Untitled Part 1
Ciel orageux
C'était par beau, froid, magnifique jour d'hiver.
Le matin venait à peine de se lever, blanc et éclatant, en apportant avec lui une mare de personnes habillées en noir, une mare de personnes larmoyantes, lamentables avec leurs mouchoirs et leurs souffrance si artificielle. Tous habillés avec des beaux costumes, avec des belles robes, les femmes parfaitement bien maquillées et coiffées et les hommes tout à fait présentables, strictes, regardaient les lieux d'un air grave et désappointé, le visage froid et impassible, comme s'ils allaient à un entretient d'embauche ou à leur travail respectifs. Ils étaient tous là, grands, beaux, forts, fiers, mais tellement, tellement affreux. Semblables à des monstres, semblables à des hyènes ou à une meute de chiens, ils nous fixaient, moi et mon père, à travers leurs yeux larmoyants, attendaient le meilleur moment pour nous sauter dessus et nous déchiqueter, nous détruire.
Ils étaient les amis de ma mère.
Et ils tous étaient venus assister à ses funérailles.
Un groupe de jeunes femmes s'approchèrent de moi, me sourirent de cet air gentil, désolé. Hypocrite. Elles me parlèrent, me rassurèrent, s'inquiétèrent de ne pas me voir fondre en larmes et laisser ma peine me dévorer.
Mais je n'allais pas les laisser faire. Je n'allais pas pleurer, je n'allais pas crier et me mettre en colère, je n'allais pas leur donner la satisfaction malsaine de voir à quel point la mort de ma mère m'avait déchiré, nous avait déchiré. Je me devais d'être forte, je me devais d'être stable, je me devais d'être froide. Après tout, c'était ça, c'était sa faiblesse, la faiblesse de ma mère et du monde entier pour ne pas avoir pu la sauver qui lui avaient été fatale. Et je ne voulais pas faire la même erreur, je ne ferais pas la même erreur.
Parce que moi, je vais être forte, me dis-je encore une fois en levant mes yeux impassibles sur le ciel morne et gris, d'argent qui nous couvrait. Puis, soudainement, alors que je fixais encore les nuages qui couvraient nos têtes et que je profitais du peu de tranquillité qu'on venait de me laisser, un garçon apparut, un petit garçon, de mon âge, sans doute, s'assit à mes côtés, s'allongea sur la neige en souriant.
-Comme s'est beau !, me dit-il, heureux, les joues rouges, meurtries par le froid et son souffle blanc se rependant devant nous.
Je décidais de l'ignorer, mais il continua de me parler, de sa petite voix légère, aigue, et dans l'insouciance et la naïveté étrange qu'exprimait son regard brillant :
-J'aime l'hiver, parce que je le trouve beau, avec la neige. Et j'aime Noël, parce que j'ai droit à tellement de cadeaux ! Et toi, est-ce que t'aimes l'hiver ? C'est quoi ta saison préférée ?
-Comment tu peux t'adresser aussi facilement à quelqu'un que tu ne connais même pas ?,demandais-je brusquement en fronçant les sourcils, en me crispant et en m'écartant lentement.
Ce type de personnes, je ne les aimais vraiment pas. Je les trouvais stupides, idiotes, beaucoup trop impulsives et irréfléchies. Et pourtant, c'était ce type de personnes que le monde préférait, que le monde vénérait en les montants sur un piédestal. C'était ce type de personnes qui étaient populaires, qui avaient le plus d'amis, le plus de famille, qui étaient le plus heureux dans leur vie.
Le garçon aux cheveux roses rit, la bouche grande ouverte, perdu face à une euphorie incompréhensible.
-J'y crois pas ! J'essaye d'être sympa avec toi, tu sais ? Je veux dire, tu viens de perdre ta mère, ça doit être dur...
-Je n'ai pas besoin de ta pitié, crachais-je en me relevant. Je vais surmonter cette difficulté ; je ne vais pas perdre mon temps à pleurer inutilement.
-Peut-être...mais tu as tout à fait le droit d'être triste, tu sais ?, souffla-t-il en me souriant légèrement, avec une certaine mélancolie, tristesse, amertume, peut-être.
Quel joli souvenir...
Mes yeux s'ouvrirent tout à coup, tandis que je sentis mon estomac se contracter.
Une douleur aigue s'empara de mon crâne.
Brusquement, des spasmes secouèrent mon corps, firent trembler mes mains, mes jambes alors que je marchais, ou plutôt que je courais, en trébuchant, en boitant, dans ma grande maison vide, les mains mes couvrant la bouche, le corps penché en avant, comme si mon dos ne supportait plus son poids. D'un mouvement rapide, expert, habitué, j'allumais la lumière de ma si luxueuse salle de bain et tombais en avant, mes genoux se fracassant contre le sol en résonnant, dans un claquement sourd et amer qui me fit grincer des dents, tandis que mes mains venaient se cramponner désespérément à la cuvette des toilettes. Un autre soubresaut me fit frissonner et je me penchais, me penchais, me penchais encore en avant, le corps froid et las, fatigué, malmené, tandis que mes lèvres entrouvertes laissèrent passer mon maigre repas. Un autre tremblement, une autre secousse et un autre râle se firent entendre, avant qu'enfin, le malaise ne se termine dans un dernier frisson douloureux et que je ne repousse la cuvette blanche d'un geste dégoûté.
La douleur de l'agonie.
C'est ce que je ressentais, en ce moment, alors que je venais de m'affaisser contre le mur en fermant les yeux, alors que des larmes silencieuses essayaient de faire taire les cris qui raisonnaient dans ma tête, des cris de rage et d'un désespoir sans nom, alors que mes mains tremblaient sans s'arrêter, que mes jambes s'engourdirent tellement que je n'arrivais plus à les sentir, et que mon ventre continua de se contracter, encore et encore. Je me penchais en avant, me penchais et appuyais sur la peau de mes pieds, ne sentant rien, toujours rien, rien du tout, malgré les coups de poing que je commençais à donner, malgré les griffes que je plantais dans ma chair si tendre, rien ne laissait passer cette paralysie temporaire.
Alors, dans un ultime mouvement de désespoir, je m'agrippais avec mes mains aux murs, soufflais et soulevais mon corps à l'aide de mon lavabo, réussis à me mettre debout, avant de, brusquement, subitement, si rapidement que je ne m'en aperçus qu'à peine, je me sentis chuter, tomber et me cogner de nouveau contre le sol, tellement pitoyablement.
Encore une fois, je ne sentis rien.
Je finis par abandonner, par laisser tomber toute idée, toute pensée, déconnectant mon cerveau, en m'allongeant par terre et en fixant le plafond, la respiration lourde et saccadée, des larmes ruisselant le long de mes joues, impuissantes, brûlantes d'amertume.
Des pas lourds se firent entendre dans la si grande maison. Mon père approcha, vint me fixer et je devinais son regard douloureux, triste, désespéré, hanté par des souvenirs qu'il aurait voulu oublier. Je le devinais en train de me fixer pendant un bon moment, les lèvres pincées comme s'il voulait me dire quelque chose, comme s'il cherchait à me dire quelque chose, mais voyant que les mots ne lui venaient pas, il secoua sa tête, détourna les yeux du spectacle pitoyable, lamentable que je lui offrais et il prit un air dégoûté, paniqué, attristé, avant de, amer et tout aussi las que moi, de finir par se détourner et par partir, ses pas lourds raisonnant dans la maison silencieuse. Il rejoignit rapidement son bureau, claqua sa porte brusquement et s'enferma pour encore une autre journée dans ce petit antre rempli de papiers, de devoirs, de contraintes qui le faisaient tout oublier tellement facilement.
Après tout, cette scène, ce genre de matinée mouvementé, on commençait à en avoir l'habitude. On commençait à ne plus s'inquiéter de mes petits cris, de mes petites courses tremblotantes et de mes frissons innombrables, de mon incapacité à manger quoi que ce soit sans le régurgiter pendant un bon moment, de mes jambes qui devenaient de plus en plus souvent et longtemps paralysées, de l'engourdissement si familier qui commençait à monter doucement, tel un serpent venimeux, se faisant sentir au niveau des bras, aussi, parfois, dans mes nuits blanches.
Après tout, cette scène, on la vivait déjà depuis un mois.
Je soupirais, doucement, lentement, posément. Je soupirais et réussis à me relever, lorsque la crise se termina et s'envola tel un nuage toxique, se volatilisant comme si de rien n'était ou comme si j'avais rêvé. Enfin, je fus en mesure de placer un sourire maladroit sur mon visage, un sourire stupide et insignifiant, pourtant si important pour moi, avant de nouer mes cheveux si fades dans une queue de cheval et de me préparer à affronter une autre journée de lycée.
Un garçon m'attendait devant ma maison, lorsque je sortis rapidement en claquant la porte, un beignet dans la main. Un regard étonné suivit d'un sourire réussit à me faire oublier tout ce que je venais de traverser, tout ce que j'allais traverser, tout ce que je ne pouvais lui dire. Il leva la main et sa voix forte, vibrante d'énergie, de vie, me salua, confiant, heureux avant de me tourner le dos et de marcher d'un pas tranquille devant moi, aussi souriant que d'habitude.
-Salut, Natsu !, m'écriais-je en le rattrapant, en touchant doucement son épaule amicalement.Bien dormi ?
-Ouais ! Et toi ?
-Comme d'habitude.
Notre conversation s'arrêta brusquement, à ma plus grande surprise. Arrêtés à une intersection, devant un feu rouge qui clignotait, devant la rue qui montait vers notre lycée, qu'on arrivait à apercevoir depuis notre emplacement. Natsu baissa sa tête rose, se gratta la joue, me jeta un regard furtif avant de se détourner subitement en faisant une moue décontractée. Il fronça légèrement ses sourcils, sembla réfléchir avec un air grave, et je commençais à prendre peur, commençais à me demander s'il n'avait pas finit par savoir, je ne sais comment, que j'étais malade, que ma maladie était grave, que je n'allais pas guérir et que mes chances de survie étaient nulles. Je me demandais s'il savait, finalement, que je lui avais menti, que je ne comptais rien lui dire, que j'avais peur, que j'étais triste, que je ne savais pas comment réagir. Que, que, que ; il y avait tellement de choses qui venaient siffler à mes oreilles, résonner dans mon esprit confus et embrumé, tellement de choses que seulement dresser une liste ne suffirait pas à toutes les décrire.
Enfin, Natsu se tourna vers moi et dit, l'air décidé :
-Au fait, Lucy, je me demandais si tu ne voulais pas venir avec nous, pour faire une bataille de boules de neige. Comme c'est notre dernière année dans ce lycée et que l'hiver se termine bientôt, on a décidé d'organiser quelque chose comme ça. Après la bataille il y aura du chocolat chaud et on ira glisser sur les collines du parc...
Le silence prit de nouveau place entre nous, froid, menaçant notre amitié. Je sentais le regard de Natsu me picoter la peau, investigateur ou gêné par mon manque de réponse.
-Écoute, je ne crois pas que je peux venir, commençais-je. J'ai tellement de choses à faire...
-Comme quoi ?
-Natsu...soufflais-je légèrement, voulant lui dire quelque chose mais ma pensée s'envolant, brusquement, en me laissant dans le blanc.
Je regardais la neige ; belle, avec sa blancheur pure, éclatante, étincelante comme de la poudre magique produite par des fées inconnues, minuscules. Elle avait fini par coloniser les rues abondantes d'arbres, de monde, de bus, de voitures de Magnolia, en apportant avec elle la joie des enfants et les lamentations des adultes, la fatigue des lycéens. Je levais les yeux sur le ciel gris, nuageux, magnifiquement froid, contrastant horriblement avec la foule habillée en noir qui marchait sous lui, le dos vouté par des problèmes personnels.
-Je ne peux pas, chuchotais-je doucement en baissant de nouveau la tête.
C'était douloureux de penser que c'était le dernier hiver que j'allais passer avec mon meilleur ami d'enfance. C'était douloureux de penser à quel point il allait se sentir trahi après mon départ, à quel point il allait se sentir seul et abandonné, seul avec sa colère qui allait le dévorer petit à petit, sans la moindre considération. C'était douloureux, tellement douloureux que parfois s'était insupportable, et que parfois je songeais à déménager, à partir loin, loin, très loin pour le fuir, pour ne pas qu'il sache que j'allais mourir. Je ne voulais pas lui laisser un tel fardeau sur ses épaules, je n'allais pas lui envoler son insouciance et sa naïveté, sa joie de vivre si simple et si magnifique, si admirable. Après tout, lui, il était mon meilleur ami, mon ami d'enfance avec qui j'avais grandi, avec qui j'avais partagé des magnifiques moments, inoubliables. Il était celui qui j'aimais, profondément, désespérément.
Mais je n'allais jamais le lui dire.
Je ne pouvais pas lui faire une chose pareille.
Alors, je me contentais de rester ainsi, dans ma position actuelle, dans son ombre, fixant son dos, si droit, si fier, si en santé, me contentant de le regarder sourire et rire avec les autres garçons et filles, le regardais s'épanouir dans son insouciance admirable et touchante et dans sa gentillesse incomparable. Il était magnifique, il était la seule personne qui avait su m'épauler quand ma mère avait fini par dépérir à cause de la même maladie qui me hante, à présent, moi aussi.
-S'il-te-plaît, dit-il encore une fois en me regardant droit dans les yeux, les sourcils froncés et les lèvres pincées, l'air en pleine réflexion ou de me reprocher quelque chose. S'il-te-plait, viens avec moi.
Il tendit son bras, me prit la main, me regarda avec plus d'intensité, avec plus de volonté.
Je retins mon souffle et m'écartais dans un mouvement brusque. Soudainement hésitante, soudainement en train de réfléchir, soudainement en train de me dire que j'avais toujours, toujours, toujours voulu faire une bataille de boule de neige avec des amis. J'avais tellement envie de gouter à nouveau à mon insouciance d'autre fois, à ma naïveté, à la douceur de la neige, au froid de l'hiver qui se terminait lentement avec ses crépuscules si magnifiques et ses nuits si rapides, si brusques. Mon temps m'était compté et quelque part au fond de ma tête j'entendais encore parfaitement le tic-tac de l'horloge.
Je retins ma respiration, puis je soufflais, me figeais. Je sentis le temps ralentir, mon rythme cardiaque devenant tout d'un coup lent et fragile, tandis que mes yeux s'écarquillèrent, que mon souffle disparut quelque part au fin fond de ma gorge et que je me mis à penser, à réfléchir, à me poser des questions.
Pourquoi est-ce que je n'avais pas le droit de faire tout ce que je voulais ? Pourquoi je ne me mêlais pas aux autres, pourquoi je ne vivais pas mes derniers instants amplement, en les dévorant. Pourquoi est-ce que je devais tout garder pour moi, pourquoi je ne pouvais pas tout simplement tout laisser tomber, toutes mes défenses, ma prudence, et courir, marcher, danser, sauter, crier, pleurer, rire, parler tellement que ma bouche en serait engourdie. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Je fis un pas en avant, la respiration saccadée, le cœur gonflé d'un espoir fou, sans issue dans ma poitrine et les yeux écarquillés, les lèvres entrouvertes, je pris une inspiration, prête à accepter son invitation. D'un mouvement brusque et biscornu, j'hochais la tête, acceptais sans réellement le réaliser, ignorant ma main gauche qui commençait à engourdir, ignorant ma tête, mes défenses qui essayaient de me faire changer d'idée, de me dire que ce n'était pas une très bonne chose.
Pour la première fois dans ma vie, pour la première fois depuis la mort si brusque et si douloureuse de ma mère, je commençais à faire taire toutes ces barrières que je m'étais imposée, tous ces murs nés par l'excuse de ma soudaine maladie.
Pour la première fois de ma vie, j'avais envie, vraiment, vraiment envie de faire quelque chose, de sortir, de m'amuser, de vivre, tout simplement.
Natsu reprit son sourire éclatant habituel, tandis qu'il me fixait en coin et que le feu passa au vert, tandis que nous marchâmes lentement le long de la rue enneigée et que nous nous rapprochâmes de plus en plus de notre lycée.
Un grand parc se dressait devant nos yeux brillants, lorsque nous, une grande foule d'une quarantaine de personnes, entrâmes. Aussitôt, nous courûmes tous ensemble, formâmes des groupes différents, choisîmes des territoires, des emplacements et entreprîmes de construire notre base, nerveux, excités, heureux, remplis d'une joie enfantine qui arrivait à nous combler. Bientôt, des boules de neige rondes, brillantes, étincelantes dans le soleil du crépuscule commencèrent à voler dans tous les sens, commencèrent à frapper, toucher des lycéens qui criaient de surprise, qui finirent par tomber en riant, en se tenant le ventre, les joues rougies par le froid et par l'euphorie qu'ils ressentaient.
Moi, j'avais finit par m'allier avec mes deux anciennes amies, Mira et Jubia, ainsi que trois autres filles, et deux autres garçons que je n'avais jamais vu auparavant et qui s'étaient approchés, qui nous avaient écoutés et qui avaient décidés de s'unir à nous.
Tous ensemble, nous avions construit des murs plus ou moins épais et nous lancions des boules de neiges de temps en temps, notre stratégie reposant plus sur le fait de se planquer ainsi, le ventre collé contre le sol et d'attendre que la fusillade passe, que les meilleurs s'entretuent puis qu'on gagne une bonne place dans le classement.
C'était une bonne stratégie, qui aurait pu nous faire gagner.
Mais il avait fallu que Natsu se pointe avec son équipe et qu'il décide de nous bombarder, ne m'ayant pas encore tout à fait oublié, moi, cette amie d'enfance qu'il adorait taquiner, une joie mauvaise, une moquerie sans nom se reflétant dans son regard lorsque je le fixais avec des yeux furieux. Je sentis mes joues rougir, par une certaine colère et une certaine frustration, lorsque je le vis si facilement nous décimer, si facilement se dresser devant nous avec sa brillante équipe et que je me rendis compte que nous étions en train de perdre si lamentablement.
Alors, je décidais de me relever, de me lever et de l'affronter, d'user de ma colère et de ma frustration si longtemps retenues, si longtemps gardées au fin fond de mon esprit, et je criais, pour la première fois de ma vie, j'osais crier, j'osais expulser mes sentiments, tous mes sentiments et je lançais, lançais, lançais mes boules de neiges sur lui, sur les arbres, sur le sol, partout, elles volaient partout, dans tous les sens, sans aucune espèce de coordination. J'étais en colère, en colère contre le monde, contre la cruauté de la vie qui avait décidé de mettre une croix rouge sur moi, sur mon existence en me la prenant, en me l'arrachant beaucoup trop tôt. J'étais en colère et j'étais épuisée de tout le temps combattre, de tout le temps garder une expression froide sur mon visage, de tout le temps bien me comporter partout où j'allais pour ne pas leur montrer, à eux, à toutes ces personnes qui n'attendent que ma déchéance, à quel point j'étais faible et pathétique. Alors je frappais, je lançais, j'osais, enfin, finalement, je pouvais, je pouvais, je pouvais prendre mon envol. Finalement, je pouvais enfin vivre.
Et j'étais tellement, tellement heureuse, en ce moment précis, tellement vivante, tellement pleine d'énergie, de sentiments confus, de joie, de tristesse, de douleur, de colère, de courage.
Puis, doucement, tout cela, disparut. La magie s'enfuit avec le soleil en emportant le ciel blanc. Lentement, je remettais les pieds sur terre, je recommençais à sentir mes engourdissements habituels au niveau des jambes, des bras, de la poitrine. Brusquement, tel un oiseau dont on aurait coupé les ailes, je retombais sur le sol, m'affalais sur le dos et levais la tête, pleurant de joie ou de douleur, je ne le saurais vraiment. Brusquement, respirer était devenu difficile, mes muscles respiratoires refusant de m'obéir peu à peu en s'engourdissant, et je me rendis compte que cet effort que je venais de faire était peut-être de trop.
Mon corps n'était peut-être pas capable de supporter tous ces sentiments qui se mêlaient et me déchiraient, dans une souffrance délicieuse qui me rappelait que j'étais bel et bien vivante.
Mais, bizarrement, étrangement, je ne le regrettais guère. Comment l'aurais-je pu ? Ces quelques minutes, ces quelques heures qui avaient finit par me consommer toute entière étaient les plus belles de ma vie, les lus vivantes, libres, magnifiques de toute ma vie. Enfin, je pouvais réellement le dire, ce je suis heureuse, que mon cœur désirait tant.
Enfin, je me sentais réellement comblée.
Le lendemain matin, un engourdissement effaré, insistant et presque douloureux se faisait sentir au niveau de mes jambes. Intriguée, mais aussi surprise et effrayée, la peur me serrant le ventre, j'essayais de me lever, de quitter mon lit et de sortir, de marcher, de prendre un bain et de me préparer, de prendre mes pilules habituelles.
Je mis quelques secondes pour comprendre que mes jambes refusaient de bouger.
Je mis une demi-heure pour comprendre que cet engourdissement n'était pas normal, que cela ne durait jamais aussi longtemps.
Et là, lorsque mes yeux ébahis saisirent enfin la situation, lorsque je compris avec certain dégoût, une certaine peur vicieuse qui ne cessait de grimper, de grimper le long de ma colonne vertébrale et de me faire frissonner encore et encore, je me relevais, usais du peu de force qui me restait dans mes mains pour essayer de sortir, pour essayer de me relever, pour essayer de lutter contre ça, contre cette maladie, contre ma lassitude, contre ma capitulation. Je sortis, mon corps se penchant dangereusement par-dessus le bord de mon lit, puis tombant lourdement sur le sol dans un grand fracas.
Le souffle coupé par la vif douleur que je ressentais, une douleur physique mais aussi morale, accompagnée de pensées, de regrets, de petites voix qui me chuchotaient dans la tête encore et encore des mots moqueurs, des mots ingrats et venimeux. Je me mordis la lèvre, la mordillais, claquais des dents, fronçais des sourcils et plissais mes yeux, essayais de me relever avec mes mains, essayais de ne pas pleurer.
J'étais si faible.
Un soupir sortit, s'échappa avec une larme qu'on m'avait arraché, une larme amère coulant le long de ma tendre joue.
Mon père entra dans la chambre, paniqua, se mit à crier et je crus le voir pleurer, avant qu'il ne se détourne, qu'il ne sorte son téléphone et qu'il n'appelle une ambulance, qu'il n'appelle cette ambulance en criant, en vociférant tellement fort, tellement rapidement, ses mots si paniqués et effarés se rependant dans la pièce, me faisant trembler. Il me jeta un coup d'œil nerveux ou énervé, triste ou colérique, puis il vint, me pris dans ses bras, m'aida à me relever, m'aida à m'assoir sur mon lit, en évitant, toujours et encore mon regard brisé.
Les médecins mirent un certain temps à arriver.
Et lorsqu'ils entrèrent, ce fus avec précipitation. Rapidement, ils me prirent, m'enlevèrent de ma chambre et me posèrent dans leur voiture, dans leur ambulance triste et déprimante, blanche et grise et roulant rapidement, me donnant al au cœur. Ils parlèrent vite, nerveusement, me jetèrent quelques coups d'œil, se détournèrent et secouèrent la tête plusieurs fois, parlant de temps à l'autre avec mon paternel qui me tenait une de mes mains engourdies.
À l'hôpital, une fois arrivés, tout se passa encore plus rapidement. Beaucoup trop rapidement pour que je saisisse, pour que je comprenne ce qu'il se passait réellement autour de moi. On courait dans tous les sens, on criait, on me prit et on m'emmena avec rapidité devant un médecin, puis un autre, et encore un autre. Tous me jetèrent des regards tristes, apitoyés comme si c'étaient eux qui souffraient le plus, comme si c'étaient eux qui n'étaient plus capable de bouger le petit doigt, alors que leur monde s'écrouler, qu'il tombait de haut et qu'on était obligés de le voir ainsi se détruire. Tous les médecins secouèrent la tête, détournèrent le regard et rassurèrent mon père, qui tremblait, tremblait, tremblait de colère, de tristesse, d'amertume ou tout simplement de froid, je ne saurais le dire.
Ils me dirent que je n'en avais plus pour longtemps.
Ils me le dirent, ainsi, avec une froideur incroyable, un calme olympien qui contrastait avec mon incompréhension. Ils gardèrent leur visage impassible, neutre, inatteignable, ignorant mon père, ignorant ma petite voix qui protesta vivement :
-Mais non, c'est faux, j'en ais encore, pour trois semaines, vous me l'aviez dit !
-Mademoiselle, votre cas c'est aggravé... à présent, il ne vous reste plus qu'une semaine.
Une semaine, c'est incroyablement court pour faire tout ce que j'aurais du faire dans une vie.
Une semaine, c'est tellement court alors que des rêves et des idées immergent dans ma tête.
Mais une semaine, c'était tout ce que j'avais.
Des bips réguliers sonnèrent à mes oreilles.
Lentement, doucement, si petits et aigus, ils avaient remplacé les tic-tac qui sonnaient dans ma tête depuis tout ce temps. Si habituels, je les entendais depuis déjà six jours. Six jours que j'étais rentrée dans cet hôpital triste, poussiéreux, où des voix vocifèrent, où des pas se font entendre et font trembler les murs. Des personnes courent dans tous les sens, toujours en mouvement, toujours en perpétuelle course pour essayer de sauver quelqu'un, pour essayer de sauver des vies.
Je crois que j'avais fini par m'habituer à toute cette agitation.
Je crois que j'avais fini par comprendre, par abandonner toute idée, tout rêve, tout espoir.
Je levais mes yeux sur le plafond blanc, sale, fissuré, vieux de ma chambre. Une chambre minuscule mais néanmoins agréable, avec les fleurs qui flétrissaient à ma gauche, qui perdaient leur beauté et leur jeunesse devant mes yeux las et fatigués, avec sa petite fenêtre souvent ouverte, qui laissait passer ce courant d'air froid, si caractéristique à février, dans ma chambre et venait me caresser la joue tel un murmure. Parfois, j'arrivais à voir les étoiles par cette toute petite fenêtre, j'arrivais à les contempler et à me perdre dans leur éclat, dans leur calme, dans leur sérénité.
En effet, j'étais devenue sereine en ce qui concernait ma situation.
Un raclement de gorge se fit entendre brusquement dans la chambre.
Mon père entra, me sourit doucement et me regarda avec ses yeux bleus si tristes, si mélancoliques. Il semblait déchiré, torturé, de me voir ainsi agoniser dans cet endroit si petit, si silencieux et pourtant bruyant, semblait complètement accablé de me voir souffrir de la même maladie que ma mère. Il détourna la tête, mais finit par s'approcher, avec une certaine peur et une certaine tendresse, un certain amour paternel qui brillait dans ses yeux. Il s'inquiétait, il s'inquiétait du fait que je souffre, que mes derniers instants soit malheureux, soient remplis de douleur, de détresse.
Mais je ne souffrais plus.
J'avais décidé de ne plus souffrir.
J'avais décidé de ne plus avoir peur de la mort, ni de ce que ce monde pourrait bien penser de moi. J'avais décidé de me relever et de garder le menton haut, d'être fière, d'être heureuse, tout simplement, en ne me contentant que du peu de choses qui m'étaient offertes sans jamais en demander plus. J'étais heureuse de revoir mon père, mais quelque part, au fond, j'aurais souhaité pouvoir l'éloigné, pouvoir lui dire de partir, de ne plus me regarder et de me laisser seule, dans cette petite chambre.
J'aurais voulu lui dire que je l'aimais.
Malheureusement, ma bouche refusait de m'obéir.
Mon père, après un long moment de silence, de douleur, de tristesse, finit par passer, par se détourner, le dos vouté et la tête basse, finit par sortir de la chambre et de laisser Natsu entrer et me regarder, m'étudier, son sourire habituel complètement effacé sur son visage pâle et négligé, inquiet.
Une vague de panique s'éprît de moi lorsque je le vis s'approcher. Je ne voulais pas qu'il soit là, je ne voulais pas qu'il me voie ainsi, muette, sur le seuil d'une mort pas si douloureuse, en train de partir et de le laisser derrière, de l'abandonner derrière. Je ne voulais pas qu'il soit triste, et je me sentais déchirée, me sentais torturée, une douleur vive mutilant mon cœur peu à peu.
Va-t-en, songeai-je. Va-t-en, va-t-en, va-t-en !
Évidement, il ne partit pas.
Il soupira, me fixa, encore, encore, encore, avec son silence pesant, puis il finit par sourire, par lever sa tête et par regarder le plafond, de cet air complètement idiot qu'il prenait si souvent.
-Comment tu as pu me cacher une chose pareille, Luc' ?, souffla-t-il en se grattant la tête.Maintenant, je me retrouve complètement retourné, je ne sais pas trop comment réagir, je dois te l'avouer. Dois-je me mettre en colère, dois-je être triste ? Dois-je te faire mes adieux ? Tu sais bien que je déteste les adieux !
Il se gratta la joue, plissa les yeux et fronça les sourcils, hésitant, perturbé.
-Tu sais quel jour on est, Luc' ? On le 14 février ! À vrai dire, je crois que je ne te l'aurais jamais dit, si je n'aurais jamais su, pour ta maladie, mais là, il faut que ça sorte, et je dois arrêter, arrêter de tourner autour du pot, je veux dire. Enfin, je ne suis pas doué pour ce genre de choses ! C'est comme quand on s'est rencontrés ; j'avais l'air d'un vrai idiot, n'est-ce pas ? Je racontais n'importe quoi, ne sachant quoi te dire pour te consoler, toi petite fille au visage si froid et au regard si triste. Je ne sais d'ailleurs pas comment c'est arrivé, mais on a finit par devenir amis, on a finit par se voir plus souvent, par devenir plus proches et moi, j'ai finit par t'aimer.
Il continua de parler, continua de me le répéter, ce je t'aime si magnifique, si malheureux, si désiré. Il continua de parler pendant des heures, pendant que le soleil haut dans le ciel nuageux partait doucement, laissait son trône à la lune et à ses filles, les étoiles. Le jour qui tombait peignaient des couleurs dans la chambre, des couleurs magnifiques, magiques, superbes, inoubliables. Des rayons de lumière dorée m'éclairèrent, tandis que le rose, le violet, un bleu glacial s'imprégnaient dans les nuages argentés.
-Je suis heureux de t'avoir rencontrée, Lucy Heartfilia, murmura Natsu une dernière fois, alors que le monde tombait, que le ciel qui nous couvrait s'effaçait et que ma vie me quittait, que mon esprit s'en allait rejoindre les étoiles, rejoindre ma mère.
Quelle belle nuit, songeais-je dans un dernier soupir de béatitude.
-Je ne t'oublierais jamais, Lucy Heartfilia, me dit une dernière fois Natsu dans un hoquet, alors qu'une larme douloureuse coulait sur sa joue et qu'un sourire m'éclairait.
Moi non plus, je ne nous oublierais pas, me dis-je.
FIN
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