Nuisible

tw: araignée

Les pensées insidieuses remontèrent petit à petit comme une nuée d'araignée. Elles grimpèrent sa colonne vertébrale, sa nuque puis s'introduisirent dans sa conscience. Hurlant de souffrance, rageant d'agonie. Toutes ces flammes, tous ces cris enfantins, toutes ces larmes renversées par ceux qui n'ont sut que trop tard, tout ces corps calcinés n'ayant pas eu le temps de se mettre à l'abri et cette église en ruine dont gisait parmi les décombres la fille monstrueuse qui souriait, soulagée d'un poids sur ses épaules. Les corbillards sur l'asphalte brûlant et le foyer incandescent où brûlaient les dépouilles de ceux dont l'identité avait disparu. Des cendres sur les pavés. Ce village tout de noir vêtue, les rideaux tirés et les visages détruits par le deuil. Tous ces souvenirs, toutes ces images gravés sur sa rétine et qui ne veulent jamais partir. Une fois les yeux fermés il ne voyait plus que cela, ce rouge flamboyant qui venait brûler ses yeux jusqu'à le rendre aveugle. Ce cauchemar se répétait sans cesse, ils venaient le voir et lui demander pourquoi lui était encore là.

POURQUOI ?

L'homme se réveilla pris d'un sursaut. Il secoua sa tête faisant virevolter ses cheveux bouclés qui retombèrent ensuite sur ses épaules affaissés. Si seulement il avait refusé... L'argent n'effacerait jamais les souvenirs, l'argent ne ramènera pas les morts. L'or n'apporte que malheur et dorénavant la fortune l'avait marqué au fer-blanc, ne lui laissant aucune échappatoire. À cette seule pensée il se sentit défaillir, il ramena ses jambes qui lui semblaient soudainement trop grande vers lui et couvrit avec un drap son corps nu et tordue de douleur. La chambre lui semblait cloisonnée de toute part, étouffante, embuée. Angoissé il en eu du mal à soulever sa poitrine dans l'effort vain de respirer, son souffle se faisait haletant, saccadé. Ses poumons se vidaient en quelques secondes, sa gorge se nouait sur elle-même et sa cage thoracique s'affaissait peu à peu. Son corps cambré, ses membres secoués, une écume dans sa bouche: le manque. Il lui fallait sa dose pour oublier ce rouge, il lui en fallait toujours plus: son opium qu'il aimait tant...

Une épaisse volute de fumée s'échappa des fines lèvres de l'homme et enfin il fut apaisé, oubliant ce rouge qui lui brûlait la rétine et ces esprits torturés qui demandaient justice. Seule la lumière pâle de la bougie et cette fumée qui rendait ses paupières lourdes.

Des mois et pourtant la douleur persistait, les nuits se raccourcissaient. La lune et le soleil se suivaient en quelques minutes dans une danse passionné, entres jours et nuits rien ne changeait si ce n'était ses yeux grands ouverts par peur de ce rouge, de ces flammes. Il ne savait plus l'heure, il ne savait plus le jour, il ne savait plus l'année. Les rideaux tirés il attendait seulement sans savoir réellement la raison. Allongé entre les draps ivoires, le corps raide et nu il se cherchait un but. Cet argent sale entre ses mains, volé d'un homme mort qui lui était inconnu. Les tiroirs vides, ni opium ni cigarette et enfin l'extérieur qui le terrorisait. Toutes ces personnes, tous ces regards sur son corps informe et leurs dédains. Ils le savaient, ils le savaient tous dès le premier regard posé sur lui. Ce n'était qu'un couard, un apeuré, un aliéné ne pouvant voir ne serait-ce qu'une flamme, il en était devenue incapable d'allumer une bougie. Il y avait aussi son odeur exécrable, l'odeur de la mort dans son sillage. Elle le mangeait de l'intérieur, déchiquetant ses entrailles, triturant sa peau, arrachant sa chair, hurlante de plaisir. La Mort était devenu son ombre tout comme eux. Ils ne l'abandonnaient pas, ils suivaient chacun de ces faits et gestes, lui murmurant perpétuellement.

POURQUOI ?

Il entendait le battement sourd et régulier de leurs cœurs, leurs souffles contre sa peau sèche, leur pas sur le parquet miteux. Ils déambulaient sur les murs, l'ombre d'un passage, l'écho d'une précipitation. Ils fuyaient son regard, hantaient son ouïe. Il n'en pouvait plus, il aurait voulu être aveugle et sourd. Il aurait voulu mourir ce jour-là. Les autres ne le comprenaient pas, ils ne savaient pas la douleur, la terreur. Il sentait parfois leurs mains caresser son cou avant de serrer leur emprise, il étouffait comme un pauvre animal puis ils s'en allaient comme ils étaient venus. Lui, hagard et haletant, regardait l'ombre disparaître. Il ne savait plus entre la mort et la vie mais il voulait que cela cesse et ce sourire morbide, ce rouge aveuglant, ce noir cendre. Il n'en pouvait plus. Si seulement.

Le fer froid serra ses maigres poignets tandis que les rires gras des gardes recouvraient leurs murmures. Un inconnu fortuné qui, sans raisons apparentes, se rend de son plein gré sans aucune suspicion porté sur lui. Un fou, un aliéné. On lui rasa le crâne, frotta son corps nu et décharné, vêtit d'une ample chemise terne et d'un pantalon assorti. Des barreaux tendus vers le ciel, des couloirs blafards, des voix écorchés, l'odeur exécrable de l'urine, des gardes inhumains. Son regard se posa sur une fleur qui avait éclos sur le sol fissuré de la prison, tâche de rouge sur le gris monochrome. Ses joues s'empourpraient de joie, ici il ne les entendrait plus, il était sur la voie de la rédemption.

Une silhouette dessinée contre le mur, filiforme, élancée. Peu à peu elle se détache de la surface et prend vie sous ses yeux. Peu à peu un rictus nerveux s'esquisse sur son visage affaissé et ses yeux glaçants défigurent le nouveau venue. Peu à peu l'une de ses mains se pose sur l'épaule raidie de l'homme tandis que l'autre désigne d'un geste plein de grandeur le maigre intérieur de la cellule.

" Bienvenue à toi camarade... Tu te nommes ?
- Théophile.
- Ironique n'est-ce pas comme choix de prénom ? Celui qui aime Dieu est en prison."

Sur ses mots son corps fut pris d'une secousse étrange, son visage s'étira, ses yeux diminuèrent, ses pommettes grimpèrent dans des hauteurs insoutenables et sa bouche se déforma d'un rictus monstrueux. La pièce s'emplit d'un rire macabre et sarcastique se cognant contre les murs tremblants de honte. Il enfla telle une bête, occupant le maigre espace de la cellule, étouffant ses occupants jusqu'à l'asphyxie. Un rire si horrible qu'on aurait voulu l'éteindre, qu'on aurait voulu serrer le cou du maigre et effilé prisonnier avec nos propres mains. Enfin son rire s'essouffla et la lourde atmosphère s'éclipsa pour laisser le nouveau venue terrorisé de cette soudaine illumination...
Il n'était pas libéré, il était enfermé avec eux.

POURQUOI ?

La rose respirait, les lumières éteintes et les prisonniers endormis il était possible d'entendre son souffle sifflant et suffoquant, de voir ses pétales s'animer gonflant peu à peu. Elle se transformait, grandissant de seconde en seconde tandis que son souffle se faisait rauque et affirmé. Désormais ce n'était plus qu'une épaisse tâche carmine et informe. L'obscurité avait disparu sous sa clarté chatoyante. Le prisonnier laissa ses mains tremblantes glisser contre le barreau froid, abasourdi il chercha du regard une échappatoire mais désormais il n'y avait plus rien. Ni drogue, ni porte. Seulement ces murs et cette lumière dévastatrice brûlant ses yeux grands ouverts. Si il les fermait il était persuadé qu'il ne les ouvrirait plus jamais or il ne voulait pas finir avec eux. Il approcha ses mains sans s'en rendre compte vers son bassin, les glissant sous son ample pull émaillé et gratta sa peau jusqu'au sang: jusqu'à ce que la nuée d'araignée ne soit plus dans son esprit et que seule la douleur se fasse ressentir, jusqu'à que ces ongles soient maculés de son propre sang pour oublier celui que les autres ont versé. Cependant la lumière s'approchait de plus en plus et il sentait l'extrémité de son nez fondre sous la chaleur, sa peau devenait gluante, liquide. Son corps s'était joint au sol, découvrant ses os noir cendre.
Soudainement il sentit une pression sur son épaule et la lumière disparut, laissant l'homme hagard à nouveau.

"Pourquoi ne vas-tu pas dormir camarade ?"

Un rat avait fait irruption dans la cellule, couinant, filant entre les jambes de l'homme. Il n'avait jamais autant ri, ses muscles l'assaillait de douleur tant ils étaient stimulés. Les animaux ne le trouvaient pas fou, ils comprenaient. Ils ont toujours été à moitié entre le monde des esprits et celui des hommes, vacillant entre leur réalité et la notre, riant des hommes et respectant les esprits. Ce rat savait et pour cela l'homme voulu de lui, partageant ses maigres repas, jouant avec lui, lui donnant un nom. De l'autre bout du blafard couloir un garçon glissa son visage caramel entre les barreaux longilignes, observant de ses grands yeux noirs le rat et son maître. Sa voix forte et grasse traversa le couloir, attirant l'attention de l'homme.

"Bonjour camarade tu sembles bien joyeux avec ton nouvel ami.
- Oh oui ! Il égaye cette cellule bien que c'était déjà le cas avec mon ancien camarade de cellule.
- Je n'ai pas eu la chance de le rencontrer malheureusement. Tu me le présenteras ?
- Bien sûr. "

L'odeur de la rouille avait empli la cellule, un plateau s'était glissé dans l'interstice. Le rat accourut vers celui-ci, humant l'étrange mixture: une mélasse où se noyaient des morceaux d'espèce inconnue voilée d'un duvet de moisissure. Le rat n'hésita pas et plongea son museau d'un seul coup, dévorant ce dont il était capable. L'homme jeta son dévolu sur le pain rassis trônant sur le rebord du plateau. Celui collait contre son palais et laissait un goût amer sur sa langue pâteuse et rugueuse. Ses yeux se posèrent sur son nouveau compagnon quand une voix auguste et tremblante résonna dans la petite enceinte.

"Qui est-ce ?
- Rougon
- Il a un nom ? Cette chose qui vole notre repas ?
- C'est mon ami, désormais il..."

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'il sentit de la chair fraîche sur sa peau, lorsqu'il abaissa son regard il vit la cervelle de son compagnon et son corps aplati contre le sol, déformé et hideux. Ce n'était pas possible, cependant il entendit le soupir lasse de son camarade de cellule, il le vit essuyant son pied d'un air écœuré. Alors les larmes lui montèrent aux yeux, désormais il le savait: il était maudit. Dans la noirceur du couloir deux grands yeux ébène observaient la scène.

À nouveau la voix grave et forte se cogna contre les murs de la prison pour finalement atteindre la petite cellule où l'homme assis, le visage entre ses genoux, tremblait de peur.

"Pourquoi tu l'as tué ?
- De quoi tu parles ?
- Le rat. Il ne t'avait rien fait.
- Arrête ! Tu as mal vu c'est mon camarade qui a tué Rougon.
- Tu étais seul, je n'ai jamais vu ton camarade de cellule. "

POURQUOI ?

La tâche enflait à nouveau, vrombissante et menaçante. Il n'en pouvait plus, il les sentait contre sa peau et la nuit lorsque tous s'endormaient il entendait le rat pleurer et couiner de douleur. Il entendait le crépitement des flammes, les hurlements des femmes et des enfants. Il sentait les flammes contre sa chair et leurs mains qui déchiraient ce qui lui restait de peau. Ce n'était plus qu'un amas d'organes et d'os s'effritant en un tas de cendre. Il n'était plus rien désormais, il ne restait que sa conscience qui lui hurlait d'en finir, d'arrêter cette torture et ces machinations. Il n'en pouvait plus de tout cela. Si seulement... La chaleur l'enveloppait et il aperçut au loin la silhouette. Son ombre grimpait sur son être telle une nuée d'araignée; elles glissaient contre sa peau, le mordant de toute part. L'homme pleurait comme un enfant, il voulait tant mourir. Il voulait tant que cela cesse, il n'en pouvait plus. Il ne savait si c'était vrai ou non, son esprit ne cessait de vaciller telle la flamme d'une bougie. Si seulement quelqu'un pouvait l'éteindre pour de bon.

" Pourquoi ne puis-je pas mourir ?
- Tu n'as pas assez souffert. "

Puis son rire résonna à nouveau, ce rire horrible alors il se cogna la tête contre les barreaux, encore et encore. Sa tête contre le barreau froid: il fut si heureux. Là où il irait il sera avec Rougon et ils pourraient rire ensemble à nouveau. Ensemble et heureux. Désormais la lumière disparaissait et une fontaine de rouge glissait sur son visage, peu à peu ses yeux se fermaient mais il entendit les hurlements, les cris. Il sentit ses épaules agrippées et son corps traîné sur le sol froid du couloir.

POURQUOI ?

Sous son bassin il sentit une matière douce et molletonnée, par instinct ses mains rejoignirent son front désormais gravé d'une balafre. Il bascula sa tête d'avant en arrière et ne vit que du tissu capitonné, aucune fenêtre. La porte était elle aussi recouverte de ce tissu et aucun interstice existait pour voir le couloir. Il hurla mais personne ne l'entendit de l'extérieur, personne pouvait l'entendre hurler jusqu'à brûler sa gorge. Personne mis à part la grande silhouette dans le recoin de la pièce qui riait à nouveau, riait jusqu'à vouloir en mourir.

Il était enfermé avec eux.

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