Juillet - 2

Il est fort court mais je ne me voyais pas faire une scène en plus, et au moins, il est là !


— Bonjour Samuel. Je suis ravie de faire votre connaissance. J'ai beaucoup entendu parler de vous.

Je souris en serrant la main de la psychologue. Je retiens la blague au fond de ma gorge pour éviter de passer pour un gars lourd, et je m'assieds sur le siège derrière moi. Curtis me fixe comme si j'allais disparaître dans la seconde et ça colore un peu mes joues de rouge. J'ai l'impression d'être scruté et je n'aime pas ça.

— Je ne suis là qu'en tant que soutien moral. Je ne parlerais pas, sauf si c'est nécessaire, je préfère vous prévenir. C'est sa séance à lui.

— Bien entendu. Commençons, vous voulez bien ?

Curtis hoche la tête et prend une grande respiration. Le saut dans le grand bain. Je ne sais pas si ça sera les deux pieds en avant.

— J'ai revu mon frère à la Pride.

Oh. C'est tout en même temps. Le plongeoir de dix mètres de haut, et le plouf en plat. Mon cœur se déchire encore une fois à l'évocation de cette ignoble personne. Curtis commence à raconter l'entrevue et répète exactement les mêmes mots que Rahim, comme s'il les avait imprimés au fond de son esprit. Il se tient droit comme un I sur cette chaise, le regard planté dans le mur derrière la psychologue, les mains sur ses cuisses. Je ne le lâche pas des yeux, mais en même temps, je n'ose pas faire de geste vers lui. J'aurais l'impression de briser quelque chose.

— A-t-il fait un commentaire sur votre orientation sexuelle ?

Je sursaute à la question posée, avant d'encore une fois me reporter vers Curtis. Il s'est détendu d'un coup, tout aussi surpris que moi. Dans toute cette mélasse dans laquelle il nage, il n'a pas vu ce petit point doré.

— Non. Aucun. Après, il est mal placé pour dire quelque chose. Il est pire que moi. Il se planque derrière un faux Instagram. Moi au moins, ma sœur, mes amis, tous mes proches sont au courant.

Il se tourne vers moi et j'aperçois son sourire. Ça me rappelle encore une fois que je ne vais pas être obligé de le quitter en août. Et j'étire mes lèvres à mon tour.

— Vous savez, même si vous appartenez à une communauté, vous pouvez être perçu comme oppresseur. C'est ce que vous avez fait aux yeux de Valentin et Eliot.

Sans crier gare, les doigts de Curtis viennent chercher les miens et se nouent. Il a apparemment plus besoin de moi que lorsqu'il a fait le récit des affres de son frère.

— Il vous en a parlé ?

— Non, et je ne vous révélerais rien. C'est simplement une conclusion à faire au vu de ce que vous m'avez raconté. Donc, à mes yeux, le fait que votre frère n'ait pas été homophobe envers vous ou votre couple, c'est une bonne chose.

— Ça veut dire qu'il peut être sauvé, c'est ça ? Que je dois lui pardonner ou une connerie comme ça ?

Ses doigts me serrent. Il est en train de prier dans sa tête, je le sais.

— Non. Ça veut dire que je vais pouvoir me servir de ça pour vous faire remonter la pente. Cette Pride a été un grand pas pour vous, Curtis. Et si je ne m'abuse, également pour vous, Samuel. Personne n'a critiqué cette facette de vous. Personne n'est venu vous chercher d'histoires. Et vous avez été vous-mêmes pendant ces quelques heures.

C'est vrai que si l'on oublie la rencontre avec Rahim, ça s'est très bien passé. Et surtout, j'ai ressenti de la fierté à être au milieu de tous ces gens comme moi. J'étais fier d'être un arc-en-ciel. Je sais que je ne suis pas guéri de toute cette détestation interne, et que le monstre gratte encore. Mais j'étais fier.

— Quel sentiment vous a traversé pendant que vous marchiez ?

Les yeux de Curtis cherchent les miens. Encore un sourire. Celui-ci me fait fondre le cœur comme une guimauve. Je suis franchement arrangé.

— De l'amour. De la fierté. Et une certaine forme de joie.

— Bien. Alors, focalisez-vous sur ça. Sur ces sentiments. Je ne vous demande pas d'être une autruche. L'événement avec Rahim a eu lieu, et nous en rediscuterons la prochaine fois, plus en détail. Mais là, posez les yeux sur ce qui vous rend heureux. Même si c'est futile, on s'en moque ! Cherchez la lumière, la couleur partout où vous pouvez.

Encore une fois, nos mains se serrent. Elles doivent être moites à force d'être collées — et il fait chaud dans ce cabinet. Mais comme la psychologue le dit, je me focalise sur le positif.

— Vous avez changé, Curtis. Je sais que vous ne le voyez pas, mais vous n'êtes plus le même que depuis que vous avez franchi la porte de mon cabinet. Vous méritez d'exister, vous méritez d'aimer et vous méritez de rechercher et d'obtenir le pardon. Et votre frère, c'est le monstre au fond de votre estomac. Vous me l'avez avoué un jour, que vous associez les deux. Eh bien désormais, vous pouvez le combattre.

— Je suis un peu sceptique. C'est bien beau ce que vous me dites là, mais je suis toujours un connard de service pour les gens que j'ai blessés.

— Est-ce le cas pour votre sœur ?

— Non.

— Pour votre meilleur ami Coby ?

— Absolument pas. Si lui commençait à me traiter, ça serait le début de la fin.

— Pour votre groupe d'amis ? Sheridan, Harold et Kat ?

— Pour Kat, ce n'est pas encore ça. Mais les autres...

— Et pour Samuel ?

Elle me fait un clin d'œil en s'adressant à moi, et je souris de toutes mes dents. Forcément, les iris verts de Curtis s'infiltrent dans les miens. Et il répond.

— Jamais. C'est le premier à m'avoir vraiment vu.

Mon cœur s'échauffe dans la poitrine. En vérité, je meurs d'envie de l'embrasser. Je ne sais pas pourquoi, mais je le trouve soudainement absolument sublime.

— Mais il y a encore Valentin et Kohei, murmure-t-il en baissant la tête. J'ai l'impression que quoi que je fasse, ou dise, leur image de moi ne changera jamais.

— Qu'est-ce que vous souhaitiez en entreprenant votre processus d'excuse ? Qu'ils vous répondent ? Que vous retrouviez une relation amicale ? Ou avez-vous simplement fait cela pour vous ?

— Je pense que j'aurais bien aimé que Valentin me dise quelque chose. Juste... qu'il a bien reçu ?

Je vous l'ai dit quand vous m'avez vu m'acharner sur mon code, au mois de mai. Je n'ai pas envie, ni même besoin qu'on redevienne amis. Ça serait trop bizarre, et on s'est fait trop de mal pour que ça marche. J'aimerais juste que...

Il baisse la tête, prend une respiration. Je vois ses mains trembler, et je lui saisis tout doucement. Il ne réagit pas, mais recommence à parler.

— Que je ne sois plus le connard de service dans sa tête, et par extension, pour tous ses proches. Que mon prénom ne soit plus un traumatisme pour lui, et qu'on ne sursaute pas à chaque fois qu'on l'entend, surtout si on ne parle pas de moi. Je voudrais juste être un souvenir gris dans leur mémoire.

— Vous associez Valentin et Kohei ?

— Oui. Même si je n'ai rien fait pour ce dernier.

— Vous avez écrit la lettre avec moi. Ce n'est pas rien. C'est un immense pas, à mon humble avis.

— Peut-être, mais je n'ai rien fait avec. J'aurais pu vous demander de la lui donner, pendant une séance avec vous. Ou même aller la poster chez lui. Mais je... je n'y arrive pas. À chaque fois que je m'approche de sa maison, ça me rappelle ce que j'ai perdu par ma seule et unique faute, juste parce que je suis incapable de m'aimer comme je suis. Enfin, j'étais incapable.

La dernière phrase me pique le cœur et j'ouvre la bouche, laissant échapper ma respiration. La psychologue reporte son regard vers moi, vite suivie de Curtis. J'ai dit que je n'étais qu'un pilier, et que je ne parlerais pas. Mais j'ai bien envie de m'exprimer.

— Allez-y, Samuel, nous vous écoutons. Avez-vous un avis sur ce qui vient d'être dit ?

— Je peux y aller, déclaré-je. Déposer la lettre. Si tu n'y arrives pas, si c'est trop dur, je peux faire ça pour toi. Ça m'étonnerait qu'Eliot sache qui je suis, alors...

Les yeux de mon petit ami s'arrondissent comme des billes, et il sursaute presque vers Madame Row.

— Ça pourrait le faire, d'après vous ?

— Oui, tout à fait.

Elle commence à fouiller dans une pochette en carton, bien rouge, avant de sourire. Elle tend à Curtis une feuille blanche, recouverte d'une écriture que je ne connais pas. Ce n'est pas la sienne, j'en suis certain.

— Vous voyez ? Vous avancez. Je sais que c'est simple à dire pour moi qui ne vit pas votre vie, mais... laissez votre frère de côté. Ne vous préoccupez pas de lui. Vous ne vivez pas dans la même ville, vous n'avez rien en commun et vous ne vous connaissez pas. C'est un étranger pour vous. C'est votre monstre, alors évertuez-vous à le détruire. Focalisez-vous sur ce qui est bon dans votre vie. N'évitez pas votre sœur. Parlez avec Coby, avec vos amis. Partagez vos doutes avec votre petit-ami. Témoignez de ce qui s'est passé pendant votre réunion des Arcs-En-Ciel Anonymes. Vous n'êtes pas seul, Curtis. Ne l'oubliez pas.

Elle sourit et je fais de même, la main toujours contre celle de mon copain. Je lui serre très doucement les doigts, pour agrémenter le propos de la psychologue.

— Merci Madame Row. Vous êtes géniale.

— J'ai un diplôme en génie, que voulez-vous ?

Nous rions tous les trois, avant de nous lever. Nous la saluons d'une poignée de main, avant de ressortir, le sourire aux lèvres. Et une fois dans le couloir, face à l'ascenseur, Curtis m'enlace tout doucement, le nez contre mon omoplate, les cheveux caressant doucement la naissance de mon cou.

— Je voulais te dire merci à toi aussi. De m'avoir accompagné là-dedans, et de ne pas me lâcher depuis la Pride. Ça me va droit au cœur tout ça, et parfois, le monstre se demande pourquoi tu fais tout ça, comment je peux mériter un pareil traitement.

— Tu lui diras que c'est parce que je t'aime et que je tiens à toi que je fais tout ça. Et ensuite, tu lui mettras du scotch sur la bouche pour qu'il se taise, cette saleté de Monsieur Gribouillis.

Je le sens sourire, avant de s'éloigner de moi. Ça me fait réellement du bien de voir avec cette expression faciale, et non comme un fantôme, ou l'ombre de lui-même.

— Tu viens dîner chez moi ? On peut passer chercher à manger chez Adil. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu.

— Avec joie. 

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