chapitre 6
Vivre au Japon...
À quoi ressemble la vie là-bas ? Aurais-je plus de possibilités qu'ici ? Un avenir meilleur avec un travail bien rémunéré à la fin du mois ? Comment sont les gens là-bas ?
Depuis que j'ai lu ce prospectus je n'arrive plus à m'enlever ces questions de la tête. Je suis comme sous un charme maléfique. Je n'ai plus goût à rien. Si j'ai appris le japonais au début c'était parceque j'étais dans une école japonnaise, offerte par le gouvernement de ce pays au mien. Ensuite, mon amour pour les animés japonais m'a poussé à choisir cette langue comme deuxième langue au lycée alors que les autres choisissaient entre l'allemand et l'espagnol. Malheureusement la prof était très souvent prise par d'autres obligations.
Je suis loin de maîtriser cette langue aux multiples facettes. Cependant, s'il y'avait ne serait-ce qu'une chance... Je ferais le choix de partir au Japon, de vivre une nouvelle vie. Alors peut être je pourrais me venger de mon père en offrant à ma famille une vie meilleure. L'obstacle en travers de ma route demeure le même ; l'argent. Nous n'avons pas les moyens nécessaires pour y participer. Quand je pense que cette dame a parler de frais d'inscription pas chers, j'ai les poings qui se serrent. Si seulement elle savait. Ma mère est aussi un obstacle, même mineur car je doute qu'elle envisage de me laisser partir aussi loin. Elle me voit encore comme un bébé. Elle n'a même pas voulu que je trouve du travail pour payer les frais de concours parcequ'elle pense que je suis trop jeune.
Que faire ? L'idée de partir ne quitte plus mes pensées. Il ne se passe pas un jour sans que je ne relise le prospectus. Je l'ai laissé à la maison en sortant prendre de l'air. Ma mère y est elle aussi. Elle a décidé de prendre un jour de repos et elle le mérite. Moi, je dois encore m'accommoder au rythme de la fac, aux cours même le dimanche et aux séances de travaux pratiques qu'on annonce la veille. Tout m'énerve ici. Même la présence d'Isabelle ne me suffit plus. Quant à Lisa, j'ai appris qu'elle est allée dans une autre ville pour suivre une formation en soins infirmiers. Ses parents ont les moyens de lui offrir ça. Je crois bien que c'est la seule chose que je lui envie; une famille riche. Je ne déteste pas la mienne mais parfois je me demande ce qu'aurait été ma vie si j'étais née dans une autre famille.
Et voilà que je pense aux familles d'accueil japonnaises. Je soupire bruyamment.
- Cindy, m'interpelle Serge.
- Quoi ?
- Je ne sais pas ce que tu as fait mais maman t'appelle et elle est très en colère.
Je suis assise sur le bout de béton qui nous sert de véranda. Les paroles de mon frère trottent dans ma tête. Je n'ai pas fait pas de bêtises que je sache. Je me lève tout de même pour rejoindre ma mère dans la chambre. Elle est assise sur le bord du lit quand j'entre. Dès mon arrivée elle se lève et me jette un papier à la face. C'est le prospectus que j'ai laissé. Je croyais l'avoir gardé dans mon sac.
- Peux-tu m'expliquer ceci ? Qu'as tu l'intention de faire ? gronde-t-elle.
- Rien... Rien du tout !
Je fais semblant de ne pas savoir. J'ai peur de sa réaction.
- Alors qu'est-ce que ça fait ici ? Pourquoi as-tu ce papier qui parle d'aller vivre au Japon ? C'est quoi le projet ?
Ses yeux sont rouges comme si elle était sur le point de pleurer.
- C'est juste un prospectus qu'on m'a donnée gratuitement. Ça ne veut pas dire que j'ai l'intention de partir. Et puis même si je m'en vais, cela devrait te soulager, non ?
- Ce n'est pas ce que je veux. Tes frères et toi ne devriez pas vous séparer. Combien de fois la famille de ton père a essayé de vous arracher à moi ? Combien de fois faut-il qu'ils essaient pour que tu comprennes ?
- Que je comprenne quoi ? Que je ne devrais pas partir ? Que je devrais rester coincée ici avec vous toute ma vie ? je m'emporte. Maman la vie que nous menons actuellement ne me plaît pas du tout.
- Quelle genre de vie veux tu mener ? Je n'ai pas à voler pour m'occuper de vous. Je travaille dur. Ce que j'ai à t'offrir ne te suffit pas ?
- Tu devrais te poser cette question à toi même. Cette maison, ton travail au marché... Est-ce que ça te suffit ? Moi, ça ne me suffit pas. J'en veux plus parceque je sais que tu souffres et mes frères aussi. J'en ai assez de dormir par terre. Je suis la seule de ma classe à ne pas avoir de téléphone. Lorsque l'un de nous tombe malade, on ne peut pas aller à l'hôpital. On se débrouille. C'est ça notre vie. On se débrouille à tous les niveaux.
Pour la première fois, je dis ce que j'ai sur le cœur.
- Je ne suis pas comme mon père. Je ne vais pas vous abandonner, je continue. Mais si seulement tu me laissais une chance, je me mets à genoux et serre ses vêtements dans mes mains. Si tu me laissais une chance de te montrer que je peux faire mieux, que je peux alléger tes peines et celles de mes frères. Si seulement...
Je fonds en larmes. Je ne pensais pas être aussi triste et en colère à l'intérieur. Ma mère se dégage de mon emprise et s'en va sans dire un mot. Mes frères contemplent la scène. Je reste encore des heures à pleurer. Pourquoi elle ne me comprend pas ? Je ne vois vraiment pas de quoi être fière de vivre comme nous. Nous sommes pauvres et selon elle nous devrions demeurer ainsi ? Non! Je ne resterai pas la pauvre petite Cindy qui n'a pas de père. Je refuse celà.
Après avoir essuyé mes larmes, je m'occupe en faisant le ménage. Ma mère fini par rentrer et ne m'adresse aucun mot. J'ai peur qu'elle ait mal pris ce que je lui ai dit et que sa réaction soit sans équivoque. Je ne veux pas la perdre. Elle et mes frères sont tout ce que j'ai.
Quelques jours après, l'atmosphère est toujours aussi tendue. Ma mère m'évite et mes frères ne savent pas où se mettre. J'ai arrêté d'aller à la fac ce qui a alerté Isabelle. Nous avons discuté au téléphone et je lui raconté que je n'allais pas bien. Ce qui n'est pas tout à fait faux parceque je me sens mentalement épuisée. Elle a promis de me donner ses notes de cours quand je reviendrai. Elle est vraiment gentille. Je devrais lui dire que je n'ai pas l'intention de revenir mais on verra ça après.
Ce soir ma mère est rentrée plus tard que d'habitude. Elle est entrée directement dans la chambre. Après quelques minutes, elle m'appelle. Quand j'entre, je la trouve debout au milieu de la pièce, la tête baissée. Elle soupire avant de prendre parole.
- Écoute ! Tout ces derniers temps j'ai beaucoup réfléchi à ce que tu m'as dit. Je me suis posée cette fameuse question. La réponse est que... Non. Moi non plus, ça ne me suffit pas, sanglote-t-elle.
Une petite larme quitte le coin de mon œil et mon nez picote.
- Je suis issue d'une famille pauvre. J'ai vécu longtemps dans la misère au point de me dire que ma vie était faite ainsi. Les plus petites possessions que j'ai sont un immense trésor à mes yeux. Les années passées avec ton père m'ont apprise à être un peu plus avare parceque je ne manquais de rien à ses côtés. Mais après lui, de retour dans cette misère... Je ne voulais pas me voiler la face en me nourrissant de faux espoirs.
Elle me prend dans ses bras et toutes les deux nous pleurons.
- Toi ma fille tu n'es pas comme moi. Tu as foi en l'avenir et tes rêves sont au-delà de ce que je peux t'offrir.
- Maman... je marmonne.
- J'ai essayé de te couper les ailes en t'envoyant à l'université. Je n'aurais pas dû. Excuse-moi.
- Tu n'as pas à t'excuser. Je n'aurais pas dû te parler comme ça. Tu es ma mère, je te respecte et je t'aime. Mes frères et toi êtes tout pour moi.
- Je le sais et pourtant... J'avais peur que tu nous abandonne. Mais écoute, je te promets de ne plus laisser ma façon de penser influencer ta vie. C'est ta vie.
Je suis émue qu'elle ait compris ça. C'est le plus beau jour de ma vie.
- À partir d'aujourd'hui, je te soutiendrai parceque je sais que c'est pour ton bien et celui de tes frères.
- Et le tien. Je veux aussi le tien maman.
Nous pleurons en riant. Mes frères nous rejoignent dans cette accolade fraternelle. Il n'y a rien de plus important pour moi que les miens. Même si je me trouve à des milliers de kilomètres, ils seront toujours ma priorité. J'espère simplement qu'à présent ma mère me fera plus confiance et me soutiendra.
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