L'art du noir et blanc
Pour faire logiquement suite au chapitre sur la couleur, un chapitre sur... le noir et blanc.
C'est une caractéristique qui, j'ai l'impression, rebute beaucoup de gens quand il s'agit de regarder un film. Parce qu'elle s'accompagne souvent d'un préjugé : le noir et blanc, c'est dans les vieux films. Et les vieux films, ça aussi, ça rebute beaucoup de gens. Ce qui est bien dommage, quand on constate l'immensité du patrimoine cinématographique mondial, qui recèle de nombreux chef d'œuvres ! Mais j'aurai certainement l'occasion d'y revenir.
Le noir et blanc, c'est d'abord une contrainte technique, comme en photographie. Comme indiqué dans le chapitre précédent, il existe des méthodes pour « teindre » la pellicule, mais la plupart des films d'avant les années 1940 sont tournés dans un noir et blanc plutôt gris.
Pour autant, cela ne limite pas les possibilités de réaliser des images magnifiques. La subtilité du jeu des ombres et des lumières permet de mettre en valeur les acteurs et/ou les décors de façon toute aussi fascinante que dans les films en couleurs, si ce n'est plus. En effet, le noir et blanc donne à voir le monde d'une manière qui n'est pas naturelle et est, en somme, porteur d'une atmosphère assez unique. Plus ou moins palpable selon la qualité de la photographie, de la lumière et, évidemment, de la vision du réalisateur.
L'Aurore (Friedrich Wilhelm Murnau, 1927)
On peut aussi considérer le noir et blanc comme le « symbole » d'une époque. Bien que la couleur au cinéma fasse son apparition des les années 1930, il faut attendre les années 1950 et 1960 pour que le Technicolor se répande encore davantage, bien qu'il reste surtout privilégié par les grosses productions telles que les péplums de grande envergure ou certains films de guerre.
Ainsi, beaucoup de genres cinématographiques s'en tiennent toujours au noir et blanc. De fait, c'est moins contraignant pour le budget et cela permet probablement aux réalisateurs d'avoir plus de contrôle sur leur film.
Mais c'est aussi un privilège, dans la mesure où l'absence de couleur permet justement de jouer sur d'autres aspects de l'image pour lui conférer un cachet unique. Les ombres, les lumières, mais pas seulement. Les angles de caméra peuvent aussi être exploités pour créer des images singulières : c'est là-dessus que joue Carol Reed dans son merveilleux Troisième Homme, en proposant des prises de vue inhabituelles, renforçant l'ambiance très noire de son long-métrage.
Le Troisième Homme (Carol Reed, 1949)
Plus haut, j'évoquais l'amalgame fréquent entre le noir et blanc et l'âge des films. Ce n'est pas forcément judicieux, car il existe tout à fait des films récents qui emploient eux aussi le noir et blanc !
Cela peut être pour plonger le spectateur dans une époque révolue, qu'il ne connaît justement que sans couleurs, à travers de vieilles photographies. Le Kafka de Steven Soderbergh s'applique ainsi, grâce à cela, à faire non seulement renaître la Prague des années 1920, mais aussi à mettre en image l'univers littéraire indescriptible, très « gris » finalement, de l'écrivain Franz Kafka.
Kafka (Steven Soderbergh, 1991)
L'on peut aussi y déceler des raisons davantage liées à la forme du medium cinématographique et à l'usage qui en est fait selon les genres.
Le film noir, qui porte bien son nom, est par tradition un film en noir et blanc. Et c'est de cela que s'inspirent les frères Coen pour proposer leur propre vision du film noir, genre américain culte, dans The Barber. S'il existe aussi une version couleur du film, celle en noir et blanc met le mieux en relief les tourments du personnage principal et la noirceur ironique de l'histoire.
The Barber, l'homme qui n'était pas là (Joel et Ethan Coen, 2001)
Enfin, l'on peut également prêter au noir et blanc des qualités irréelles que ne possède pas toujours la couleur, à moins d'une palette bien définie ; quoi de mieux que du bleu sale et du vert poisseux pour illustrer l'univers dégoulinant d'horreur de Lovecraft ?
Du noir et blanc, peut-être. Si ce n'est pas une adaptation du célèbre écrivain d'horreur américain, The Lighthouse, sorti à la fin de l'année 2019, n'en reste pas moins un vibrant hommage à son œuvre empreinte de folie. Et c'est en grande partie grâce à son aspect visuel d'une beauté époustouflante, porté par un noir et blanc sublime...
The Lighthouse (Robert Eggers, 2019)
Comme quoi, le noir et blanc, ce n'est pas toujours vieux, et encore moins une marque de pauvreté de moyens. C'est parce que la couleur et le noir et blanc sont si différents qu'ils se complètent si bien. À chacun sa préférence !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top