Juin - 2

Bellatrix Lestrange est un personnage très intéressant à mon avis. J'aime particulièrement son esthétisme, et je pense que c'est pour cette raison qu'elle se trouve deuxième dans ma liste des méchants de Harry Potter (et aussi parce que je ne connais pas très bien la saga (pitié, pas taper)). Malgré cet esthétisme amené par le talent de l'actrice qui la joue (Helena Bonham Carter), je ne l'aime pas spécialement parce qu'elle tue un personnage qui ressemblait à une famille pour Harry, qui, décidément, est encore plus maltraité que mes propres personnages. 


— Dis-moi, tu l'as fabriquée, ta peinture ? T'as mis du temps pour les acheter. Il y avait du monde au magasin ?

Je viens d'arriver à l'association, portant deux immenses sachets remplis de gros bidons de gouache. Heather est carrément en train de me juger, un pinceau en main.

— On t'attendait nous. On a dû s'arrêter parce qu'on avait plus de matériel. Et ce n'était pas très prévu dans notre programme qu'on se stoppe comme ça.

Je souris de travers, mais je ne culpabilise même pas. J'avais besoin de voir Curtis, juste pour lui raconter ce qui s'est passé dans le bureau de la directrice. Et aussi pour le serrer dans mes bras. Parce que c'est lui qui m'a donné la force de parler, c'est lui qui m'a aidé à enfermer le monstre dans son armoire pour qu'il me laisse aller témoigner au journal, même si je n'ai pas donné mon identité. Sans Curtis, je serais sans doute chez moi, tout seul et certainement au trente-sixième dessous à l'idée que je ne jouerais plus jamais au football.

— Je suis désolé. Le bus avait beaucoup de retard, et avec tous mes sacs, je n'ai pas pu prendre le premier qui s'est présenté. J'ai dû attendre le suivant.

Heather gobe à moitié mon mensonge et j'essaie de changer de sujet en observant toutes les pancartes en train de sécher. L'objectif de l'association est que l'on voit un arc-en-ciel de couleurs — toutes celles présentes sur les drapeaux LGBT — depuis le ciel, ou depuis les toits. De plus, s'il y a du soleil, comme nous sommes censés les porter en hauteur, ça nous protégera. Enfin, ça protégera ceux qui seront à la marche.

— Votre travail est vraiment super intéressant. En quoi est-ce que je peux aider ?

— Prépare les pots pour tout le monde en essayant de faire les mélanges. On a fait des petites étiquettes avec les doses de peinture qu'il faut, donc sois attentif. Ça serait bête de gâcher la gouache. Mais avant toute chose, tu devrais te changer. Il y a un tas de vieux habits donnés par des membres en haut, tu peux piquer un pantalon et un t-shirt. Je n'ai aucune envie de m'échiner à laver ton uniforme tout taché.

— Okay. Je file.

Je trouve rapidement ma taille dans le tas — c'est le cas de le dire — et je vais m'enfermer aux toilettes. Malheureusement, le jogging noir que j'ai dégoté ne comporte pas de poches. Je vais devoir abandonner mon téléphone dans mon sac de cours. Tant pis pour les supers photos que je comptais envoyer à Curtis, pour lui donner envie de venir nous rejoindre. J'essaierais de lui en faire le récit la prochaine fois qu'on se parlera.

Comme Heather me l'a presque ordonné, je m'attelle aux mélanges de peinture dans de très grandes jarres à confiture. Je commence par les plus simples, avec une dose complète de bleu ou de rouge. Ensuite, viennent les couleurs secondaires, comme le rose — foncé et pastel — le vert, le violet qui me fait sourire de toutes mes dents. La plupart des personnes me remercient lorsque je leur tends leur jarre à nouveau complète. Seule Heather me fixe comme si elle pouvait commettre un meurtre dans la seconde. Pour notre première fois ensemble à l'association, je pensais que l'on allait se charrier, pour montrer aux autres notre superbe relation de frère et sœur. Maintenant, tout le monde va penser que je suis un petit con qui n'est pas capable d'écouter les plus âgés. Parfois, j'aimerais juste rappeler que techniquement, je suis adulte depuis cinq mois.

— Quand tu auras fini, tu viendras me voir. Qu'on discute un peu du fait que tu sèches les cours alors que tes examens de fin d'études sont le mois prochain.

Je verse ma dernière dose de blanc dans le bleu, pour faire le pastel qui correspond au drapeau trans. En levant les yeux vers elle, je commence à remuer avec vigueur, pour lui montrer ce que je ressens là maintenant tout de suite. Je vais finir par me coller une étiquette sur le haut de la tête qui indique que je ne suis plus un gamin. Même notre propre mère n'agit pas comme ça avec moi.

Je donne le pot à un garçon que je ne connais pas et qui me sourit gentiment, comme pour me souhaiter bonne chance avec le dragon qui a pris la place d'Heather. Ma bonne humeur induite par le gros chèque dans mon sac et mon entrevue avec Curtis commence à s'effriter.

— Me voilà. Tu peux me faire la leçon maintenant. Comme si j'avais huit ans et que j'étais habitué à sécher. Dis-moi, tu faisais pareil avec Konstantin quand tu étais présidente du conseil des élèves ? Tu ne l'as pas défendu lorsqu'il a balancé un poing dans la tronche d'un gars ? Et qu'il n'est pas venu pendant un mois complet parce qu'il était en Russie et qu'il avait un peu oublié la rentrée ?

Son nez se fronce, signe qu'elle se retient d'exploser. Sauf que je sais que j'ai raison. Je ne suis pas au niveau de son meilleur ami. C'est la première fois de toute ma vie que je sèche un cours.

— Et pour la peinture, je suis vraiment désolé. Ouais, je t'ai menti, il n'y avait pas de monde dans le bus. Je suis allé voir Curtis à son école parce que je voulais lui partager une bonne nouvelle.

— Ah bon ? Et qu'est-ce qui était si pressé pour que tu ailles voir ton copain au lieu de répondre aux engagements que tu as pris auprès de moi quand tu m'as dit que tu allais au magasin artistique ?

— On a gagné, Heather. Le truc avec mes camarades qui se sont fait tabasser comme moi. John a été exclu, et son père est sur la sellette. Et l'école s'est officiellement excusée auprès de nous.

Son froncement s'évapore comme il était apparu, et elle m'offre un air complètement surpris. Ça ne m'étonne pas, et je ne suis même pas vexé. Quand Heather était présidente du conseil des élèves, elle a essayé de faire respecter certaines règles, elle a essayé de protéger les élèves qui se faisaient harceler. Jusqu'à me cacher son propre harcèlement. Je n'ai strictement rien vu alors qu'elle semblait souffrir le martyre, d'après ce que la directrice nous a expliqué. Lorsqu'elle m'a raconté que ma sœur d'amour a dû subir tout ça, j'ai eu envie de casser la gueule à toute cette famille de malheur. Les Buckley sont vraiment une plaie.

— Ils ont réussi à vous cracher des excuses ?

— Mieux. Ils nous ont craché un chèque. Je sais que pour toi, ça ne change pas grand-chose, que tu préfères des actions à des livres sterling, mais... mais je vais pouvoir faire mes études sans me préoccuper de l'argent.

— Sérieux ? Combien ?

Je fouille dans mon sac, en m'essuyant sur mes habits — j'ai des traces de bleu et de blanc sur les paumes — pour éviter que le précieux bout de papier orné de petits castors ne soit sali. Je le tends à Heather, qui m'offre des yeux plus ronds que des billes.

— Ah ouais, tout ça.

— Oui, tout ça. Et j'avais besoin d'en parler à quelqu'un. Tout de suite, sans attendre.

— Je suis là, Samuel. Les oreilles grandes ouvertes. Est-ce que tu as l'impression que je te suis supérieure parce que j'ai un an de plus que toi ? Ou alors que je suis condescendante ? Si c'est le cas, je suis désolée, vraiment. J'ai juste l'impression que depuis que tu as été attaqué, tu ne parles plus vraiment. Tu t'es enfermé dans ta bulle, tu es tellement... tu n'es jamais là. Tu fuis la maison comme la peste. Je sais qu'on est un peu minables avec notre toute petite baraque, et notre quartier qui craint, mais... je suis là, Samuel. Je suis toujours ta grande sœur, et j'aimerais bien savoir ce qui se passe dans ta vie.

J'avale difficilement ma salive, et je baisse la tête. J'ai honte, parce qu'elle a raison. Je fuis. Je n'aime pas rester chez nous quand je suis seul, parce que le monstre se met à gratter comme ce n'est pas pensable. J'ai toujours peur de faire des conneries lorsque je suis tout seul. Le silence est pesant, surtout parce qu'il n'est pas vrai. Les grattements sont toujours là. Et j'espère qu'ils se tairont un jour.

— Je ne voulais pas te rappeler de mauvais souvenirs. Toi aussi, tu as eu de sales histoires à Clear Lake. Toi aussi, tu me les as cachées, tu es restée dans ta bulle. Dans ta bulle de noirceur. Tu as fini par t'enfuir à Londres pour rejoindre Konstantin quelques jours. Et moi aussi, j'étais là.

— Tu me rends la monnaie de ma pièce, c'est ça ? Comme je ne t'ai pas parlé de ce qui se passait à l'école, tu me le fais payer maintenant ? Je ne te savais pas rancunier à ce point, Samuel.

— Non, je ne suis pas rancunier. À ce moment-là, je ne te comprenais pas, mais désormais, c'est le cas. Je n'étais pas la personne adéquate pour t'aider. Tu avais besoin de ton meilleur ami, tu avais besoin de fuir Belfast pour te sortir toutes ces histoires de la tête. Alors s'il te plaît, essaie de te mettre dans mes baskets. Tu n'es pas comme moi, Heather. Tu n'as pas le monstre. Curtis l'a. Les arcs-en-ciel anonymes aussi, du moins, à leur manière. Je ne suis pas seul. C'est juste que tu n'es pas la première personne à qui je me confie. C'est comme ça. Ce n'est pas un manque de confiance, de la rancune ou simplement de la méchanceté, je te le promets.

J'essaie de sourire pour finir ma réplique. Je sais que ce n'est pas facile. À l'époque, quand elle est partie à la fin des vacances à la capitale en ne me prévenant pas ou en ne me proposant pas de venir avec elle, je l'ai très mal vécu et je lui ai un peu fait payer quand elle est rentrée. On n'a simplement pas ce genre de relation, et ça ne me déplaît pas.

— Promesse de petit doigt ?

Et je sais qu'avec cette simple réplique, elle accepte ce que je viens de dire. Elle m'accepte, moi, son petit frère pas très fier de lui, arc-en-ciel un peu cassé, habité par un monstre griffu. Et ça me fait chaud au cœur.

— Promesse de petit doigt.

***

Je crois que c'est l'une des premières fois que je sors le soir avec Curtis, et ça me rend tout chose. Bien sûr, il y a eu le bal, et la Saint-Patrick, mais ce n'étaient pas des rendez-vous typiques, et pris comme tels. Là, je l'ai invité au restaurant, comme un adulte. Nous allons nous y rendre par nos propres moyens et je vais payer avec une carte bancaire que je viens d'acquérir — la banquière a fait une tête bizarre lorsque je lui ai demandé d'approvisionner mon compte avec mon immense chèque plein de castors. Ce qui manque à cette petite histoire digne d'une série ou d'un roman un peu à l'eau de rose, c'est un appartement que nous pourrons rejoindre pour un dernier verre — disons du rouge — et nous coucher sans nous occuper des autres habitants. Mais j'ai une autre idée, même si je suis sceptique sur le fait qu'elle plaise ou non à Curtis.

J'ai à nouveau emprunté un haut à Heather, mais en lui demandant l'autorisation. Lorsqu'elle m'a vu avec son chemisier vert à jabot, ainsi que mon pantalon de toile noir, elle en a été bouche bée. Elle n'a pas lâché mon reflet dans le miroir de sa chambre, et elle a déclaré avec un sérieux intense, comme si c'était une affaire importante.

— Si tu as une bonne note à tes A-Level, je t'achète un chemisier blanc à jabot. Parce que, bon sang, ce que ça te va bien. Genre, vraiment bien. J'hésite entre le vampire magnétique et le pirate sexy. Ou un mélange des deux ? Qu'est-ce qu'il en dit, ton copain ? S'il n'aime pas, je lui fais ravaler son mauvais goût.

J'éclate de rire en me tournant dans le miroir pour observer mon dos. Je ne suis pas du genre à accorder beaucoup d'importance au style, mais il faut avouer que je suis beau.

— Il adore.

Je ne vais pas l'avouer à haute voix devant Heather, parce que c'est de l'ordre du privé, mais lorsque nous avons fini la soirée chez lui, après la Saint-Patrick, il a insisté pour que je garde le haut sur moi. Et uniquement lui.

— Parfait. Je suis certain qu'il sera d'accord avec moi. Il t'en faut un blanc, pour renforcer ton look de vampire-pirate.

— C'est gentil Heather, je sens que tu as trouvé mon costume d'Halloween. Même si c'est dans...

Je compte sur mes doigts pour agrémenter mon propos.

— Quatre mois ? Presque cinq ?

Elle me donne une pichenette dans le bras et me tire la langue.

— Est-ce que je dois prévoir les bouchons d'oreilles pour ce soir d'ailleurs ?

C'est à moi de lui tirer la langue, mes yeux brillants.

— Non. Pas besoin.

— Tu dors chez lui ?

— Non, ici.

Ses yeux s'écarquillent presque. Je pourrais me vexer de l'image qu'elle a de moi, mais elle est vraie. Je ne m'en cache pas. La plupart du temps, lorsque je vois Curtis, je me retrouve dans une chambre avec lui. Et nous faisons du bruit. Parfois beaucoup.

— Toi, tu as une idée derrière la tête.

— Oui.

— Pas d'indices ?

— Non.

— T'as peur que je te la vole ?

— Oui.

Sa bouche s'arrondit comme un O et je me mordille l'intérieur des joues pour éviter de rire, parce qu'elle ressemble à un poisson-bulle, comme celui dans Némo.

— Qu'est-ce que tu crois petit frère ? Mon esprit est plus perverti que le tien. En plus, je suis plus âgée que toi.

— Oui, mais quand même. Je ne te dirais rien.

Je dégaine mon téléphone pour regarder l'heure, et je décrète que je vais être en retard, alors que c'est Curtis qui vient me chercher en voiture. Je m'échappe un peu en bas, et je repasse devant le porte-manteau et le chapeau offert par Lola. Même si elles sont à nouveau ensemble, je ne l'ai pas revu sur la tête de ma sœur.

— Sœurette ? Je peux t'emprunter ton chapeau ?

Elle descend et s'arrête au milieu des marches, la figure presque grave.

— Oh. Oui. Tu devrais le prendre. Je te le donne.

— Sérieux ?

— Oui. Il ne me va pas. Et en plus, je me sens toujours bizarre quand je le mets. Comme si... ce n'était pas moi. Je ne l'ai jamais aimé, en fait.

— Elle le sait ?

— Non.

Et elle remonte, sans un regard en arrière. Je n'y comprends plus rien. La dernière fois que Lola est venue à la maison, le mois dernier, tout semblait bien aller. Elles se sont endormies sur le canapé, l'une sur l'autre, c'était adorable. Je les ai enveloppées dans une couverture en posant un baiser sur le front de ma sœur. Et maintenant, j'ai l'impression de lui avoir planté un poignard dans le cœur. Je suis prêt à remonter, mais je me fais couper par mon téléphone.

De Petit Tigre

> Cher rendez-vous, je suis devant chez vous avec mon destrier rouge. Pourriez-vous sortir, je vous prie, si vous êtes prêt ?

Je souris, j'attrape mes clefs et je m'en vais, en glissant le chapeau sur ma tête. J'avance rapidement dans l'allée, je contourne la voiture de Curtis, et j'ouvre la porte du passager.

— Bonjour Monsieur. Vous êtes beau. J'espère que vous le savez, dis-je en m'installant.

Il m'offre un sourire jusqu'aux oreilles, et j'ai une idée qui jaillit dans ma tête. J'enlève mon chapeau et je le place entre nous.

— Viens.

Il comprend où je veux en venir, et nous nous embrassons sous le couvert du chapeau. Entre le noir ambiant de la soirée et le fait que mon quartier n'est pas très éclairé, nous sommes absolument tranquilles.

— Tu essaies de me séduire, c'est ça ? m'interroge-t-il, au moment de redémarrer.

— Un peu. C'est le but d'un rendez-vous, non ?

— Oui, mais d'un premier rendez-vous. Pas du... je ne sais pas combientième.

Je souris de travers, en m'enfonçant dans mon siège. J'observe le paysage plutôt que mon voisin.

— Tu préférerais que je sois sapé comme un sac et que je ne fasse aucun effort ?

— Ah, non. Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit. Je suis très heureux que tu fasses des efforts pour moi. C'est juste que tu n'as pas besoin de me séduire Samuel. Je suis déjà raide dingue de toi.

Je siffle entre mes dents, le rouge aux joues. Il sait toujours comment me faire fondre, et ça m'énerve. Je suis un méchant — un méchant gentil, certes, mais quand même — et les méchants, ça ne fond pas.

— Au fait, où est-ce que je dois aller ? Tu ne m'as rien révélé sur tes plans.

— Au restaurant de burger. Celui du premier rendez-vous, du coup.

— Oh. Un remake de décembre ?

Une grimace.

— Je t'avoue que je n'ai pas spécialement envie de revivre la scène des toilettes.

— En effet. Ou alors, tu pourrais me regarder ou m'embrasser, au lieu de te cacher contre mon épaule.

Cette fois-ci, je souris de travers. Un peu comme l'un de nos smileys préférés. Celui qui est grivois.

— Ne t'inquiète pas.

— Hein ? Pourquoi tu voudrais que je m'inquiète ?

— Je n'en sais rien. Devine ?

Il me lance un très rapide regard, puisqu'il conduit. Tout son visage respire l'intrigue et c'est tout le principe de mes répliques. Je m'amuse beaucoup, sur le coup.

— T'es frustrant, Samuel.

— Je suis au courant.

— Heureusement, le trafic est assez fluide. Donc je vais bientôt avoir les réponses aux questions qui fusent dans ma tête.

— Tu crois que je vais me mettre à parler dès qu'on sera au restaurant ? Mais pour qui me prends-tu ? Je garderais mon secret jusqu'à la toute fin.

— Donc je vais devoir ronger mon frein ?

— Oui. Tu vas devoir ronger ton frein.

— Tu es trop imaginatif pour moi, conclut Curtis, en redémarrant après un feu rouge.

— Heureusement que je le suis. Comme ça, à chaque fois que tu viendras me voir à Coleraine, tu ne t'ennuieras pas, et ta seule envie sera de revenir me voir pour que je te montre une autre de mes facettes.

— Ce rendez-vous est donc un de tes moyens pour me persuader de rester avec toi ?

— Exactement. Je me battrais pour toi, mon amour.

Je me souviens lorsqu'il me l'a dit, le mois dernier. Je n'étais pas à l'aise, parce qu'il y avait toujours le monstre qui râlait, qui hurlait qu'il était hors de question que j'appelle un garçon comme ça. Mais avec ce qu'il m'a révélé, sur notre futur qui risque de s'arrêter de manière très abrupte, ça a débloqué quelque chose en moi. Le mode silence sur le monstre, lorsqu'il s'agit de mes sentiments pour Curtis. J'ai l'impression que notre date de fin va me sauter au visage et ça me fiche les jetons. Parce qu'à cet instant précis, je ne sais pas quoi faire sans lui dans ma vie. Il est beaucoup trop important pour moi. C'est la personnification de mon amour, tout bêtement.

— Tu veux que j'aie un accident, c'est ça ? On ne me sort pas des trucs pareils quand je suis au volant.

— Je suis désolé. Je ne pense pas à toi. Je ne sais même pas ce que c'est, je n'ai pas le permis.

— Mais ne t'excuse pas, imbécile !

Il hurle presque dessus, et je le fixe avec des yeux arrondis.

— Que souhaites-tu que je fasse ?

— Répète-le-moi. Dis-moi que c'est réel, et que je n'ai pas rêvé.

Mon cœur rebondit dans ma poitrine, et je souris de toutes mes dents.

— C'est réel, mon amour.

Le monde est bien fait, tout de même. Parce que nous sommes arrivés, et que nous sommes garés sur le parking toujours aussi désert du restaurant de burger. Curtis coupe le contact, et respire fort, comme s'il venait de courir un marathon. J'ai les yeux fixés sur son torse qui se soulève et se rabaisse. Je suis presque fasciné. Mais mon attention est vite détournée par une main sur ma joue. Le geste est à la fois doux et pressé. Comme s'il n'arrivait pas à décider comment réagir à ce qui vient de se passer.

— Samuel...

Je souris, mais ma bouche se fait vite recouvrir par une paire de lèvres demandeuses. Apparemment, il a décidé d'une marche à suivre. Le pressé se sera. Je ne suis absolument pas contre, même si j'ai l'impression qu'on passe au dessert avant les plats.

— Tu choisis trop bien tes mots, souffle Curtis tout contre moi. Ce n'est pas juste. Tu sais toujours comment me faire perdre les moyens, sauter d'une falaise et rebondir sur les vagues. Et ensuite, s'envoler loin.

— Le ciel serait de quelle couleur ?

Ses baisers sont descendus dans mon cou, et je commence à perdre mes moyens. Il va falloir qu'il s'arrête ou je risque de réellement manger le dessert en premier.

— Gris, bien sûr. Comme en hiver. C'est ma saison préférée.

— Pourquoi ?

— Parce que quand tout est blanc, le rouge ressort particulièrement bien.

Les gestes accélèrent encore, je commence à être franchement débraillé. Mon chemisier est grand ouvert sur ma poitrine, et mon chapeau est tombé à mes pieds. Je ne m'en occupe pas le moins du monde. Ma seule idée principale, c'est de toucher absolument toutes les parcelles de peau qui se présentent devant moi.

— Avoue que c'était ça ton idée. En fait, tu n'as pas réservé le restaurant. On passe directement aux gâteries avec toi, continue-t-il.

— Oui et non.

Je ne peux pas m'arrêter de l'embrasser, et mes mains descendent de plus en plus bas. Je suis non loin de son pantalon, qui semble de trop.

— J'ai réservé, dis-je en m'éloignant légèrement, de peur d'outrepasser son consentement. Et le dessert, c'est bien une partie de jambes en l'air dans la voiture. Enfin, si ça te dit. Et que tu n'as pas peur pour ton cuir.

— Qu'il aille se faire voir, mon cuir. Levons les jambes, veux-tu ?

Pour toute réponse, je lui saute à nouveau dessus, alors que je sais très bien que nous allons devoir nous déplacer à l'arrière. Ce soir, je suis accro à sa peau, à ses lèvres, à son sourire. Ce soir, je suis juste trop amoureux. 


La prochaine fois, on boit une bonne grosse rasade de limonade. 

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