Mars - 6 / TW
Gollum est sans doute l'un des méchants les plus connus de la saga du Seigneur des Anneaux. Même ceux qui n'ont ni lu les livres ni vu les films le connaissent. Il est gris, a des yeux parfaitement gigantesques, est joué par un mec dont on voit rarement le vrai visage (Andy Serkis de son petit nom) et justifie à lui tout seul que le prochain chapitre va très certainement s'appeler l'Anneau Unique. Cet anneau lui fait développer une seconde personnalité au-dessus de la sienne, qui est méchante, perfide et machiavélique. Il finit même par bouffer un doigt de Frodon pour récupérer son bien, avant de griller dans la lave d'un volcan. Pas spécialement sympathique comme mort.
TW : Homophobie (propos et agression) (John, en résumé)
Faire le vide. Inspirer. Écouter la musique. Expirer une nouvelle fois.
J'essaie de réaliser toutes ces choses pour éviter d'exploser. Pour éviter de laisser le monstre m'envahir. Parce que j'en suis sûr maintenant. Il est de sortie. Il a réussi à se défaire de son placard, et il est en train de tout détruire sur son passage. Sans regarder où ses pattes griffues tombent. J'ai déjà fait souffrir quelqu'un, je n'ai pas envie d'en rajouter une couche.
Les pâtes que m'a cuisinées Heather pèsent dans mon estomac. Je ne les digère pas, à cause de ma nervosité. Les recruteurs sont là. Et aucune des personnes que j'aime n'est disponible ou ne souhaite me soutenir. Je suis tout seul. Pire, certains membres de mon propre camp ne peuvent pas m'encadrer. Je vois déjà le tableau. Daisy va encourager le sept. Mais pas le neuf. Elle ne le regardera même pas, le magnifique numéro blanc dans mon dos. Comme toujours.
Je sais que je ne devrais pas être touché par son avis. Par son manque de regard. Mais je ne peux pas m'en empêcher. Parce que cette fille a été importante pour moi. Elle m'a marqué. J'étais attaché et c'est certain que sans le parasite dans sa tête — en la personne d'Eliot —, nous aurions pu nous aimer. Je ne serais pas devenu ce méchant à ses yeux. J'aurais réprimé mes attirances. Et j'aurais été heureux.
Mon ventre s'agite à cette pensée. Le monstre rigole de toutes ses forces.
Mais non, mon petit Samuel. Tu n'aurais pas été heureux. Parce que tu n'aurais pas été toi. Qu'est-ce que tu crois ? Tu aurais quand même regardé Miho plus longtemps que nécessaire. Et le cœur de Daisy aurait souffert, bien plus qu'il n'a été touché lorsque vous vous êtes séparés. Fais-toi à l'idée. Vous deux, c'était fichu avant même de commencer. Ne tente pas de réécrire l'histoire. Ça ne sert à rien.
Le monstre a totalement raison. Et ça me brise le cœur de l'avouer. Alors je respire pour essayer de chasser ses vapeurs nauséabondes.
— Robertson ? Tout va bien ? C'est ta gastro qui revient ?
Les yeux du coach sont plantés dans les miens, tout comme ceux de mes petits camarades. Je ne l'ai pas entendu arriver, et je désactive ma musique en quatrième vitesse. John me fixe avec une mine mauvaise. Sa blessure a changé depuis cette après-midi. Elle a été recouverte d'une couche de fond de teint. Sans doute sa copine qui était dérangée d'avoir un mec défiguré au-dessus d'elle pendant leur partie de jambes en l'air. Je peux totalement la comprendre. Déjà que John n'est pas spécialement beau, avec le traitement que je lui ai fait subir, ça n'arrange rien. Le monstre rigole toujours, et je l'ignore.
— Tout va bien. J'étais perdu dans mes pensées. Désolé. Je suis totalement prêt à jouer.
— Manque de pot, c'est moi qui commence, intervient John avec un grand sourire. Alors Monsieur le capitaine ? Heureux ?
Rio serre le poing. Je me souviens de notre conversation à l'entraînement.
— Coach, pourquoi me mettre Buckley dans les jambes ? J'ai demandé Robertson comme deuxième milieu de terrain. Vous pouvez poster Buckley sur une aile.
— Ce n'est pas toi qui fais les stratégies, je te le rappelle. Les gars de Londonderry connaissent notre style de jeu. Si je t'associe à Robertson, ils vont rapidement nous contrer, parce qu'il joue de la même manière qu'Andrews. Avec Buckley, ça sera différent. Et tu n'as pas intérêt à te plaindre. C'est comme ça et pas autrement.
Je grimace un peu, mais ça ne me dérange pas outre mesure. J'aime toujours mon poste en défense, et je suis ravi de retrouver mes camarades. Même si Carter est un lâche et qu'il m'a fait des remarques que je n'ai pas appréciées, c'est un bon joueur qui ne passe pas son temps à se vanter. Nous formions un duo efficace, avant que je change de poste.
Le coach annonce la liste des gars qui entrent tout de suite sur le terrain. Et je n'entends pas mon nom de famille. J'essaie de répliquer, mais il me coupe la parole.
— J'ai dit, pas de plaintes. Ça vaut pour tout le monde. Si vous n'êtes pas contents, vous allez dans les gradins et vous observez le match avec vos camarades, sans avoir l'occasion de toucher un ballon.
Cette fois-ci, je suis réellement en colère. L'entraîneur sait très bien que j'ai besoin d'être sur le terrain pour pouvoir montrer aux recruteurs ce que je suis capable de faire. Sur le banc, je ne sers à rien, et j'enterre peu à peu mon avenir universitaire. Je serre les poings, parce que la haine revient. Sauf que je ne la dirige pas vers le coach. Non, je la dirige vers John et vers moi. Lui, car il se vante d'être sur le terrain avec les autres, qu'il est mauvais et qu'il a tout à fait les moyens d'aller à l'université sans faire de prêt. Moi, parce que je ne suis pas assez bon. À aucun de mes postes. C'est ma faute si je suis collé sur le banc. Ma seule et unique faute.
Le monstre s'en donne à cœur joie. Il se régale de chacun de mes sentiments négatifs, et de mon envie de rentrer chez moi pour me rouler en boule. J'essaie de rester digne et neutre, mais à l'intérieur, ça hurle.
Rio fait exprès de traîner lorsque nous sortons du vestiaire. Je sais pourquoi. Avant chaque match important, Miho et lui ont une sorte de rituel. Ça marche presque à chaque fois. Les gars font comme s'ils n'étaient pas au courant, mais personne n'est dupe. Mais au vu de ce que j'ai compris la dernière fois que nous avons discuté, les choses ne sont pas au beau fixe entre nos deux joueurs vedettes. J'espère simplement que ça ne va pas influencer le style de jeu de notre numéro dix. Nos chances de victoire sont déjà amoindries par la présence de John à ses côtés, nous n'allons pas en rajouter une couche avec un cœur brisé.
En m'asseyant sur le banc avec les autres remplaçants, je tente de faire le vide dans ma tête, comme dans le vestiaire. Je respire, pour essayer de remettre le monstre dans le placard. Et ça laisse la place à la petite voix de l'espoir, celle qui est apparue juste après ma première réunion avec les arcs-en-ciel. Celle qui m'a glissé que les choses étaient réelles avec Curtis, et que je pouvais me permettre de couler dans mes sentiments sans le moindre problème. L'un des sports préférés du monstre, en plus de rendre ma vie un enfer, est de se moquer de la petite voix.
Si ça se trouve, tu vas avoir une bonne surprise en regardant les gradins. Peut-être qu'Heather s'est libérée.
Je laisse mes yeux analyser les tribunes. À Clear Lake, nous ne faisons pas vraiment de côté. Nous nous mélangeons, si bien que les spectateurs ressemblent la plupart du temps à des patchs de couleurs différentes. Les maillots de nos opposants sont verts, si bien qu'aujourd'hui, ce sont des patchs verts et bleus qui s'étalent devant moi. Je fixe bien entendu le bleu en priorité. Et le monstre rigole encore une fois. Parce que le tout premier regard que je croise, c'est celui de Daisy.
Comme l'a bien deviné Curtis, elle est accompagnée d'un garçon asiatique, qui ressemble trait pour trait à Eliot. Voici celui qu'elle avait dans la tête alors qu'elle m'embrassait. Ce n'est pas la première fois que je le vois, puisque je l'ai entr'aperçu au bal. Mais les évènements de ce jour-là ont légèrement balayé cette information. C'est comme si je le redécouvrais. Et bien malgré moi, je ressens une pointe de jalousie. Encore un coup du monstre.
Tu pourrais être à sa place. Tenir les mains de cette jolie fille, et regarder le match. De toute manière, que tu sois sur les bancs ou sur les gradins, la finalité est la même. Tu ne décrocheras pas de bourse. Donc tu ne penses pas que tu aurais été mieux à côté d'elle ? Parce que malgré tout ce que tu dis, et tes sentiments pour ce... cette personne ignoble, tu tiens toujours à elle.
Je serre les poings plus fort. Je contiens ma colère contre cet habitant indésirable. C'est tout le paradoxe de cette situation. Je ne peux qu'en parler à Curtis, de ce qui se passe avec le monstre. Mais Curtis serait incroyablement blessé si j'évoquais le sujet devant lui. Mon affection pour Daisy. Je vais devoir faire sans lui. Heureusement que j'ai réussi à trouver le numéro de Stanislas, quand nous étions à la soirée de la Saint-Patrick. Plus le temps avance, plus je le considère comme une sorte de mentor pour moi. C'est une sensation rassurante, et pendant quelques secondes, je me sens nettement mieux. Mais le monstre recommence avec ses coups de griffe lorsque je capte le sourire de Daisy. Elle m'a vu. Et elle hausse ses sourcils blonds, avant de sortir son téléphone portable. Elle sait très bien que nous les prenons dans nos vestes pour éviter de nous tourner les pouces quand le match se déroule sans nous.
> Tu n'es pas sur le terrain ?
> Non. Apparemment, je suis trop mauvais. Ou je joue trop comme Miho, ce qui fait que nos adversaires ne seraient pas assez surpris par notre style de jeu.
Elle écarquille légèrement les yeux avant de se pencher à nouveau vers son téléphone.
> Le coach essaie une nouvelle tactique pendant les phases finales du championnat ? Quelle idée ! Qu'est-ce qu'en dit Rio ?
Je pouffe, parce que la connaissant, elle serait capable d'aller expliquer au coach ce qu'elle pense de tout ça.
> Il n'était pas ravi. Il lui a collé Buckley sur le dos.
> BUCKLEY ???? MAIS IL A ENVIE DE PERDRE ???? IL JOUE COMME UN PIED !!!
Cette fois-ci, je ris réellement. Je retrouve la fille passionnée qui m'avait plue lorsqu'elle m'avait fait la leçon sur le fait qu'être attaquant ne voulait pas forcément dire qu'on est arrogant.
> Désolée. Il va s'en mordre les doigts. Se priver d'un élément comme toi, pour jouer sur la surprise, c'est dangereux et particulièrement débile.
> Ça ne fait rien. Et merci d'être de mon côté. Je pensais être en défense, mais comme tu le vois, je ne suis plus bon pour ce poste non plus. Je ne sais même pas pourquoi je me suis changé. J'aurais pu rester dans les gradins.
> Je vais aller frapper la tête de votre coach avec une des plaquettes de bois qu'il utilise pour prendre des notes sur les matchs, ça va lui remettre les idées en place, et il va te faire rentrer sur le terrain. Crois en toi !
Elle m'envoie un sourire géant, et mon cœur se retourne, au grand bonheur du monstre. Tu vois, elle ne tient pas rigueur de ce qui s'est passé en janvier. L'autre là, il n'est même pas présent, parce qu'il a trop peur, le pauvre chou.
Je suis incapable de lui répondre, et je baisse la tête. Parce que je ne veux pas donner raison au démon qui squatte mon intérieur. Je sens mon téléphone vibrer entre mes mains, mais je l'ignore complètement. Pire, je le range dans ma poche. Je m'amuse à compter les brins d'herbe pour endormir le monstre, et pour qu'il me laisse tranquille. J'en ai marre de ses petites phrases incisives.
— Bah alors, on pleure, Robertson ?
John vient déposer sa veste sur le banc juste à côté de moi, et me regarde avec son air narquois. Mon envie de lui refaire le portrait revient. Je serre encore les poings, pour éviter d'y répondre.
— Va te faire foutre, Buckley.
— Ah non, ça, c'est ton truc. Pas le mien.
— Qu'est-ce que je t'ai fait, au juste ? Pourquoi tu t'en prends à moi ? Tu ne peux pas faire ta petite vie de gosse de riche sans venir nous chercher ? Tu te fais chier, c'est ça ?
— J'ai pas envie qu'on me regarde comme un bout de viande dans les vestiaires, ou quand je passe dans les couloirs.
Il se rapproche, alors que l'arbitre siffle le rassemblement sur le terrain. Il pose une main sur mon épaule, et serre ma veste, pour éviter que je m'en dégage.
— Mais je vais te dire un truc, mon cher Samuel. Vous allez bientôt arrêter de rire, toi et tes petits camarades. Je vais finir le travail de mes frères et sœurs. Parce que moi, je sais des choses. Et je vais agir.
Je lui lance un sourire absolument sarcastique.
— Tu ressembles à ces méchants complètement débiles dans les livres qui disent tout au héros sur leur plan super diabolique, comme s'ils croyaient que le protagoniste est un peureux. Tu me tapes sur le système, j'ai envie de t'encastrer dans un mur plus ou moins à chaque fois que tu ouvres la bouche, mais tu ne me fais pas peur, John.
— C'est ce qu'on verra, Samsam.
Il se dégage en me saluant comme si nous étions amis. Bien entendu, absolument personne autour de nous ne réagit à ce qui vient de se passer, comme d'habitude. Je comprends tellement Miho lorsqu'il refusait de faire son coming-out dans l'équipe ou à l'école. Personne ne nous défend. Oui, bien sûr, ils seront contents pour nous si on s'affiche, et ils seront ravis d'aller faire la fête à la Pride. Ils parleront sur les réseaux sociaux des affres de l'homophobie dans le sport. Mais ils ne feront rien dans la réalité. Je ne demande pas une escorte personnelle pour chacun de mes déplacements, mais moins d'hypocrisie. Tout simplement.
Le match commence enfin, et je m'efforce du mieux que je puisse à éviter le regard de Daisy. Je me focalise sur le Déchet Intergalactique, qui, comme je m'y attendais, joue comme un pied. Je suis non loin du coach, qui grince des dents, et fait valser sa plaquette de bois toutes les deux minutes environ. Et lorsqu'ils égalisent, juste avant la mi-temps, l'entraîneur se tourne vers moi et me hurle de m'échauffer et de ne pas rentrer aux vestiaires avec les autres. Je ne dis rien, et me mets en marche. Une partie de moi donnerait tout pour être présente avec mes coéquipiers, et écouter le remontage de bretelle de John — puisque c'est principalement à cause de lui que nous avons perdu de nombreuses balles. Mais l'autre est contente de se mettre enfin en marche. Le monstre, ce gros paresseux, n'aime pas spécialement les exercices, et se terre dans son armoire pour dormir. Au moins, je n'ai pas à subir ses attaques.
— T'es puni ?
Je m'arrête dans ma course, pour faire face à Miho, qui a les lèvres très légèrement étirées. C'est l'une des premières fois qu'il m'adresse une expression faciale positive — enfin, plus ou moins. Je lui réponds de la même manière, tout en continuant à monter mes jambes au niveau de mon torse.
— Peut-être un peu. J'étais sur le banc toute la première mi-temps. Et maintenant, je sens que je vais devoir jouer au sauveur. Sans me vanter.
Je me rends compte que j'essaie de le faire rire. Pour que ce simili-sourire ne quitte pas sa figure. C'est réussi.
— Le coach ne m'a pas écouté. Je lui ai dit que John ne sait pas jouer avec Rio. Il veut garder la balle pour lui tout seul, et ça ne marche pas du tout avec le style de notre numéro dix. Toi, ce n'est pas la même chose. Tu comprends le sens du mot collectif.
Je le fixe avec des yeux ronds, tout en continuant mes exercices.
— Merci.
— Ce n'est que la vérité. J'ai beau avoir énormément de ressentiment pour toi, et être particulièrement rancunier, je sais reconnaître la réalité quand je la vois. Tu joues bien, Samuel.
— Pas aussi bien que Rio, réponds-je du tac au tac.
Les joues de Miho rougissent un peu, et je souris le plus discrètement possible. Je ne m'étais pas trompé, lorsque les joueurs titulaires sont sortis du vestiaire. Rio semblait rayonner, et pris d'une énergie nouvelle. J'ai la raison juste devant mes yeux. Ce n'était pas trop tard, finalement.
— Oui, peut-être, mais... mais lui, il a ça dans le sang. Le football sera toujours son premier amour, la cause des battements effrénés de son cœur. Il vit pour ça. Et quand tu donnes autant que lui le fait, tu es bon. Tu es très bon.
— Ça te manque, n'est-ce pas ?
Il hoquette de surprise, et évite mon regard. Je comprends ce qui le traverse, et je m'empresse de rectifier.
— Le football. Je te parle du football. Pas de...
Au vu de notre relation, qui s'apparente à un chemin sur des œufs, je n'oserais jamais évoquer son couple avec Rio.
— Oui. Parfois, c'est dur de voir d'autres personnes à ma place. Jouer avec Rio. Parce que... c'était moi, son partenaire. Enfin, son coéquipier. Je suis jaloux, et je me mets en colère. Mais je ne peux pas ne pas venir, car je m'en voudrais de me laisser vaincre par mes sentiments, par ma tristesse et mes regrets. Je ne peux rien faire contre eux, parce que je sais que je ne rejouerais jamais à ce niveau-là. Même si... au fond, j'ai la certitude que ce n'est pas fini.
Il pose ses mains sur ses cuisses, et appuie dessus, en poussant un soupir.
— Enfin bref.
— À chaque fois que je joue avec Rio, je me sens mal. Parce que j'ai l'impression de ne pas être à ma place. De profiter de quelque chose. Et que ce n'est qu'un emprunt. Que tu vas revenir. C'est une sensation assez prenante.
— Ne te fais pas de nœuds au cerveau. Je sais où est ma place. Les sentiments, ça ne se contrôle pas. Tu en es parfaitement au courant.
— Merci. Merci, Miho.
— Ce n'est que la deuxième fois que tu me dis ça. Fais gaffe, je vais prendre la grosse tête.
Il rit, et ça me fout un coup au cœur. Parce que tout au fond de moi, le monstre s'est réveillé. Et il hurle que je ne mérite pas qu'on soit gentil avec moi. Que Miho, parmi tous, soit sympa avec moi.
— Peut-être. Mais merci quand même. Tu n'étais pas obligé.
— Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Je ne dis pas que je t'ai pardonné. Juste que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Et je ne suis pas un imbécile.
Il vérifie l'heure sur son téléphone, me sort une excuse fabriquée de toute pièce comme quoi il devrait rejoindre sa sœur, et se dirige vers les vestiaires. Je souris, tout en reprenant mon entraînement. Mes coéquipiers reviennent peu de temps après, semblant requinqués après leur passage avec le coach. Rio est presque brillant, et me présente sa main, pour me lever de mon banc.
— Allons gagner ce match.
Ses yeux fouillent ensuite les gradins, et ses sourcils se froncent un quart de seconde. Je n'ai pas le temps de faire une remarque sur le retour imminent de Miho, puisque l'arbitre siffle le début de la seconde mi-temps. Je vais me mettre à mon poste, au milieu du terrain, et je souris. Parce que je me sens à ma place.
***
Il ne doit pas rester beaucoup de minutes au compteur. Je le sais, je le sens. Je le vois dans le regard de mes coéquipiers, et de nos opposants. Ils ont peur. Ils ont peur, parce qu'on mène au score. J'ai fait mon travail d'ancien arrière, et c'est grâce à moi que Rio a marqué une deuxième fois. Et j'ai mis le troisième, pour enfoncer le clou de la victoire. Je crois bien que je ne me suis jamais senti aussi fier de moi. Le coach a eu l'air de sauter de joie, et les lèvres de Rio n'ont jamais été si étirées en ma présence. C'est le bonheur d'avoir gagné.
Je ne vois pas John, et j'en suis d'autant plus heureux. Il doit ruminer le fait qu'il n'ait pas gardé son poste, et qu'il se soit fait sans doute hurler dessus par l'entraîneur à la pause. Il a dû emporter ses amis avec lui, parce que je ne les aperçois pas non plus dans le groupe qui est en route pour le vestiaire. Rio mène la danse, en tant que capitaine.
Il actionne la lumière, et s'élance d'un seul coup vers le milieu de la pièce. Le fauteuil de Miho est renversé, certainement endommagé. Lui est au sol, les mains sur les côtes, et gémissant doucement. Rio s'affole, commence à pleurer. Il touche son visage, se fichant complètement de nos regards. Je suis silencieux comme une carpe. Et finalement, tout me tombe dessus. La culpabilité. Les remords. La peur. J'en tremble, avant de m'effondrer contre le mur, les larmes dégringolant sur mes joues. Et en même temps que Rio, je murmure.
— Tout est de ma faute.
Je m'enfuis. Je m'enfuis loin de ce théâtre où j'ai joué un rôle principal dans la tragédie qui s'y est déroulée. Je m'enfuis loin de la peur. Le monstre hurle et grogne dans mon ventre. Je ne sais pas ce que je cherche, ou qui, mais je tourne la tête dans tous les sens. C'est là que je le vois.
Assis sur le banc que j'ai occupé une bonne partie de la soirée, John me fixe. Un sourire narquois inscrit sur le visage. Et d'un geste, me révèle toute la vérité.
Un trait, de droite à gauche, sur la gorge.
Je suis le prochain.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top