessé parce que j'ai pensé que tu te moquais de moi. Je croyais que tu trouvais l'idée répugnante et grotesque et...
Avant que Taehyung n'ait pu finir, Jungkook retire brusquement sa main de sa bouche et serre son poignet entre ses doigts. Le grisé voit que ses explications ne sont pas franchement géniales puisque le noiraud à l'air fortement contrarié.
-Mais tu me prends pour quelle genre d'ordure, Taehyung ? grogne-t-il.
Jungkook avait déjà entendu des excuses débiles, mais celle-ci c'était la pire. C'était la pire parce qu'en plus d'être débile, elle était sûrement vraie. Oui, il avait ri ce jour-là après avoir entendu les propos de Bogum, mais c'était un putain de rire nerveux. Il n'allait pas expliquer à Taehyung qu'il avait gloussé comme un con parce que des images peu catholiques s'étaient glissées dans son esprit. C'était stupide et c'etait vraiment sous le coup de la surprise. À cette question, le joli garçon assis sur ses cuisses rougit doucement avant de baisser la tête.
-Ce n'est pas ça, c'est juste que tu es beau garçon, donc je peux comprendre que l'idée que quelqu'un pense que...qu'on a ce genre de relation, puisse être insultant, balbutie-t-il.
Jungkook bats lentement des cils, ébahi. En vingt-et-un ans de carrière, c'était la plus grosse connerie qu'il n'ait jamais entendu. Il en avait tout simplement le souffle coupé. Il était même carrément à court de mots. Taehyung n'ose pas relever la tête, honteux. Jungkook comprend alors que, par le passé, quelqu'un avait infiniment blessé ce petit chaton assis docilement sur ses cuisses. Quelqu'un l'avait amené à penser qu'il ne valait rien. Jungkook soupire lourdement avant de pencher doucement la tête en arrière, admirant quelques instants l'être vulnérable en face de lui.
En fait, c'était le contraire, il se sentait même quelque peu flatté de savoir que quelqu'un pensait naïvement que Taehyung et lui pouvaient avoir ce genre de relation. Évidemment, il ne le lui dira pas. Il commence peu à peu à comprendre les raisons de Taehyung. Même si elles sont incompréhensibles, Jungkook comprend qu'elles ne sont que le résultat d'une âme brisée, d'un être qui se déteste lui-même et qui s'imagine que le monde entier pense qu'il n'a rien pour plaire.
Oui, il l'avait insulté de pute et pourtant, Jungkook ne pouvait pas laisser quelqu'un dévaloriser ainsi sa propre existence. Ça le tuait de savoir que l'étudiant en art avait si peu confiance en lui qu'il concluait de manière tout à fait irrationnel qu'il avait pu se moquer de lui ou le juger. Combien de fois Taehyung avait du psychoter chez lui, seul dans sa chambre, parce que deux personnes s'échangeaient un secret devant lui ou pour un regard un peu trop appuyé ? À quel point le démon qui rongeait son âme pourrissaient sa vie ? Il voulait rétablir ça, au moins un minimum.
-Tu es beau, Taehyung. Tu as de jolis yeux.
Taehyung relève vivement la tête avant de détailler Jungkook, confus. Mais le noiraud se contente de le fixer, l'expression indéchiffrable.
-Tu as des joues adorables, elles se colorent souvent, on dirait des brioches avec de la confiture de fraise.
À ces mots, il rougit vivement, faisant lentement sourire Jungkook. C'était un sourire doux, privé et sincère.
-Quand tu souris, les couleurs autour de toi semblent un peu plus vives.
Taehyung baisse la tête, ses rideaux de cheveux argentés venant cacher le sourire niais qui s'étale doucement sur ses lèvres.
-Je sais que je t'appelle Gandalf, mais ta couleur de cheveux est très belle et te va très bien.
Taehyung sent les larmes poussées au coin de ses yeux. Sans pouvoir l'empêcher, ses doigts serrent fortement le t-shirt de Jungkook. Il crève littéralement d'amour pour le mec en face de lui.
-Je t'appelle cinnamon boy parce que tu dégage une odeur de cannelle et que c'est apaisant.
Oui, Jimin lui avait déjà dit. Il a cette odeur depuis toujours, elle provient de son gel douche. Il n'avait jamais changé depuis que Jimin lui avait dit, lorsqu'ils avaient six ans, que cette odeur sucrée lui donnait envie de le croquer. Jungkook se tait quelques instants avant que son sourire se ne fasse bien plus franc.
-Et je trouve que ta barrette est très mignonne.
À ces mots, Taehyung écarquille vivement les yeux. Non, il n'avait quand même pas...Lorsqu'il amène précipitamment sa main à ses cheveux, il réalise qu'il avait oublié d'enlever sa barrette avec ses petites coccinelles. Ça voulait dire que non seulement Jungkook et Namjoon l'avaient vu comme ça, mais aussi tous les gens qu'il avait croisés dans la rue ? Il voulait mourir de honte. Il la touche maladroitement avant que Jungkook se redresse et ne vienne délicatement retirer sa main. Lorsque le beau noiraud voit que la barrette est de travers, il la détache lui-même des cheveux argentés de Taehyung. De son autre main, il remet correctement ses quelques mèches en arrière avant d'y faire glisser tendrement les petites coccinelles.
-C'est putain d'adorable, murmure-t-il, ébahi en voyant l'accessoire prôner fièrement sur sa tête.
Taehyung vient effleurer timidement sa barrette en souriant doucement. Rien qu'avec ces simples mots, ces petites coccinelles deviennent sa barrette favorite.
-J'aime bien les porter lorsque je dessine, parce que sinon mes cheveux viennent me gêner, chuchote-t-il.
Jungkook a l'impression que son cœur devient une sorte de grosse guimauve toute collante. C'était impossible que quelqu'un d'aussi doux et mignon puisse exister. C'était d'autant plus irréel que Taehyung pouvait paraître autant adorable que franchement chiant. Cette dualité était saisissante. Il aimait bien lorsqu'il était comme ça, comme il aimait lorsqu'il était ronchon et répondait à ses taquineries de manière cinglante.
-Je suis vraiment désolé, pour...tu sais...
-D'accord, répond Jungkook.
Il n'avait plus envie d'en reparler. Taehyung s'était excusé et semblait réellement sincère. Il avait eu le courage de venir le voir dans sa chambre en sachant que s'il ne l'avait pas ingénieusement maîtrisé, il aurait pu l'envoyer balader. Jungkook appréciait. D'ailleurs, il se rappelle soudainement de leur position. Il observe quelques instants Taehyung assis, qui le détaille de son regard brillant et plein d'innocence, avant de se racler la gorge.
-Est-ce que tu peux te pousser ?
Taehyung avait la bouche grande ouverte. Il n'arrivait pas à croire que Jungkook lui pardonnait. C'était beaucoup trop beau. Tout n'était pas perdu. Il admire précieusement ce beau garçon à travers ses longs cils. Ce si beau garçon qui, non seulement lui avait pardonné, mais l'avait couvert de doux compliments qui avaient eu le mérite de mettre son coeur en émoi. Le noiraud doit avouer que ce regard lui retourne l'estomac. Il réitère alors plus fortement sa question. Taehyung semble revenir à lui. Il balbutie des paroles inintelligibles avant de se pousser sur le côté. Assis sur le matelas, il détaille alors le bouquin posé à côté de l'étudiant en marketing.
-Hum, qu'est-ce que c'est ? demande-t-il.
Jungkook fronce les sourcils avant de suivre la direction que son doigt pointe. Il s'empare du livre avant de sourire gaiement. Taehyung est ébahi par ce sourire enfantin, carrément attendrissant, même. Le noiraud se met alors à lui parler de l'histoire avec passion et l'étudiant en art se perd bien plus dans sa contemplation que dans ses explications. Jungkook est simplement rayonnant, lorsqu'il parle de quelque chose qu'il aime, et c'est la première fois qu'il découvre cette facette de lui.
-Tu veux que je te lise mon extrait préféré ?
Il y a les étoiles du ciel, et celles-ci sont belles, mais si Taehyung devait être honnête, il dirait que celles qui peuplent le regard de Jungkook sont plus merveilleuses encore. Ses yeux, d'habitude si sombres, semblent s'être métamorphosés, éveillant en eux un univers infini de secrets et de beauté. Dans un autre monde, peut-être que Taehyung lui aurait simplement arraché son livre avant de grimper sur ses cuisses pour fondre son corps contre le sien et s'emparer de ses lèvres avec passion. Mais pas dans ce monde-là. Dans ce monde-là, l'étudiant en art se contente de hocher timidement la tête. Jungkook semble ravi. Il ouvre son livre, noyant alors les murs de sa chambre de sa voix angélique.
-Il entraîna le bien aimé le long d'une voie étroite et sublime, très loin au-dessus de toutes les contingences. Rien sinon la mort, n'interromprait leur course, et quand enfin les ténèbres descendraient sur eux, ils auraient au moins vécu plus pleinement que n'importe quel saint ou sensualiste, et exprimé jusqu'à son essence toute la noblesse et la douceur du monde.
Jungkook était juste putain de parfait. Taehyung ne voyait pas cela autrement. Ces mots avaient planés dans l'air avant de pénétrer son être jusqu'au fond de son âme où ils s'étaient logés pour ne plus jamais en ressortir. Le grisé se demandait franchement comment un garçon comme Jungkook pouvait-il être célibataire.
-C'est beau, n'est-ce pas ?
Le regard de l'étudiant en art divague quelques instants sur son visage avec délice avant qu'il ne longe son corps de divinité grecque.
-Super beau, répond-t-il de manière évasive.
Il rougit en remarquant que le t-shirt de Jungkook était légèrement relevé et laissait apparaître la bordure de son caleçon ainsi qu'un fragment de ses abdos bien dessiné.
-Essayons de devenir amis, Taehyung.
Le susnommé relève brusquement la tête. Il voulait qu'on devienne quoi ? Ce n'était pas possible. C'était la pire situation possible. Taehyung ne voulait pas être ami avec lui. Il voulait le toucher, l'embrasser...Il voulait que Jungkook soit son petit-ami, pas son pote. Cependant, lorsqu'il voit l'expression déterminée du noiraud, il ne trouve pas le courage de lui dire toutes ces choses. Parce que Jungkook semblait réellement vouloir être ami avec lui.
-D'accord, répond-t-il alors d'une voix mal assurée.
Il ne le sentait pas du tout.
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Lisez Maurice d'E.M Forster 🔫 Y'a aussi le film sinon.
Vous pensez que c'est facile ? Attendez la scène de la déclaration * se frotte les mains*
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