Janvier - 3
Wraiths : extraterrestres à la peau verte translucide et aux dents pointues. Se nourrit littéralement de vie des être humains et les élèvent comme du bétail. Ont une voix de ténor (une caractéristique de méchant apparement), vivent dans des ruches comme des abeilles et ne sont pas spécialement sympathiques pour l'espèce humaine (naturellement). Leur vaisseaux spacieux font les bruits les plus irritants de toute la galaxie.
(il est court, mais c'est la faute du découpage)
Il attrape son sac posé au sol — le mien était resté dans mon dos — et se replace à côté de moi. J'emprunte à nouveau la porte que j'ai utilisée pour rentrer, et je me détends. Je ne suis plus dans l'enceinte de Clear Lake.
— Ce n'est pas très loin, mais il faut quand même prendre le bus. Je suis désolé.
— Pourquoi tu t'excuses ?
— Parce qu'il est bondé à cette heure-ci et que ce n'est pas très agréable.
Il me fait un signe de la main qui signifie qu'il s'en moque. Moi, je pense à toutes les embardées, au fait que nous allons très certainement être debout, et ce genre de chose. C'est à cause d'un trajet de bus que j'ai commencé à ressentir plus que de l'amitié pour mon premier copain. Je sais de quoi je parle.
Nous attendons donc sous l'abri, et j'ai l'œil en alerte. Je me souviens bien de cet arrêt. C'est celui que prennent Valentin et Daisy pour rentrer chez eux. Et c'est également celui d'Eliot.
Quand j'étais encore en couple avec Valentin, je l'ai vu une fois. Je venais de déposer le blond à l'école, parce que j'avais une matinée de libre à cause d'un prof absent. Je voulais rentrer chez moi, et je l'ai vu qui attendait. Je savais qu'il était à Clear Lake, mais l'endroit est gigantesque et je me disais que les probabilités pour que je le croise étaient très minces — je les avais même calculées pour être sûr de moi. J'étais resté figé, à une quinzaine de mètres de l'arrêt, parce que je n'osais pas faire comme si de rien n'était et l'ignorer. Je me suis caché jusqu'à ce qu'il s'en aille.
Je n'ai donc pas spécialement envie que mon passé vienne se rappeler à moi. Alors j'observe les alentours comme un vautour chassant sa proie.
— Toi aussi, tu veux éviter des gens ?
Je sursaute à moitié lorsque Samuel ouvre la bouche. Je me rends compte qu'il est dans la position que moi. Presque sur ses gardes, comme si le danger pouvait surgir de n'importe où.
— Oui. Je compte bien passer un bon moment avec toi, je ne souhaite pas qu'il soit gâché par des rencontres tout sauf plaisantes.
Il rit de manière très sarcastique, la deuxième fois aujourd'hui. C'est étrange, parce qu'en le regardant, on pourrait croire que c'est quelqu'un de jovial, non de cynique.
— On est les méchants de leurs histoires et on a peur d'eux. On est quand même un peu pathétiques sur les bords. On fait pâle figure par rapport à Dark Vador.
L'évocation de mon méchant préféré me fait légèrement écarquiller les yeux. Est-ce qu'il vient réellement de me citer du Star Wars ?
— J'veux dire, continue-t-il, lui, il va carrément chercher Luke. Il n'en a pas peur, et il sait qu'il a les capacités pour le faire venir du côté obscur. Il ne se planque pas dans une galaxie très très lointaine de peur que le Faucon Millenium apparaisse dans l'espace.
— Tu voudrais qu'on copie Dark Vador ? Parce que son comportement est quand même assez proche du harcèlement.
— Non. Merde, mon image n'était pas la bonne. Le truc, c'est qu'il n'a pas peur. Il est fier, et c'est ça qu'on devrait copier.
— Tu veux qu'on soit fiers d'être méchants ?
— Non. Fier d'être comme on est. Dark Vador est fier d'être un grand Seigneur Sith, de manier très bien le sabre laser, et de maîtriser la Force. Nous, on devrait être fier de nous.
Je cligne des yeux, surpris au possible. C'est bien la première fois qu'on utilise une de mes images préférées de la pop culture pour m'encourager et réellement me remonter le moral. Et puis, j'ai l'impression qu'avec Samuel, c'est ou tout froid, comme notre conversation après nos ébats, ou tout chaud, comme maintenant, où il me dit que nous devons être fiers de nous.
— Parfois, je ne te comprends vraiment pas, dis-je finalement, voyant qu'il attend une réponse.
— Pourquoi ? Mon analogie n'est pas la bonne ? J'ai mal saisi le propos de Star Wars ?
— Ah non, ça, c'est parfait. Mais j'ai le sentiment qu'il y a deux toi qui se battent à l'intérieur de ton corps. Le toi qui se déteste, et le toi qui veut être fier, qui veut s'accepter et qui veut de moi. Et je ne sais jamais lequel va me parler. C'est assez déroutant comme truc. Ça reprend un peu ce que tu disais tout à l'heure, quand on était encore à l'école. C'est le toi qui te déteste qui m'a raconté l'histoire avec Daisy, alors que tu n'étais pas obligé. Parce que tu avais envie de me faire souffrir.
Il se tait et me fixe. Je vois parfaitement qu'il se plonge dans mes iris, et qu'il y cherche une réponse. Je suis sincère. Vraiment sincère.
— C'est toi qui donnes envie au fier de ressortir, de ne pas se laisser assommer par la détestation. La preuve, c'est presque toujours lui qui s'adresse à toi.
— Hum... mais la détestation ressort vraiment aux pires moments.
Je n'évoque pas notre fin de soirée après le bal. Je n'ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie.
— Je sais. C'est sa spécialité. Mais... j'ai une question pour toi. Est-ce que tu ne ressens pas ça aussi ? Le fait d'être coupé en deux ?
Mon sourire se tord et je baisse les yeux, franchement honteux.
— Si. Mais c'est bien plus vicieux. C'est comme un monstre dormant à l'intérieur de moi. Et il se réveille quand je suis en contact avec les gens. Quand tu me vois comme ça, tu ne penses pas que je suis un vieux raciste tellement mal dans sa peau que pour se sentir bien, il se met à insulter ceux qui sont justement bien dans leur peau. Et c'est pareil pour mon attirance pour les garçons. Au début, avec Valentin, j'étais parfait. J'étais gentil, je répondais à ses gestes d'affection. C'est après que le monstre est sorti, et qu'il a fait des ravages. À la fin, je pense que Valentin me détestait réellement.
— Pourtant, avec moi, le monstre n'est pas là. Moi, je ne vois que Curtis.
Je relève la tête, le visage neutre. J'essaie de deviner s'il est franc, ou s'il dit ça pour que je me sente mieux, sans en croire un traître mot.
— Avec toi, ce n'est pas pareil. Tu ne vas jamais me demander de te toucher en pleine rue, ou de faire mon coming-out à ma famille ou à mes amis. Donc le monstre ne peut pas se nourrir. Je ne me hais pas tant que tout reste secret. Si j'essaie de sortir du placard, le monstre prend ma place, et m'enferme dedans, à double tour. Il fait ses horreurs, avant de revenir avec moi dans l'armoire, de se coucher, et de dormir. C'est pour ça qu'avec toi, je parais gentil.
Il me fixe sans un mot. C'est la première fois que je parle de tout ça, tout simplement parce qu'on ne m'a jamais posé la question. On ne m'a jamais demandé pourquoi je me déteste autant. C'est parce qu'à l'intérieur, bien tapi, il y a un monstre.
Il y a longtemps, j'ai tenté de le représenter. C'était le jour même de ma rupture avec Valentin. Le monstre était sorti à ma place, lorsque mon petit-ami m'avait demandé de le réconforter après qu'il ait appris la pire nouvelle de sa vie — le décès de ses parents dans un horrible accident d'avion. Il lui a craché des trucs affreux au visage, en lui demandant de s'éloigner de moi. Et moi, je regardais tout ça, par un trou de lumière entre les portes de mon placard. J'étais impuissant. Et lorsque Valentin a dit que notre histoire était finie, le monstre est reparti, content de lui. Il est revenu se blottir contre moi, au fond de mon armoire. En rentrant chez moi, les larmes aux yeux, j'ai pris un crayon et une feuille et j'ai commencé à dessiner. Je suis loin, très loin du talent de Valentin en la matière. J'ai fait une boule, avec des zigzags en guise de piques. Des pieds informes, et des mains tout aussi immondes. Des yeux bien rouges — presque autant que mes cheveux. Et en dessous, j'ai écrit le monstre. Je l'ai affiché dans ma chambre, juste au-dessus de mon bureau. Comme ça, à chaque fois que je relève les yeux, je le vois. Et je me rappelle qui je suis réellement.
— Tu es gentil Curtis. Tu es un gentil dans mon histoire.
— Pour l'instant.
— Tu n'as pas confiance ?
— En moi ? Non, pas du tout.
— Ça me rappelle le petit discours que tu m'as servi dans la chambre d'hôtel.
— Quand je t'ai dit d'avoir confiance en toi parce que moi, je l'avais ?
— Oui.
Il me sourit en disant cela, et se rapproche même de moi. Nous sommes pourtant entourés d'autres personnes — qui certes, ne font pas attention à nous.
— Je te l'ai dit. Tu es le gentil de mon histoire.
Mon cœur se réchauffe, et mes lèvres esquissent très rapidement un sourire. Je ne suis pas convaincu, mais je vais un peu mieux. Les images du monstre tapi au fond de moi s'estompent de mon esprit. C'est déjà ça.
Tout d'un coup, le blond dégaine son téléphone et commence à taper quelque chose. Je trouve ça un peu irrespectueux puisque nous sommes au milieu d'une conversation, mais lorsque mon propre portable vibre, je comprends. De la communication silencieuse.
De : Samuel
> Si nous avions été seuls, je pense que j'aurais continué à sourire. Mais tout contre tes lèvres.
Je pique un fard, et je bégaie en rangeant mon téléphone dans ma poche. Samuel est totalement fier de lui, et me fait même un clin d'œil.
— Tu es horrible, glissé-je, voyant que notre bus arrive.
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