Mai - 2
Cato fait partie de la troupe des carrières, comme les deux méchants précédents. Les carrières sont des personnes qui s'entraînent toute leur vie pour entrer dans l'arène une fois dix-huit ans, et qui remportent les jeux. Cato prend immédiatement Katniss en grippe, lors des entrainements, et veut l'abattre. Il essaie de la rattraper alors qu'elle grimpe à un arbre, mais n'y parvins pas. Ensuite, on n'entend plus parler de lui jusqu'à la fin, lorsqu'il réapparait en tant que trio final, avec les deux héros. Sa mort dans le film fait presque pitié : Katniss l'achève d'une flèche alors qu'il se fait attaquer par des espèces de chiens mutants. Et d'ailleurs, je trouve que le casting a été particulièrement intéressant sur ce personnage : il a clairement la tête du petit con de l'emploi.
Accrochez vous à vos ceintures, bienvenue dans le grand-huit Anna & Co !
Je ne suis pas quelqu'un de très patient. Lorsque j'ai rendez-vous avec quelqu'un — médical ou personnel — je m'arrange toujours pour arriver pile à l'heure, voire même avec un tout petit peu de retard. Je me suis d'ailleurs félicité de cette petite particularité à mon premier rendez-vous avec ma psychologue, où j'ai eu le malheur de croiser Eliot et son frère. Si j'étais arrivé plus tôt, il m'aurait vu dans la salle d'attente, nos regards se seraient croisés, et il aurait été bon pour repartir discuter avec la professionnelle.
Mais aujourd'hui, ce n'est pas moi qui suis en retard. Non, non, moi je suis arrivé à l'heure, pensant que comme d'habitude, on allait appeler mon nom dans la salle d'attente trente secondes après que j'y ai posé mes fesses. Celle qui est en retard, c'est Madame Row, la psychologue. Et comme l'univers est de mèche avec le monstre en ce moment, mon voisin de gauche n'est d'autres que Callahan. Ce qui ne signifie qu'une seule chose. Eliot est le patient juste avant moi.
Depuis que je suis entré en baissant immédiatement les yeux, j'élabore un stratagème pour éviter de le croiser. Aller aux toilettes au moment où j'entends la porte bouger. Faire semblant de ramasser mon téléphone pour avoir la tête baissée au moment où il partira. M'enfuir, tout simplement — le monstre est plutôt pour, mais je n'ai pas spécialement envie d'être lâche.
Le pire, c'est que je ne sais même pas si Callahan m'a reconnu. Il ne m'a pas adressé un signe de tête pour me saluer, comme il l'a fait avec tous les autres patients qui sont arrivés après moi — certains sont très friands de l'avance, contrairement à moi. Il ne m'a pas lancé de regards furtifs ni d'œillades particulièrement longues. Si ça se trouve, je me torture l'esprit pour rien, et j'aurais simplement à marcher vers la psychologue comme d'habitude. Rien de très compliqué ni de grave.
La porte bouge enfin et je me prépare à me lever. Sauf qu'Eliot n'est pas à l'encadrement. Je le distingue, au fond de la pièce. Que fait-il ? Madame Row va ouvrir la bouche et...
— Curtis Razavi ?
Forcément, la tête de Callahan se relève comme un ressort, et fixe la personne qui est debout à côté de lui — en l'occurrence, moi — avec des yeux plus ronds que des billes. Si j'étais sarcastique et toujours un méchant de service, je lui dirais qu'il faut qu'il fasse attention, ou ses globes oculaires vont finir par rouler sur le sol. Mais comme je suis en plein dans mon arc de rédemption — malgré l'immense colère qui m'habite depuis le vingt-neuf avril —, je garde ma remarque pour moi. Surtout que je dois faire profil bas.
J'avance à tous petits pas vers le bureau de la psychologue. Je prie de toutes mes forces pour qu'Eliot sorte avant que j'entre, pour limiter la casse. Sauf que non. Les planètes doivent être contre moi, Mars n'est pas assez ascendante sur Vénus ou que sais-je encore. Parce que nos yeux se croisent en bonne et due forme juste devant Madame Row. Il s'arrête. Me fixe de bas en haut. Reviens vers mes iris. S'y plonge quelques secondes. Et murmure.
— Adil...
Il me dépasse sans me bousculer, en me frôlant. Je reste figé. Et lorsque j'entends la porte claquer, je glisse.
— Je suis désolé, Kohei.
Comme un automate, je commence à me diriger vers la sortie. Je ne sais plus quoi faire.
— Je vous interdis de vous enfuir. Vous ne cessez de me le dire, vous n'êtes pas un lâche.
— Rassurez-moi, vous ne l'avez pas fait exprès ?
— Non. Je vous le certifie. Je n'aurais pas dû vous appeler ainsi dans la salle, je suis vraiment désolée. Il a déplacé son rendez-vous au dernier moment, et je n'avais que cette place. J'ai pris du retard avec une patiente en vraie détresse. Depuis que vous m'avez expliqué votre lien, je me suis toujours arrangé pour que vous ne vous croisiez pas.
Je ne suis pas convaincu, si bien qu'elle continue.
— Mais ne vous enfermez pas dans le rôle qu'on vous a donné. Ne pensez pas que vous n'avez pas le droit au pardon. Nous en avons déjà discuté. Vous avez réussi à lui dire que vous étiez désolé.
— Oui, mais il était déjà parti. Ça ne sert à rien.
— Détrompez-vous. C'est la première fois que je vous entends prononcer ces quelques mots.
— Je ne devrais pas. Je ne le mérite pas. Si vous saviez tout ce qui se passe en ce moment.
— C'est pour cela que vous êtes là, Curtis. Pour en discuter. Entrez, et mettez-vous à l'aise.
Je tremble comme une feuille. Encore une fois, j'ai l'impression que je ne devrais pas. Que je vole sa souffrance à Eliot. Que je suis le bourreau, et que je n'ai pas le droit de souffrir, justement.
— Il faut que vous compreniez que vous ayez le droit de vous excuser, Curtis. Eliot n'est pas forcément obligé de les accepter, mais vous avez le droit de le faire. Vous avez le droit de regretter, de vouloir arranger les choses. Vous m'avez déjà dit, pendant des séances précédentes, que vous ne vouliez pas faire partie de sa vie, simplement qu'il sache que vous ne vouliez pas faire ça, que le monstre est un être cruel et que vous vous le reprochez.
— Je crois que je n'arrive pas à me pardonner moi-même. Parce que je pensais avoir changé. Être devenu un homme meilleur, au contact de Samuel, d'Asra, de Coby ou même de Sheridan. Mais non. Parce que je retombe dans les mêmes travers. Je redeviens un immense menteur, comme j'ai pu le faire avec Valentin.
— Mentez-vous à Samuel sur vos sentiments ?
— Oui et non. Je l'aime, c'est certain, mais...vous voyez, on a eu les résultats pour les demandes d'université, et je n'ai pas été accepté à Trinity. On en reparlera ensuite, si vous voulez bien, mais le truc...c'est que j'ai dit à tout le monde que j'allais à Dublin l'année prochaine. J'ai fini par cracher le morceau samedi dernier à Coby, parce que je n'en pouvais plus et que j'étais en train de me faire du mal, même un peu physiquement. Samuel, lui, il est pris à Coleraine. Je suis super content pour lui, vous ne pouvez pas imaginer, et c'est une victoire pour lui. Sauf qu'il m'a sorti un petit speech tout mignon sur le fait que même si on ne sera pas dans la même ville l'année prochaine, il croyait en nous et il ne voulait pas me laisser tomber.
— Vous ne ressentez pas ça ?
— Non. Je ne crois pas dans les relations à distance.
— Pour quelle raison ? L'avez-vous déjà vécu ?
Je bute un peu sur mes mots. C'est un peu compliqué à expliquer sans paraître pour un rustre.
— Non, mais j'ai cette certitude dans le cœur. J'ai besoin de voir la personne, de la toucher, de me plonger dans ses yeux. Je sais que les webcams sont de mieux en mieux, en termes de qualité, mais ce n'est pas la même chose.
— Et mettre en place un système de roulement ? L'un vient rendre visite à l'autre tous les week-ends, ou une semaine sur deux ?
— Je me sentirais trop mal que Samuel dépense le peu d'argent qu'il a pour moi. Je préfère qu'il l'investisse dans ses études, dans une super calculatrice ou que sais-je encore. Quant à moi, je déteste la voiture. Et bien que Coleraine ne soit qu'à trois heures de route de Dublin, ça me fait déjà peur.
— Vous vous dépréciez, encore une fois. Si Samuel veut dépenser son argent pour vous, vous ne pourrez pas l'en empêcher. Il y aura bien votre anniversaire, ou Noël, ou une autre occasion où il fera des achats pour vous. Allez-vous refuser à chaque fois parce que vous culpabilisez qu'il ait des sentiments pour vous ?
— Non. Ce n'est pas poli. Et il ne le prendrait pas bien. Il aurait l'impression que j'ai pitié de lui, parce que je suis riche, contrairement à lui.
— Exactement. Quant à la voiture, vous pouvez faire un compromis. Vous entraîner. Faire la route tout seul, ou avec quelqu'un comme Coby. Vous mettre un objectif en tête, celui de retrouver votre petit ami. À moins que vous vous serviez de l'excuse de l'université pour rompre avec Samuel, parce que vous ne voulez pas aller plus loin avec lui.
— Parfois, j'oublie que c'est votre travail de poser des questions qui fâchent.
— J'ai un diplôme en questions qui fâchent, en effet. C'est un peu pour ça que vous êtes là.
Madame Row s'enfonce dans son siège de bureau, et me fixe derrière ses lunettes or rose. Elles ressortent magnifiquement bien sur sa peau noire, et sont très originales, de par leur grande forme rectangulaire. C'est ce qui m'a attiré, la première fois que je l'ai consultée, dans le sens où elle donne envie de tout déballer. Sauf quand elle pose des questions qui fâchent.
— Vous avez le droit de décider que le chemin s'arrête ici avec Samuel. Je ne suis personne pour vous juger. Justement, ce n'est pas mon travail. Mais je peux vous donner un conseil. Soyez honnête avec lui. Même si c'est douloureux, même si le monstre gratte dans votre ventre. Dire la vérité fait partie des changements que vous êtes en train d'opérer sur vous. Vous avez dit la vérité à votre sœur, vous avez dit la vérité à Coby en lui parlant de Samuel. Vous vous êtes dit la vérité lorsque vous avez accepté les sentiments que vous avez pour ce garçon, même si ça faisait enrager le monstre. Vous avez dit la vérité dans votre association d'arcs-en-ciel. Alors ça serait bête de faire marche arrière.
— Certes. Vous avez raison.
— J'aime quand on me dit ça. Ça veut dire que je fais bien mon travail.
Je ris, et je lève les yeux au ciel. Des larmes viennent poindre à l'horizon. Je revois le visage d'Eliot lorsqu'il m'a découvert dans la salle d'attente, ainsi que le fait que nous partageons notre psychologue. Sa détresse, que je le blesse une nouvelle fois. Sa fuite en avant.
— Vous pensez qu'un jour, j'arriverais à dire la vérité à Valentin et Kohei ?
— J'en suis certaine. Je comptais vous proposer quelque chose, vis-à-vis de Kohei. Mais au vu de ce qui s'est passé aujourd'hui, nous reporterons peut-être à la fois suivante, si cela ne vous dérange pas.
— Je suis d'accord.
Une larme roule sur ma joue, et je jure en l'effaçant. Ce n'est pas la première fois qu'elle me voit pleurer — je le fais plus ou moins à chaque fois que j'évoque ma mère — mais encore une fois, j'ai juste l'impression que je ne mérite pas d'être triste.
— Et maintenant, si vous me parliez de l'université ? Comment vous sentez-vous face à ce refus ?
— Mal, surtout que j'ai découvert une autre surprise. Mon père a fait jouer ses relations pour que je sois accepté à Oxford et je n'ai aucune envie d'y aller. J'ai passé mon temps à faire des trajets entre ici et là-haut, ou au départ de Coleraine sur les applications de GPS. Il y a entre huit et neuf heures de voiture, avec une traversée en ferry et des péages. C'est un vrai cauchemar. Et on ne va pas évoquer que c'est là qu'étudie mon cher frère. Mon père croit qu'on va se réconcilier si on vit l'un près de l'autre.
— Et vous ne le souhaitez pas ?
— Non. Plus vraiment.
Je lui explique mon raisonnement vis-à-vis de Coby, de sa place dans ma vie. Je l'aime, mais ce n'est ni platonique ni amoureux. C'est comme un frère.
— D'ailleurs, il m'a donné une idée. Parrainer un élève pour Oxford. Lui donner ma place et payer les frais astronomiques d'inscription.
Elle sourit. Un œil vers son diplôme derrière elle m'indique qu'elle est allée à Cambridge. C'est du même acabit.
— Et il a rajouté que je pourrais faire croire à mon père que je vais y étudier, tout en prenant un appartement autre part, pour travailler en free-lance comme développeur informatique.
— Et qu'en pensez-vous ?
— Au début, j'étais dubitatif. Je voyais bien qu'il faisait tout pour que je ne perde pas espoir. Il faisait son Coby, quoi. Mais après, ça a fait son bonhomme de chemin dans ma tête. En soi, je peux totalement m'inscrire à une formation en ligne en développement, et prendre mon indépendance. Surtout que le travail en free-lance, c'était un peu mon but, pour après la fac.
— Et avez-vous déjà une idée de l'endroit où vous souhaiteriez vous installer ?
— Absolument pas. C'est un peu le problème en soi. C'est pour ça que l'idée est toujours assez floue en moi.
Ses lèvres s'étirent encore plus, et elle croise ses jambes devant elle. Ses yeux bruns luisants me fixent de part en part.
— Et pourquoi pas à Dublin ?
— Hein ?
— Qu'est-ce qui vous empêche de vous y rendre après tout ? Vous n'avez pas sélectionné le Trinity College uniquement pour son programme, mais aussi pour sa localisation. Peut-être que cette université ne veut pas de vous, mais la ville peut encore vous accueillir à bras ouverts.
Je cligne des yeux, comme si mon cerveau venait de faire un immense écran bleu. Elle comprend qu'elle doit continuer.
— Lorsque vous m'avez parlé de l'université, vous avez dit que vous aviez besoin de renouveau. Que Belfast résonne pour vous comme un assemblage de mauvais souvenirs, vis-à-vis de votre frère, de Valentin ou de Kohei. Qu'à Dublin, personne ne connaîtrait le méchant de service, le monstre, que vous ne seriez que Curtis ou Adil. Bien que votre vision de la ville se soit radoucie, vous gardez quand même des séquelles de votre passé. Vous avez l'opportunité, les capacités physiques comme financières et le droit de vous rendre à Dublin. Alors, pourquoi ne pas essayer ?
Un silence. Je me reprends. Réfléchis à l'idée. Et peu à peu, mes lèvres s'étirent.
— Coby va vous haïr, je pense.
— Je suis désolée pour lui. S'il n'arrive pas à le supporter, il peut peut-être essayer de prendre rendez-vous avec moi. Je suis assez doué pour me faire aimer de mes clients.
— C'est vrai.
Je la regarde, et je me rends compte qu'elle a encore fait sa magie sur moi. Je suis apaisé, et je n'ai plus envie de fuir. J'ai envie de me battre contre le monstre. La guerre ne fait que commencer.
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