Septembre - 1
— Je n'ai pas envie que ça se finisse.
C'est la première phrase que Samuel prononce au réveil, alors que j'ouvre à peine les yeux. Je me tourne vers lui, pour essayer de capter ses yeux.
— Les vacances ?
— Oui. Et être ici tranquille, avec toi. Sans personne à qui rendre des comptes.
— Je dois te rappeler que ta mère t'a expressément demandé de rentrer hier soir ? Ça n'avait pas l'air très tranquille comme conversation, pour reprendre tes termes.
Alors que nous dînions devant la télé, il est allé se cacher dans la salle de bain pour répondre à sa mère. Je l'ai entendu crier de ma place.
— La rentrée est le vingt septembre, j'ai le temps.
— Second rappel de la journée. Tu te souviens que, bien que j'en rêve, je ne suis pas encore en possession d'une machine de téléportation ni d'un vaisseau à grande vitesse pour ton déménagement ? Il faut prévoir les choses, et ça fait plus d'une semaine qu'on est là.
Il me pince le bout du nez pour toute réponse, avant de continuer avec des mots.
— Je pourrais presque croire que tu veux que je reparte à Belfast par le premier train.
Je me rapproche et colle mes mains sur ses joues. Nos corps se retrouvent sous la couette.
— Absolument pas. Je veux simplement que tu aies toutes les cartes en main pour démarrer une vie étudiante saine. Surtout qu'il y a sans doute des visites d'université, des rencontres avec les membres de ta future équipe de foot, et des fêtes d'intégration auxquelles tu peux participer. Ne rate pas tout ça parce que tu es accro à moi.
Nos torses s'emboîtent et je fais tout mon possible pour garder un visage de marbre. Je sais exactement ce qu'il va me répondre.
— Je suis accro à ton corps, nuance.
— Je suis tout à fait capable de te faire la grève, tu sais. Ou du chantage. Ou les deux en même temps.
— Quoi ?
Je me recule violemment et commence à me lever. J'attrape les sous-vêtements balancés hier soir et les enfile en vitesse. Je note intérieurement d'investir dans une robe de chambre. J'ai une envie très prenante de m'emballer dans de la soie, pour parfaire cette sortie théâtrale.
Je quitte la chambre sous les protestations de Samuel, et avance vers la cuisine. Je lance la cafetière pour l'appâter hors des couvertures. Quoi que. Je crois qu'il désire surtout que je lui explique ce que j'entends par grève et chantage.
— Tu serais capable de faire ça ? dit-il en s'asseyant sur un tabouret de bar.
— Tout à fait. Rien du tout jusqu'à ce qu'on soit à Belfast. Ni avec mes mains, ni avec ma bouche, ni avec mon postérieur. Si tu veux te faire du bien, va falloir le faire tout seul comme un grand.
Je ris dans ma barbe inexistante. Je suis sûr d'arriver à mes fins avec un chantage pareil, même si c'est un peu frustrant pour moi aussi. Je dispose également de mains, à ce que je sache.
Pendant que le café chauffe, je sors deux tasses des placards. Elles sont assez tristes avec leur céramique blanche et il me tarde de ramener les miennes. Elles finiront sans doute dans un carton dans la cave, jusqu'à ce que je m'en aille.
Je dépose le contenant sur le bar, et j'observe Samuel. En se levant, il a pris son téléphone portable avec lui, et il semble particulièrement intéressé parce qu'il y fait.
— T'es avec moi ou sur les réseaux sociaux ?
— Je suis sur les rails.
Il tend rapidement l'objet vers moi pour que je puisse voir le site officiel des trains d'Irlande. Je m'empêche de rire de toutes mes forces.
— Hum hum.
Le café sonne et je le verse dans les deux tasses. Samuel est vraiment absorbé parce qu'il fait. Habituellement, il saute dessus comme quelqu'un qui n'aurait pas bu depuis des jours. À moins que ça ne soit l'attrait de la caféine ?
— Vers quinze heures, ça te va ? Ceux d'avant sont super chers.
— Oui. Ça me convient tout à fait.
— Parfait. Je te prends ton billet.
J'arrête la course de ma tasse devant ma bouche et fixe mon petit ami. Il a totalement inversé nos rôles. C'est moi qui paie pour nous deux, normalement.
— Samuel...
— J'insiste. J'ai pas envie qu'on soit séparés dans les wagons. De toute manière, c'est fait. On prend le train sur les environs de quinze heures. Ça te va ?
Je bois enfin une gorgée de mon café et je souris en même temps. Il faudrait que j'utilise ce chantage un peu plus souvent. Ça marche drôlement bien.
— Oui, ça me va.
— Parfait. Et du coup, tu m'accompagnes à la douche ?
Son sourire n'est même pas grivois. Il est d'une banalité sans pareille, comme s'il me proposait d'aller faire les courses.
— Tu n'es pas capable d'y aller tout seul ?
Je le titille un peu. Je sais que je vais dire oui, mais j'aime bien le faire mariner avant d'accepter.
— Je n'arrive pas à me frotter le dos. Il n'y a que toi qui parviens à bien manier la fleur de douche.
— Oh, tu m'en diras tant.
Je place ma tasse dans le petit lave-vaisselle dont je dispose et je m'appuie sur le comptoir, les bras croisés sur la poitrine.
— Je te le promets. Tu es un artiste de la mousse. La douche avec toi est toujours un moment agréable. Tu ne veux pas passer un moment agréable ?
— Je l'ai prise hier soir. Je n'ai pas envie de repasser sous les jets d'eau.
Il se rapproche de moi pour ranger également son mug. Ses mains me frôlent quand il s'installe en face de moi, dans la même position que moi.
— Peut-être, mais je t'ai fait transpirer après.
En un pas, il est à quelques centimètres de mes lèvres. Au fil des mois, il a vraiment développé des techniques de drague. Je tombe dans le panneau à chaque fois.
— Et puis, je n'ai pas dit qu'on était obligé de...
Il laisse traîner la syllabe avant de continuer, juste devant mes lèvres. Mon cœur tambourine dans ma poitrine comme si c'était la première fois.
— Je souhaite juste profiter de ta présence et du fait qu'on soit ensemble ici. C'est bientôt terminé et on va devoir retourner à nos maisons respectives, avant de démanger officiellement en dehors de Belfast. Qui sait quand on pourra à nouveau prendre une douche tous les deux ? Si ça se trouve, c'est la dernière de l'année.
— Tu ne pousses pas le bouchon un peu loin ?
Ses mains se glissent sur mon cou, puis ma nuque. Je me penche d'un seul centimètre et je suis contre ses lèvres.
— Tu es convaincu ?
Il mordille ma lèvre inférieure et je craque. Je l'embrasse à pleine bouche, avec la langue et tout le reste. Nos haleines sont pleines de café, mais je m'en moque. C'est trop bon.
— Je l'étais quand tu as évoqué le fait d'y aller ensemble. Je voulais juste te faire mariner.
— Tu es méchant.
Je souris avant de lui donner un dernier baiser.
— Je sais. C'est ce qui fait tout mon charme.
***
Le trajet de retour dure deux heures vingt. Nous sommes dans un wagon à peu près plein, mais nous évitons les enfants, qui ont repris les cours. Samuel lit un livre sur son téléphone et je fais de même, cette fois-ci, sur ma tablette. Nous sommes silencieux au possible, mais nous profitons du petit contact de nos épaules que la seconde classe nous permet. À chaque fois qu'il bouge, je souris.
Même si je suis plus à l'aise avec ma sexualité et que j'ai réalisé cet exploit — à ma hauteur — de le dire à quelqu'un que je ne connaissais absolument pas, je ne suis pas capable de m'afficher en public comme des couples hétéros pourraient le faire. Non loin de nous, il y a des étudiants comme nous, qui s'embrassent toutes les cinq minutes et chuchotent dans leurs oreilles. Ça m'exaspère presque. Dans un certain sens, ça me rappelle Cassie. Elle adorait ce genre de choses : montrer aux autres qu'on est ensemble et qu'on aime bien se rouler des pelles. Ses mains étaient parfois beaucoup trop baladeuses, et je l'ai repris plusieurs fois, alors qu'elle se rapprochait dangereusement de mon entre-jambes.
— C'est ignoble, commente Samuel en relevant la tête de son téléphone. Et si nous, on se mettait à les imiter, on se prendrait des remontrances en pleine face.
— Tu lis dans mes pensées.
— Je sais. C'est bien pour ça qu'on est ensemble. On se comprend parfaitement bien sur ce genre de trucs. D'ailleurs, ça me fait penser à quelque chose.
Il verrouille définitivement son téléphone, et se tourne vers moi — je suis du côté de la fenêtre, parce que j'aime me perdre dans les paysages.
— J'aimerais bien repasser à l'association avant de partir à Coleraine. Dire au revoir, et merci. Je voulais acheter un truc pour Stanislas, mais je n'ai pas d'idées. Ça te dit de venir ?
— Avec joie ! Peut-être qu'on pourrait acheter une décoration pour leur appartement à Athol et lui ? Un bel objet, qu'on paierait tous les deux.
Il hoche la tête, et se laisse happer à son tour par le paysage. Nous arrivons bientôt au Royaume-Uni, et il restera peu de temps avant d'apercevoir Belfast. Je l'avoue avec joie, je suis heureux de revoir ma sœur. Nous n'avons pas beaucoup communiqué pendant nos vacances respectives. J'ai invoqué le problème du décalage horaire, mais la vérité, c'est que j'ai laissé la place à Sheridan.
La main de Samuel vient doucement retrouver la mienne, au milieu de notre siège. C'est d'une discrétion à toute épreuve, mais ça me rend plus heureux que s'il avait collé sa bouche contre la mienne. Ça nous ressemble bien plus.
— Je sais que l'été n'est pas encore terminé, mais on dirait un temps d'automne, murmure-t-il.
Comme pour lui donner raison, la pluie commence à strier les vitres du train. Je ne peux pas cacher mon sourire.
— J'en suis heureux.
— Ah bon ? Tu aimes la pluie et les feuilles qui tombent ? Personnellement, j'ai toujours peur de me casser la figure en marchant sur un tas qui n'a pas été ramassé.
— Non, ce n'est pas ça. C'est juste que...après l'automne, c'est l'hiver.
— Oui, je sais. Ça s'appelle le cycle des saisons. Printemps, été, automne, et hiver.
Il rit, et je le fixe avec un sourire doucereux. Je ne m'explique pas plus que cette expression faciale.
— Oh.
— Oui.
— Tu joues au sentimental, c'est ça ?
— Non, pas spécialement. J'ai toujours aimé l'hiver, parce que le blanc fait ressortir le rouge. C'est juste que maintenant, j'ai une raison de plus de l'apprécier.
Il presse mes doigts pour toute réponse et laisse tomber sa tête contre mon épaule. Je sursaute intérieurement, et je murmure :
— T'es sûr ?
— Oui. Moi aussi, j'ai le droit de me la jouer sentimental.
Et nous terminons le voyage dans cette position, à fixer la pluie qui nous fait bien comprendre qu'elle aussi, elle est de retour dans le paysage.
***
J'ai raccompagné Samuel chez lui, et j'ai refusé d'entrer pour saluer sa famille. Je ne voulais pas le déranger dans ce moment de retrouvailles. La vérité, qu'il a rapidement lue au fond de mes iris, c'est que j'ai peur de sa mère. Mais heureusement pour moi, il a accepté. J'ai eu le droit à un rapide baiser sur la joue — compréhensible vu son quartier — et je suis rentré chez moi.
Après avoir déposé mes affaires dans l'entrée, la première chose que j'ai faite, c'est sauter sur ma sœur. Plus d'un mois sans se voir, ni même se parler, c'était vraiment compliqué. Le câlin dure de longues minutes, où je prends de grandes sniffées de son odeur. Elle n'a pas changé et une part de moi est rassurée. Elle n'a pas été transformée par son voyage avec Rahim.
Comme je m'y attendais, elle fait une remarque sur ma couleur de peau qui n'a pas trop évolué, contrairement à la sienne, gorgée de Soleil.
— Je suis désolée de te l'annoncer, mais ça se voit que tu es allé en Irlande.
Pour toute réponse, je lui tire la langue, et je prépare une réplique bien sentie. Malheureusement, je me fais couper par la porte d'entrée qui s'ouvre sur notre père. Je tourne la tête vers Asra pour lui demander des explications, mais elle hausse les épaules.
— Mon fils se rappellerait-il qu'il a une maison ?
Je serre mes doigts contre le marbre du plan de travail dans la cuisine. Il n'a prononcé qu'une seule phrase et je suis déjà dans cet état-là.
— J'étais en vacances avec mes amis. Je viens de rentrer.
— Et où étais-tu ?
— En Irlande. Nous nous sommes promenés le long de la côte avant de passer quelque temps à Dublin.
— À Dublin, hum ?
Il n'a même pas besoin d'entrer dans la pièce pour que l'on sente son parfum imbibé d'alcool. Ça va être encore notre fête.
— Oui. C'est une ville que j'apprécie.
— La seule ville que tu devrais apprécier dans ce pays, c'est Oxford.
Je sens un relent de colère remonter mon œsophage. J'ai envie de répliquer, mais je me retiens de toutes mes forces pour ne pas griller ma couverture.
— Je compte bientôt y déménager. Les cours commencent incessamment sous peu.
— Bien. J'ai vu que tu t'es enfin résolu à m'écouter. Quelle unité as-tu choisie ?
Un sourire mauvais s'inscrit sur mes lèvres. Asra le connaît, mais pas notre père. Je suis comme un étranger pour lui.
— Finances. Je ne suis pas mauvais en mathématiques et un avocat dans la famille est suffisant.
— Très bon choix. Tu pourras suivre les traces de ton frère et faire un stage à la bourse de New York. Ou même dans un autre pays. C'est une bénédiction que tu connaisses l'anglais.
— Oui, en effet.
Je ne sais pas s'il comprend que je n'ai plus envie de parler ou simplement qu'il a dit ce qu'il voulait, mais il s'en retourne vers son bureau. Aucune question sur mon déménagement, ou si j'ai besoin d'aide. Je ne suis même pas surpris.
Avec Asra, nous prenons la décision d'aller manger ailleurs. Nous choisissons un restaurant non loin de chez nous, pour pouvoir y aller à pied. Je profite du chemin pour lui demander de me raconter son voyage au Pakistan.
— T'es sûr ? Je n'ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie ouverte.
Je lui souris et je me rends compte que c'est la première fois que je vais l'énoncer à voix haute.
— Rahim n'est plus mon frère. Il ne l'est plus depuis des années. Ce n'est qu'un étranger qui porte le même nom de famille que moi, et qui est ton ami. Je l'ai accepté, et lui aussi. Il n'y a plus de problèmes.
Je dois cet avancement à ma psychologue et à Coby. La première pour m'avoir fait comprendre que ce n'était pas un problème de ne pas s'entendre avec son frère, surtout si celui-ci nous fait tant de mal. Le second pour avoir comblé ce trou béant dans mon cœur, et raccommodé la plaie avec du fil de soie.
— J'ai essayé de lui parler de toi. Il s'est fermé comme une huître.
— Ce n'est pas grave. Je n'ai pas envie que tu atterrisses dans le même panier que moi.
— Et pour le reste, c'est encore pire. J'ai fait des allusions aux couleurs de la Pride, il n'a pas bronché d'un seul centimètre. Pire, il m'a demandé de ne pas l'évoquer parce que c'est dangereux ici et qu'on pourrait se faire de fausses idées sur mon compte. Alors, je me suis tue.
— Tu as bien fait.
Nous sommes devant le restaurant. Avant de rentrer, j'ouvre complètement mon cœur à ma sœur.
— Je suis enfin heureux, Asra. Vraiment. Je suis le maître de ma vie et je ne laisserais pas Rahim libérer le monstre au fond de mon estomac. Ce que je recherche maintenant, c'est son éradication.
Elle me sourit de toutes ses dents, avant de répondre.
— Je t'aime, petit frère.
Monsieur Gribouillis n'a qu'à bien se tenir.
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