Mai - 5
Vous allez me dire : mais tu t'es trompée, tu ne connais pas assez Hunger Games pour placer Gale dans le clan des méchants ? Ou alors, parce qu'il était méchant et qu'il fait sa rédemption ? Eh bien non, cher lecteurs et lectrices. Pour moi, Gale est l'inverse d'une rédemption. Il part bien, en tant que meilleur ami de Katniss, en tant que protecteur de sa famille à elle et à lui. C'est son confident, qui la comprend mieux que n'importe qui (et qui est clairement amoureux d'elle). Sauf que plus la série de livre ou de films avance, plus il devient cruel et froid. On peut le remarquer rien qu'au début du premier film, lorsqu'il dit à Katniss que les animaux et les humains, c'est la même chose quand il s'agit de tuer. Même si ce n'est pas confirmé, on peut deviner qu'il est à l'origine de la série de bombes qui ont tué la petite soeur de Katniss, Prim. Et rien que pour ça, ni elle ni moi, nous ne lui pardonnerons (à ma première lecture, j'étais team Gale, c'est pour vous dire)
il a mis du temps mais il est long, et il conclu mai
Je suis assis sur mon lit, une couverture sur les jambes et la taille. Je tiens un carnet dans une main, et un stylo dans l'autre, que je mordille avec sérieux. Je cherche mes mots. Pour l'instant, le seul que j'ai noté, c'est Valentin. J'ai l'impression de reproduire ces memes sur internet, à destination des étudiants et de leurs essais de fin d'année. Peut-être que dans trois heures, j'aurais fait de jolies décorations autour de ce prénom qui me hante. Je suis vide. Archi vide.
Juste à côté de moi dort Samuel. Après nos retrouvailles sur le pas de ma porte, je l'ai fait entrer. Il s'est rafraîchi un petit coup à la cuisine, et je l'ai invité à monter. Et pour lui faciliter la chose, je l'ai pris sur mon dos.
— T'es sûr ? avait-il dit, en s'accrochant à mon cou. Je ne suis pas léger, et ta chambre n'est pas à côté.
— Oui, je suis sûr. J'en ai même envie en fait.
J'ai été heureux de le déposer sur mon lit, de manière confortable, mais je n'ai pas eu le temps de reprendre des forces. Je me suis fait choper par le t-shirt, et ramené vers des lèvres très demandeuses. Vers un corps très demandeur, même.
J'avoue être surpris d'être le premier à me réveiller, puisque Samuel m'a carrément épuisé. Je pouvais ressentir son envie, et presque son besoin d'être proche de moi jusqu'au bout de mes orteils. Notre échange n'avait jamais été si pressé ou si chaud. Et je commence à avoir de la matière pour des comparaisons.
La vue de Samuel me déconcentre complètement de ma tâche. Je ne peux pas m'empêcher de le détailler de toutes parts. Ce n'est pas la première fois que je le fais, mais lorsqu'il est endormi comme maintenant, je peux observer ses longs cils blonds, à la limite du roux. Je pense qu'il n'aimerait pas que je les qualifie ainsi, mais la nature ne ment pas. Dans la lumière du soir, et du soleil qui est déjà descendu se coucher, des taches orange viennent danser avec celle de rousseur, sur son nez fin. Sa bouche est sèche, mais il m'a déjà répété qu'il détestait le baume, qu'il a tendance à manger moins de deux minutes après l'avoir appliqué. Je me suis moqué de lui pendant toute une après-midi quand il m'a raconté ça.
Alors que je commence à avancer une main pour toucher ces lèvres qui me tentent, elles s'étirent tout doucement en un sourire. Je me suis fait repérer. Je reprends rapidement ma place face à mon carnet, et je recommence à mordiller mon stylo, comme si de rien n'était.
Puis, je sens une lente caresse dans mon dos, du bout des doigts. Ils avancent, tournent et font des cercles, et je ressens chacun de ses appuis, chacun de ses déplacements. J'en frissonne, et je ferme les yeux pour en profiter au maximum. Il n'y a pas besoin de mots lorsqu'on a ça.
J'abandonne totalement l'idée de ma lettre en laissant gésir mon carnet entre mes jambes. Mes bras sont écartés, et toute ma personne est concentrée sur les caresses de Samuel.
— Tu aimes ? murmure-t-il, comme pour ne pas briser la bulle dans laquelle nous sommes.
— Oui, dis-je sur le même ton.
— Alors, rapproche-toi un peu. Je ne peux pas atteindre ton cou, mes bras ne sont pas assez longs.
Je glisse doucement sur le protège-matelas et le drap fait de même, dévoilant ma nudité. Pourtant, rien de tout ça n'est sexuel. C'est presque... au-dessus. Je m'arrête lorsque je sens la main de Samuel sur mon cou, et je ferme à nouveau les yeux. Même si je déteste les massages, ça, je pourrais en faire mon ordinaire. C'est tellement agréable.
Les doigts ne descendent pas trop bas, et s'amusent à tracer des lettres. Je les devine avec un sourire. Il est simplement en train de me dire qu'il m'aime.
— Moi aussi, murmuré-je.
Ce réveil contraste totalement avec ce qui s'est passé avant. Sa rapidité, sa presque brutalité m'ont fait penser à de la colère. Contre moi, contre mon monstre, je ne savais pas. Mais il avait besoin d'exprimer ses sentiments négatifs et puissants, et il l'a fait à travers ses baisers très langoureux et ses coups de reins dont mon bassin se souviendra. Je ne me suis pas senti mal, ou trop brutalisé, parce que sinon, je l'aurais arrêté. Simplement, je n'imaginais pas que Samuel pouvait renfermer toute cette énergie et cette fougue.
Là, je suis face à une autre facette de son amour. Après la colère, le besoin d'évacuer sa frustration, il est doux et sensuel — j'avoue préférer cela. Comme si j'étais en cristal, et que le moindre mouvement brusque pouvait me briser. Si nos ébats respiraient le feu et l'ardeur, ce réveil n'est que délicatesse et légèreté.
Derrière moi, Samuel commence à bouger. Je l'entends gémir entre ses dents, sans doute à cause de ses côtes. Elles sont toujours douloureuses, ce qui est normal après ce qu'il a subit. C'est également pour ça que j'ai été surpris par sa rapidité, quand il s'est déshabillé ou qu'il s'est allongé sur moi. Je suis presque certain qu'il a dû se faire mal. Il pose ses mains sur mes épaules pour s'équilibrer, et ses jambes viennent frotter contre mes cuisses pliées. Je comprends ce qu'il est en train de faire et je frissonne déjà. Ma peau ne cesse d'être recouverte de chair de poule.
Comme je m'y attendais, Samuel pose ses lèvres contre la naissance de mon cou. J'avale un gémissement, parce que je ne veux pas briser notre jolie bulle par quelque chose qui n'est ni doux ni léger.
— Tu sens bon, glisse Samuel, juste au-dessus de ma peau.
— C'est sans doute à cause de mon shampoing.
— C'est un vrai délice.
— Alors, continue.
Nous restons dans cette position pendant de longues minutes et encore une fois, je me concentre sur mes sensations, et non sur la réaction de mon corps. Je n'ai aucune envie d'aller plus loin, je veux simplement profiter de la douceur de Samuel et du fait que lui aussi, il est entièrement focalisé sur moi.
Au bout d'un moment, je me retourne pour enfin l'embrasser. Ce n'est même pas recherché, et j'ouvre à peine la bouche. Par contre, mes mains se promènent dans les mèches de ses cheveux, comme j'aime tant le faire.
— Samuel ?
Il respire tout contre moi. Son front cogne le mien, et ses beaux yeux sont fermés. Sa respiration est lente, sans la moindre saccade.
— Est-ce que tu veux que je masse ? Avec l'huile essentielle de lavande.
— Oui.
Je le laisse s'allonger sur le ventre, me présentant la ligne de sa colonne vertébrale. Je me rhabille rapidement de mon boxer, pour éviter que les choses dérapent. Je n'en ai pas envie, j'aurais l'impression de briser notre bulle de légèreté si nous nous sautions dessus comme deux animaux en chaleur. Nous l'avons fait avant notre petite sieste, c'est amplement suffisant.
D'une main habile, je vais chercher le flacon d'huile essentielle, qui est d'un verre bleu foncé, et au capuchon doré — on ne rigole pas avec l'apparence dans un salon de coiffure de luxe. Je dévisse le capuchon, avant de glisser le liquide dans la paume de mes mains. Même si je n'ai jamais visité le sud de la France, j'ai l'impression d'être au milieu d'un champ de lavande.
Samuel se détend immédiatement sous mon premier coup de main. Ses épaules sont tendues, et je trouve pas moins de deux nœuds dans ses muscles. Je m'y acharne un peu, le voulant le plus détendu possible. Et pendant ce temps, j'entends les cigales chanter dans ma tête.
— Au fait. J'ai dit oui à Coby pour les vacances.
Les cigales s'arrêtent. Maintenant, je suis au bord d'une falaise, tout proche de la mer d'Irlande. Samuel est à mes côtés, et me tient la main. Pourtant, tout mon environnement sent toujours la lavande.
— Ma grand-mère nous a donné de l'argent. Je ne sais pas trop ce qui s'est passé, mais elle nous a filé une enveloppe pleine à Heather et moi. Apparemment pour nous amuser cet été. Alors c'est ce que je vais faire. Je vais m'amuser avec mes potes.
Je souris. Je suis particulièrement heureux de cette tournure des évènements. Secrètement, je mettais au point un plan B, au cas où il ne puisse pas venir à cause de l'aspect financier de la chose. Je sais qu'il l'aurait mal pris, mais j'aurais été capable de tout lui payer, juste pour passer ces derniers moments avec lui.
— Arrête-moi si je me trompe, continue-t-il, le menton sur le protège-matelas, mais tu comptais utiliser ce road trip pour me dire au revoir. Pour me montrer à quel point ça craint de vivre loin l'un de l'autre. Et tu aurais rompu avec moi devant un coucher de Soleil, quand la mer se pare de toutes ces nuances de rouge et d'orange.
Je m'arrête moi, et non lui. Parce qu'il a totalement raison. Je suis d'un lisible, ce n'est pas possible.
— Je peux déjà te le dire Curtis, ça ne se passera pas comme ça. Parce que je ne te laisserais pas faire. Déjà, je vais éviter tous les couchers de Soleil, comme ça, tu ne pourras pas me coincer. Et puis de toute manière, tu ne me diras pas que tu me rends ma liberté. Tu m'expliqueras comment tu comptes tout déchirer à Dublin, tout en pensant à moi nuit et jour. Enfin, j'extrapole peut-être pour cette dernière partie.
Je peux l'entendre sourire. J'ai repris mes massages, mais je ne dis toujours rien.
— Parce que tu sais, malgré ce que tu sembles penser de temps en temps, comme aujourd'hui par exemple, tu n'es pas un putain de robot. Ce n'est pas parce que tu auras rompu avec moi au-dessus de cette fameuse mer rougeoyante que tu vas démarrer ta vie à Dublin avec un cœur tout neuf. Ton cœur, il sera en morceaux. Parce que les humains, quand ils aiment mais qu'ils se séparent, ils ne vont pas bien. Parce que ce ne sont pas des robots. Donc franchement, ça ne serait pas mieux de penser à moi en souriant, au lieu de pleurer des litres de larmes et te prendre pour le Bridget Jones bi, un pot de glace à la menthe poivrée dans les mains ?
— Tu as de l'imagination, dis-moi. Tu devrais écrire des livres.
— J'ai le titre de mon premier alors. Comment prouver à mon petit ami que les relations à distance fonctionnent, et ce, en quatre mois ? Franchement, je pense que ça ferait un carton au rayon développement personnel. Mieux, ça pourrait être un appendice du Curtis pour les nuls.
— Tu sais Samuel, je n'ai pas l'impression que tu prends ça sérieusement. Je ne rigole pas quand je te dis que ce n'est pas pour moi.
— Toi non plus, tu ne me prends pas au sérieux. Je vais vraiment te faire changer d'avis. Il est hors de question que je te laisse tomber parce que tu as peur, et que tu n'as pas confiance en toi. Si c'est ta seule raison de rompre avec moi, et non que tu ne m'aimes plus, ou que nous ne sommes plus compatibles ou que je t'ai fait vraiment du mal, alors je ne laisserais pas passer. Parce que c'est tout simplement... de la merde.
Sa tête tourne d'un côté, et je croise l'un de ses yeux. Je me doutais qu'il souriait. Il a confiance en lui, et en effet, il ne se laissera pas marcher sur les pieds.
— Même Dark Vador a succombé au côté lumineux. Toi aussi, tu le feras.
— Je n'y suis vraiment pas allé de main morte tout à l'heure avec mes ongles ! Tu n'as pas mal au moins ?
Je passe sur les traces rouges que j'ai laissées dans le feu de l'action, tout en m'insultant d'être aussi lâche. Ce changement du sujet n'est absolument pas subtil.
— Non. Et puis, c'est moi qui te l'ai demandé, de toute manière.
Je continue mon massage, le rouge aux joues, en me repassant le film de cet après-midi. C'était vraiment sauvage.
— Et on va dire que je ne t'ai pas vu venir avec tes gros sabots.
— Oui, en effet. On va dire ça.
***
— Ah ! soufflé-je, avant de cogner ma tête contre les touches de mon ordinateur.
Je suis à la bibliothèque, et je souffre devant ce fichier blanc de traitement de texte. C'est bien plus dur que d'écrire sa lettre de motivation pour l'université — pour ce que ça m'a servi. Je ne sais pas comment tourner mes phrases, comment expliquer ce qui attend au plus profond de moi, et comment faire la présentation du monstre. Tout ce que je peux faire, c'est écrire Valentin.
J'ai la tête tournée vers Sheridan, qui est plongé dans un livre de psychologie. Depuis qu'il a été accepté à Queen's pour ce programme, il prend tout ceci très au sérieux. Il fait presque peur à voir, parce qu'il n'a jamais été comme ça face aux études.
— Quelle est la raison de ces gémissements gutturaux ? demande-t-il en ne se désintéressant pas de son livre.
— Je ne suis pas littéraire pour deux sous et je suis bloqué. Et ça m'énerve. Ça fait deux jours que je m'acharne.
Ce week-end, si je n'étais pas avec Samuel à profiter de sa présence et de la chaleur de ses bras, je me retrouvais devant mon carnet pour tenter d'écrire cette fichue lettre. J'en ai même presque oublié de faire mes devoirs normaux.
— Tu as abandonné la littérature l'année dernière, alors je ne te comprends pas. Tu as pris une option ? Sans vouloir te vexer, c'est une mauvaise idée. Je ne t'ai jamais vu avec un livre entre les mains.
Je grimace parce qu'il a encore raison, et je me relève de mon clavier. Même si ça me fait toujours bizarre, il va falloir que je lui parle de l'association.
— Je dois écrire une lettre. Pour m'excuser de mes actions passées. Ça fait partie de ma guérison. Enfin, de l'anéantissement de ma haine, quoi.
— Est-ce que c'est explicitement précisé que ça doit être une lettre ?
Je réfléchis trois secondes avant de répondre.
— Non.
— Alors, ne fais pas ça.
— T'es marrant toi. Je ne peux pas aller m'expliquer en personne. Je risque de me faire tabasser ou de me désintégrer parce qu'approcher Clear Lake me fout les jetons.
— C'est pour Valentin ton truc ?
Je baisse les yeux, comme si j'avais honte, alors qu'il n'y a pas de quoi.
— Oui.
— Fais-lui un mini jeu. Enfin, code-le.
— Hein ? Et pourquoi je me donnerais tout ce mal ?
Sheridan sourit de travers, en refermant enfin son livre et en se tournant vers moi. Il a son air sérieux qu'il aborde quand il a une idée, mais qu'il ne compte pas la révéler tout de suite.
— Parce que c'est ce pour quoi tu es doué. Quand vous étiez ensemble, c'était déjà le cas. Il le sait. Et quoi de mieux, si tu veux t'excuser, d'utiliser la compétence pour laquelle tu es le plus fort ? Et en plus, je pourrais te servir de messager.
— Comment ? La simple vue de mon prénom va le faire sauter au plafond.
— Tu le mets à la fin et je lui dis que c'est moi qui ai codé le jeu et que j'ai besoin de quelqu'un pour le tester. Valentin ne sait pas quels cours j'ai, puisqu'il n'est pas dans notre école. Donc c'est tout bénef' pour nous.
— Hum... ça se tient, en effet. Mais maintenant, qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ?
Encore son sourire en coin. Il a une idée. Et il va me la faire deviner.
— Le but de tout ça, c'est d'obtenir ta rédemption, c'est ça ?
— Oui, totalement. Je ne souhaite pas être son ami, simplement m'excuser pour tout ce que j'ai fait.
— Parce que dans l'histoire de Valentin, tu es le méchant. Le principal antagoniste.
— C'est ça. Enfin, je pense.
— Tu as ta base alors. Il faut que le méchant s'excuse auprès du héros. Tu n'es pas obligé d'utiliser ta propre image, parce que ça serait trop compliqué pour te faire entendre.
Il baisse les yeux sur mon ordinateur, et remarque tous mes stickers, dont celui de Dark Vador. Il sourit cette fois-ci de toutes ses dents.
— Tu peux utiliser Dark Vador.
— Sa rédemption, il l'a obtenue en mourant. Ce n'est pas spécialement un bon modèle.
— Je n'ai pas dit que tu devais absolument suivre le scénario du sixième film. Qu'est-ce que tu aurais aimé toi ?
— Que Luke le ramène sur la planète des Ewoks et qu'ils fassent la fête ensemble. Que sa rédemption prenne du temps, mais qu'elle soit belle. Et peut-être qu'il puisse redevenir un Jedi ?
— Ça, ça peut être ton scénario et... dis, est-ce que tu as déjà regardé Avatar le dernier maître de l'air ?
Je cligne plusieurs fois des yeux, surpris qu'il change de sujet comme ça.
— Oui. Plusieurs fois même. J'adore cette série.
Et j'ai un crush sur Zuko de la saison trois. Mais ça, bien sûr, je ne vais pas le dire à voix haute.
— Alors tu vois qui est Zuko.
Je peux presque me sentir rougir. Je prie que Sheridan ne le remarque pas.
— Totalement. C'est l'un des personnages avec l'arc de rédemption le plus intéressant du monde des séries.
— Eh bien, il faut que tu fasses une Zuko. Que tu t'adresses à chaque personne que tu as blessée, sous le prisme de Dark Vador. Ça a fonctionné pour lui. Tout le Gaang lui faisait confiance.
— Si Dark Vador doit aller s'excuser auprès de toute la galaxie, mon jeu risque de durer dix heures. Et ça m'étonnerait que Valentin soit concentré aussi longtemps.
— Il peut s'excuser auprès des personnages principaux. Luke, Leia et Han. Je suis certain qu'il y a trois points différents dans ce que tu veux dire à Valentin.
— Ouais. Il y en a trois tout rond.
Premièrement, mes mensonges. Deuxièmement, le fait que je l'ai abandonné à la mort de ses parents. Et troisièmement, mon amour. Je vois déjà comment distribuer ça entre les personnages. Et soudainement, j'ai l'illumination. Le truc qui me prend parfois quand je fixe trop longtemps mon ordinateur, qui ne cesse de me répéter qu'il y a une erreur dans mon code et que je n'arrive pas à la repérer ou la réparer.
— Je vais faire le groupe WhatsApp de la famille Skywalker.
— Hein ?
Contrairement à moi ou à Samuel, Sheridan est tout à fait capable de lever un de ses sourcils, tout en fronçant le deuxième. Bien entendu, ça accentue son côté surpris par ce que je viens de sortir.
— Le jeu que je vais coder pour Valentin. Ça va être comme la conversation WhatsApp de la famille Skywalker. Il y aura trois choix à chaque réplique de Dark Vador. Une bien méchante, une de carpette qui ne me ressemble pas, et une grise, comme moi. C'est dans celle-ci que je m'excuserais. Et à la fin, je révèlerais que c'est moi, et j'expliquerais ce que chaque réplique signifie. Punaise, Sheridan, t'es un génie.
— C'est ton idée, pas la mienne, Curtis. Et en plus, j'ai l'impression que ça te fait encore plus écrire que si tu rédigeais une lettre. Mais comme tu veux. Je ne vais pas râler parce que tu me qualifies de génie. Je pourrais même le ressortir à ta sœur la prochaine fois qu'elle me traitera d'imbécile.
Je ne l'écoute déjà plus. Je suis sur mon ordinateur, à coder ce petit jeu. La fausse interface, les choix multiples, ce n'est pas très compliqué — et je suis bien content de m'y connaître aussi en graphisme pour que ça ressemble vraiment à un jeu.
Et pendant les deux semaines suivantes, je suis planté sur mon ordinateur à chacun de mes moments de libre. Je ne dors plus que cinq heures par nuit — contre sept, habituellement. Je mange au lance-pierre. Je fais mes devoirs par-dessus la jambe — si seulement je pouvais sortir mon ordinateur en cours. Comme je suis assez nouveau là-dedans, je fais des erreurs. Je m'énerve, je m'insulte en différentes langues. Et étrangement, la seule chose capable de me sortir de tout ça, ce sont les lèvres de Samuel.
Je sais bien ce qu'on peut penser de moi. Ma propre sœur me l'a dit. Il n'y a qu'avec la perspective d'une bonne partie de jambes en l'air que j'accepte de lâcher mon ordinateur. Et c'est totalement vrai, je ne le dénie même pas. Mieux, et je ne l'avouerais jamais à voix haute, j'ai eu une idée de comment régler un conflit entre mes variables au meilleur moment d'une de ces rencontres avec mon petit-ami. Samuel a bien dû se demander ce qui se passait, mais j'étais trop excité par ma trouvaille pour lui expliquer. Il a dû croire que je devais me remettre de son petit traitement.
Même aujourd'hui, alors que j'ai rendez-vous avec ma psychologue, je suis en train de coder sur mon ordinateur. J'en suis aux dernières touches. Grâce à Sheridan et ses recherches, il sait que le téléphone de Valentin est un iPhone, comme le mien. Il lui a raconté que c'est son parrain qui lui a offert pour le faire revenir, et que Valentin, malin comme un singe, a pris le téléphone, mais ne s'est pas réconcilié avec son tuteur. Et après, c'est moi le méchant ? Cette petite action assez critiquable me rend tout de même service. Lui faire tester le jeu va être bien plus simple que prévu, étant donné que je code sur un ordinateur Apple, et que les appareils de cette marque ont la réputation de bien se répondre. Le scénario est simple. Je prête mon ordinateur à Sheridan, et pendant une de leur session de jeux vidéo, il lui met le jeu sur son téléphone, tout en lui expliquant la marche à suivre, pour un prétendu cours d'informatique.
— Valentin va trouver ça trop cool. Je te le certifie, m'a rassuré Sheridan, le jour où j'ai eu mon idée.
— Tu ne penses pas qu'il va comprendre que c'est moi ? Il sait que je suis fan de science-fiction.
— Oui, mais moi aussi, je le suis. J'ai sauté au plafond quand Coby m'a demandé d'aller voir Rogue One avec lui parce que tu lui avais foutu un vent. Même si moi, je préfère la République à ces adorateurs du rouge.
Il avait dit ça pour se moquer de moi, bien évidemment. Mais en effet, ça m'avait rassuré. Et cette après-midi, après ma séance, je vais pouvoir donner mon ordinateur à Sheridan, puisqu'il a une rencontre avec Valentin.
Je suis en train de finaliser les textes, et plus précisément celui sur la mort de ses parents. Pour le jeu, c'est Leia qui reproche à son père biologique d'avoir détruit la planète sur laquelle elle a grandi, et donc de tuer ses parents adoptifs. Je fais dire à Dark Vador qu'il regrette son geste.
— Dès que j'ai vu l'Étoile Noire terminer son travail, j'ai immédiatement voulu revenir dans le temps, et viser une planète inhabitée pour tester le canon. Je n'aurais jamais dû détruire Alderande. Même si je ne te connais pas, ma fille, je sais ce que ça fait de perdre quelqu'un qui t'est cher. J'aurais dû penser à toi, à tes sentiments, et non à mon envie de supériorité du méchant que j'étais alors. Je suis vraiment désolé de t'avoir laissée traverser tout cela toute seule. J'aurais dû être là, comme le père que j'essaie d'être maintenant.
En relisant, je me dis que c'est étrange de faire parler Dark Vador ainsi, mais il doit faire amende honorable. Et même si ça paraît suspect, je m'en moque un peu. Ce n'est qu'une manière très détournée de m'excuser auprès de Valentin. Ça n'a pas de volonté à être parfaitement en accord avec l'univers de Star Wars.
Je pose le point final au moment où la psychologue m'appelle dans son bureau. Contrairement — et heureusement — à la dernière fois, je ne connais absolument pas la personne qui quitte son bureau et me laisse la place. Je pense qu'elle fait très attention maintenant. J'espère juste qu'Eliot ne souffre pas trop de cette rencontre inopinée.
— Vous semblez de bonne humeur, commence Madame Row. C'est une vraie différence avec la dernière fois où nous nous sommes vus.
— Oh, eh bien, il y a du nouveau dans ma vie. Je suis en plein dans mon arc de rédemption, vous savez. Je suis en train de m'excuser. D'une manière qui me ressemble et qui peut paraître étrange au premier abord certes, mais une excuse quand même.
— À Kohei ?
Ses yeux brillent d'espérance. J'ai un peu de mal à les lui briser, mais je me sens pour l'instant incapable de faire face, même métaphoriquement parlant, à Kohei. C'est bien trop compliqué et douloureux.
— Non, à Valentin. En fait... c'est un travail qu'on nous a donné dans notre association, vous savez, celle que je fréquente avec Samuel. Ça s'inspire d'un guide des Alcooliques Anonymes, comme quoi il faut s'excuser auprès des personnes qu'on a blessées parce qu'on se hait. Valentin a été la victime de mon homophobie intériorisée. Kohei, lui, c'est mon racisme intériorisé auquel il a dû faire face. Je ne l'ai jamais insulté sur le fait qu'il accepte le fait qu'il soit amoureux d'un autre garçon. Jusqu'à décembre, je n'étais même pas au courant.
— Et lorsque cette... activité a été présentée dans votre association, avez-vous pensé à Kohei ?
Je souris avec mélancolie. Je comprends où elle veut en venir. La dernière fois, alors que j'avais juste envie de m'arracher les cheveux parce que je suis un monstre qui n'a pas le droit de vivre sur la même planète que lui, elle voulait me proposer ça. De m'excuser auprès de Kohei.
— Oui. J'ai pensé à une lettre. Enfin, pour Valentin aussi, j'avais pensé à une lettre, mais il s'avère que mon esprit n'est pas assez littéraire pour m'adresser à lui de cette manière. Sauf que quand je pense à Kohei, eh bien... les mots viennent tout seuls. Je n'ai pas encore pris de feuille de papier pour les coucher dessus, mais j'y ai réfléchi plusieurs fois. Même si la plupart du temps, j'ai mes idées sous la douche.
Ou à des moments où je ne devrais pas penser à autre chose que le plaisir que mon copain me donne. Mais ça, je ne vais pas le dire à haute voix.
— Ne vous inquiétez pas, rit-elle. Moi aussi, j'ai eu mes grandes réalisations dans ma douche ou dans mon bain. C'est bien que vous ayez eu cette idée de lettre, puisque c'est ce que je comptais vous proposer pour aujourd'hui. Nous pourrions l'écrire ensemble.
— Je tiens juste à vous prévenir. Je ne comptais pas la lui donner. Juste... écrire pour me décharger de tout ça.
— Et je suis tout à fait d'accord avec ça.
Elle ouvre un grand tiroir, et en sort une feuille blanche. Contrairement à ce que je pensais, elle ne me la donne pas, mais la glisse sur sa plaquette, qu'elle utilise habituellement pour prendre des notes de notre séance.
— Je serais votre scribe. Vous n'avez qu'à me dicter les phrases, et je les écrirais. Comme ça, vous pouvez vous concentrer sur votre monologue. Fermez les yeux, imaginez que vous avez Kohei en face de vous, et parlez.
Je m'exécute, et je me laisse glisser dans mon imagination. Celle-ci ne me guide pas vers le grand Kohei, celui de dix-sept ans et demi, qui est prêt à terminer sa Grammar School pour embrasser la vie étudiante. Non, elle me montre le petit Kohei de dix ans, en dernière année de primaire, en train de rire en buvant un diabolo. Ma vision est uniquement peuplée de nous deux, d'une table et de deux chaises. Moi, je suis devant un milk-shake à la vanille. Comme c'est amusant.
— Pourquoi est-ce que tu m'as mis dans une poubelle, Adil ? Tu es mon meilleur ami. Qu'est-ce que je t'ai fait ? Pourquoi est-ce que j'ai mérité ce traitement ?
Il ne pleure pas. En réalité, il ne montre aucune émotion. Mais moi, je me laisse glisser en elles, et je sens une larme dévaler ma joue.
— Je t'ai fait ça, Kohei, parce que... parce que je me déteste. Je sais que c'est facile de te dire ça, et que tu vas me répliquer qu'un garçon de dix ans, ça ne se déteste pas.
J'essaie de parler le plus lentement possible pour que la psychologue ait le temps de noter.
— Mais moi, je me déteste. Je déteste le fait d'être différent des autres. D'avoir un accent. Que mon premier prénom soit Adil, et pas Curtis. Que ma peau soit brune et non beige clair, comme celle de tous les autres.
— Mais moi, je suis comme toi. Je suis différent aussi. Et on s'entend bien, tous les deux. Alors pourquoi ?
— Toi, tu n'as pas Monsieur Gribouillis. Monsieur Gribouillis, il est là à cause de mon frère. Tu te souviens quand je t'ai parlé de Rahim ? Eh bien, c'est lui qui un jour m'a fait manger Monsieur Gribouillis. Parce qu'il m'a dit que je n'étais plus son frère. Que j'étais un faux Pakistanais. Que je n'aurais pas dû naître.
Une nouvelle larme. Madame Row a eu une excellente idée de prendre en charge la rédaction de cette lettre. Avec toute cette eau dégoulinant de mon visage, je n'aurais jamais pu me concentrer sur ce que je suis en train de dire.
— Et Monsieur Gribouillis, il n'est pas gentil. Il n'est vraiment pas gentil. Il veut tout le temps que je sois horrible. Il gratte à l'intérieur de mon estomac pour qu'il puisse sortir, et être affreux avec toutes les personnes autour de lui. Mais avec toi, le monstre se taisait. Tu savais comment le calmer, sans même connaître son existence.
Parfois, quand j'y repense, je me dis que la toute première personne sur cette planète que j'ai aimée, en dehors de ma famille, c'est Kohei. Parce qu'il avait cette capacité à m'apaiser, à me faire sourire chaque minute que nous passions ensemble. Nous nous faisions harceler, mais je souriais, parce que je n'étais pas seul. Et parce qu'il y avait de la lumière, dans toute cette obscurité. Ma lumière.
— Quand tu es tombé malade, juste avant les vacances de Noël, Monsieur Gribouillis, le monstre comme je l'appelle, il était déchaîné. J'étais tout seul face aux brimades qui nous tombaient dessus. Il t'insultait parce que tu n'avais pas pu résister à la grippe, parce que tu m'abandonnais. Et quand nos harceleurs, ce groupe de populaires, m'a approché pour me faire tomber dans leur piège, il en a sauté de joie. Il était tellement fort et puissant qu'il m'a eu. Et que j'ai accepté.
Je renifle, pleurant toujours. J'arrive à la pire partie.
— Ce jour horrible où je t'ai mis dans cette poubelle, c'est Monsieur Gribouillis qui était aux commandes. Moi, le moi qui te considérais comme son meilleur ami de tous les temps, je hurlais, coincé à l'intérieur d'une armoire. Je ne voulais pas faire ça. J'ai regretté immédiatement. Et quand nos harceleurs m'ont balancé le milk-shake en pleine face, le monstre a ri. Il a ri tellement fort que j'avais envie de me boucher les oreilles. Et son fou rire s'est accentué quand toi, entre toutes les personnes, tu m'as aidé à me nettoyer.
Je serre les poings. Je suis à la fin de ma lettre, et Madame Row vient de me demander d'attendre quelques secondes avant de reprendre, le temps qu'elle change de page. Elle clique deux fois son stylo pour m'indiquer que je peux y aller.
— Je suis désolé, si tu savais comme je suis désolé que toutes les fois où nous nous sommes croisés depuis, tu aies eu affaire à Monsieur Gribouillis. Je suis tellement désolée qu'il ait fini par t'attaquer toi aussi, qu'il t'ait sauté à la gorge pour s'infiltrer en toi et que tu te retrouves chez la même psychologue que moi. En septembre, lorsque nous nous sommes revus à Clear Lake, tu m'as dit que tu étais prêt à me pardonner si je t'expliquais ce qui m'avait pris. Tu as cette explication. Et je te demande pardon, Kohei. Libre à toi de me l'accorder ou non.
Je rouvre les yeux avant d'avoir la réponse de sa représentation de petit garçon. Elle ne m'intéresse pas. Il n'est pas réel.
— Je vous félicite, Curtis. Vous avez réussi. Vous vous êtes excusé. Comment vous sentez-vous ?
Je me mouche, parce que je ne ressemble plus à rien. Et après avoir jeté mon mouchoir, je réplique.
— Je crois que je suis en train de devenir un gentil. Et j'aime ça.
Monsieur Gribouillis vu par moi et ensuite par aurore_hgl sur Instagram
En plus de conclure Mai, ce chapitre termine aussi la première partie de cette histoire. Oui, oui, nous ne sommes qu'à la moitié (arriverais-je au 700 pages dans l'intégrale ou pas ?) Et comme je suis assez fière de ma couverture (les gens d'Instagram l'ont déjà vue quand je travaillais dessus) je vous la montre ici !
(ce n'est pas aussi fuchsia en réalité)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top