ᴄɪɢᴀʀᴇᴛᴛᴇ ʟɪᴘs

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Il est cinq heure et demie.

Mais comme l'hiver approche, le soleil est déjà en train de disparaître, et de se fondre dans l'horizon avant même qu'on ait eu le temps de s'en étonner.

C'est plutôt beau, l'astre et les cieux qui se fondent l'un dans l'autre en une ligne continue, un mélange de rose pâle, de rouge vif, de bleu trop clair et de violet étrange, un peu comme si un peintre avait renversé sa palette sur la toile mais qu'au final c'était joli, ça rendait bien.

Ça lui correspond bien, à cette gamine qui grelotte sur le quai de la gare, toutes ces couleurs qui maquillent le ciel.

Ses lèvres sont presque bleues (d'un bleu plus bleu que celui du ciel) parce que ça fait des heures qu'elle attend, immobile, et elle claque un peu des dents.

Elle s'en fout d'avoir froid où de ne pas être de la bonne couleur, elle est bien, assise là, sur le vieux banc tout cassé où personne ne s'assoit jamais. À vrai dire, il est un peu comme elle, ce banc. Un peu abîmé, un peu mis à l'écart, un peu bizarre, un peu différent. Il n'a rien de vraiment mauvais, rien de vraiment repoussant, et pourtant, même si les gens disent qu'ils s'en foutent ils préfèrent s'asseoir sur les nouveaux sièges en métal froid, voire rester debout plutôt que d'y poser leurs fesses.

Et voilà, au final, personne ne l'aime ce banc.

Mais Léa, elle, elle le trouve beau. Elle lui trouve quelque chose, je ne sais pas moi, quelque chose de spécial. Quelque chose que les autres gens ne voient pas, un petit truc magique... Il faut dire que son monde à elle diffère un peu de celui de la plupart des gens. Il est plus joli, le sien, en tous cas c'est ce qu'elle pense.

Pourtant, ce foutu banc ça reste quelques planches de bois clouées ensemble, mais à chaque fois qu'elle s'assoit là, elle a l'impression qu'il l'a attendue toute la journée. Elle l'entendrait presque pousser un soupir de soulagement à chaque fois qu'elle s'y allonge, et souvent le bois craque un peu comme pour lui dire bonjour. Parfois elle lui parle, comme à un vieil ami, mais seulement quand il n'y a personne d'autre et qu'elle se sent un peu seule.

C'était un peu bizarre au début d'entendre ses mots résonner dans le vide, de poser de questions sans personne pour y répondre, mais avec le temps elle a fini par s'y faire et par apprécier le silence qui règne, par s'en imprégner. Alors elle parle toute seule, seule sur le quai de la gare, et ses mots résonnent et s'envolent. Elle aime penser qu'ils voyagent longtemps, et très loin d'ici.

Elle est là tellement souvent qu'elle fait presque partie du paysage, et que la plupart des voyageurs la remarquent à peine, malgré les baskets d'un jaune éclatant qu'elle porte toujours.

Mais peut-être que c'est mieux aussi. Qu'ils ne la remarquent pas, je veux dire. Elle, elle aime bien ça, se fondre dans le décor, être invisible. Au moins personne ne lui dit rien et elle peut continuer de parler à son banc toute seule.

Une goutte de pluie lui atterrit sur le dos de la main. Elle la fixe quelques secondes avant de réaliser qu'il va probablement se mettre à pleuvoir et qu'elle a déjà assez froid comme ça. Alors elle se lève, époussette légèrement le banc même si elle sait que ça ne sert à rien, lui sourit et part.

Sur le chemin du retour, tout est calme. Il n'y a pas de bruits, ni de moteurs de voitures, ni de chants d'oiseaux. Mais Léa ne met pas ses écouteurs, même s'ils sont dans sa poche, elle n'en a pas envie.

Elle ne trouve pas que ça soit si calme que ça, elle écoute le chant du vent et le bruit de ses chaussures qui claquent contre le bitume à un rythme régulier, elle écoute le silence.

Le chemin paraît moins long.

Et puis, soudain, c'est est chez elle.

Un coup d'œil sur la droite ; la voiture de son père n'est pas là, il travaille encore. Il ne rentrera surement pas ce soir, ou alors tellement tard qu'elle dormira à poings fermés. Mais elle ne lui en veut pas, évidemment que non. Elle n'en veut jamais vraiment à personne -à part à elle-même, de temps en temps-.

Elle va vite sonner chez la voisine et lui emprunte son double des clés. Dès que la porte se referme derrière elle, elle soupire. Elle envoie valser ses Converses à l'autre bout du salon-salle à manger, et monte à l'étage de la petite maison blanche.

Là-haut, il y a la salle de bain et sa chambre. En bas, la cuisine, le salon-salle à manger et la chambre de son père. C'est pas très grand, mais ils y vivent très bien tous les deux, surtout que la plupart du temps son père n'est pas là alors elle est toute seule et la maison devient presque trop grande.

Sa chambre est de taille plutôt moyenne, avec des murs bleu ciel couverts de nuages que son père a peints quand elle était petite. Quand vous y entrez, son lit se trouve sur la gauche, bordé par une petite table de chevet. En face de vous il y a une grande armoire remplie de jeans, de T-shirt blancs, noirs ou gris et de sweat à capuche jaunes. Sur votre droite, collé au mur, un petit bureau tout bien rangé -quoique couvert de post-it-, et à côté de l'armoire, derrière le bureau, un gros pouf jaune avec un velux au-dessus et une petite bibliothèque à côté.

On pourrait croire qu'elle est organisée, mais à vrai dire elle n'a juste pas grand-chose à éparpiller alors ça paraît bien rangé.

Elle récupère sa petite enceinte sur son bureau et redescend à la cuisine.

Son regard se perd par la fenêtre, pendant un instant. Elle imagine du feu dans la cheminée du salon, elle imagine son père rentrer du travail en souriant. Et, dos à elle, en train de cuisiner avec elle, il y aurait sa mère. Cette dernière n'a pas vraiment de visage, parce que son père lui a toujours dit qu'elle ne lui ressemblait pas vraiment, à part pour la couleur des yeux, alors à part deux yeux verts-bruns elle ne sait pas vraiment comment l'imaginer. Elle la voit un peu plus grande que son père, comme elle l'est elle-même, avec de longs cheveux bruns, bien plus longs que les siens qui se rapprochent plus de la coupe au carré que d'autre chose.

Et puis le "bip" qu'émet son enceinte, innocemment posée sur le micro-ondes, la ramène à la réalité.

Elle soupire encore une fois, puis lance une musique quelconque pour ne pas entendre le silence. Ce silence-là n'est pas comme celui de dehors, il n'est pas apaisant, il n'est pas doux, il n'est pas tiède. Non, le silence qui la hante dès qu'elle rentre chez elle est toujours froid, impersonnel.

Enfin bon, maintenant une musique le comble et c'est tout ce qui importe.

Alors Léa ouvre le frigo et en sort un steak et des brocolis de la veille. Elle les passe au micro-onde et pendant qu'ils se réchauffent elle cuit rapidement le steak. Hop, hop, des deux côtés, on attend un peu, et puis voilà. Ce soir, c'est rien de très compliqué, mais il faut dire qu'elle n'a pas vraiment envie de se faire plaisir.

Demain, elle reprend les cours.

Non seulement elle ne pourra plus passer autant de temps assise sur son banc, mais en plus elle va devoir à nouveau affronter les regards. Le lycée, ce n'est pas comme la gare. On dirait parfois que tout le monde ne voit qu'elle, et qu'ils n'ont que ça à faire de leur temps que de lui faire des remarques débiles sur ses chaussures ou sur son visage un peu trop froid. En fait, elle sait qu'ils ont peur d'elle parce qu'elle ne réagit jamais à leurs provocations, et elle sait aussi qu'ils arrêteraient si elle les menaçait peu, parce que ça avait toujours marché avant le lycée. Mais elle ne le fait pas, peut-être parce qu'elle s'y est habituée et que ça ne la touche plus vraiment, ou peut-être parce qu'elle a fini par croire qu'elle les méritait, leurs remarques, peut-être que ça l'a trop touchée.

Mais elle n'a pas trop envie d'y penser, alors elle finit son assiette devant la télévision, à regarder un dessin animé parce qu'il n'y a rien d'autre d'intéressant et parce que la musique commençait à l'ennuyer.

Une fois son assiette terminée, elle regarde encore quelques minutes l'écran sans vraiment le regarder, les yeux dans le vide, et l'esprit vidé.

Puis elle met le tout dans le lave-vaisselle, se brosse les dents, enfile un T-shirt beaucoup trop grand et va se coucher.

Dans son lit, recroquevillée, la couette coincée sous son corps pour former comme un cocon de protection autour, elle décide qu'aujourd'hui était une bonne journée. Même si elle n'était pas extraordinaire, le coucher de soleil était assez joli pour qu'elle ait envie de le dessiner. Demain peut-être, à la pause de midi, elle le fera, ce dessin. C'est drôle parce qu'elle ne sait rien dessiner d'autre que les couchers de soleils, alors elle ne dessine que ça.

Et, avant que ses yeux ne se ferment, Léa décide que demain aussi sera une bonne journée, même si elle sait pertinemment que ça, ce n'est malheureusement pas elle qui le choisit.

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Cours de français, huit heures du matin, ici Léa qui s'ennuie.

Le menton sur les mains, étalée sur la table, elle a juste envie de retourner se coucher.

Ce matin, elle s'est réveillée en retard. Elle s'est brûlé la langue en buvant son lait chaud, et son père n'était déjà plus là. Elle a dû courir pour attraper le bus, et est arrivée en retard après que le chauffeur se soit embrouillé avec un jeune parce qu'il ne voulait pas payer son ticket. Elle a vérifié quinze fois qu'elle se trouvait devant la bonne salle par peur de se tromper et elle s'est fait gronder par le principal qui passait par là.
Ensuite elle a dû s'excuser et elle a senti les yeux de tout le monde sur elle et elle a failli pleurer tellement elle avait perdu l'habitude de tous les affronter.
Après, la prof a annoncé qu'ils allaient faire des travaux de groupes et qu'elle avait choisi les binômes : c'est à dire qu'il y a une chance sur trente que ça finisse mal pour elle.

Et là, on commence à annoncer les noms de ceux qui devront faire le travail ensemble et elle sent que l'heure va être longue.

- Léa ?

Elle relève brusquement la tête, et elle entend quelques idiots rigoler derrière.

- Tu iras avec Savane, elle t'aidera peut-être à remonter un peu ta moyenne, lui dit la prof en soupirant.

Une jeune fille sur le devant de sa classe agite la main en souriant et Léa se lève pour aller s'asseoir à côté d'elle. Elle n'a pas l'air trop hostile, mais on ne sait jamais. Le lycée c'est la jungle, et les prédateurs savent se cacher.

- Salut, moi c'est Savane.

Elle hausse légèrement les sourcils devant la main que lui tends la brune, puis la lui serre maladroitement avant de s'asseoir à ses côtés. Savane a les mains très chaudes. Elle porte une bague à l'index que Léa aime bien.

En fait, elle l'a déjà vue, cette fille. Elle est assez populaire, mais ce n'est pas une peste ou une cheerleader ou une quelconque autre connerie dans le genre. Elle est juste vraiment jolie, super sociable, et un peu atypique.

C'est vrai que maintenant qu'elle est en face d'elle, Léa la trouve belle. Elle a de longs cheveux bruns et bouclés, et quelques mèches retombent sur une partie de son visage harmonieux, lui donnant un air un peu mystérieux.
Elle est un peu maquillée, mais ça lui va bien.
Elle a un visage bien dessiné, des traits fins, de jolies lèvres, des grains de beauté là où il faut, et surtout des yeux d'une noirceur de nuit d'été.

Des yeux qui vous transpercent, des yeux qui vous sondent, mais qui restent en même temps tellement fascinants, tellement enfantins, tellement pétillants.

Oui, décidément, elle doit faire partie des plus belles filles du lycée. Si ça ne tenait qu'à elle, Léa la placerait même probablement en première place.

- Alors, tu préfères quoi comme sujet ?

Et notre brune ne lance même pas un regard au tableau.

- Comme tu veux, je m'en fous.

- Tu t'en fous vraiment ou t'as juste pas envie de regarder ?

- Bonne question. À bien réfléchir, je crois que c'est un peu les deux.

Et un petit rire cristallin glisse des jolies lèvres de Savane qui la regarde, un peu comme un si elle était un extraterrestre. Mais un extraterrestre marrant, alors ça va.

- C'est dommage que je t'ai pas remarquée avant, je t'aime bien.

Première nouvelle. Elles se connaissaient depuis approximativement deux minutes et déjà elle "l'aimait bien" ? Le cerveau de Léa se bloque l'espace de quelques secondes, et son souffle aussi. Et puis son cœur idiot en fait des siennes et fait des milliers de loopings au creux de sa poitrine, alors rapidement elle essaie de trouver une réponse pas trop idiote.

- Bah, les gens comme toi traînent pas avec les gens comme moi.

Mince, elle se sent idiote maintenant. Peut-être que l'autre va penser qu'elle ne veut pas être amie avec elle ? Alors qu'elle aimerait bien, mais qu'elle ne sait juste pas comment s'y prendre parce qu'elle n'a jamais réussi à s'en faire justement, des amis.

- Ah oui ? Et c'est quoi les gens comme moi, les gens comme toi ?

- Toi, tu es... Populaire tu vois. Puis moi je suis... Moi. Mais c'est pas comme toi.

- On s'en fout, non ?

Et Léa hoche lentement la tête, et sans qu'elle ne le veuille vraiment un petit rictus à la limite du sourire vient se loger sur ses lèvres.

Voilà, c'est fait.

Sans même qu'elles ne s'en rendent compte, elles ont déjà toutes les deux bouleversé le monde de l'autre.

Léa s'est sentie importante, vivante, moins vide, et apaisée par autre chose que son banc, pour la première fois depuis... Pour la première fois tout court.

Et Savane, elle aime déjà beaucoup trop les yeux de l'autre qui se plissent quand elle sourit, et elle compte bien les revoir se plisser encore et encore.

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Dans le bus, Léa s'assied tout devant.

Derrière, c'est les populaires, au milieu c'est ceux qui veulent le devenir, et devant c'est ceux qui restent, ceux qui n'ont pas d'amis en général.

Elle, elle s'assied ici juste parce qu'elle a la flemme d'aller plus loin et qu'elle n'a pas le courage de se plonger plus dans le chaos bruyant qui part du fond du bus.

Elle met ses écouteurs, sans musique, juste pour éviter tout contact humain.

Par la fenêtre sale, elle aime bien observer le paysage même s'il elle l'a déjà observé toutes les autres fois, parce qu'il y a toujours quelque chose qui change.

Par exemple, là, elle connaît un nouveau visage : elle vient de repérer Savane dans la foule.

La jeune fille (qui est toujours aussi jolie) est en train de parler à un garçon roux et visiblement leur conversation lui plaît puisqu'elle n'arrête pas de sourire.

Même si ça ne la concerne pas, Léa se sent un peu délaissée. Elle savait pourtant pertinemment que l'autre fille ne lui parlerait plus après qu'elles aient fini leur travail de français, comme toujours, mais malgré tout elle se sent un tout petit peu déçue parce qu'elle était gentille avec elle et que son sourire était beau.

Mais bon, c'est toujours pareil alors elle ne devrait même plus s'étonner.

N'empêche que son cœur se serre un peu trop fort quand Savane claque une bise enthousiaste sur les joues de l'inconnu.

Alors que notre protagoniste allait détourner les yeux, la brune qui regardait dans sa direction semble la voir dans le bus : elle agite la main, et Léa vérifie rapidement qu'il n'y a personne derrière elle à qui ce geste pourrait être adressé avant de répondre, ce qui ne manque pas de faire rire l'autre.

Elles se sourient, et le bus démarre.

Et le cœur de Léa, malgré qu'il ne cogne fort contre sa poitrine pendant tout le voyage du retour, lui semble super léger d'un coup.

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Ah, cette fois-là son père est rentré.

On dirait que sa Clio grise fait un clin d'œil à Léa, à cause du vieux phare un peu cassé qui, pour une raison obscure, clignote même quand la voiture est éteinte. Alors la brunette lui sourit en retour, et rentre dans la maison toujours le sourire aux lèvres.

Elle ne sourit pas beaucoup, enfin du moins, pas aux êtres humains. Au banc oui, à la voiture oui, au chien du voisin oui (même s'il lui bave dessus), au ciel oui, mais à tous les autres, très rarement. Même pas à son père.

Et, l'espace d'un instant, alors qu'elle allait refermer la porte, elle repense à Savane. Savane qui lui a arraché un sourire dès le premier regard, Savane et ses beaux yeux remplis d'univers, Savane et ses belles lèvres qui sourient si bien, Savane et sa belle voix grave qui chante mieux que le vent.

Et puis, elle pense que demain, elle l'aura oublié. Elle ne lui en voudra pas, ça a juste toujours été comme ça et il n'y aucune raison pour que ça change, alors elle ferait mieux d'oublier son joli minois tout de suite, pour ne pas trop regretter après.

Un énième soupir, à croire qu'elle passe sa vie à ne faire que ça, soupirer. Cette fois, elle range ses baskets symétriquement à côté du tapis : pas vraiment parce que son père est à la maison et qu'elle ne veut pas qu'il s'ennuie à les ranger, mais juste parce qu'elle en a envie. Ça lui arrive souvent de changer radicalement des habitudes du jour au lendemain, elle aime bien.

Son père est en train de lire le journal dans le canapé. Elle lui dit bonjour, et il lui sourit.

- Tu vas allumer un feu ?

- De quoi ?

- Avec le journal.

- Non, je le lis.

Et elle hoche la tête, un peu déçue.

Ils ont une très belle cheminée, dans le salon. Son père lui a dit une fois que c'était sa mère qui en voulait une, et depuis elle rêve de l'allumer. Mais pas d'elle-même, non, sinon ça ne marche pas, il faut que ce soit lui qui fasse le feu pour qu'elle puisse se donner l'illusion d'une vraie famille.

Mais voilà, sa mère n'a pas eu le temps d'utiliser sa cheminée et son père trouve ça idiot, alors elle a froid.

Elle monte chercher un sweat.

Jaune évidemment.

Mais celui-ci, il est spécial.

À l'emplacement du cœur, sur la gauche, il y a une petite fleur brodée.

C'est elle qui l'a fait, après qu'ils aient emménagés.

Sa mère adorait les fleurs, c'est ce que lui a dit son géniteur. Elle voulait être une actrice célèbre juste pour qu'on la couvre de bouquets de fleurs. Et une fois, dans la boîte qui contient ses affaires, celle que son père cache en haut du placard et qu'il ouvre quand il a envie de pleurer, elle a vu un mouchoir en tissu blanc avec une petite marguerite jaune brodée dessus.

Elle a voulu avoir quelque chose en commun avec sa maman, elle aussi.

Parce que son père refuse de lui montrer les souvenirs, "Quand tu seras plus grande" il lui a dit une fois, mais elle sait qu'il ne veut juste pas les partager parce qu'il ne veut pas qu'elle ait de la peine, alors qu'elle en a de toute façon.

Enfin bon, elle enfile son hoodie, puis elle sort de son tiroir le seul rouge à lèvre qu'elle a.

Il est jaune.

Alors elle dit que c'est du jaune à lèvre, mais son père se moque d'elle à chaque fois alors elle ne le sort plus du tout.

Aujourd'hui, elle a envie d'en mettre.

Elle le fourre dans sa poche de jean et descend.

Son père sait où elle va.

Et la voilà à nouveau perchée sur son banc fatigué, à glisser ses doigts sur les imperfections du bois.

Elle sort son jaune à lèvres et délicatement, elle s'en l'applique. Pas besoin de vérifier dans un miroir : avant, elle en mettait tout le temps, alors les gestes sont devenus automatiques pour elle.

Un train passe, et une curieuse odeur de croissant chaud lui assaille les narines.

Alors elle ferme les yeux.

Quelqu'un s'assoit à côté d'elle.

Sur son banc.

Mais elle ne regarde pas tout de suite. Probablement parce qu'elle a très envie que ce soit une certaine personne et qu'elle ne veut pas être déçue.

- T'attends quelqu'un ?

Brusquement, ses paupières se soulèvent pour dévoiler un ciel bleu. Elle se tourne.

Elle ne rêve pas.

- Non.

Silence.

Mais silence apaisant cette fois.

- Qu'est-ce que tu fais là alors ?

- J'attends.

- T'attends quoi ?

- Que le temps passe.

Et puis Savane ne lui répond rien.

- T'en veux ?

Et le regard de Léa se pose sur le sachet de viennoiseries. Elle hoche doucement la tête et prend un petit pain.

- T'as de beaux yeux, tu sais. Couleur forêt.

Mais elle continue de savourer son pain au chocolat, sans pour autant l'ignorer. Le regard de Savane se bloque sur elle et elle a l'impression que des criquets lui sautillent dans les entrailles (ou des papillons, si on veut rester classique).

Puis elles mangent toutes les deux et ce qui était un moment étrange se transforme en moment agréable.

Et Léa ne regrette pas de partager son petit moment. En tous cas, pas avec elle.

Puis le regard de l'autre se bloque sur ses lèvres jaunes. Lentement, elle approche son doigt de ces dernières alors que notre brune se fige. Puis, avec une délicatesse infinie, elle vient déloger les miettes qui étaient venues se coller au coin de ses lèvres.

Bon sang, Léa aurait juré qu'une tornade de papillons (ou de criquets) venait tout juste de lui dévorer l'estomac.

- C'est joli, le jaune.

- Mm...

- C'est ta couleur préférée ?

- Ma mère adorait le jaune.

Et elle n'ajoute rien. Et Savane comprend.

- Elle te manque ?

Léa fixe le vide. À vrai dire, elle ne sait pas vraiment. Peut-on réellement manquer de quelqu'un que l'on ne connaît pas ? Peut-on souffrir de l'absence de quelque chose qui n'a jamais été là ?

- Je crois.

Et elle est sincère. Tellement sincère que ça lui serre le cœur, et que les larmes lui montent aux yeux. Et puis, d'un coup, une main chaude enveloppe la sienne, et elle sent Savane dessiner du bout des doigts un soleil sur le dos de sa main, et ça lui fait du bien. Comme si l'autre avait lu dans ses pensées et savant exactement ce dont elle avait besoin, comme si soudainement le sourire délicat qu'elle lui adresse est l'antidote à toutes ses douleurs.

- Ça te va bien. C'est un peu comme le soleil, c'est pétillant et c'est joli.

- Toi aussi t'es un peu comme un soleil.

Elle a l'impression de rêver, mais non, c'est bien un léger voile rose qui vient d'embrasser les pommettes de Savane. Et pour une fois Léa est contente que les mots lui aient échappé de la bouche sans qu'elle ne les contrôle vraiment.

Lentement sa main blanche s'élève dans les airs, et tout se fige autour. Les orbes charbon sont bloquées dans les siennes, et le temps arrête ses aiguilles.

Du bout des doigts elle caresse la joue de la brune, et un sourire lumineux naît au coin de ses lèvres. Un petit rire tout léger s'envole de sa bouche, et il flotte jusqu'aux oreilles de Savane, et il résonne dans sa tête comme la plus belle chose qu'elle ait pu entendre.

- Ta peau est douce. Comme la fourrure d'un ours.

Et, sans raison valable, elles se sont mises à rires, agrippées à leur siège : elles se sentaient si légères qu'elles avaient peur de quitter le sol. Leurs corps de plumes, cramponnés au banc, et leurs cœurs qui suivent la même partition.
De loin la plus belle chose que Léa a pu connaître de toute son existence.

Est-ce que ça voulait dire qu'elles étaient amies ? Elle n'osa pas lui poser la question.

Mais, ce n'était pas si important, finalement.

Ce qui l'était en revanche, c'était la marque du gloss brillant de Savane, seul témoin du baiser qu'elle lui avait abandonné sur la main, et qui lui brûlait délicieusement la peau.

L'espace d'un millième de secondes les lèvres parfaites de la brune s'était déposées sur sa peau et elle s'était crue au paradis.

Alors, rien d'autre n'était important.

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Léa pose délicatement son sac favori au sol (un sac blanc aux fermetures bleues, pour une fois). Elle s'assoit, dos à l'arbre, et lève les yeux vers le ciel.

Les feuilles orangées, presque brunes de l'arbre sont comme une couronne de couleurs au-dessus de sa tête, des belles couleurs d'automne qui tâchent le ciel gris.

L'automne est sa saison préférée. Il fait froid, elle aime le froid, et c'est beau.

L'automne lui paraît plus beau que l'été, la chaleur semble plus chaude en automne, son père semble plus présent, son lit paraît plus doux, les couleurs semblent plus belles. Comme si le monde s'embellit, comme si la grisaille des nuages rend tout le reste plus vif.

Parfois, elle fait des bouquets de feuilles mortes, qu'elle garde dans une vieille boîte en bois.

Elle a envie de danser, comme ça, d'un coup, alors elle se balance doucement de droite à gauche tout en grattant la terre gelée du bout des doigts. Ça, c'est une de ses activités préférées : gratter la terre qui salit ses doigts, se coince sous ses ongles, et après elle peut aller se laver les mains à l'eau chaude -presque brûlante- en se réchauffant par la même occasion. Après, ses mains sont toutes propres et ça lui procure un sentiment de satisfaction intense, alors elle recommence.

Gratter de la terre en hiver est trop froid, et en été ça n'a pas d'intérêt parce que l'eau sera trop chaude. Il ne faut pas qu'elle le soit.

Alors voilà, parce que c'est l'automne, Léa gratte la terre et s'en fout sous les ongles juste parce qu'elle trouve ça marrant.

Elle regarde le joli brun presque noir du sol tâcher ses jolies mains blanches.

Puis elle lève la tête pour tomber nez-à-nez avec deux yeux qui ont presque la même couleur que le sol, mais en plus beau.

- T'en veux ?

Elle lui tend une sucette violette en forme de grappe de raison, et Léa hoche la tête doucement.

Leurs doigts se frôlent quand elle la lui prend des mains, et c'est tout son corps qui est parcouru d'un frisson.

- T'aimes bien être seule, non ?

- Pas forcément.

- Pourquoi tu l'es alors ?

- Bonne question. Je crois que les autres ne m'aiment pas trop.

- Ils ont tort.

Et malgré elle, Léa se met à sourire. Savane ne s'assied pas, elle reste debout à regarder le ciel. Mais ce n'est pas grave. Léa se sent à l'aise, et recommence à gratter la terre, bien concentrée sur le sol boueux. Elles s'opposent un peu, vu comme ça.

Une les yeux fixés vers le ciel, et l'autre le regard posé sur le sol.

Mais rapidement les prunelles de jais divaguent, s'ennuient, et finissent à nouveau par se poser sur la chevelure châtaine de l'autre.

- Tu fais quoi ?

Et elle sursaute alors que le regard noisette se confronte au sien.

- Je m'ennuie.

- Tu n'as qu'à me raconter une histoire.

- Je sais pas raconter les histoires.

- Alors chante !

- Là, comme ça ? Chanter quoi ?

Léa soupire comme si c'était évident, et au fond, peut-être que ça l'est un peu, non ?

- C'est pas important, le premier truc qui te passe par la tête. J'veux dire, t'es à la chorale, t'aimes chanter non ? Que ce soit juste ou pas c'est pas ce qui importe, j'veux juste un joli bruit de fond pour m'occuper l'esprit, et ta voix est jolie.

Et un énième sourire fleurit au bout de ses lèvres gelées.

Étonnement, l'autre s'exécute sur-le-champ. Sa jolie voix grave s'élève dans les airs, imparfaite mais claire.

Elle n'a jamais chanté devant quelqu'un d'autre que son chat, Savane. Pourtant c'est son rêve, de se trouver à fredonner une mélodie frissonnante dans un micro, devant une foule en adoration. Mais derrière sa personnalité confiante et ses sourires éblouissants, elle a peur. En fait, elle est terrifiée de tout, du monde, des vendeurs, des gens dans la rue, de ses camarades de classe, et elle est pétrifiée à l'idée que quiconque puisse entendre sa voix qu'elle juge faiblarde et laide. Derrière ses sourires charmeurs et ses clins d'œil amusés il y a cette enfant si frêle qui se dresse face au monde et qui sursaute à chaque fois qu'on lui adresse la parole ; elle sait bien le masquer mais ses incertitudes la noient.

Mais là, elle n'a pas hésité.

Elle sait que personne ne la jugera, et elle se sent parfaitement à l'aise avec Léa, pour une raison qui lui échappe.

C'est une petite mélodie un peu bête, aux paroles légères et entraînantes, quoiqu'un peu répétitives. Mais bien que ce ne soit simple, ça vous embaume le cœur de la plus curieuse des manières et si vous fermez les yeux, vous vous sentirez transporté loin de là, si loin que vos pensées s'arrêteront, et que rien ne troublera votre esprit. Vous aurez l'impression que la musique vous enveloppe, et qu'elle enlace avec une tendresse infinie. Puis, la petite mélodie se coince dans votre tête, et vous savez qu'elle reviendra souvent vous effleurer la pensée, même quand vous n'en aurez pas envie.

Alors, Léa chantonne avec elle. Même si sa voix à elle n'est pas très jolie, pas très juste, pas très forte, même si sa voix manque plein de notes.

C'est étrangement beau.

La jolie voix d'ange qui masque un peu le chant tremblant de l'autre, et qui la guide vers des notes plus jolies sans même qu'elle ne s'en rende vraiment compte.

Une vraie symbiose, unique, deux âmes qui se dévoilent l'une à l'autre sans que l'on ne comprenne vraiment la portée de ce moment.

Elles s'arrêtent exactement en même temps, à la même seconde : en un battement de cil elles sont à nouveau plongées dans le silence un peu trop calme.

Toutes les deux étirent leurs lèvres du plus beau des sourire, si bien que Léa voit à peine à travers ses yeux presque fermés, et que Savane a mal aux joues parce qu'elle sourit trop fort.

Alors notre amoureuse d'automne décide qu'en fait, ce n'est plus sa saison préférée, non. Mais ce n'est ni l'hiver, ni le printemps, et encore moins l'été. En fait, c'est n'importe quel moment passé avec Savane, qu'il fasse trente-cinq degrés ou bien moins quarante, qu'elles se trouvent ici ou dans la jungle amazonienne, ou bien encore au fin fond de la Norvège, du moment qu'elle lui offre un petit sourire, alors c'est son moment préféré.

C'est bien plus simple comme ça.

Et puis, ça ne dérange personne, et encore moins Savane qui pense exactement la même chose d'elle.

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- Tu veux venir chez moi ?

- Pardon ?

Alors que la sonnerie venait de les rappeler à l'ordre et que Savane se dirigeait vers sa classe, la voix de Léa a résonné juste derrière elle.

- Demain. Pour le devoir d'histoire. J'ai pas de binôme.

- On est censés être par groupes de trois... ?

- Tant pis.

Elles rient toutes les deux, parce qu'elles savent que derrière ce prétexte farfelu il n'y a rien de vraiment construit, et qu'elles veulent juste être ensemble encore un peu pour profiter de cette magie qu'il semble y avoir entre elles.

- D'accord. Tu finis à quelle heure ?

- Quinze heure.

- Ah... Moi je finis à dix-sept... Au pire, rentre chez toi et reviens me chercher, ok ?

Léa hoche un peu de la tête, suffisamment en tous cas pour que l'autre comprenne. Elle se fait hésitante, mais après un temps elle ajoute :

- Tu resteras dormir ?

Savane hoche la tête, et la conversation se termine comme ça. Elles s'en vont chacune vers leurs classes respectives.

Sur le chemin, Léa sourit tellement qu'elle ne se reconnait pas quand elle aperçoit son reflet dans une des vitres du panneau d'affichage.

Elle ne s'est jamais sentie comme ça, si fragile et forte à la fois, mais elle aime bien.

Alors elle se met à tournoyer sur elle-même, et à danser dans le hall. Elle glisse gracieusement même si ses mouvements sont étranges, et elle fait des roues et des roulades, et tous ceux qui passent par là la regarde bizarrement mais elle s'en fout. Elle bouge, se balance, tangue, tombe, fait croire à son public imaginaire que c'était fait exprès. Et même quand un des surveillants l'engueule et la menace d'aller chez le proviseur, elle continue de sourire béatement -cependant elle s'arrête de danser-.

Bon, elle a peut-être arrêté en entrant dans sa classe, par habitude, mais le sentiment de joie qui fait gonfler son cœur ne disparait pas.

Savane la rend heureuse, vraiment heureuse.

- - - - - - - - -

Le métal froid appuyé contre son dos lui fait mal. Il fait tellement froid qu'elle a l'impression de congeler, et elle tremble si fort qu'elle a l'impression qu'elle va s'écrouler à chaque moment.

Puis, enfin la délivrance après deux heures d'attente, la sonnerie lassante du lycée qui résonne.

Léa fixe ses pieds. Une petite tâche verdâtre souille le beau jaune poussin de ses baskets. Elle reste impassible, mais son nez se fronce parce que ça l'agace. Alors elle enlève une de ses chaussures, même s'il fait humide et que son pied est immédiatement trempé et gelé.

- Déjà là ?

Elle relève la tête. Savane porte un long manteau beige avec de grandes, grandes poches. Des poches suffisamment grandes pour qu'elles y glissent leur main toutes les deux.

- Je viens d'arriver.

Elles se mettent en route, la brune un peu derrière elle parce qu'elle ne sait pas où elles vont, tout simplement. Elles sont presque des inconnues, en fait. On pourrait dire qu'elle est inconsciente de lui faire confiance à ce point, mais... C'est comme si elles s'étaient toujours connues, à vrai dire. Comme si elles étaient nées enlacées, comme si leurs lèvres étaient faîtes pour s'embrasser, comme si le sourire de l'une était la pièce manquante dans la vie de l'autre.

- T'es restée, hein ?

- De quoi ?

Ses yeux verts s'écarquillent, elle fait semblant d'être surprise, tout en sachant très bien de quoi elle veut parler.

- T'es pas rentrée chez toi à quinze heures, non ?

Elle ne lui répond pas et continue à avancer. Savane ricane doucement, et une autre vague de joie la submerge. La brune remarque le pied sans chaussure de l'autre mais ne dit rien. Elle trouve ça plutôt marrant, même si elle a un peu peur que Léa ne choppe froid.

Elles arrivent vite, ce n'est vraiment pas loin. Léa aurait eu vite fait de faire l'aller-retour, mais Savane sait qu'elle ne l'a pas fait, et même si c'est étrange, elle est en quelque sorte vraiment contente qu'elle soit restée.

Personne ne l'avait jamais attendue aussi longtemps.

La maison n'est pas vraiment comme elle si attendait. Un peu trop petite, un peu trop blanche, un peu trop banale.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Léa est déjà sur le pas de la porte, en train de l'ouvrir, et elle est tournée vers elle, la tête penchée sur le côté, trop penchée que ça ne soit mignon, mais assez penché pour qu'on puisse imaginer qu'elle vient de se briser le cou. Notre grande brune elle trouve ça adorable, mais disons que son jugement est un peu trop subjectif pour être fiable.

Elle décide d'être honnête.

- A vrai dire, je crois que je m'attendais à une maison toute biscornue et couverte de jaune, dans ce style-là. Une maison qui te ressemble un peu, tu vois.

Un instant, elle a peur de la vexer, mais elle ne voit dans les yeux noisette de sa presque amie aucune douleur, aucune colère.

- C'est mon père qui voulait. Je voulais la recouvrir de fleurs jaunes mais il n'a pas voulu, il préfère les choses... Discrètes ... ?

Elle se gratte l'oreille, elle est un peu gênée d'avoir été percée à jour si facilement, parce que c'est vraiment à ça que ressemble sa maison de rêve. Toute biscornue, et peinte de grandes fleurs jaunes.

C'est dans une maison comme ça qu'elles vivraient, plus tard, si elles décidaient de se marier et de vivre ensemble.

Aussitôt, dès que cette pensée a effleuré son esprit, son visage habituellement d'une pâleur sans faille se colore, comme un coquelicot en fleur, et ses joues lui chauffent si fort qu'elle a l'impression de sentir son sang bouillonner dans ses veines.

Elle se retourne rapidement, et claque la porte derrière elle, en laissant face à celle-ci une Savane complètement stupéfiée par la beauté de son visage enflammé de gêne.

Au bout de quelques minutes à se tordre de rire le plus silencieusement possible Savane toque à la porte (pendant ce court laps de temps que l'autre se tapait la tête contre cette même porte en se demandant pourquoi elle avait toujours les pires réactions dans les moments les plus importants).

La porte s'ouvre tout doucement, de peu, juste de quoi laisser passer une tête au visage froid et au regard qui s'efforce de rester vide.

- Oui ?

- Bonjour, c'est pour...

Et voilà que la porte lui claque à nouveau au nez, et elle arrête de rire immédiatement. Elle commence à douter. Est-ce qu'elles sont encore en train de rire, ou bien ne veut-elle vraiment plus la voir ? Mais au moment où elle allait sérieusement commencer à douter, la porte se réouvre.

- Bon, tu entres ?

Et elle se détend à nouveau alors qu'elle pénètre dans l'habitacle de sa dulcinée.

- - -

Savane est en train de boire un verre d'eau, le regard perdu par la fenêtre de la cuisine.

Et Léa qui était censée être aux toilettes la regarde.

C'est beau.

C'est beau son visage, c'est beau la lumière, c'est beau les feux d'artifices qui se jouent dans sa poitrine.

Le dos à Savane a quelque chose de spécial qui donne envie de l'enlacer et de lui faire un de ces grands sourires qui lui font mal aux joues.

Elle n'avait jamais ressenti ça, avant.

Jamais eu la tête aussi légère, ni autant de sourires au bord des lèvres.
Jamais trouvé autant de beauté en un seul être, ni autant de frissons sur sa peau à cause de simples pensées.
Jamais tant désiré caresser des lippes avec les siennes, et jamais vu des yeux si beaux que son âme en est chamboulée.

Mais ce sont des jamais qu'elle veut transformer en "toujours »... Eh bien, pour toujours.

Ce ne sont pas les jamais qu'on veut oublier et ranger au fin fond de sa mémoire, ce sont ceux qui font avancer si loin qu'on regardera à peine derrière.

Léa refuse de donner un nom à cet amas de sentiments confus qui lui embrouillent la tête, parce qu'elle a peur que tout s'arrête et aussi parce que aucun mot n'est assez joli pour décrire sa brune.

C'est une nouvelle émotion, une qu'elle placerait probablement dans sa catégorie favorite, dans une belle boîte jaune au fond de son esprit.

Une émotion comme une étoile qui meurt. Scintillante, brûlante, lumineuse, mais qui éclate en milliers de fragments qui se bloquent partout et forment de nouvelles choses.

Elle se sent emplie de petits détails, d'odeurs exquises, de frissons mémorables, de peau nacrée, de lèvres trop désirables.

Et ça forme tout un univers, dont les constellations et les planètes relient son cœur à celui de Savane.

Elle ne veut vraiment pas trouver de nom à tout ça, à ce fouillis confus de sentiments et de sourires, ce serait presque briser l'étrangeté de cette ambiance délicieuse qui règne entre elles. Elle décide qu'elle n'a pas besoin de case définie et que son sentiment pourra voguer de joie à colère sans que cela ne dérange personne, du moment que ce sera aux côtés de sa muse.

L'autre se retourne et lui fait un clin d'œil du bout de ses longs cils noirs, et tout son corps vibre, traversé encore par cette vague -que dis-je, ce tsunami- de frissons, de rougeurs, de joie, et de désir.

Comme si Savane lui foutait le feu de l'intérieur d'un simple regard.

Elle s'en fout si le feu brûle trop fort pour son petit cœur vierge, elle aime brûler.

Elle aime brûler comme l'Enfer, comme le centre de la Terre.

Elle aime brûler pour Savane.

- - - - - - -

Après avoir regardé un film un peu niais elles se sont blotties dans son lit, emmitouflées l'une contre l'autre dans le doux plaid orangé.

Elles ont chaud, un peu trop, mais c'est si doux et agréable qu'elles ne bougent pas.

Léa se sent envahie par l'odeur de Savane. C'est curieux, son odeur est presque masculine, un peu comme celle des parfums et déodorants pour homme. L'odeur n'est pas très forte mais elle chatouille le nez de la plus jeune d'une manière si agréable que ça lui donne envie de dormir.

D'ailleurs elle garde les yeux entrouverts, sans totalement les fermer parce qu'elle ne veut pas que ce moment se finisse.

Et la grande brune, elle trouve ça terriblement adorable.

Elle la regarde sans trop sourire, le visage un peu neutre, mais ses yeux curieux la trahissent. Dans les royaumes de ses yeux des lueurs émerveillées se balancent sur le visage délicat de sa belle.

Elle balade son regard sur ses joues pleines, sur ses lèvres fines, sur son petit nez de lutin, sur ses paupières fermées. Elle remarque que son visage est couvert d'une fine couche de paillettes. Et mon dieu, à cet instant elle se demande même si l'autre est vivante, ou si elle est juste un piège trop beau de son imaginaire.
À vrai dire, certains pourraient la trouver un peu banale physiquement, et Savane pensait la même chose au début. Et puis, à force de la regarder, de la détailler, elle a fini par lui trouver une beauté toute autre, singulière, que les autres ne parviennent pas à voir, une beauté qui fascine et qui lui paraît encore plus transcendante à chaque regard. Et ça ne la dérange pas que les autres puissent la trouver ordinaire, au contraire, elle à l'impression d'avoir découvert la huitième merveille du monde sans que personne n'en sache rien et ça luit plaît bien de pouvoir la garder à elle toute seule.

C'est un peu égoïste, certes, mais Savane n'est pas parfaite et n'a jamais prétendu l'être. C'est la définition d'un être humain, les imperfections, et elle est humaine au possible, remplie de défauts et de vices. Mais elle essaie chaque jour de donner le meilleur d'elle-même, et même les mauvais côtés.

Elle aimerait bien ne pas dormir, et rester là à la regarder pour l'éternité, dans ce cocon loin du monde où personne ne pourrait jamais les atteindre, à laisser ses pensées sur ce monde divaguer, s'envoler loin dans le ciel. Chuchoter au creux des étoiles, voilà ce qu'elle aimerait faire toute la nuit, leur dire comme Léa est belle, dans ses bras, à lui réchauffer le cœur. Crier dans tout l'univers qu'elle trouve enfin l'humanité belle, qu'elle trouve enfin la vie belle.

Lentement, comme elle voit que Léa est endormie, elle se rapproche, et passe un bras sur sa taille, avant de la coller contre elle et de l'enlacer. La plus petite se réveille un peu, les yeux tombants, juste pour serrer un peu plus fort entre ses doigts le grand T-shirt rouge que porte Savane en guise de pyjama, et pour se rendormir immédiatement après. Et cette dernière, même si elle préfèrerait rester éveillée pour penser encore cède elle aussi à l'appel du sommeil.

- - - - - - - -

Il est trois heures du matin.

Trois heures et une minute, si on chipote.

Léa se réveille et son lit est tiède. Aussitôt, elle se redresse et la cherche des yeux, et la panique envahit tout son corps qui se tends et tremble d'angoisse, de peur... Mais, elle est là, elle n'est pas partie.

Accoudée à sa fenêtre, elle fume une cigarette.

Le bout rougeoyant de sa clope obsède Léa quelques secondes, puis elle se reconcentre sur la fumeuse en elle-même qui souffle la fumée d'un air las, en tenant du bout des doigts son bâton de nicotine, la fumée formant un brouillard trouble autour de sa gracieuse silhouette, comme dans les films. Elle a l'air mystérieuse, et encore plus belle, si c'est possible.

Un air un peu écœuré lui décore le visage, comme si chaque bouffée lui retournait le cœur, mais elle continue pourtant de porter sa main à ses lèvres.

Elle regarde dehors.

Elle doit aimer observer le monde, parce que ça lui arrive souvent de regarder dans le vide, de traîner ses pupilles fatiguées sur ce paysage que Léa trouve trop gris. Peut-être qu'elle cherche des réponses dans les formes des nuages, ou bien peut-être profite-elle simplement des couleurs grisâtres presque fades qui colorent notre monde de porcelaine.

En tous cas, ça lui va bien, d'observer, de penser, quoi qu'elle fasse, ça lui sied à merveille.

Léa se lève sans faire de bruit, la couette sur les épaules comme une cape : qil fait trop froid à cause du velux ouvert.

- Je savais pas que tu fumais.

Savane sursaute à peine, et écrase son mégot dans un cendrier refermable avec lenteur. Elle le glisse ensuite dans sa poche et se tourne vers elle.

- Tu n'avais pas besoin de le savoir.

Elles se regardent droit dans les yeux, et, l'espace d'un très court instant, chacune pense si fort à l'autre que leurs respirations s'accélèrent.

- Tu ne me sers pas le speech habituel sur les dangers que ça pourrait avoir pour ma santé ?

En réponse, Léa s'avance et lui fait un câlin en l'enveloppant de sa couette par la même occasion.

Surprise, la brune met un temps avant de se détendre et d'appuyer son menton sur son épaule.

Puis, elles s'éloignent un peu, et le plaid tombe au sol.

Des frissons glacés s'emparent de leurs corps frêles.

De Savane dont les belles boucles brunes lui retombent sur le front, dans son grand T-shirt rouge et son jogging épais.

De Léa aux joues rosées, dans son pyjama à l'effigie d'un poussin, de ses mains encore agrippées nerveusement au haut de l'autre.

Et, avec une lenteur presque sensuelle, la première s'avance de la seconde en penchant légèrement le visage, enflammant leurs joues et emballant leurs cœurs.

Et elle s'arrête juste devant ses lèvres, les yeux plongés dans les siens, et elle laisse son souffle brûlant frapper contre la lippe de sa demoiselle dont les yeux écarquillés lui donnent un air de biche adorable.

Puis, sans qu'aucune ne sache vraiment qui a amorcé le geste, elles s'embrassent.

Et leurs lèvres s'emboîtent à la perfection et elles les bougent délicatement, comme si elles avaient peur de se briser.

C'est comme si leur existence à chacune avait soudain pris un sens, comme si elles avaient vécu toute leur vie pour se retrouver ici, prisonnières dans ce baiser et dans cette étreinte glacée. Leurs cœurs battent à une vitesse qui pourrait figurer dans les records du monde, leurs esprits sont vides, leurs corps tremblent, frémissent et en demandent encore.

La main froide de Savane vient caresser avec douceur l'avant-bras de Léa tandis que sont autre main se pose sur sa taille, et l'autre elle reste là, les bras le long du corps, à savourer ce baiser comme si soudain elle découvrait ce que c'était de vivre.

Elles transmettent entre leurs lèvres tous ces sentiments, toutes ces constellations qui les relient, elles font passer tous ces sourires qu'elles ont fait et qu'elles feront encore, elles glissent tous les "Je t'aime" qu'elles ont pu imaginer et des milliers d'autres encore.

Leurs odeurs se mélangent, s'effacent, se comblent si bien, et leurs âmes se serrent à s'en faire mal comme si elles venaient enfin de se trouver après la nuit des temps passée à se chercher.

Léa se sent fondre dans le baiser, l'esprit retourné, et le monde envahi par l'être qui se presse contre elle, et tout soudainement prends un sens et souhaite rester ainsi pour toute la vie.

Savane se sent puissante, à tenir entre ses bras ce corps tremblant, ce corps qu'elle veut posséder et aimer de toute la force dont elle est capable, et à malmener les croissants de chair de celle pour qui elle changerait le monde.

Elles s'appartiennent, mais ne font qu'une en même temps, et c'est si confus et si dur de les dissocier.

Savane et Léa s'embrassent, encore et encore.

Quand même bien que ça serait la fin du monde, que tous les autres disparaîtraient ou que la troisième guerre mondiale serait déclarée, elles continueraient de s'embrasser encore et encore.

Rien n'importe.

Rien d'autre que l'autre.

- - - - - - - -

Retour à la case départ.

Léa, assise sur son banc, qui observe le coucher de soleil.

Mais même si rien n'est différent, tout a changé.

Maintenant, elle sourit à tout le monde, tout le temps. Sur sa liste de choses préférées, le banc est passé loin derrière, même si elle l'aime toujours autant. La grande écharpe jaune qui l'enveloppe sent comme Savane, et honnêtement elle a l'impression qu'elle ne se lassera jamais de son odeur apaisante dont elle est addicte.

Dans la boîte jaune de ses émotions, il n'y a plus rien. Parce que tout a été englouti par l'univers de sentiments qui grondent dans son esprit, par tous les fragments d'étoiles, par tous les souvenirs, et tous les baisers passionnés.

Quand Savane l'embrasse le monde s'enfuit et il ne reste plus rien.

Plus rien qu'elles, elles contre le monde, main dans la main, et cette idée lui plaît bien.

Elles se suivent partout, elles sont tout le temps ensemble, et jamais elles n'auraient pu imaginer une plus belle idylle.

Qui sait, dans quelques années, peut-être vivront-elles dans une jolie maison peinte de fleurs jaunes ?

Le banc grince sous le poids de celle qui vient de s'y assoir. Un pain au chocolat est négligemment jeté sur ses genoux, et une main froide se glisse dans la sienne.

Elle sourit encore, submergée de bonheur, et se tourne pour cueillir la bouche au gout de cerise qui s'offre à elle.

Et comme à chaque fois, tout s'écroule, rien ne reste, si ce n'est la main qui caresse la sienne avec douceur.

Savane s'éloigne un peu et lui sourit, leurs regards aimantés se connectent et elles restent comme ça, plongées dans le regard l'une de l'autre, à observer avec émerveillement les galaxies qui scintillent dans leurs iris aux couleurs distinctes. Elles s'imprègnent l'une de l'autre, et sourient comme si elles se disaient milles choses qu'il nous est impossible d'entendre.

Pour une fois, c'est une histoire qui se termine bien.

Juste l'histoire de deux âmes fondues l'une dans l'autre, de deux êtres dont les formes épousent celles de l'autre, de deux paires de lèvres faites pour être accrochées ensemble, de deux univers entrés en collision.

Lorsqu'une étoile se meurt, elle finit par exploser, se disloquer en milliards d'atomes qui se dispersent dans l'univers pour s'unir à nouveau.

Léa et Savane étaient deux étoiles trop abîmées, croulant sous le poids d'une solitude sans nom, deux sources de lumières entrées en collision.
Elles se sont explosées à la gueule, exposée l'une à l'autre, les sourires à nu.
Et les milliards de milliards de fragments, de souvenirs qui les constituaient se sont mélangés.

Tout est confus, parce qu'elles forment un tout désormais. Deux cœurs qui battent le même rythme, deux âmes qui se battent en rythme.

Ensemble contre le monde, les mains liées et les lèvres enchaînées.

Elles sont emmêlées, enlacées, enracinées dans leur propre histoire qu'elles construisent avec leurs fragments d'étoiles à elles.

*Parce qu'au fond, nous sommes tous des poussières d'étoiles.

Et cette poussière forme des mots, des lignes et puis des phrases et une histoire.

Celle de Savane et du tatouage de marguerite jaune qui décore son poignet droit désormais, de l'encre incrustée dans sa peau et des fragments d'étoile incrustés dans ses veines.

Celle de Léa et du goût amer de cigarette qui ne quitte jamais sa bouche quand Savane l'embrasse.

˙sdᴉl ǝʇʇǝɹɐƃᴉɔ

- - - - - - - - -

Voilà, j'espère que cet OS vous a plu, j'y ai consacré beaucoup de temps à vrai dire et c'est la première fois que j'écris quelque chose de ce genre donc pardonnez-moi si je suis encore maladroite.

J'ai adoré construire le personnage de Léa, que je trouve un peu étrange mais d'une jolie manière, et je me suis amusée à lui trouver des caractéristiques qui feraient d'elle une personne différente, un peu perdue dans ce monde et aux habitude bien particulières.

J'espère aussi que leur relation vous a plu, et que comme moi vous avez apprécié leurs dialogues un peu loin de tout.

Voilà, je suis assez contente de mon travail donc je vous laisse ça là !

Merci encore à gabyjiminluna de m'avoir relue 🍴🍴🍴 (faites gaffe aux cuillères qui volent c:)

Merci d'avoir lu jusqu'au bout, et n'hésitez pas à laisser vos avis, ça me ferait extrêmement plaisir.

*référence à l'ouvrage Poussières d'étoiles, d'Hubert Reeves

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