Carrosse 1 - Papier toilette
Carrosse 1 — Papier toilette
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Le carrosse n'était plus là. La veille, j'avais passé toute la soirée à me disputer avec maman. « Tu ne peux pas comprendre Charlie, et puis tu n'es même pas dans ce club ! » était sa phrase fétiche. C'était elle qui ne comprenait pas ses élèves. C'était elle qui voulait amputer au lycée un club qui lui donnait du sens. Bien sûr, quelques mois auparavant, ma cause aurait été différente. Mais ce fut en rencontrant des passionnés, en voyant Amalia persévérer que je compris que supprimer un travail sur plusieurs années était injuste, que la cause nous touche forcément ou pas. Poser les pieds dans le dépôt vide m'emplit d'un sentiment amer particulier. Je perdais un repère important et sentais que sans lui, mes journées ne seraient plus pareilles et que j'allais devoir rester avec Myriane et Maxime ; et retrouver une ancienne et mauvaise routine.
Alors que j'écoutais débattre les deux sur la nécessité d'un nouveau gymnase entre deux allées du lycée, une personne me tira le bras et je me retournai sur-le-champ. Les deux se turent et je vis Amalia, la mine grisée, les cernes apparents.
- Je vous l'emprunte quelques instants, prévint-elle poliment en m'amenant vers un autre endroit dans le couloir où nous pourrions parler tranquillement.
Elle soupira bruyamment et m'offrit un sourire pâle.
- Le carrosse a disparu. Les déguisements aussi. Tout le boulot de la troupe parti en fumée... avoua-t-elle les larmes aux yeux.
En la voyant trember, je la serrai dans mes bras pour éviter qu'elle éclate en sanglots devant tout le monde comme la dernière fois. Toute cette anticipation me valut un soupir de soulagement de sa part.
Du coin de l'œil, je vis Myriane partir en furie et Maxime la suivre comme un toutou. Bon débarras.
Je caressai les cheveux d'Amalia et essuyai deux trois de ses larmes.
- Merci Charlie.
Son petit sourire me réchauffa le cœur.
- Donc ce soir, rendez-vous à 21 heures au rayon Pastabox au super U OK ? rappela-elle sérieusement.
- OK, approuvai-je avec un hochement de tête.
- J'ai l'impression d'être dans « Nos étoiles contraires » maintenant, John Green serait fier de nous ! remarqua-t-elle avec un sourire.
Quelques personnes derrière chuchotèrent deux trois remarques insignifiantes et je partis vers mon prochain cours, en lui souriant.
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Le rayon où trônaient les pastabox était plutôt vide vers 21 heures. J'étais arrivé en avance et l'attendre debout m'alourdissait les jambes.
Amalia arriva avec un panier rempli de PQ et m'ordonna de passer à la caisse avec elle.
- Pourquoi t'achètes tout ça ? Vous faites le stock chez vous ? demandai-je curieux et en me retenant de rire.
Deux adolescents passaient à la caisse avec une montagne de papier toilette. Pourquoi pas... Elle haussa les sourcils comme d'habitude et me donna une bourrade dans les côtes.
- T'es con, on va se venger, marmonna-elle en payant la caissière.
Nous sortîmes du super U et mon amie me demanda de la suivre sans poser de questions. J'obéis comme d'habitude pour ne pas l'irriter vu qu'elle n'était pas forcément de bonne humeur.
Devant le lycée, elle se retourna enfin et posa tous les paquets au sol, un énorme sourire aux lèvres.
- On va embêter ta mère, expliqua-t-elle simplement d'un air malicieux.
Je fus d'abord perdu, ne comprenant pas le rapport entre le papier toilette et ma mère.
- On va quand même pas l'enrouler à l'intérieur ! dis-je pris d'effroi.
Elle éclata de rire et m'approuva le contraire.
- Pas du tout, on va juste saccager son bureau, répondit-elle en me faisant un clin d'œil en insistant sur le « juste ».
Nous avançâmes vers le portail et elle sortit un trousseau de clef de sa poche.
- Ne me dis pas que... commençai-je en écarquillant les yeux.
- Oui, j'ai volé les clefs au gardien, ne me demande pas comment, j'ai du sacrifié la moitié de mon argent de poche pour qu'un de mes potes fasse une scène chez l'autre à la casquette. Et oui, on va faire du vandalisme, une intrusion illégale et si on se fait chopper, on devra faire comme si on était un couple de lycéens qui voulait baiser dans un endroit inédit. Alors chut et fais ce que je te dis, dicta-t-elle alors que le portail s'ouvrit sans problème.
Nous entrâmes à l'intérieur.
- Y a des caméras à l'intérieur tu sais ? prévins-je en lui tapotant l'épaule.
- Bien sûr que je le sais. Tiens, dit-elle en sortant un très long legging noir, un t-shirt noir, et une cagoule.
Je lui fis des gros yeux.
- Tu te fiches de moi ? demandai-je en la voyant sortir à son tour son déguisement.
- Bah non... Allez mets-les, ordonna-t-elle en enlevant son t-shirt devant moi.
Mes joues s'empourprèrent. Amalia était en soutien-gorge devant moi, même dans la pénombre je voyais son soutif et ses motifs étoiles. Cependant, elle était très jolie et je ne voyais pas où était le problème avec son ventre ou ses jolies formes.
- Quoi ? demanda-t-elle les joues rouges alors que j'enlevais mon t-shirt également.
- Non, c'est juste que ça m'a un peu surpris de te voir sans haut, avouai-je en bredouillant.
- Allez Charlie, on s'en fout de me voir sans haut ou pas. C'est moi, la petite prude vierge dans l'histoire je te rappelle, bafouilla-t-elle en se retournant et en enfilant son t-shirt noir.
Je venais de la mater et avais rendu la scène gênante. La prochaine fois que je refaisais un coup pareil, je me foutrais moi-même une baffe bien méritée.
Bien habillé de ma combinaison et de ma cagoule-chaussette ridicule, j'observai Amalia donner le signe du top départ. Nous nous aventurâmes grâce aux clefs à l'intérieur. La chinoise avait déjà prévu son coup et savait parfaitement que maman rentrait de son poste à 20 heures (pour pouvoir dîner avec mon beau-père à la maison. Mais ça on s'en fout.).
- Prends un paquet et ouvre-le, ordonna-t-elle en me tendant du PQ.
Je l'ouvris d'un coup et nous escaladâmes les étages du bâtiment A. Nous arrivâmes devant le bureau de ma mère verrouillée à clef.
Amalia inséra la clef correspondante et nous entrâmes enfin à l'intérieur, alerte au moindre signe d'alarme ou de caméra. J'allais vandaliser le bureau de celle qui m'avait donné la vie et qui m'avait enlevé le carrosse. La routine, quoi.
La brune lança alors le premier rouleau vers la caméra, ainsi le papier allait nous cachait. Elle accrocha le deuxième à la fenêtre. Et nous fîmes n'importe quoi. Lancer du papier toilette, voler ses stylos jusqu'à ce que nos poches en soient bourrées, enrouler le fauteuil de PQ et même dessiner des moustaches sur le mur.
- Regarde ! Des punaises !
- Garde-les, on en mettra partout au sol en repartant !
Plus tard, Amalia, restée vingt-ans devant un mur, me demanda de la rejoindre. Il commençait cependant à faire tard et m'inquiéter pour nous semblait inévitable. Je m'approchai d'elle prudemment et fronçai les sourcils lorsque je remarquai qu'elle avait laissé un mot sur celui-ci :
« Pour le T. Pas de G. »
Son message était très compréhensible à mes yeux. T pour le théâtre et G pour le gymnase. Elle ne cita pas de carrosse pour ne pas nous faire démasquer bêtement et me demanda de signer le message avec elle.
- Je vais signer par Dionysos, tu sais qui c'est ? lança-t-elle alors que je me triturais l'esprit pour ressortir mes anciens cours de mythologie grecque.
- C'est pas le Dieu du vin ? proposai-je en me grattant la nuque.
- Et surtout du théâtre, insista-t-elle avant de me passer le stylo. À toi.
Je pris le stylo et réfléchis plusieurs minutes avant de noter un nom près du « Dionysos » qu'elle avait inscrit au marqueur noir. Je lui rendis le feutre et elle lut sur le mur mon nom de code.
- Cendrillon ? lut-elle en me faisant de gros yeux.
- Cendrillon et son carrosse, un conte de fée, expliquai-je avant de l'entendre glousser.
- Pas mal, même vraiment cool, avoua-t-elle avant de reprendre ses affaires et de lancer les derniers rouleaux restants.
Nous mîmes des punaises juste à l'entrée, en manque de stock. Et Amalia et moi sortîmes du bureau en courant. La chinoise faillit tomber dans les escaliers, ce qui nous arracha d'énormes éclats de rire. Nous fermâmes bien toutes les portes et arrivâmes au portail. Nos stupides déguisements et nos tenues habituelles remises, nous étions fin prêts à partir. Il était déjà 23 heures 30 et je n'étais aucunement crevé.
- On n'a rien oublié ? dis-je en espérant que tout le plan se soit réellement réalisé sans soucis.
- Nothing Charles, allez on se casse. répondit-elle en fermant le portail derrière nous.
Nous courûmes le long des rues dépeuplées de passants et rîmes tout le long. J'étais terriblement bien, le cœur battant encore la chamade après le coup qu'on avait fait, l'espoir de retrouver un carrosse et un début excitant de vie. J'aimais traîner avec Amalia et ce n'était pas la première fois que je me sentais vivre avec elle. C'était son truc et elle me le partageait, et fallait se l'avouer : j'adorais.
Nous nous arrêtâmes progressivement de courir et elle commença à stresser parce que ses parents lui avaient donné un couvre-feu à 22 heures.
- Je vais me faire défoncer. Déjà que pour le piercing, ils étaient hors d'eux, alors que je ne respecte aucunes de leurs règles... Merde, je vais mourir Charlie, exagéra-t-elle embarrassée.
Je la regardai alors attentivement et vis toute sa beauté m'atteindre. Ses cheveux désordonnés après avoir enlevé la cagoule étaient tels quels. Elle respirait l'inquiétude et l'euphorie. Je l'arrêtai dans son délire en m'immobilisant devant elle.
Elle s'arrêta également tout en continuant de déverser son charabia.
- Tais-toi, t'es magnifique. Lâchai-je en retenant mon souffle.
Nous restâmes quelques minutes comme ça, ancrés dans le sol, goûtant pour la première à ce nouveau sentiment entre nous.
Et elle m'embrassa.
Ce contact me retourna le corps de plusieurs frissons et paralysa mes membres. Je me repris en main lorsqu'elle caressa des doigts ma nuque. Je lui donnai alors accès à ma langue. Qu'on se l'avoue, je n'étais pas un pro en baisers passionnés. Et si les baisers avec Myriane avaient eu le don de nourrir mon expérience, je ne contrôlais pas tout dans celui-ci. Avec Amalia, c'était différent, c'était plus fort, plus déstabilisant. Nous nous arrêtâmes hors d'haleine et elle me sourit euphoriquement avant de reprendre notre promenade en courant. Je la suivis et elle cria, en levant les bras dans la rue, en intriguant ainsi et en réveillant des passants, un puissant :
- Charlie Loimier m'a donné mon premier baiser !
Elle m'avait offert son premier baiser ce soir-là, sur les trottoirs d'un quartier que nous ne connaissions pas. Nous tremblions de bonheur et d'inquiétude à la fois. C'était confus, brouillé, illisible, même au début raté. Mais au fond la seule chose qui importait c'était que nous nous étions embrassés.
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NDA: JDOAOFUOSPSLZKODID ILS SE SONT EMBRASSÉS
DÉJÀ PLUS DE 100 VUES OMG C'EST CHAUD. JE VOUS AIME TROP TROP TROP TROP TROP FORT. MERCI INFINIMENT ♡
24/12/15: Légère correction (j'aime tjrs trop ce chap)
02/05/16: Nouvelle correction (et oui je le nem encore)
07/07/17 : Réecriture (grv precious ces kids)
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