Juillet - 7
Ce chapitre comporte une scène que j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire. Elle m'en a rappelé une autre, dans un ciel consacré à l'été. Si vous l'avez lu, sauriez-vous la retrouver ?
De Meri jane
> Tu penses que tu pourras venir après ton repas familial ? Il faut absolument que je te montre un truc, et c'est assez pressé.
J'écarquille les yeux devant le message de Curtis, alors que nous sommes devant le comptoir pour payer.
> Comment est-ce que je dois le prendre ? C'est le problème avec les messages. Je ne sais pas sur quel ton tu me le dis. C'est « Il faut absolument que je te montre un truc !!!! » ou « il faaaaaaut absolumeeeeent que je te montre un truuuuuc » ?
Je rajoute un smiley au sourire très équivoque pour illustrer mon propos, qui ne doit pas être très clair.
> La première phrase (quoique je ne suis pas contre la deuxième, et je sais que tu aimes voir mon truc). Je ne veux pas te dévoiler la surprise. Il faut que tu viennes, c'est tout.
Cette fois-ci, je verrouille violemment mon téléphone, et je regarde ailleurs, les joues en feu. Depuis quand fait-il des suggestions aussi directes dans ses messages ?
— Bah alors ? C'est chaud entre vous ?
— Chut, soufflé-je à ma sœur, qui, comme d'habitude, adore se moquer de moi.
— Vous ne savez pas vous tenir ou quoi ? Ou alors, vous êtes des animaux en chaleur. Ou vous êtes accros l'un à l'autre. Enfin, accros à l'instrument de l'autre, devrais-je dire.
Comme si c'était possible, mes joues virent encore plus au rouge. Ma seule envie, actuellement, c'est de m'enfouir sous le carrelage du restaurant.
— Heather !
— Roh, je te charrie ! Je sais très bien que tu aimes ce genre de choses. Tu l'as dit toi-même. Les murs de la maison sont fins.
Je tente de garder mon calme, en me retournant très lentement vers ma sœur.
— Tu... tu nous as entendus ?
— Oui. Plusieurs fois.
— Oh. Bon sang. Je suis désolé.
— T'inquiète pas, petit frère. C'est les aléas de notre maison. T'as une vie sexuelle active, tu as le droit, et tant que tu te protèges, tout va bien. Et comme je te l'ai dit, je te charrie, sauf si ça te met vraiment mal à l'aise.
Je siffle entre mes dents, et je la prends par une épaule pour la rapprocher de moi.
— Nan, t'en fais pas. Je dois quand même te faire une confidence. Moi aussi, je t'ai entendue plusieurs fois.
Elle éclate de rire, faisant retourner notre mère qui a enfin payé. Elle nous demande ce qui se passe, et Heather, à la manière d'un chat gracieux, retombe sur ses pattes en racontant une blague franchement nulle, qui est apparemment de mon invention. Lorsque nous repartons vers la voiture, elle me fait un clin d'œil.
— Je te couvre, petit frère. Tu vas pouvoir aller batifoler avec ton copain.
Le pire là-dedans, c'est que je n'en avais pas franchement envie. Depuis l'histoire de la Pride, nous n'avons pas franchement fait sauter nos vêtements, préférant des moments plus calmes, plus tendres même. Je n'ose pas spécialement faire le premier pas, de peur de le brusquer ou qu'il se braque. Il ne me parle peut-être plus de son monstre, ou des griffures à l'intérieur de son ventre, mais je sais qu'il est toujours là. Et même si j'ai un mal de chien à l'avouer, j'ai peur qu'il me saute à la gorge.
— Apparemment, il a un truc à me montrer. Et je le crois. Et pitié, tu as déjà fait assez de blagues douteuses comme ça.
J'évite de dire que je suis le premier à l'avoir faite, celle-ci. Ça serait clairement contre-productif.
— C'est bon, c'est bon, je te laisse tranquille.
— C'est quoi toutes ces messes basses ? Pourquoi vous n'entrez pas ? La voiture est ouverte.
Un regard entendu avec ma sœur, avant de nous asseoir à nos places respectives — moi devant, elle derrière, principalement à cause de ma taille.
De manière très discrète, je saisis mon téléphone et je commence à taper un message.
À Meri Jane : Je repasse par chez moi avant de venir te voir. Est-ce que ton truc nécessite que je me change ? (et pitié, pas de blagues salaces, j'en ai eu suffisamment avec ma sœur)
Je patiente quelques minutes, le temps de nous rendre sur la voie rapide permettant de rejoindre notre quartier. Maman déteste passer par la ville, parce qu'il y a beaucoup de rues à sens unique. Même si ça prend plus de temps, et plus de kilomètres, elle préfère foncer tout droit sans que personne ne la klaxonne.
> Oui, mets quelque chose de confortable. Un jogging et un grand t-shirt par exemple. Par contre, garde tes chaussures de costume. On va en avoir besoin.
Je lève deux sourcils incompréhensifs. Mais qu'est-ce qu'il me prépare ? Rien de tout ça ne va.
Je change rapidement d'expression faciale pour éviter d'alerter ma mère, et j'envoie une ligne de smiley avec le monocle, que j'utilise quand je ne comprends pas les choses.
> Tu m'intrigues vraiment. Tu ne peux pas me donner un indice ?
> Hors de question. Tu verras bien.
Je me vexe un tout petit peu, et balance un serpent en emoji. Encore une fois, la réponse fuse.
> TSS toi-même.
Je déclare forfait, décrétant que je n'ai plus qu'à prendre mon mal en patience. Et dès que nous atteignons la maison, je file dans ma chambre pour me changer. Je chope un sac pour y glisser mes mocassins, et j'enfile des baskets, qui vont nettement mieux avec mon jogging gris. Je me poste ensuite devant la chambre de ma sœur. Elle va faire du skate, et elle réalise une partie du chemin avec moi.
— Tu vas faire du sport toi aussi ?
— Je n'en ai aucune idée. Il ne veut pas me dire ce qu'il a prévu. Il m'a juste demandé de ramener mes chaussures de costume.
Le sourire d'Heather s'agrandit, et elle me fixe avec malice. Oh. Elle, elle a compris. Je me sens subitement très con.
— Tu peux m'aiguiller ?
— Et trahir Curtis ? Jamais de la vie. Je n'ai pas envie de me le mettre à dos. Je l'aime beaucoup.
Sur le coup, cette phrase me fait oublier celle d'avant. C'est la première fois qu'elle me le dit.
— Je lui répéterais. Ça lui fera plaisir.
— C'est sincère. Je vois l'effet très bénéfique qu'il a. Il a fait ressortir tout le bon en toi.
Je souris de toutes mes dents, m'appuyant sur l'encadrement de porte.
— C'est drôle, parce que Sybil m'a dit exactement la même chose que toi.
— Que veux-tu ? Nous les grandes sœurs, nous avons la science infuse quand ça concerne les petits frères. Tu ne peux pas lutter !
Je siffle entre mes dents, même si je suis d'accord avec elle. Ce sont elles qui ont vu nos changements en premier, même avant nous.
— Par contre, est-ce que tu pourrais te retourner ? Je sais que l'intimité dans cette maison, ce n'est pas très simple, mais vois-tu, je n'ai pas envie d'en rajouter une couche.
Elle tient entre ses mains un t-shirt gigantesque qui m'appartenait, ainsi qu'un de ses fameux pantalons cargo. Celui d'aujourd'hui est d'un rose framboise très flashy.
Je m'exécute, fixant le plafond du couloir. Je m'amuse à compter les lattes, pendant que j'entends le bruit du tissu glissant sur la peau d'Heather. Elle ne me le dira pas pour ne pas être ce stéréotype nul de la lesbienne, mais elle est bien plus à l'aise dans ses vêtements trop larges plutôt que dans de petites robes à fleurs. Et ça n'enlève rien à sa féminité.
— Tu sais, tu peux venir quand tu veux au skatepark. Les autres meurent d'envie de rencontrer le fameux Samuel. Je parle tellement de toi que certaines personnes ont pensé que tu étais mon copain.
J'éclate de rire à cette perspective. Hormis le fait que je sois son frère et que c'est parfaitement dégoûtant, je ne pourrais absolument pas imaginer Heather avec un garçon. Comme amis par contre, il n'y a pas de problème — il suffit de voir ses proches, ce sont presque exclusivement des hommes.
— Tu sais très bien que j'ai un équilibre à faire pâlir une balance.
Elle pouffe, avant de renchérir.
— Tes expressions sont dignes de celles de Konstantin. Et ce n'est pas pour ça que j'aimerais que tu viennes. Il y a des gosses qui viennent avec un ballon pour faire des figures, ou juste du jonglage avec les pieds. Ils aimeraient avoir un cours d'un pro.
— Je ne m'appelle pas Rio.
— Je sais. Mais tu n'es pas mauvais non plus.
Mais je ne l'écoute plus. Mon cerveau s'illumine comme un sapin en pleine veillée de Noël, et j'écarquille les yeux. Sans le savoir, Heather vient de me donner une idée de génie. Comment mettre à l'aise Rio pour qu'il discute avec moi ? En l'emmenant faire du foot.
— T'es un génie, grande sœur.
— Je te l'ai dit. On a la science infuse.
Elle me tape l'épaule pour que je me retourne, signe qu'elle a fini de se changer.
— Tu viens ?
Je lui emboîte le pas avec joie.
***
Lorsque je sonne chez Curtis, il m'ouvre la porte avec un immense sourire aux lèvres. Croyant qu'il est content de me voir, je m'avance afin qu'il m'embrasse, comme nous le faisons à chaque fois que nous nous rendons visite. Sauf que celui-ci se dégage, m'attrape la main et commence à me traîner derrière lui, ne me laissant absolument pas le temps de faire une remarque sur son comportement.
Il m'emmène vers la piscine — si je me souviens bien — et je lui annonce que je n'ai pas prévu de maillot de bain. Un souvenir plutôt mouillé et chaud me revient en mémoire, et je le laisse couler tranquillement devant mes yeux. Il aurait pu me dire que nous allions à nouveau batifoler dans l'eau.
Mais ma jolie fantaisie se fait couper lorsque nous entrons dans une salle digne des Sims. Très grande, avec peu de meubles dedans. La vision d'un tapis de course et d'un mur de grands miroirs accentue le tout. Je suis prêt à faire une vanne sur mon jeu vidéo préféré, mais je me fais couper la parole par un Curtis très stressé, rouge comme une tomate, qui fixe ses chaussettes plutôt que moi.
— En fait, je suis en train d'apprendre la valse.
J'écarquille les yeux comme des billes, et c'est cette expression que mon pauvre petit ami trouve sur mon visage quand il relève la tête vers moi.
— T'es choqué ? Tu vas te foutre de moi ?
— Non. C'est juste que moi aussi, je suis en train d'apprendre la valse. Dans une salle nettement plus petite, connue sous le nom de chambre, et avec un balai à frange comme partenaire. Mais je... j'aime ça. J'ai toujours adoré la grâce qui se dégage de cette danse.
C'est lui qui m'offre une tête ahurie. Il m'attrape délicatement la main, et se plonge dans mes yeux. C'est la version humaine du smiley ému, et je me laisse fondre comme neige au soleil.
— Je t'aime.
— Faut que tu arrêtes de lâcher ça comme ça.
Il se rapproche en glissant sur le carrelage, et manque de se casser la figure. Sauf que je me remarque son petit sourire juste avant qu'il ne dégringole sur moi, et que je sois obligé de le rattraper par les épaules. Ses lèvres sont étirées jusqu'à ses oreilles, et il est fier de lui.
— Tu crois que je ne comprends pas ton petit jeu ? soufflé-je, en mettant mes mains sur ses joues, m'amusant avec ses lobes.
— Si. Tu vois que ça me fait glisser de t'aimer. Mais heureusement, tu es là pour me rattraper.
— J'avais souvenir que tes phrases de drague étaient meilleures que ça.
— Dixit le gars qui m'a chanté une chanson pour me mettre dans son lit.
— Je recommence quand tu veux. J'ai cru comprendre que tu avais apprécié ma douce voix.
— Mais aujourd'hui, j'ai envie de voir tes pas de danse. Si ça ne te dérange pas.
Il ne me laisse pas l'embrasser — à nouveau — et pose une main sur mon épaule. Je comprends le signal et je place ma deuxième main en l'air, dans la position de base de la valse.
— J'ai appris les pas qui sont souvent réservés à la femme. Je ne me sentais pas de guider.
— Avoue que tu savais que je m'entraînais dans mon coin à mener mon balai à la baguette. T'as été fouiller dans mon historique internet.
Il me tire la langue pour toute réponse, et fouille dans sa poche, se désolidarisant de moi quelques secondes pour trouver son téléphone. En quelques clics, de la musique retentit. Et pas n'importe laquelle. Il tape dans le classique, avec le Danube Bleu.
— Je vais avoir l'impression d'être à Vienne comme ça. Au concert du Nouvel An avec un costume lourd sur mes épaules et un beau jeune homme entre mes bras.
Il me sourit avec facétie.
— Tu aurais fait jaser les bonnes mères de famille qui voulaient marier leurs filles un peu godiches avec ce beau jeune homme.
— Eh bien, elles auraient jasé. Je m'en moque totalement.
Je lève la tête de manière très hautaine, avant de démarrer. Curtis me suit immédiatement, comme fasciné.
— Tu es fait pour mener.
— Chut. Profite.
Je commence par le pas de base. Un, deux, trois. J'avance, il recule. Et il ne me quitte pas des yeux. Je suis certain qu'il aimerait parler, mais il respecte ce que je lui ai demandé. Il profite.
Au bout d'un moment, j'essaie d'autres pas. Ceux tournés, compliqués à réaliser avec un balai. Nous exploitons la grandeur de la salle et son vide pour prendre toute la place. Et la vision de Vienne revient.
Avec Heather, c'est notre petit plaisir. Regarder des séries d'époque en s'imaginant à la place des acteurs. Les jolies robes, les costumes élégants, les plats qui s'enchaînent et les histoires d'amour.
Les murs de la salle de danse s'étirent, les lustres fleurissent au-dessus de nous, les dorures illuminent nos yeux, nos mains se gantent. La musique crachotée par le haut-parleur du téléphone de Curtis se transforme en tout un orchestre. On croise les yeux des violonistes, de ce violoncelliste qui hoche la tête en nous voyant tourner. Et les autres couples qui nous jugent, jugent, jugent. On chuchote sur notre passage. On brise plusieurs tabous. Un riche et un pauvre. Une personne de l'étage et une autre de l'office. Et surtout, deux hommes.
C'est un gâchis, diront certains. La lignée s'éteindra, le titre disparaîtra, continueront d'autres. C'est contre nature, ajoutera un autre couple. Vous brûlerez en enfer, terminera le dernier.
Mais nous, nous dansons. Nous tournons dans tous les sens, nous nous laissons glisser dans les dorures, les violons et les beaux costumes.
Et je reviens à Belfast, dans mon jogging et mes chaussettes. Je fais pivoter Curtis sur lui-même, avant de me pencher vers lui.
— Pitié, laisse-moi t'embrasser.
Il hoche la tête, et nous revoilà une dernière fois à Vienne. Nous faisons taire toutes les voix, arrêter tous les pieds. Et nous faisons concurrence aux dorures des plafonds.
— C'est ce que je disais. Tu es un excellent danseur, souffle-t-il en se séparant de moi. Et ce balai avait beaucoup de chance.
Je ris, et nous reprenons notre danse. Je ne m'envole plus à Vienne, mais mon cœur y reste pendant toute notre séance.
Nous sommes plus brillants que l'or.
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