Septembre - 5

— Bon.

Coby est debout devant la porte de mon appartement, son sac sur le dos. Il fixe chaque objet, sans s'arrêter sur moi. Si je ne le connaissais pas, je dirais simplement qu'il est gêné ou mal à l'aise. Mais comme il est comme un frère pour moi, je sais que ça dépasse tout ça. Il est en train de virilement ravaler ses larmes.

— Merci de m'avoir accueilli dans ton nouveau chez toi.

— Merci à toi de m'avoir aidé à déménager et d'avoir supporté mon stress quand on a déballé mes figurines.

Nos yeux se reportent vers la télévision, qui est désormais entourée de ma plus belle possession : une représentation de cinquante centimètres de Dark Vador, sur le point de faire un choc de Force. De l'autre côté, pour accentuer le contraste de ma personnalité, trône un X-Wing de la République Galactique. Les détails de ses ailes ont été particulièrement complexes à sortir du papier à bulles. Sans vouloir vexer Coby, ça a beau être un merveilleux ami, il manque cruellement de minutie.

— C'est normal. Ça m'a fait plaisir de venir ici. On avait visité trop vite quand on est venus avec les gars. Et puis, ça m'a permis de t'imaginer vivre et déambuler ici. Travailler nuit et jour sur tes programmes, ce genre de choses.

— Tu sais que tu peux venir quand tu veux, hein ? Faire des parties avec moi sur les consoles, ou te plaindre que l'école de vétérinaire, c'est super dur. Tu passes un petit coup de téléphone et c'est tout bon.

Ses yeux se plantent dans les miens, et je vois enfin ses larmes, bien retenues au fond de ses pupilles. Je peux presque deviner le mordillement de sa joue pour s'empêcher de craquer.

— Je ne voudrais pas te déranger. J'imagine que tout ton temps libre sera consacré à Samuel.

— Non.

Les iris brun chaud de Coby s'écarquillent. J'en profite pour glisser une main sur son épaule et lui sourire.

— Je ne compte pas laisser mes potes de côté pour mon mec. Encore moins le meilleur d'entre eux. J'ai pas envie de vivre ce cliché du gars qui a son diplôme et qui oublie son ancienne vie. Ouais, c'est ce que je voulais faire à la base, mais même dans ce scénario-là, tu étais présent, Coby. T'es un pilier de ma vie, et il est hors de question que j'arrête de te voir.

Une larme dégouline sur sa joue, et il l'efface rageusement. Il est de ces hommes qui détestent montrer leur fragilité aux autres, et qui estiment qu'ils ne doivent pas pleurer, malgré les émotions qui les traversent. La dernière fois que c'est arrivé, c'était à notre rencontre, quand il m'a raconté la perte de son premier amour, qui l'a largué comme un malpropre.

Malgré ses grognements, les larmes continuent de dévaler le visage de Coby. Sentant l'eau monter à son tour dans mes yeux, je m'empresse de le prendre dans mes bras.

— Tu vas horriblement me manquer, glissé-je, tout contre lui.

Avec sa grandeur de géant, je ne suis pas contre son épaule, mais sur son torse. Ça renforce mon sentiment de fraternité vis-à-vis de lui. Même si nous avons le même âge — il est de février — cette position me fait penser au grand frère, le rempart qui protège le plus petit.

— Dis pas ça. Je vais encore plus chialer.

— T'as le droit. T'as le droit d'être triste.

— Non. J'ai pas envie que tu culpabilises parce que t'es parti. T'en avais envie depuis des années et je suis personne pour te retenir ou te filer des remords. Donc j'ai pas le droit de pleurer.

Je le serre plus contre moi. Ça me déchire d'entendre ça, et de comprendre qu'il retient ses larmes au fond de ses yeux.

— Si. Parce que tout être humain est en droit d'exprimer ses sentiments. Si ton cœur te serre, si tu es en colère ou au fond du désespoir, tu peux ouvrir les vannes. Je ne culpabiliserais pas.

Je ne le dis peut-être pas à voix haute, mais je suis presque rassuré de le voir dans cet état-là à l'idée que nous nous séparions. Même si le monstre est mort, il y a toujours une sous-jacente de peur que tout le monde saute de joie à l'idée que je sois parti de Belfast.

Sa main attrape mon haut et le tire doucement. Un juron arrive dans mes oreilles et je comprends finalement que mon meilleur ami, cet homme fort et viril, a lâché la pression.

— T'es con. T'es un crétin. Et si tous les gars futurs véto sont des emmerdeurs de première, je ferais quoi sans toi ? Qui sera là pour les insulter avec moi ? Qui sera là pour se défouler sur un terrain de foot ? Pour aller voir des films et discuter des dernières sorties de séries ?

— Moi. Je ne disparais pas de la surface de la planète Coby, je te le promets. On les insultera par téléphone. On pourra même créer un groupe spécial pour eux. Et pour te défouler, tu n'as jamais eu besoin de moi. En faisant ton test des bips, tu n'aurais qu'à penser que tu cours pour me rejoindre et me raconter tes dernières aventures. Et il est hors de question que je ne vois pas Star Wars avec toi.

— Tu y vas avec Samuel...

— Figure-toi que je suis plutôt riche et que je possède un excellent moyen de transport nommé voiture. Ça me coûte quoi de revenir le jour de la sortie pour m'y rendre avec mon meilleur pote ?

Il se recule vivement, le visage barré de larmes et les yeux bouffis. Ce n'est que la deuxième fois de ma vie que je le vois comme ça.

— Sérieux ?

— Oui. Je suis capable de faire ça. Et Samuel ne m'en voudra pas.

Surtout que je sais être très discret quand je dois cacher quelque chose. Il n'aura peut-être pas la primeur de mes réactions, mais je suis bon comédien.

— Personne peut te remplacer, Adil. Personne.

Et c'est sur cette phrase que mon meilleur ami, mon frère, s'en retourne vers la gare pour rentrer, ayant insisté pour que je ne l'accompagne pas. Je le regarde dans le couloir, avant de m'expatrier vers le balcon. Il lève la tête et m'envoie deux pouces levés, accompagnés d'un immense sourire. Quelque chose qui veut dire je t'aime.

***

Les cours du soir n'ont pas vraiment de pré-rentrée, contrairement à ceux plus traditionnels. Nous sommes convoqués en soirée pour notre premier cours de codage informatique. Là, nous devons nous présenter et expliquer notre projet.

— Je m'appelle Adil Razavi, j'ai dix-huit ans et je suis ici parce que j'ai été refusé dans le cursus informatique de Trinity. Je ne compte pas abandonner et je réessaierai l'année prochaine. Pour ne pas perdre l'habitude d'aller en cours et pour apprendre des choses, je me suis inscrit dans cette classe. Et en dehors de celle-ci, je suis développeur freelance.

Pour éviter de penser aux personnes qui me manquaient déjà, je me suis jeté dans le travail. Tout mon matériel a été installé quand Coby est venu, et je n'avais plus qu'à me lancer. J'ai rempli un CV et je me suis enregistré sur un nombre incalculable de sites de référencement pour indépendant. J'ai même déjà décroché une petite mission : développer un programme de comptage de mots pour un club d'écriture. Ça m'a fait sourire et je me suis souvenu de ma camarade qui souhaitait plus ou moins la même chose. La différence assez flagrante, c'est que cette fois-ci, je suis payé. Ce n'est pas mirobolant, mais je m'en moque.

Je n'ai pas spécialement besoin d'argent puisque mon compte en banque est très bien fourni. C'est plus quelque chose d'honorifique. Quelque chose qui m'indique que je fais du bon travail, même sans diplôme. Bien entendu, je ne pourrais pas prétendre à un job d'ingénieur en informatique, mais au moins, j'ai de quoi m'occuper pendant cette année.

J'écoute les présentations des autres, qui se ressemblent énormément. La plupart sont en reconversions professionnelles, ou veulent simplement diversifier leurs champs des possibles. Mais une jeune femme raconte la même histoire que moi. Un refus, et le fait de tenir bon avec cette classe. Immédiatement, nos regards se croisent et je lui souris. Ça fait du bien d'être compris.

Dès que les présentations des élèves sont terminées, le professeur enchaîne sur celle de son cours. Je remarque immédiatement qu'au début, je risque de me tourner les pouces. Il reprend certaines bases que j'ai acquises depuis la fin du collège.

À la pause, Sacha, la fille qui me ressemble, se rapproche de moi et me sourit. Elle est très jolie, avec ses yeux bruns, sa peau marron foncé et ses cheveux nattés de différente couleur. Son ordinateur ressemble au mien, avec des stickers très variés. Mais l'un d'entre eux attire immédiatement mon attention. Il est minuscule, un peu caché, mais bien là. Le drapeau lesbien.

Je ne sais pas comment lui dire que je suis du même côté qu'elle, si bien que je fais exprès de fermer mon propre ordinateur pour qu'elle observe le capot recouvert d'autocollants. Moi aussi, je me suis lâché.

— Fan de SF ?

Je ne peux pas m'empêcher de sourire de toutes mes dents. Ça fait bien longtemps que j'assume mes goûts, mais je suis toujours heureux quand on les pointe sans arrière-pensée.

— Oui. J'aime particulièrement les trucs qui commencent par Star.

Elle pointe l'emblème de l'Empire Galactique, et commence à énumérer.

— Star Wars.

Son doigt manucuré désigne désormais l'Entreprise.

— Star Trek.

Et finalement, elle arrive à la porte des étoiles.

— Stargate. Et si je ne me trompe pas, je dirais que c'est celle d'Atlantis.

Une bouffée de bonheur me prend aux tripes. J'ai envie de lui sauter dans les bras.

— Exactement.

— Si je résume bien ce que je vois sur ton ordi, je dirais que tu aimes la SF, que tu as une certaine préférence pour une réplique de Hunger Games, que tu voues une sorte de culte aux méchants, mais que toi, tu es un peu entre les deux, que tu programmes, sinon tu ne serais pas là, que tu joues aux Sims, ce qui ne m'étonne pas vraiment, que tu voudrais faire partie de Starfleet — à quel poste d'ailleurs ? — et que tu es bi et... je suis désolée, je ne reconnais pas le drapeau vert et je ne voudrais pas dire de bêtises.

Mes lèvres sont toujours étirées. Ma petite technique a fonctionné.

— Je suis Pakistanais. Et pour tout le reste, tu as juste.

Elle mime un petit yes avec son bras, et me fixe. Son regard est pétillant à souhait. Dans un certain sens, elle me rappelle Coby.

— Et donc ? Pour le poste dans le vaisseau ? Ça serait quoi ?

Ses coudes sont posés sur son ordinateur, et sa tête basculée sur la paume de ses mains.

— Capitaine. Ou pilote. Mais j'avoue que Capitaine, ça a plus de classe. Et j'aurais désespérément besoin de la couchette du commandant de bord.

Elle pouffe avant de me fixer de haut en bas. Là non plus, je n'ai pas honte.

— Bah dis donc. On ne se prend pas pour n'importe quoi.

Je hausse les épaules, en prenant un air supérieur.

— Je sais. Et puis, c'est un délire avec mon mec.

— Il est fan aussi ?

— Ouais. Par contre lui, c'est plus la place d'officier scientifique qui l'intéresse. C'est peut-être pour ça qu'il couche avec le Capitaine.

— Ton vaisseau serait un nid à ragots s'il existait. Ça jaserait dans tous les couloirs.

Je pouffe à mon tour avant de décréter, la voix basse.

— On adore jaser sur nous. Dans la vraie vie aussi. Mais on est au-dessus de ça.

— Vous faites bien, me répond-elle sur le même ton, alors que le cours commence.

Et à la fin de celui-ci, alors que je me suis effectivement ennuyé, Sacha se tourne vers moi et lance, l'air de rien.

— Ça te dirait de dîner avec moi ? Je connais un stand de sandwich chaud du tonnerre, et on pourrait se promener en ville.

— Avec joie.

***

— Je me suis fait une amie. Enfin, une connaissance qui peut totalement devenir mon amie.

Je suis installé sur mon canapé, mon ordinateur sur mes genoux. Samuel est en face de moi, en train de grignoter des chips. Je lui ai fait la morale sur son régime alimentaire. Bien qu'il ne veuille pas devenir professionnel comme ses amis de son équipe, il doit tout de même se maintenir en forme pour garder sa bourse sportive.

— J'irais courir. Je le faisais avant, je peux totalement recommencer.

— Tu le faisais pour te vider la tête. T'as des trucs à oublier ?

Il me sourit, les lèvres pleines de gras. J'ai envie de passer mes doigts dessus pour les essuyer. Et sans doute les embrasser. Mince. Maintenant, j'ai envie de chips.

— Le fait que mon mec me manque alors que ça fait une pauvre semaine qu'on ne s'est pas vus ?

— Outre cette donnée emmerdante ?

— J'ai rien. Et j'ai envie de retrouver une pratique du sport un peu plus saine. Avant, je sortais super tôt le matin pour me défouler et faire taire le monstre au fond de mon estomac. Maintenant qu'il est mort, je souhaiterais juste... courir sans but.

— C'est ton entraîneur qui va être content. Tu vas acquérir plein d'endurance comme ça. Tu es en attaque du coup ?

— J'en connais un autre qui va être content que je sois endurant.

Il me balance l'équivalent humain du smiley grivois en pleine face. Je sais qu'il profite du fait que son colocataire ne soit pas encore arrivé pour me chauffer en bonne et due forme. C'est injuste.

Je ne réponds rien, essayant d'éviter de penser au fait, qu'en effet, je ne suis pas contre que son endurance augmente. C'est absolument raté.

— Et pour répondre à ta question, oui, je suis en attaque. Mes coéquipiers ont fait une tête jusque par terre quand ils ont appris que j'avais commencé ma carrière en défense.

— Ha bon ? Ils n'ont rien dit de mal, j'espère !

Son sourire se fait moins sexy, et bien plus bienveillant. Moi, j'ai encore plus envie de traverser l'écran de mon ordinateur et le serrer dans mes bras.

— Non. Ils n'ont pas compris pourquoi je n'ai pas commencé par là. J'ai évité de leur raconter que je pensais que les attaquants n'étaient qu'un ramassis d'arrogants.

Je ris dans ma manche, me représentant la scène dans la tête.

— Au fait, tu veux que je te fasse visiter ? Pour que tu connaisses les lieux quand tu viendras.

— Avec plaisir.

Il se lève, son ordinateur entre ses mains. Je ne le vois plus, mais j'aperçois à sa place la petite chambre de dortoir qu'il occupe. La première année, les colocataires sont obligatoires. Les suivantes, ça dépend des cas. J'ai supplié Samuel de se renseigner pour qu'il puisse en obtenir une l'année prochaine. Il en a encore profité pour se moquer de moi.

— Et dire que tu ne voulais pas d'une relation à distance. Maintenant, tu te projettes.

— C'est parce que c'est toi, lui avais-je rétorqué.

Il n'a plus moufté. Je n'ai pas dit ça pour l'aspect romantique de la réplique, ni même pour me venger. Je l'ai dit parce que c'est vrai. Avec quelqu'un d'autre, j'aurais refusé. Si l'univers avait pris des chemins différents et que j'étais toujours avec Valentin, je l'aurais largué en arrivant à l'université, sans me poser de questions. Notre relation ne tenait qu'à un fil, et était pleine de mensonges. Je pense que j'en aurais même pris un certain plaisir.

Je ne dis pas que Samuel est l'homme de ma vie, mon grand amour ou cette chose qui me crispe et qu'on appelle âme sœur. C'est juste la personne qu'il me faut à ce moment de mon existence. La personne qui m'a permis de terrasser le monstre et d'enfin devenir moi. On s'est mutuellement poussés vers le haut, et je ne vois pas pourquoi nous n'avons pas le droit d'y rester un temps ensemble. Il y a une belle vue.

— Là, c'est mon coin à moi.

La voix téléphonique de Samuel me sort de mes pensées. Mon regard se focalise à nouveau sur l'écran, et je fixe tout ce qui y entre. Un lit simple avec une couette bicolore, gris et noir. Une petite table de nuit en bois clair. Une lampe de chevet en métal rouge. Des livres empilés. Et au-dessus de la tête du lit, des photos. Une de sa sœur et lui, que je reconnais tout de suite. Une autre de son équipe de foot, avant la dernière rencontre qu'il a jouée. Et enfin, une de moi.

C'est presque certain que c'est Coby qui lui a envoyé, parce qu'il n'a pas arrêté de nous mitrailler pendant les vacances. Il trouvait que j'avais une tête de mec intelligent plongé dans les méandres de ses cellules grises quand je regardais la mer. C'est un peu la tête que je tire sur mon portrait, dans la chambre de Samuel.

— Ça te dérange ? Je peux l'enlever si tu veux.

— Non. Il faudrait juste qu'elle soit imprimée sur du papier photo. Elle fait un peu triste comme ça.

Je n'ai pas besoin d'être un expert pour reconnaître du papier d'imprimante tout simple. Je ne fais pas la remarque parce que je suis imbu de ma personne. Je suis simplement d'avis que les personnes que Samuel aime méritent mieux.

— On aura qu'à y aller quand tu viendras la semaine prochaine. J'ai vu une machine à développer dans mon centre commercial.

L'ordinateur bouge à nouveau et je me retrouve devant son visage. Il est figé et je devine immédiatement pourquoi. Ça n'a rien à voir avec sa connexion internet.

— J'ai ma soirée d'intégration. C'est pour faire connaissance avant le début officiel des cours.

— Je comprends totalement. Il faut que tu entres de plain-pied dans ta nouvelle vie.

J'essaie de ne pas grimacer pour ne pas passer pour un hypocrite de service. Je pense ce que je dis : il est essentiel qu'il se fasse des amis dans son université, comme moi avec Sacha. Il est hors de question que je monte sur mes grands chevaux de reproches, surtout que je reviens d'un dîner avec elle.

— Je me doute que tu es un peu déçu. Je suis désolé, le mail nous y conviant est tout frais. Je viendrai la semaine prochaine, je te le promets.

— Pas besoin de me le promettre. Je te crois et je te fais confiance. Je n'aime pas ça, les promesses. Parce que nous, les êtres humains, on a montré qu'on était particulièrement nuls pour les tenir.

Je souris mélancoliquement. Mon cœur est super lourd dans ma poitrine, mais je fais bonne figure. C'est ce que je redoutais en m'engageant là-dedans. Mais le jeune homme qui me fixe derrière l'écran de son ordinateur vaut le coup. Tellement le coup.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? Tu réfléchis à ce que je viens de dire ? dis-je, en riant à moitié.

Il pose une main sur le tour de son portable. Je ferme les yeux, pour imaginer le souvenir de son toucher. C'est encore assez frais dans ma mémoire pour que j'en aie la chair de poule.

— Merci de m'aimer, déclare-t-il tout d'un coup.

Je sursaute, et je rouvre les paupières. Il est collé à sa caméra, et je ne vois même pas le pourtour de sa mâchoire. Je peux détailler chaque pore de sa peau, les différences de couleur à l'intérieur de son iris. Les petits défauts sur son nez, les sourcils qui méritaient d'être taillés, et même la barbe qui repousse doucement. Je ne sais pas pourquoi il fait ça, pourquoi il est aussi près. Peut-être pour faire l'illusion d'une certaine proximité.

— Qu'est-ce qui t'arrive ?

— Tu me manques. Et je réfléchissais, tu as raison. À ma vie, si tu n'y étais pas entré en me traitant de con.

Je pouffe, mais il ne me laisse pas plaisanter. Il continue.

— Je ne sais pas où j'en serais. Ça a toujours été une sorte de fantasme. De voir ce que ça ferait de prendre des routes différentes. Toutes les petites décisions qui font qui je suis aujourd'hui, la personne qui te parle.

— Et ? Qu'est-ce que ton esprit brillant en a déduit ?

— Que je te suis reconnaissant de m'aimer.

Je l'imite et je colle ma tête à ma caméra, comme lorsque nous sommes allongés après avoir fait l'amour. J'adore cette position, et lui aussi.

— Moi aussi, je te suis reconnaissant.

Je ferme les yeux, et je commence le film de ma vie si je n'étais pas allé sur ce banc, à l'extérieur du gymnase de Clear Lake. Je serais sans doute resté avec Cassie. Je me serais fait chier. Sheridan m'aurait peut-être approché, mais pas les autres. Je n'aurais pas fait mon coming-out. Je ne me serais pas excusé. Je n'aurais pas été pardonné. Et je ne me serais pas pardonné.

Une larme coule sur ma joue, et je rouvre les yeux. Samuel paraît si vrai que ça me fait mal au bide.

— Merci de m'avoir rendu gentil dans ton histoire.

Parce qu'on dit que tous les chemins mènent à Rome, mais tous ceux que j'ai entrepris depuis l'instant où j'ai croisé les iris de ce mec paumé dans un costume trop grand m'ont mené à ça.

— Merci d'avoir fait de même.

Il pleure, lui aussi. C'est étrange, mais ça fait tellement de bien. On se regarde, et on ouvre la bouche en même temps. Les deux anciens méchants, les deux Arcs-en-ciel Anonymes, les deux rachetés.

— Merci d'avoir fait de moi un gentil. 


C'est en direct depuis mon bunker, le seul, l'unique, que vous connaissez de nom mais dont l'emplacement est et restera secret que je vous annonce que ce chapitre conclut le mois de septembre, le dernier mois de Ciel d'hiver. Ça veut surtout dire que la prochaine fois qu'on se retrouve ici (je ne suis pas sûre que ça soit dimanche par contre, parce que rien n'est prêt  et que je ne veux pas presser les choses), ça sera pour l'épilogue. 


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