Janvier - 2
Réplicateurs : bestioles qui vous font détester l'avancée technologique. Dévorent tout sur leur passage, y compris les êtres humains en se "mêlant" à eux (résultat fort peu agréable pour les yeux). Ressemblent à s'y méprendre à des araignées, ce qui n'ajoute pas des points à leur capital sympathie. Dans leur forme évoluée, se font passer pour des gentils qui veulent aider les humains alors que leur seul but est de les DÉTRUIRE.
Ce chapitre a été originellement publié à l'occasion de la journée de lutte contre les LGBTphobie. Et je me suis dit que je pouvais illustrer quelque chose d'important avec cette histoire. Parce que comme vous le savez, mes personnages se détestent. C'est de la biphobie intériorisée. Et peut-être que vous aussi, vous êtes confronté à ça. Peut être que vous vous détestez aussi. Alors, même si ce n'est que quelques mots mis sur un écran, j'avais envie de vous dire que comme Samuel et Curtis, vous êtes aimé.e.s. Par moi, en tout cas. Vous êtes totalement légitimes, et je vous envoie plein de coeurs de toutes les couleurs.
🌈🌈🌈
Lorsqu'il se recule légèrement, je meurs d'envie de poser mes mains sur son visage pour le calmer et lui signifier que je suis là pour lui. C'est ce que l'histoire avec Valentin m'a inculqué. Lorsque les personnes à qui on tient ne vont pas bien, il faut mettre sa propre peur de côté et leur montrer tout le soutien possible — à la limite de la décence, bien entendu. Mais dans le cas de Samuel, j'ai trop peur qu'il réagisse mal et qu'il me repousse, alors je me contente de lui sourire.
— Merci d'être venu aussi vite, murmure-t-il du bout des lèvres.
— Je suis... je suis là pour toi. Alors si tu as besoin de moi, je débarque. Est-ce que... est-ce que tu as envie de me raconter ce qui s'est passé ?
Il hoche la tête et il me propose d'un geste qu'on se mette assis directement au sol, sur l'herbe derrière le vestiaire. Le mur nous sert de dossier, et on croise tous les deux nos pieds en tailleur. Forcément, dans une position pareille, nos genoux se touchent. Je fais semblant de m'en moquer, et me focalise sur le blond. Il a posé la tête contre le crépi, les yeux vers le ciel.
— Ce que je vais te raconter va très certainement te briser le cœur. Je suis désolé, mais j'ai besoin d'en parler avec quelqu'un, et tu es le seul qui ne me jugera pas. Tu es le seul qui m'écoutera.
Je hoche la tête, et je continue à sourire.
— Pendant les vacances, il n'y a pas que toi que j'ai vu. J'ai aussi eu rendez-vous avec Daisy. On s'est croisé en ville, on a bavardé dans le salon de thé de notre premier rendez-vous. Le soir même, on a discuté par messages. C'est elle qui m'a demandé de la retrouver, quelques jours plus tard, chez elle. Quand j'ai sonné, elle avait l'air perdue. Elle avait de gros cernes sous les yeux, comme si elle était malade. Il s'avère qu'elle était rongée par la culpabilisation. Qu'elle recommençait ce qu'elle avait fait avec moi. Avoir un autre garçon en tête alors qu'elle sort avec quelqu'un.
— Et ce garçon, cette fois-ci, c'est toi.
Oui, en effet. Je peux parfaitement entendre mon cœur se briser dans ma poitrine. Parce que je vois totalement venir cette histoire. C'est gros comme une maison. Il va m'annoncer qu'il s'est remis avec la jeune femme, et qu'il veut me garder comme meilleur ami. Je me prépare psychologiquement à oublier le goût de ses lèvres sur les miennes.
— Oui. C'est moi. Au bal, elle était avec quelqu'un de plus âgé que nous. Il s'appelle Callahan, et travaille dans une boutique de fleurs.
Mes yeux s'écarquillent. Je connais très bien ce prénom. C'est le grand frère d'Eliot. Un modèle pour lui, et quelqu'un de très sympathique. Lorsque j'ai complètement foutu en l'air mon amitié avec le japonais, perdre sa famille a été presque aussi douloureux.
— Et ce jeune homme est amoureux d'elle. Il lui a dit. Elle a été incapable de lui répondre, alors elle l'a embrassé. Parce qu'elle m'avait moi en tête.
— Et toi ? Qu'est-ce que tu lui as dit ?
— Que j'étais aussi perdu.
D'accord. C'est encore pire pour mon cœur. Je sens des picotements au bout de mes pieds. J'ai peur de ce qui va suivre.
— Mon histoire avec Daisy a toujours été un gros regret. La manière dont ça s'est déroulé, la manière dont ça s'est fini surtout. La suite, le fait qu'on s'évite comme la peste, et que je n'ose même plus aller voir ses matchs, alors que je l'admire comme joueuse. Elle est toujours dans un coin de mon cerveau, à chaque fois que je sors avec une autre fille. C'était peut-être bien, mais pas autant qu'avec Daisy. C'est ce que je me répétais. Et lorsqu'elle m'a dit qu'elle avait des doutes, je lui ai proposé du temps pour y réfléchir. Et de nous retrouver ici pour en discuter, et mettre les choses à plat.
Il tourne la tête vers moi, et je me fais happer par ses pupilles. C'est fou, ce pouvoir qu'il a sur moi. Je suis un aimant géant aux yeux de Samuel. Ça ne va pas arranger mon histoire, ça.
— Je suis perdu, parce que je t'ai rencontré. Si tu n'avais pas existé, j'aurais foncé dans cette nouvelle histoire avec Daisy. Mais à chaque fois que je m'imaginais en train de l'embrasser, ou de passer du temps avec elle, c'est ton image qui apparaissait par-dessus et qui prenait toute la place. C'était assez déroutant. Parce que je ne m'y attendais pas, venant de mon cerveau. Je suis censé me détester, détester mon attirance pour les garçons. Et j'avais ton image dans la tête.
Il me sourit, et je sens mon cœur se briser plus encore, comme si c'était possible. C'est effroyablement cruel de me parler de ça, alors qu'il va sans doute m'annoncer qu'il a repris avec Daisy.
— On s'est embrassés. Avec Daisy. C'était horrible, parce que ni l'un ni l'autre, nous n'étions dedans. Nous étions ailleurs. Et s'il n'y avait pas eu... ce qu'il y a eu, je crois que je lui aurais dit. Je n'aurais pas prononcé ton prénom, mais j'aurais annoncé que je ne pouvais pas faire ça, parce qu'il y a un garçon dans ma tête.
J'écarquille les yeux comme des billes. Qu'est-ce qui est en train de se passer ?
— C'est pour ça que tu m'as fait venir ? Tu pouvais me le dire par téléphone. À moins que tu veuilles voir ma réaction digne d'un poisson sortant de l'océan.
Je ris, mais je ne parviens pas à le faire se dérider. Oh. J'ai peur maintenant. Il a hésité, dans ses phrases précédentes. C'est pour ça qu'il m'a fait venir. Il m'a juste raconté le contexte.
— Les deux garçons que j'ai blessés. Rio et Miho. Ils nous ont vus, et ils sont venus me confronter, en révélant la vérité à Daisy. Sur ce que je leur ai fait, à tous les deux. Ils m'ont dit que si je recommençais, avec n'importe qui, ils iraient me dénoncer à la directrice, et des sanctions seraient prises contre moi.
— Quoi ?
Une colère sourde monte en moi, ce qui me fait tourner totalement vers le blond. Il retrouve sa position précédente, les yeux collés sur le ciel, et la tête contre le mur des vestiaires.
— Tu te souviens de notre discussion sur la route du retour ? C'est exactement ça. Ce sont des gentils qui font des crasses. Parce que le chantage, ce n'est pas spécialement sympa. C'est plus un truc de méchant.
— Et qu'est-ce que tu as dit ?
Un rire sarcastique au possible.
— La vérité. Je leur ai hurlé la vérité en pleine face. Que je me déteste, et que je déteste le fait d'être bi. Je suis désolé si ça te blesse. Mais je te l'ai dit à l'hôtel. Je ne peux pas changer drastiquement pour tes beaux yeux.
— Et eux ? Qu'ont-ils répondu ?
— Ils m'ont dit de me faire aider. D'en parler avec quelqu'un. Limite, d'aller voir un psy dans une association. Sauf que je n'y arrive pas. Ma sœur est bénévole dans l'une d'elles, en ville, elle m'a proposé plusieurs fois d'aller avec elle, et j'ai trouvé des excuses. Parce que je n'y arrive pas.
Je m'attendais vraiment à ce qu'il se prenne les pires remontrances du monde, au vu de l'accolade qu'il m'a offerte lorsque je suis arrivé, et de son envie express de me voir. Mais non. Ses dires me donnent même une idée.
— Tu veux que je vienne avec toi ?
— Où ça ?
— À l'association. Je peux venir avec toi si tu veux. Si ça te donne du courage.
Il me fixe sans un bruit. Je pourrais presque entendre les rouages dans son cerveau, qui tournent dans tous les sens. J'espère qu'il va s'arrêter sur oui. J'espère vraiment.
— Okay. Je veux bien. Mais laisse-moi en parler à ma sœur d'abord. Elle doit savoir qui je suis réellement. Je n'en peux plus de lui cacher ça.
Je hoche la tête. Je peux parfaitement comprendre. Combien de fois j'ai eu envie de dire la vérité à Sybil ? Lui parler de Valentin, lui parler de mon crush pour Coby ? Lorsqu'elle m'a vu rentrer du bal, elle m'a demandé comment ça s'était passé. Je lui ai menti sur ma relation avec Cassie, et elle a fait la grimace quand elle a compris que nous étions allés à l'hôtel ensemble. Si elle savait. Si elle savait que j'ai passé un bon moment, mais en compagnie d'un garçon. Je sais qu'elle ne me jugera pas. Elle m'a raconté, peu de temps avant ma rupture avec Valentin, qu'il lui avait fait leur coming-out — sans parler de moi. Elle était heureuse pour lui, heureuse qu'il s'assume, et qu'il se sente en confiance pour lui dire. J'ai senti qu'elle voulait que je fasse de même. Parce qu'elle joue à celle qui n'est pas au courant, mais rien de tout ça n'est vrai. Elle attend, c'est tout. Elle attend que je sois prêt, elle attend que j'aie le courage. Elle attend que je sois réellement moi.
— Désolé de t'avoir dérangé pour ça, reprend Samuel en se levant.
— Tu ne m'as pas dérangé. Tu avais besoin de parler avec quelqu'un. J'étais disponible.
— Ce n'est pas avec quelqu'un que j'avais envie de parler. C'était avec toi. Avec toi, et personne d'autre.
J'ai l'impression que la spécialité de Samuel, c'est de mettre mon cœur dans un looping géant. Dans un grand huit même. Un coup tout en haut, un coup tout en bas. La tête à l'envers, quand je ne comprends plus ce qui se passe. Des lignes droites, comme lorsqu'on s'est raconté notre vie sur le chemin du retour. Des remontées fulgurantes, comme ce qu'il vient de m'offrir.
— Donc ton truc, c'est de prendre un marteau géant, de bousiller complètement mon cœur, avant de t'atteler à le recoller pièce par pièce ?
— Peut-être. Désolé. Je t'avais prévenu que ce n'était pas de tous repos avec moi. C'est chiant d'avoir des sentiments pour moi.
— Parce que tu ne les rends pas ? Je peux supporter ça. Et je t'accepte comme tu es.
Son sourire s'élargit, mais il hoche la tête négativement.
— Non, parce que je suis comme toi. Je pratique l'autosabotage. Parce que mon cœur et mon cerveau se battent. Par exemple, je n'étais pas obligé de te raconter le contexte avec Daisy. Mais je l'ai fait. Parce qu'une partie de moi voulait que tu souffres tellement que tu finisses par t'en aller. Alors que je n'avais pas envie que tu partes. Tu vois le truc ?
— Oh, oui. Totalement.
Ça me rappelle mon propre comportement avec Valentin. À son anniversaire, par exemple, j'ai fait comme si je ne le connaissais pas, alors que je mourais d'envie d'être proche de lui, de passer la soirée avec lui en ce jour si spécial. Il a eu mal, parce que je l'ai entendu en discuter avec Daisy. Et plus tard, dans les toilettes du restaurant où nous allions, nous nous sommes retrouvés et embrassés. J'aurais dû prendre mon courage à deux mains et l'annoncer aux autres. De toute manière, presque tout le monde était au courant.
— On craint quand même. Tous les deux. Avec nos agissements.
Il a la tête contre le crépi et regarde le ciel. Je ne sais pas ce qu'il a de spécial. Il est bleu gris, comme en hiver.
— Oui, réponds-je. Mais au moins, on craint ensemble.
Il rit légèrement et commence à se relever. J'essaie de cacher ma déception, parce que je n'ai pas spécialement envie de le quitter. Je suis bien avec lui, même si mon cœur est dans un grand huit. Ce n'est pas ça les sentiments, justement ?
Il me propose son bras pour me remettre sur mes pieds, et j'accepte avec plaisir. En utilisant nos forces combinées, je parviens à me hisser juste en face de lui. Peut-être même un peu proches pour que mon cœur ne réagisse pas, et que mes joues ne colorent pas. Et c'est dans cette proximité que je laisse parler ce qui bat dans ma poitrine.
— Tu ne voudrais pas aller quelque part avec moi ?
— Chez toi ?
— Non. Dans mon QG.
Il écarquille les yeux. Je suis en train de lui offrir une porte géante sur mon univers. Parce que là-haut, Curtis n'existe pas. Il va enfin apprendre mon prénom arabe.
— Sérieux ?
— Tu m'as fait goûter les meilleurs burgers de tout Belfast. À mon tour de te présenter le thé le plus délicieux des environs. À moins que tu n'aimes pas ça et franchement, si c'est le cas, je ne sais pas ce que je fiche avec toi.
Je ris pour la forme, et attends la réponse avec de l'appréhension. Je suis figé dans ma position, à une petite dizaine de centimètres de lui. Je peux l'observer respirer, je vois ses yeux bouger, et même un cil qui est tombé sur sa joue. J'aimerais l'enlever, mais notre position est suffisamment suspecte comme ça pour en rajouter une couche.
— D'accord. Je viens avec toi.
Dans mon cerveau, ça danse dans tous les sens en hurlant et en sautant. Dans la réalité, j'esquisse un sourire qui, j'espère, n'est pas trop révélateur de ce que je pense vraiment.
— Parfait. Alors, allons-y. Je vais te guider.
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