Juillet - 5 /TW
TW : insulte homophobe
Mes mains me picotent comme ce n'est pas pensable. C'est horrible et je déteste soudainement le monde autour de nous. Parce que ce geste mérite mieux qu'un pauvre sourire.
— Je crois que je pourrais m'envoler pour toucher les nuages tant que je suis heureux. Je sais que ça ne se voit pas, mais... je déborde de joie, Curtis.
Je balance mon regard à droite et à gauche, cherchant désespérément un coin à l'abri des regards. J'avise les vestiaires, qui doivent être inoccupés. Normalement, on n'est pas censé s'y rendre, mais je suis un méchant de service. Je fais ce que je veux. Je croise très rapidement les yeux d'Heather, qui me fait un clin d'œil. Elle a parfaitement compris ce qui est en train de se tramer dans ma tête.
— En fait, j'ai un moyen de te montrer cette joie. Tu me suis ?
Je suis incapable de voir ses iris sous ces saletés de lunettes de soleil, mais ses joues rougissent très légèrement. Il commence à marcher à ma suite, vérifiant si nous sommes suivis. On dirait presque deux criminels sur le point de commettre leurs méfaits. Si ce méfait en question, c'est simplement embrasser mon copain dans un pays où ce n'est pas un crime, alors je veux bien être insulté de tous les noms.
— Tu connais cette école comme ta poche, dis-moi.
— J'y ai passé de nombreuses heures, à m'entraîner, à jouer, à hurler sur les attaquants parce que ce sont des gros nuls incapables de défendre notre surface de réparation.
Je ris en me souvenant de mon comportement quand je suis rentré au collège ici. J'étais incroyablement hargneux, et je ne pouvais pas voir les autres joueurs en peinture. Et bien entendu, particulièrement les attaquants. Je crois bien que John était déjà un connard à douze ans. Pourquoi est-ce que ça ne m'étonne pas ?
— Et à rencontrer ton futur copain ?
Je souris, bien qu'il ne me voie pas. C'est vrai, nous sommes non loin de l'endroit où nous nous sommes bel et bien rencontrés — puisqu'en soi, la première fois que nous nous sommes vus, c'était sur un terrain de football, quand mon équipe a écrasé la sienne. Je préfère éviter de lui rappeler ce souvenir. Il est assez sensible quand on évoque le piètre niveau de South Coast. Et c'est encore pire avec Coby. C'est presque un sujet tabou.
— Exactement. Regarde, on y est. C'est sur ce banc que je me suis adressé à toi en te traitant de con.
Il pouffe, et s'assied exactement de la même manière que ce soir de décembre. Je n'arrive pas à croire que ça fait déjà plus de six mois.
— Pour ta défense, j'étais en train de me traiter intérieurement de con. Je n'ai pas été vexé. Et puis en plus, moi aussi, je t'ai insulté.
— Je ne suis que choc et incompréhension !
Il rit, et je me dis soudainement que sans lui, je ne serais pas là. Certes, d'une manière très pratique, c'est Rio qui m'a sauvé la vie, mais sans Curtis, je n'aurais pas réussi à terminer ma scolarité. J'aurais eu trop peur, je me serais renfermé sur moi-même, et j'aurais été dévoré par le monstre.
— Je t'aime, dis-je tout d'un coup.
Je le dis de plus en plus souvent. La plupart du temps, c'est de cette manière. Soudainement, sans réel préavis. J'adore penser que c'est parce que je déborde que ça finit par sortir. Comme à l'hôpital, la première fois que ces mots ont franchi mes lèvres.
Curtis s'arrête de rire, descend de son banc et se place juste en face de moi. J'ai mis des mocassins à talonnettes qui ont appartenu à mon père — Heather a insisté pour que je ne me trimbale pas encore avec ceux de l'école — ce qui fait que je suis un peu plus grand que lui. Je ne l'avouerais sans doute jamais à voix haute, mais je suis particulièrement friand de ce genre de petite différence. Parce qu'il va être obligé de se mettre sur la pointe des pieds pour venir me rejoindre.
C'est exactement ce qu'il fait, en collant ses grandes mains sur mes joues. Il a posé ses lunettes de soleil sur son front, si bien que je peux enfin me plonger dans ses beaux yeux. C'est l'une des meilleures parties quand on s'embrasse.
— Moi aussi, dit-il avant de se pencher vers moi.
Et enfin, enfin, nos lèvres se collent. Nous sommes plutôt à l'abri ici, à moins que d'autres personnes aient eu la même idée que nous. C'est tellement agréable que je pourrais louper la cérémonie de remise de diplôme. Malheureusement pour moi, j'ai un petit ami plutôt consciencieux, qui s'arrête pour me rappeler ce que j'ai à faire aujourd'hui.
— T'inquiète pas. On trouvera du temps pour retourner à cette merveilleuse occupation, me rassure-t-il, en me collant un baiser sur la joue.
Il ne l'a fait que très rarement, et je le trouve soudainement incroyablement mignon. C'est un problème quand on vient d'arrêter de s'embrasser. J'ai envie de recommencer.
— Tu te glisseras en douce chez moi ?
— Pourquoi pas. Tu as une échelle, ou tu me lanceras tes longs cheveux blonds, tel la Raiponce cachée que tu es en réalité ?
Je pouffe à cette idée, tout en passant les mains dans mes mèches qui ont été coupées il n'y a pas très longtemps. Elles doivent faire cinq centimètres à tout casser.
— Je la mettrais discrètement derrière la maison. J'ai de la chance de ne pas donner sur la rue. Crois-moi, si on te voit, ça va jaser dans les chaumières.
— Parfait. Je n'ai pas trop envie qu'on jase sur le compte de ta chaumière à cause de moi.
Son sourire est lumineux à souhait, mais ses yeux respirent la malice. Il s'amuse avec mes expressions vieillottes. Ce n'est pas ma faute, c'est celle de ma mère. Apparemment, elles se transmettent de génération en génération. Et le champion toute catégorie, c'était mon grand-père. J'ai souvent l'impression de lui rendre hommage quand je jure ou que je parle comme lui. Il me manque atrocement. Il aurait été tellement fier de moi, que j'obtienne mon diplôme et que j'aille à l'université. C'est ce qu'il me répétait à chaque fois qu'on se voyait. Travaille bien à l'école, comme ça, tu pourras rendre heureuse toute ta famille. Pour moi, il n'y avait aucune forme de pression ; il ne me poussait pas à passer des heures penché sur mes devoirs — souvent d'ailleurs, il venait me chercher dans la chambre que j'occupais dans leur petite maison pour que je descende à son atelier d'horlogerie pour l'aider. Il voulait juste que je réussisse et que j'aie un meilleur métier que le sien. Alors que c'était le plus doué, mon papi.
— T'es bien songeur. Tu ressasses des choses ? Ou le monstre te fait la misère ?
Curtis a posé une main sur ma manche noire. Nous sommes de retour parmi la population, et il n'ose pas se permettre plus. Ça me rend un peu triste, mais je ne fais aucune remarque.
— Tout va bien. Je pense juste à mon grand-père. J'aimerais qu'il soit là. Je suis sûr qu'il t'aurait apprécié.
— Tu crois ? Même avec notre statut relationnel ?
— Mon papi, il n'en avait rien à faire de tout ça. Il était un peu hippie quand il était jeune, tu sais. En fait, je dis ça parce qu'il adorait me savoir heureux. Et je le suis avec toi.
Je souffle ces phrases, pour que personne d'autre que lui ne les entende. Je n'ai pas envie qu'on surprenne mes déclarations. Elles sont intimes, et seules les oreilles de Curtis ont le droit de les recevoir.
— Et puis, je t'ai dit que tu étais un horloger, comme lui. Vous aurez été faits pour vous entendre tous les deux, repris-je.
— Ça avait l'air d'être un gars bien.
— À qui le dis-tu. C'était ma figure paternelle. J'ai plus souffert quand il est mort que lorsque mon propre père nous a quittés.
— Je suis sincèrement désolé pour toi.
Il presse ma manche, et s'enlève très rapidement. Heather approche, un sourire aux lèvres.
— Tout va bien ?
Nous hochons la tête en nous faisant un clin d'œil. Ma sœur pouffe légèrement, et se hausse sur la pointe des pieds. Elle est encore à la recherche de sa copine.
— Je ne devrais pas m'inquiéter, elle est tout le temps en retard.
— Elle ne va pas rater sa propre remise de diplôme parce qu'elle ne veut pas te croiser. Ça serait complètement débile, dis-je en souriant.
— Tu ne la connais pas. Elle en serait tout à fait capable.
Curtis fixe Heather, les lunettes toujours posées sur le front. Ses yeux verts brillent de compassion. Si on ose me dire qu'il est égoïste, je pense que je sortirais mes poings. Ma grande sœur repose ses pieds sur le sol, et ses lèvres s'étirent à nouveau. Je tourne la tête, croyant que Lola approche enfin. Mais ce sont deux regards masculins que je croise.
Habillés de la même toge que la mienne, au liseré près, Rio et Miho approchent. Ce dernier semble de bonne humeur. Ça me donne presque envie de pleurer. Au mois de janvier, et même plus tard, il n'aurait pas été capable de me transmettre autant de sentiments positifs. Je ressens presque de la joie, et ça me fiche un coup au cœur. Ayant sans doute pris peur, Curtis remet ses lunettes sur ses yeux.
— Bonjour, cher collègue diplômé, commence-t-il en hochant la tête. Bonjour, chère ancienne présidente du conseil des élèves, que l'on n'oubliera jamais. Et bonjour chère... personne dont je ne connais pas le prénom.
Il se marre bien, et Rio lui ébouriffe les cheveux, avant de déclarer.
— T'es content, ça va ?
— Oui.
On éclate tous de rire, et Heather continue à sourire. Ça fait du bien, parce que j'ai l'impression de la retrouver dans son rôle de présidente du conseil des élèves. Toujours très heureuse de la réussite de ses camarades. Et encore plus particulièrement quand il s'agit d'arc-en-ciel.
— Voilà notre star du foot ! J'ai appris que tu avais été repéré par une équipe universitaire, Rio. Toutes mes félicitations.
— Merci beaucoup, Heather.
— Quant à toi, se dirige-t-elle vers Miho, tu as fait des étincelles aux examens. Tu as eu les félicitations du jury ! Franchement, je te dis chapeau.
Miho rougit très légèrement, et tourne la tête vers moi. Ses lèvres sont toujours étirées. Et puis, tout d'un coup, ça me saute au visage. Je ne suis pas tout seul aujourd'hui. C'est l'occasion ou jamais. Je pose une main sur l'épaule de mon adorable voisin, avant d'ouvrir la bouche.
— Oh, j'oubliais. Rio, Miho, je vous présente Curtis. C'est mon petit-ami.
Curtis enlève ses lunettes pour quelques secondes, le temps d'expliquer le pourquoi du comment de son accoutrement.
— Je suis là incognito. On va dire que je ne suis pas spécialement considéré comme un gentil dans le coin, alors il ne faut pas que je sois reconnu. Je ne suis pas comme ça habituellement.
Miho enchaîne immédiatement, en fixant mon petit ami.
— Avec nous, tu n'as pas de problèmes. On ne te connaît pas, on ne sait pas ce que tu as fait, et on ne va pas te juger. À mes yeux, tu es juste le mec qui a permis à Samuel d'être mieux dans ses baskets. Et pour ça, je ne peux que te remercier.
Rio sursaute carrément et c'est à ce moment-là que je me rends compte qu'il ne sait strictement rien de ce qui s'est passé le mois dernier.
— Il y a eu un truc ? Pourquoi vous êtes aussi... amicaux ?
— On s'est vus. Le mois dernier. Je suis allé à son association, explique Miho. Il aidait à faire des pancartes pour la Pride, et je l'ai imité. Et pendant ce temps, on a discuté à cœur ouvert.
J'enclenche rapidement, dévoilant le pourquoi du comment de cette invitation.
— Une des étapes dans notre... guérison de détestation, si je peux le dire, est de parler avec les personnes à qui on a fait du mal. S'excuser encore une fois et essayer de repartir sur de bonnes bases. Juste avant la Pride, j'ai contacté Miho pour savoir s'il voulait venir à l'association. Il a accepté. Alors j'en ai profité. Et je compte bien le faire avec toi quand tu auras le temps, m'adressé-je à Rio.
Il se tourne vers Curtis, pour l'interroger à son tour. Il semble très curieux, mais sans malaise.
— Et toi, ça ne te dérange pas ? Je veux dire, tu sais très bien qui nous sommes. Ça ne te pose pas problème qu'ils passent du temps ensemble de cette manière ?
— Non. Parce que je lui fais confiance et que c'est nécessaire. Ça fait partie du programme. Je serais bien hypocrite de lui refuser ça, car je suis le même.
— Et tu l'as fait aussi ? Aller parler aux personnes que tu as blessées ?
Aïe. Rio ne pouvait pas savoir, mais forcément, ça remue le couteau dans la plaie. Curtis ne peut pas cacher sa grimace.
— Excuse-moi, reprend immédiatement Rio. Ne t'oblige pas à répondre, je suis un rustre.
— Ne t'inquiète pas. Je peux comprendre. Et non, je ne suis pas allé parler aux personnes que j'ai blessées. Pour l'un, j'ai codé une sorte de jeu vidéo qui mettait en scène des personnages de Star Wars, mais avec mon histoire. Et pour l'autre, j'ai écrit une lettre avec ma psychologue, et Samuel l'a déposée. Je n'ai pas eu de réponse. Ni pour l'un ni pour l'autre. Je ne suis plus du genre à confronter directement les gens, en face à face. Ma simple présence serait trop douloureuse pour eux. Ils ne veulent pas, ils ne veulent pas. Tant pis pour moi, je ne compte pas abandonner le programme pour autant.
J'ai l'impression de me faire trouer le cœur. J'aimerais qu'Eliot lise à travers les lignes, qu'il se rende compte de la détresse de son ancien meilleur ami. Que Valentin pardonne son ancien petit-ami, et qu'il cesse de propager des choses qui sont totalement fausses sur son compte. Que Curtis ne soit pas obligé d'utiliser son deuxième prénom, ce prénom si précieux à ses yeux, si secret, si significatif, tout simplement pour éviter qu'on le juge. J'aimerais pouvoir l'aider, remuer les deux garçons qui lui refusent le pardon pour les supplier, leur faire une dissertation de plusieurs pages pour leur prouver qu'il a changé.
Alors je fais la seule chose que je suis capable. Ma main se dirige lentement vers la sienne, et je lui serre les doigts. J'ose être proche de lui, bien plus que deux amis devraient l'être. Je suis parfaitement impuissant vis-à-vis de ce qui maltraite son cœur et très certainement son estomac, mais au moins, je lui montre mon soutien. Si je ne l'avais pas fait, je me serais haï, et le monstre aurait fait son grand retour dans mes entrailles.
Un silence s'installe. Heather est repartie à la recherche de Lola, sur sa pointe des pieds. Et nous quatre, on se regarde un peu en chiens de faïence. Curtis m'a carrément saisi la main, et il la maintient contre la sienne, comme pour se rattacher à cet univers. J'avais raison. Ça griffe à l'intérieur de lui.
— Ah, la voilà ! Je suis désolée, les garçons, mais je vous quitte. J'ai enfin trouvé la cachette de ma copine.
Rio et Miho en profitent pour s'échapper à leur tour, partant à la recherche de leur place. Je me dis que je devrais aussi m'en enquérir, mais pas maintenant. Là, j'ai juste besoin de rester avec mon petit ami.
— On peut retourner près des vestiaires, s'il te plaît ? Je... j'ai besoin que tu me prennes dans tes bras. Et je... je ne veux pas le faire ici. J'ai l'impression que je suis en train de me décomposer.
— Viens.
Je ne lui lâche pas la main, et je me dirige à nouveau vers cet endroit à l'abri des regards. J'ai le sentiment d'être rentré dans une autre dimension. La première fois, c'était pour l'embrasser, parce que mon cœur crevait de joie. Là, je dois le consoler. La vie est un putain de grand huit.
Dès que nous sommes en sécurité, Curtis se jette contre mon torse. Ses mains sont presque noueuses dans mon dos, et je l'entends sangloter. Il craque complètement, ayant sans aucun doute ravalé ses larmes derrière ses lunettes. C'est un excellent comédien. Je m'en veux de n'y avoir vu que du feu.
— J'en ai marre, souffle-t-il tout contre moi. Tellement marre de ce monstre qui me déchiquette de l'intérieur, comme si mes entrailles étaient du papier. Je voudrais qu'il disparaisse, qu'il s'en foute complètement que personne ne réponde à mes demandes de pardon, qu'il se contente de ce qu'il a. Ma sœur m'adore, j'ai des amis fantastiques et le petit ami le plus adorable de toute la planète. Mais ce truc veut tout. Le beurre et l'argent du beurre.
Un rire au summum du sarcasme.
— En fait, ce truc est drôlement manichéen. Noir et blanc. Tout ou rien. Haine ou amour. Il est incapable de se satisfaire du gris. Pourtant le gris, c'est une couleur magnifique. C'est la tienne. Et je l'aime. Pourquoi lui, il ne peut pas faire comme moi ?
— Parce que c'est un con, chuchoté-je.
— C'est le roi des cons, alors.
Il rit tout contre moi, avant de relever la tête et de sourire au travers des larmes. Il lève légèrement la tête, et frotte son nez contre le mien. C'est bien la première fois qu'il fait ça, et je souris à m'en décrocher la mâchoire.
— Il n'y a pas un proverbe qui dit : pour vivre heureux, vivons cachés ? C'est bête, je suis tombé sur les seules pédales qui s'affichent droit devant mes yeux.
Vous comprenez le TW ? 🙃
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