Juillet - 6 / TW

TW John (oui, carrément) et zeste de LGBTphobie pour la suite


Je sursaute, parce que je reconnais immédiatement la voix. Mes yeux croisent les iris fadasses de John, qui a les bras croisés sur la poitrine, nous fixant avec une certaine haine. Mon sang ne fait qu'un tour, mon cœur accélère, mais pas de la manière que j'apprécie. C'est la rage qui dévore mes veines.

Ce n'est pas la première fois que je croise John depuis mon agression. C'était dans les couloirs, alors que j'étais tout seul. J'ai cherché à me planquer dans une salle, mais il m'a suivi. Il a fait comme si de rien n'était, à me parler du match à venir, contre le Pays de Galles. J'ai voulu m'enfuir, ou appeler un de mes collègues. Il m'a laissé passer, mais ce salaud m'a fait un croche-pied. J'ai eu l'impression que mon pied se cassait une nouvelle fois.

— C'est celui que je crois que c'est ? m'interroge Curtis, faisant exprès d'être alambiqué.

— Oui. C'est lui.

— Okay. Je m'excuse d'avance pour ce que je vais faire.

Il se détache tranquillement de moi, et avance vers John. Mon rythme cardiaque accélère encore, comme si c'était possible. Je crève de trouille. Je n'ai aucune envie que mon petit ami subisse ce que j'ai dû affronter. Surtout que John est sans doute l'être le plus ignoble que je connaisse. Il a dû amener ses petits camarades avec lui. J'avale difficilement ma salive à l'idée de croiser à nouveau la route du colosse joueur de rugby.

— Qu'est-ce que tu veux ? Me rouler un patin ? Désolé, je suis pas de ce bord-là moi. J'baise que les filles.

De ma place, je ne vois pas l'expression faciale de Curtis, mais vu le ton qu'il utilise lorsqu'il répond, je suis capable de deviner un sourire mauvais.

— T'es absolument pas mon type. T'es laid comme un pou. Et vois-tu, moi, je préfère les blonds. Non, ce que je veux faire, c'est ça.

Son poing se serre et je comprends. Je comprends pourquoi il s'est excusé. Parce qu'il envoie toute son énergie en plein dans la face du Déchet Intergalactique. Et il ne s'arrête pas, contrairement à moi quand j'ai eu mon coup de sang. Un deuxième, un troisième, toujours sur le visage. Je suis certain que son nez est à nouveau cassé.

— Tu vois, continue Curtis, moi, je suis capable de m'arrêter. Ce n'est pas l'envie qui me manque de continuer, parce qu'à cause de toi et ton intolérance maladive, j'ai failli perdre Samuel. Je voulais que tu voies ce que ça fait, de se sentir impuissant face aux coups qui pleuvent. Et j'avoue, ta sale tête ne me revenait pas.

L'arcade sourcilière du Déchet est explosée, et pisse le sang, tachant sa chemise qui a dû coûter la peau des fesses.

— Je sais pas pourquoi t'es venu, et j'en ai rien à carrer. T'as pas à être là, t'as été exclu de cette école, parce que tu es un connard de première catégorie. T'es même le roi d'entre eux. Tu peux aller te plaindre à ton papounet si tu as envie. J'ai pas peur de toi. Tu peux me traîner en justice. J'ai pas peur. Avec tes antécédents, on me croira moi, et pas toi. Parce que je te l'ai dit. Tu es un connard de première catégorie.

Curtis est penché vers John, et lui tient les joues comme un hamster, tout en lui parlant avec un ton que je ne lui connaissais pas. Je redoute toujours la réplique de l'autre. Il faut s'attendre à tout avec lui.

— T'es complètement malade, ma parole ! Tu prends la mouche pour deux trois mots, balancés comme ça ? Je te préviens, tu paieras la facture du pressing. C'est une chemise d'une grande marque.

— Envoie-là à l'ambassade du Pakistan. C'est là que mon père travaille.

— Comme homme de ménage ?

Les ongles de mon petit ami rentrent presque dans la peau blanche de John. Même à terre, les joues gonflées des coups qu'il a reçus, il continue à prendre les gens de haut. Moi aussi, j'ai subitement envie que Curtis continue ce qu'il a commencé. Qu'il voit ce que ça fait.

— Non. C'est l'ambassadeur. Tu pourras vérifier, si tu veux. Mon nom de famille, c'est Razavi. Ça ne court pas les rues.

Curtis se relève et se tourne vers moi. Son sourire est mauvais, et il se tient un peu les mains. Il ne se préoccupe plus le moins du monde de John, qui se relève, crache au sol et s'en va, sans demander son reste.

— C'est dangereux, ce que tu viens de faire. Il est capable de se venger.

— Je l'ai dit. Je n'ai pas peur. Il peut venir, je l'attendrais. Il a volé un long moment, il s'est brûlé les ailes, il a essayé de redécoller, et moi, ses ailes, je les lui ai arrachées. Plume par plume. Qu'est-ce que ça fait du bien !

Je ne sais pas si c'est mon petit ami qui parle, ou son monstre. Une part de moi ne devrait pas cautionner ce genre de chose. Pour le commun des mortels, John ne montrait aucun signe d'une éventuelle attaque physique, et Curtis lui a foncé dessus pour le frapper. Mais ce qui n'a pas été dit, c'est que ce ne sont pas que des mots qui ont été balancés comme ça. Ce sont des mots qui font suite à beaucoup d'autres. Des adjectifs péjoratifs, des petites piques, des blagues qui ne font rire que les connards dans son genre. Je subis, j'avale ça depuis que je sais que je suis bisexuel. Et je n'en peux plus de manger des couleuvres. Le serpent, ça n'a pas bon goût.

— Je suis désolé que tu m'aies vu comme ça, déclare tout d'un coup Curtis. C'est une promesse que j'ai faite à Coby. Si je croisais la route de ce mec, je me devais de lui faire la peau, et lui faire ravaler ses conneries. C'est... viscéral. Je ne supporte pas qu'il ait pu te toucher, qu'il ait pu attenter à ta vie. Tu me diras que ce n'était peut-être pas son but, que ton poumon se perfore. Mais... on n'en sait rien. Il voulait peut-être te tuer parce que tu lui as tenu tête. Parce que tu as pris position. Et je... je ne l'aurais pas supporté. Te perdre... c'était pas possible. Alors, je me suis vengé. Et je suis désolé.

— C'était lui ou nous. Je suis heureux que ça soit lui. Je n'ai aucune envie que cette journée soit foutue en l'air par un déchet.

— Un déchet spatial, même.

On ne devrait pas rire. Parce que la violence, ce n'est pas la solution. Malgré tous les beaux arguments de Curtis et tous les sentiments qui l'ont poussé à faire ça. Dans un monde utopiste rempli de petites fleurs de toutes les couleurs, on aurait discuté. On aurait cherché à comprendre. Peut-être que John est comme nous. Qu'un monstre dévore son intérieur, et lui fait vivre un enfer. On n'est personne pour juger.

Sauf qu'on ne vit pas dans un monde utopiste rempli de petites fleurs de toutes les couleurs. Parce que des gens comme John tuent des gens comme Curtis et moi. Parce qu'on s'attaque à des inconnus dans les rues, juste parce que des têtes ne nous reviennent pas. Parce qu'un excellent joueur a failli être privé de son don parce qu'il ose être amoureux d'un autre garçon. Parce que j'ai failli mourir sur une table d'opération. Et parce que je ne suis pas tout blanc. Je suis gris.

Alors, on rit. On dédramatise. On se masse les mains qui ont envoyé les coups. Et à l'intérieur, on essaie de faire taire la peur, l'angoisse, le dégoût et la haine qui rôdent. Parce qu'on est plus forts que ça.

***

J'ai l'impression d'être sur la Lune. Je suis complètement ailleurs. J'ai les yeux rivés sur ce porte-document bleu marine, décoré d'un castor qui a été gravé dans le cuir. Alors que je suis en train de manger avec ma mère et ma sœur, je ne parviens pas à détourner mon regard. Parce que je l'ai, ce fichu diplôme. Mon sésame pour l'université. Mon sésame pour ma nouvelle vie, loin de cet ancien moi qui se hait de toutes ses forces.

— On dirait que tu as envie de l'avaler, c'est trop drôle.

La remarque de ma mère me fait sursauter, et je me reporte vers mon assiette, un peu honteux de les avoir ignorées ainsi, elle et ma sœur.

— Désolé. J'ai un peu de mal à y croire. Et je suis trop content. Je vais totalement l'encadrer.

Je sais même déjà où le placer. Juste à côté de l'horloge de Grand-Père. Deux grandes fiertés. Parce que j'ai réussi à faire fonctionner tous les rouages de ma vie grâce à mon précieux horloger. Et maintenant, je suis un diplômé.

— À mon époque, on n'en faisait pas toute une tartine comme ça. C'est juste un bout de papier, tu sais. Ça ne vaut pas grand-chose, surtout sur le marché du travail. Regarde ta sœur. Elle est payée au lance-pierre, alors qu'elle aussi, elle a ce fichu bout de papier de cette école de malheur.

Heather croise mon regard et me comprend immédiatement, contrairement à notre mère. Dès que la cérémonie s'est terminée, elle a demandé à s'en aller. Elle se sentait trop mal à l'aise avec les autres parents. Elle avait le sentiment que tout le monde la jugeait, la regardait de travers parce qu'elle n'a pas de robe de grand créateur, et que la seule chose qu'elle est capable d'offrir à son fils, c'est un dîner dans un restaurant de moyenne gamme. Même si on lui a dit que personne ne fonctionnait comme ça, elle a exigé qu'on s'en aille. Et j'ai très rapidement compris qu'il était hors de question que je demande si Curtis pouvait nous accompagner. Je l'ai quitté à regret, ne pouvant profiter un peu plus de sa présence.

Dès que nous sommes revenus vers les chaises, après notre agréable rencontre avec John, la directrice est montée sur scène. C'était le signal pour qu'on aille s'installer. Mon petit ami est allé se cacher tout au fond de l'espace réservé à la famille, de peur qu'on le reconnaisse s'il se plaçait à côté d'Heather — je crois surtout qu'il avait la trouille de faire la rencontre avec notre mère, et je le comprends totalement. Et ça n'a pas raté, parce que Callahan, le frère d'Eliot, a reconnu Heather et a discuté avec elle pendant de longues minutes.

Le frère en question a été appelé sur scène pour faire un discours, en sa qualité de major de promo. J'en ai un peu grincé des dents, parce que ça m'a rappelé le rendez-vous avec la directrice, sur le fonctionnement très discutable de cette école. Au vu de son comportement, il n'aurait pas dû avoir le droit de parler dans ce micro. Non, au fond de mon cœur, je savais très bien qui je voulais en face de moi, les cheveux roses soulevés par le vent.

Et ce désir, je l'ai obtenu. Parce qu'Eliot a rapidement laissé sa place à Daisy, dont le visage respirait le stress. Je pouvais facilement imaginer ses mains moites sur les feuilles de son discours. Elle a fixé l'assemblée en se positionnant devant le micro, et nos yeux se sont croisés.

Je ne sais pas vraiment si elle me cherchait, ou si elle se dirigeait plutôt vers Callahan. Mais nos iris se sont entrechoqués, et pour l'une des premières fois de ma vie, ça ne m'a rien fait. Je n'ai pas ressenti de nostalgie ou de regret. J'étais juste heureux, parce qu'elle était à sa place, et qu'elle le méritait. Et son discours sur les étiquettes, franchement inspiré par Rio, lui a valu les honneurs de tous nos camarades. Bien évidemment, Valentin a crié son nom. Et moi, je l'ai fait dans ma tête. J'ai sans doute perdu ce droit en rompant avec elle, en faisant souffrir ses amis, et en sortant avec quelqu'un de détestable à ses yeux, mais j'étais fier d'elle.

— Par contre, reprend ma mère qui n'a pas obtenu de réponse, la petite qui est montée sur scène, elle était chouette. Ses cheveux ont une couleur aussi bizarre que ceux de ta sœur, mais elle a bien parlé. Tu m'étonnes qu'elle ait repris ton poste, ma petite Heather !

Ça, c'est quelque chose qui ne changera jamais. Maman qui ne tarit pas de compliments sur l'engagement de ma sœur au sein de l'école. Au début, elle ne comprenait pas pourquoi elle se donnait tant de mal, qu'elle y mettait tant d'efforts. Et puis, elle est venue à un festival culturel, juste après son travail, et ça lui a sauté aux yeux. Heather était faite pour ça. Et Daisy aussi.

— Je sais, c'est moi qui l'ai encouragée. Elle était aussi capitaine de l'équipe de foot féminine.

— C'est elle que tu allais voir, mon Sam ?

Je n'aime pas trop le regard de Maman, si bien que je me cache sous mon verre d'eau, en en prenant une immense gorgée. Je sens déjà la conversation venir.

— Oui, mais elle ne le savait pas.

— Tu t'es fait éconduire ?

Un rapide coup d'œil vers Heather, qui est dans le même état que moi. Ça risque d'être délicat.

— C'est moi qui ai rompu avec elle. Parce qu'elle ne m'aimait pas, et qu'elle m'a menti. Elle était amoureuse d'un autre garçon qui ne se préoccupait pas d'elle.

J'évite de rajouter que le garçon en question est devenu l'un de ses meilleurs amis. Je pense que Maman ne comprendrait pas.

— Mais quelle cruche ! Tu étais là, devant elle, beau comme tu es, et elle te préférait quelqu'un d'autre ? Tu as dû avoir le cœur brisé, mon Sam. Pourquoi tu n'en as pas parlé à ta maman d'amour ?

C'est encore plus délicat. Je n'ai jamais expliqué à maman ce que ça fait d'être aromantique. Elle a déjà du mal à digérer que je sois bisexuel et que je sorte avec un garçon, je n'ai pas envie de l'accabler avec des termes complètement inconnus, qu'elle ne réutilisera sans doute jamais.

Ça a été dur de dire au revoir à Daisy, parce que je voulais construire quelque chose avec elle. Aller à un bal. Vivre une Saint-Valentin, ou même une première fois. Toutes ces idées se sont inscrites dans ma tête quand je l'ai embrassée dans ce café à l'ambiance très vintage, qu'elle appréciait tant. Mais je n'ai pas eu le cœur brisé. Je n'ai pas été à ramasser à la petite cuillère. Je suis passé à autre chose, j'ai repris ma vie en évitant de penser que moi aussi, j'avais quelqu'un d'autre au fond du crâne, et que ça ne me plaisait pas du tout.

— Parce que je n'ai pas eu le cœur brisé. Je n'étais pas amoureux d'elle. Elle me plaisait beaucoup, mais... il n'y avait pas le truc. C'est tout.

— Je n'y comprends plus rien. En avril, tu m'as dit que tu aimais aussi les filles et pas que les...

Elle se racle la gorge et baisse la voix. Notre serveuse n'est pas loin, prenant la commande d'une autre table. Elle a peur qu'on nous entende, alors que je m'en moque complètement. Ça me fait sourire, parce qu'il y a quelques mois, je n'aurais pas été capable de penser ce genre de chose. Je suis fier de moi.

— Garçons, maman. Ça ne va pas t'arracher le visage, tu peux le dire.

— Oui. Ça. Et ensuite, tu m'annonces que tu n'aimais pas cette fille ? Est-ce que tu as essayé de te convaincre que tu étais normal, et que ça n'a pas marché ?

Heather grince clairement des dents, et ne se gêne pas pour le montrer. On pourrait presque entendre ses molaires s'entrechoquer. Elle déteste ce mot. Normal.

C'est compliqué, maman. Je n'ai pas essayé de me convaincre, je ne savais pas que je pouvais tomber amoureux des garçons. C'est après que c'est arrivé. Et puis... je suis normal, maman. Je suis comme ça, c'est tout.

— Au moins, avec ta sœur, c'est plus facile. Pas de garçons, que des filles. Je ne m'attends à rien avec elle. Pas de mariage, pas d'enfants. J'espère simplement qu'elle se trouvera quelqu'un avec qui faire sa vie, avec qui elle sera heureuse.

— Maman ! répond Heather, ses sourcils bruns si froncés qu'une ride se creuse sur son front.

— Vous le savez, les enfants. Je ne suis pas douée avec tout ça. Je vous laisse vivre votre vie comme vous l'entendez, avec qui vous voulez. Je veux juste que vous soyez heureux. Et parfois, j'ai peur. Les murs sont fins Heather, je t'entends pleurer le soir, quand je rentre du travail. Je n'ose jamais toquer à ta porte, parce que je ne sais pas quoi te dire, comment te réconforter. Et mon Sam... je me sentais complètement impuissante, quand tu étais cloué dans ce lit d'hôpital. Je ne suis pas médecin, je ne pouvais pas prendre soin de toi, ce qui est pourtant mon travail de maman. Et je... je n'arrivais pas à comprendre pourquoi on t'a fait ça, pourquoi on s'est acharné sur toi. Ça me dépasse toutes vos histoires, et je suis trop vieille pour changer. Je suis désolée si je vous blesse, si je suis maladroite, si je ne connais pas les bons termes ou si j'utilise toujours le mot normal. J'ai été élevé comme ça, et je...

Elle s'embrouille complètement dans ses explications, alors qu'on peut les résumer en quelques mots seulement.

— Tu nous aimes, maman.

Les iris bruns de ma mère croisent les miens. Ils sont brouillés de larmes et d'émotions. Dans la famille, nous avons tous les trois les mêmes couleurs d'yeux, même s'ils sont de nuances différentes. Quand j'étais petit, je répétais partout que mon père était l'intrus, avec son bleu océan.

— Oui. Je me suis mélangé les pinceaux, mais c'est ce que je voulais vous dire. Je ne suis pas douée, pas à la page, mais je vous aime comme vous êtes, mes enfants chéris.

Elle a posé ses mains au centre de la table, et avec Heather, on n'a même pas besoin de se consulter. On les serre de toutes nos forces, pendant qu'une larme dégouline de la joue maternelle.

— Nous aussi, prononçons-nous en même temps. Et tu n'es pas nulle. Tu es juste une maman. 

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