Pastabox 1 - La rencontre
Pastabox 1 – La rencontre
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J'avais toujours cru être un gars plutôt chanceux, le type de gars à qui on était attaché pour qui il était vraiment et qui avait une vie simple et enviée. Le genre de gars qu'on croise dans une allée de supermarché, avec des œufs bios dans le panier et un casque bien cher sur les oreilles, tout penaud. Puis, il y eut Ama' et tout eut l'air de se bousculer et évoluer brusquement. Comme si ma vie n'avait jamais eu de vrai sens, sans impact sur qui j'étais. Alors oui, au départ, je n'aurais jamais cru que c'était dans ce carrosse-là que j'allais faire la rencontre phare de ma vie.
C'était un samedi, je mangeais ma pastabox tranquillement. Une boîte remplie de pâtes à la crème et de poulet. Je l'avais réchauffée une dizaine de minutes plus tôt au supermarché super U propriétaire depuis peu d'un petit micro-onde. Je m'étais alors installé sereinement dans ma planque habituelle : le carrosse de Cendrillon.
J'avais découvert cette merveille quelques mois plus tôt, lors d'une pause au lycée. Je traînais tranquillement dans les environs lorsque je remarquai l'amphithéâtre grand ouvert. Curieux, j'étais allé fouiner dans les coulisses, derrière le rideau et avais repéré cette salle fermée par une porte métallique rouillée. Celle-ci, étroite et mal éclairée, contenait des éléments de décor de théâtre que j'aurais facilement pu appeler reliques.
J'avais aperçu le carrosse, trônant dans un coin reculé et avais été surpris par la présence du véhicule. Très poussiéreux mais resté en bon état, je pouvais facilement ouvrir les portes et m'y asseoir à l'intérieur. Enfant, ma mère voulait que je visionne tous les Disney afin que je m'imprègne de sa culture et de son amour pour ces films de son enfance. Il y avait beaucoup de princesses à l'intérieur mais les morales étaient jolies et on apprenait tous à croiser les doigts pour rencontrer l'amour de sa vie. Ces contes étaient intemporels. Ainsi, je connaissais l'histoire de Cendrillon sur le bout des doigts. Et il n'y avait pas de doute sur le sujet, les formes de citrouilles, les couleurs claires et coques brillantes par le passé : tout rappelait le carrosse de Cendrillon.
Je m'étais renseignée sur le carrosse durant un intercours. La pièce où elle avait été utilisée avait été jouée deux ans auparavant, lors de l'inauguration du club de théâtre. Le carrosse avait été réalisé par des parents d'élèves doués avec leurs mains et ne servait plus depuis le triomphe de sa soirée. En effet, les pièces jouées changeaient d'année en année.
Le jour de la rencontre, des mois après la découverte du carrosse, j'étais réellement bien, assis avec ma boîte de pâtes. Des lampes avaient été installées par mes soins dans la pièce à reliques et j'avais fait un peu de ménage pour ranger les cartons. Ma mère, la directrice du bahut, avait été surprise quand je lui avais demandé les clefs de l'amphi'. Cependant, celle-ci n'avait pas bronché à ma demande : pour une fois que je ne restais pas cloitré dans ma chambre, elle s'en satisfaisait. Depuis, je passe ma vie dans ce carrosse. J'avais l'air bien bête en y réfléchissant... Mais bon, fallait se l'avouer, plus j'y posais les pieds, plus je m'y attachais.
La routine s'installait au fil de l'année.
Un horrible crissement et un hoquet de surprise découlèrent de la chute de la pastabox, brutalement vidée sur mon pauvre t-shirt. La porte du carrosse s'était ouverte d'un coup, me surprenant de plus bel.
C'était une fille, vous savez, le genre de fille qu'on ne voit pas souvent : une asiatique à la casquette bien mise et aux vêtements décontractés. Son jean était troué (alors que les trous dans les pantalons sont strictement interdits dans le règlement) et même son t-shirt en avait quelques uns vers les manches – mais ça ce n'était pas forcément normal.
Lorsqu'elle me remarqua, son visage resta impassible. Aucun étonnement se dégageait de ses traits. Sa mine blasée ne laissait échapper aucune émotion de surprise ou d'ahurissement. Elle ne me dit point bonjour, sortit un plateau repas de son sac et commença à le manger devant moi.
Je me souvins soudainement de mon t-shirt en observant la situation rocambolesque dans laquelle elle m'avait foutu ; et je me mis à douter de la probabilité que ma pastabox puisse se renverser sur moi dans le carrosse. Je n'arrivais pas à y croire. Le t-shirt blanc était complètement taché et le reste des pâtes avait atterri sur mon jean. Je soupirai et ne voulant pas salir le carrosse, cherchai un paquet de mouchoirs dans mon sac.
Ce fut elle qui m'en tendit un. Elle enleva sa casquette et je vis sa frange et ses cheveux courts, une coupe pas aussi courte qu'une coupe banale de garçon, non, sa chevelure ébène s'arrêtait vers le milieu de son cou. Elle était très bizarre d'une certaine manière, sophistiquée mais pourvue de mèches rebelles.
Je la remerciai et sortis le sac plastique super U de mon sac à dos et commençai à vider les pâtes à l'intérieur, dépité. J'avais encore un peu faim. Mais une question trottait dans ma tête, me hantant par la même occasion :
Comment connaissait-elle l'existence de ce carrosse ?
Je l'observai manger pendant une bonne quinzaine de minutes, me posant des questions sur elle et en rêvant du riz blanc et des plats chauds qui accompagnaient le féculent sur son plateau repas. Tout avait l'air délicieux. Si délicieux que je m'étais presque mis à baver.
- Tiens, prends un ravioli, tu me fais pitié, lança-t-elle soudainement me faisant entendre pour la première fois sa voix
Elle avait une voix rocailleuse, assez grave par rapport aux voix de filles que je connaissais.
Je lui pris alors un ravioli chinois et le mangeai goulûment avant de la remercier poliment, en mettant ma mauvaise foi de côté. C'était quand même de sa faute si la moitié de ma pastabox n'était pas dans mon ventre.
Je pris tout mon courage à deux mains au bout d'une dizaine de minutes lorsqu'elle rangeait son plateau repas vide dans son sac.
- Comment as-tu fait pour connaître cet endroit ? demandai-je avec une voix faible mais assurée.
Je regrettai le ton de ma voix qui trahissait le manque de confiance omniprésent en moi. L'inconnue me jeta un regard froid et hautain.
- C'est pas comme si j'étais la seule à t'avoir remarqué traîner par ici Charlie, surtout pendant les intercours... remarqua-t-elle d'un air pincé.
Elle connaissait mon prénom alors que je ne connaissais même pas le sien. OK, c'est vrai qu'on savait tous dans les couloirs que j'étais le vieux mioche de la directrice mais de là à connaître mon prénom, c'était assez rare.
- Comment connais-tu mon prénom ? interrogeai-je en gonflant mon torse pour donner un peu de confiance à ma voix.
- Ce n'est pas compliqué, je l'ai vu sur Facebook en recommandations amis... expliqua-t-elle lucidement, s'en contrefichant de ses mots.
Son sourire moqueur me fit comprendre qu'elle trouvait la situation un peu comique.
- Ah ouais... C'est vrai, Facebook... répétai-je en trouvant cela soudainement évident.
Qui n'avait jamais rencontré dans ses recommandations amis, des amis d'amis dont les prénoms ne vous étaient plus inconnus au bout d'un certain temps à les voir apparaître sur votre écran ? N'étant pas très doué pour retenir les noms des autres, je passais outre cette case de mon application.
- Illumination dans ta tête, crétin ! lâcha-t-elle avant de glousser en se moquant de moi.
Je me tus car je n'aimais pas qu'on se moque de moi. J'étais un gars plutôt susceptible sur les bords lorsque je faisais face à des inconnus. Qui aime de toute façon être ridiculisé devant des personnes qui ne connaissent rien de vous ?
- Et tu me suivais tout à l'heure ? demandai-je curieux.
- Tu me fais rire... répondit-elle en levant les yeux au ciel.
- Comment ça ? continuai-je le front plissé par mon air soucieux.
- Je rêve ! Je connais cet endroit depuis presque trois ans et tu sors de nulle part il y a un mois et tu te crois maître des lieux ! raconta-t-elle d'une voix plus froide.
- Je ne pige toujours pas, avouai-je en fronçant les sourcils.
Elle fouilla dans sa poche et sortit un trousseau de clef et un papier plié en six.
- Je suis Amalia Yan, directrice et créatrice de la troupe de théâtre de ce lycée depuis maintenant presque trois ans, je suis en Terminale L et suis dans ton cours de latin sombre idiot, annonça-t-elle en me montrant le papier et les clefs de l'amphi comme preuves officielles de son grade.
Puis voyant mon air peu intéressé, elle me tapa le front avec la paume de sa main me faisant hoqueter de surprise et ce fut ainsi pour la première fois, entre pastabox renversée et violence destinée à mon pauvre front, que j'avais rencontré Amalia.
13/12/15: Légère correction
06/02/16: Nouvelle correction
02/05/16: Nouvelle correction 2.0
01/07/17 : Réécriture
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