Février - 8

Le capitaine Lorca est l'inverse du Capitaine Georgiou du chapitre précédent. C'est elle, elle est gentille puis méchante puis grise, lui, il est gentil puis méchant. Genre vraiment méchant. Il vient de la même réalité parallèle que Georgiou et ce qu'il veut, c'est kidnapper la personnage principale, dont le double dans la réalité parallèle a été tué, pour amadouer l'impératrice et la tuer. Oui. Carrément. Il a mené en bateau tout son équipage pour faire ça, et lorsqu'il est tombé dans un soleil, j'avoue avoir été particulièrement heureuse. 


Stanislas décide que c'est le bon moment pour revenir, et je le bénis intérieurement de me sortir de cette conversation. J'ai l'impression d'être un obsédé, parce que nos conversations partent souvent sur ce terrain-là — sans forcément un passage à l'acte derrière. Et même si la dernière fois que nous avons couché ensemble, je n'ai strictement rien regretté, je suis comme une bombe à retardement. Et je n'ai aucune envie de le blesser, parce que j'aime beaucoup trop son sourire. Et son visage. Et la couleur de ses yeux. Et ses lèvres sur les miennes. Et...

J'attrape subitement un magazine — sans regarder lequel — pour me changer les idées. Mais malheureusement, le cosmos est contre moi. Parce que je tombe sur un article au titre de est-ce que votre homme vous aime ? 10 manières de le savoir et de le tester sans qu'il le sache. J'ai presque envie de hurler un gigantesque oui à ces bouts de papier, mais je pense que ça ferait particulièrement tache dans un salon comme celui-ci. Je me tais donc, et tourne la page, comme si de rien n'était. Je fais semblant de lire, tout en oubliant complètement la présence de Curtis à mes côtés.

— Tu ne veux même plus me regarder ? déclare-t-il d'ailleurs.

— Non. Comme ça, j'aurais la double surprise. Ta coupe de cheveux, et ta couleur.

— Très bien.

— T'es vexé ? m'interrogé-je, ne désirant surtout pas cela.

— Non, du tout. Je t'avoue que ça me plaît. J'adore les surprises.

Je note intérieurement. Et comme j'ai une excellente mémoire, j'ai retenu la date de son anniversaire. Le dix-neuf avril, il va avoir le droit à la surprise du siècle. Quoique. En réfléchissant à sa réplique, celle-ci me fiche un gros doute.

— Tu aimes les surprises, genre les subir, ou en faire ?

— Les deux. Pourquoi ?

— Pour rien. Je suis en train de rédiger un livre. Le Curtis pour les Nuls, et j'ai besoin d'informations sur le sujet principal de mon ouvrage. Merci d'avoir répondu à mon interrogation.

Je décide de jouer la carte de l'humour. Même si nous sommes en février, et qu'avril est dans moins de deux mois, je ne sais pas comment il compte se projeter avec moi. Est-ce que nous serons toujours ensemble à ce moment-là ? Moi, je l'espère bien, mais je préfère éviter de faire des plans sur la comète. Je comptais bien fêter Noël avec Daisy, mais l'univers en a décidé autrement. Depuis, j'évite de me projeter trop loin. Je prends une semaine après l'autre.

— Si tu as d'autres questions pour le sujet principal, n'hésite pas. Je suis tout ouïe. Et je me ferais une joie d'y répondre.

Je ne peux pas m'empêcher de sourire. Je lui fais complètement dos, donc il ne peut pas me voir. J'ai l'impression de me cacher, mais ce n'est pas négatif. Au contraire. Le secret, ça me plaît beaucoup.

— Je note, je note.

Je me baisse vers mon sac de cours, et j'attrape le premier cahier de brouillon qui tombe sous ma main. J'ouvre une page au hasard, et je note, avec un critérium trouvé dans ma trousse — j'en possède rien que trois, parce que j'en ai tout le temps besoin, et que je les perds tout le temps.

Demander à Heather de décrire le sentiment amoureux. Engager des recherches sur le sujet.

Je referme le carnet, le rouge aux joues, et le cœur battant la chamade.

***

— Wow.

Stanislas a fini son travail, et je suis debout à côté de lui, les yeux plantés sur le miroir en face de moi. La robe de protection de Curtis a été enlevée, et sa coupe est terminée. Ses cheveux sont d'un brun assez foncé, avec de beaux reflets plus clairs, qui captent chaque centimètre de lumière qu'ils trouvent. Les mèches, quant à elles, sont bouclées à souhait. Le coiffeur a rasé — pas à blanc — tout le tour du crâne pour faire ressortir ces bouclettes. Je crois bien qu'en ce moment, c'est à la mode. Mais là, je m'en fiche. Je ne peux plus le lâcher des yeux. Surtout qu'il se met à me sourire, de toutes ses dents. Bon sang. Comment peut-on le traiter de méchant avec une apparence pareille ?

— Mais encore ?

— J'sais plus quoi dire là. Tu me coupes le souffle, mec.

J'essaie de faire le bon pote, mais je n'y arrive pas. Je réagis en tant que copain, puisque c'est ce que je suis. Je ne peux pas m'en empêcher. Curtis siffle entre ses lèvres pour la forme, et se lève de la chaise, pour aller payer. C'est Stanislas qui s'en charge, tout en présentant quelque chose dans les mains de Curtis.

— C'est de l'huile de massage à la lavande. Cadeau de la maison.

— Pourquoi ? Je n'aime pas les...

Et il se stoppe, se retournant vers moi. Sa bouche forme un O presque parfait, et il s'empresse de payer sa facture. Nous sortons en remerciant ceux qui se sont occupés de nous, et nous nous prenons un seau d'eau de pluie en pleine face. Parce que nous habitons en Irlande du Nord, et que la météo adore faire sa vie comme elle l'entend.

— Sérieux ? hurle Curtis en posant son sac sur sa nouvelle coupe. L'univers me déteste ! Oh, c'est bon, je sais que j'ai fait des trucs pas sympas dans le passé, mais figure-toi que j'essaie de changer ! Je suis un méchant classe, mais un méchant qui essaie d'être gentil.

Bien entendu, son petit discours ne fait strictement rien, et nous nous décidons tant bien que mal à nous déplacer en courant, en nous protégeant du mieux que nous pouvons de la pluie qui dégringole dru sur nos épaules.

— Je hais ce pays !

Nous sommes sous l'auvent d'un magasin qui est fermé, et nous pouvons nous permettre de discuter.

— Et maintenant, tu es obligé de venir te sécher chez moi. C'est bête ça, dis-je, en riant.

— T'as acheté le dispositif de changement météorologique du docteur June ou quoi ? T'as demandé à ce que la pluie nous tombe dessus, et comme ça, tu peux me convaincre de venir chez toi pour me sécher. Franchement, tes techniques de drague sont bizarres, Samuel.

J'ouvre des yeux ronds comme des billes. Le dispositif de changement météorologique du docteur June est un objet que l'on peut acheter dans les Sims, pour, comme son nom l'indique, changer la météo.

— Attends... tu viens de me citer les Sims ? Comme ça ? De tête ?

— Oui.

— Okay.

Je prends une grande respiration, tant mon cœur bat à toute vitesse. C'est con de réagir de cette manière pour un simple jeu vidéo, surtout que j'avais cru comprendre qu'il ne l'aimait pas trop, à cause de ma technique de dédramatisation. Mais non seulement il l'aime bien, mais il le connaît sur le bout des doigts.

— J'ai dit quelque chose de travers ? s'inquiète Curtis, alors que je reste parfaitement silencieux.

— Non. C'est même tout l'inverse.

— Alors pourquoi tu ne dis rien ?

— Parce que je ne sais pas quoi te dire pour t'exprimer ce qui se passe dans ma tête et dans mon cœur. Je me sens merdique.

Je le fixe, le visage neutre. C'est vrai. Je me sens merdique. Avec Daisy — qui est l'une des seules à m'avoir fait ressentir des trucs pareils —, je savais quoi dire, comment la regarder, quels gestes adopter avec elle. Avec Curtis, je suis vide. Non pas que mon cœur le soit — c'est même l'inverse. C'est mon cerveau qui l'est.

— Je peux te toucher le poignet ?

Je sursaute à cette demande étrange. Il est en face de moi, et me cache aux yeux des passants.

— Pourquoi ?

— Tu as dit que tu n'arrivais pas à me dire comment tu te sentais. Mais le cœur ne ment pas, lui. Il est là quand les mots ne peuvent plus faire leur travail. C'est comme le silence. C'est peut-être l'absence de bruit, mais pas l'absence de chose. Du moins, à mon humble avis.

Je lui tends mon poignet, sans rien dire, et ses doigts froids se collent dessus. Je ne sais pas du tout comment il fait pour entendre quelque chose, avec toute la pluie dehors. Il ferme les yeux, et se concentre sur moi. Ses lèvres s'étirent doucement, à un moment donné. Et lorsque ses paupières se rouvrent, je balance une bombe.

— J'ai envoyé mon poing dans la tête de quelqu'un aujourd'hui.

— Quoi ?

Il est toujours accroché à moi, et ses doigts se transforment en crochets sur moi. Je pense que c'est totalement involontaire, si bien que je ne fais aucune remarque.

— Tu te souviens de John ?

— Le déchet intergalactique ?

Je ris du fait qu'il a retenu mon surnom étrange, et j'acquiesce.

— Oui, lui. Eh bien, il m'a cherché. Il a d'abord évoqué ma sœur, et ensuite Daisy. Je n'en pouvais plus. Alors je lui ai balancé mon poing dans le nez, et je lui ai hurlé mon coming-out.

Comme si c'était possible, les yeux de Curtis s'écarquillent encore plus. Sa main libre, elle, vient se poser sur mon épaule. Ses pupilles cherchent désespérément les miennes.

— Ça va. T'inquiète. Je vais bien. Je pense que je ne me rends pas encore compte de ce que j'ai fait, mais je vais bien.

— Comment a-t-il réagi ?

— Il m'a traité de connard. Moi, je lui ai dit que quitte à être un méchant, autant embrasser la cause à pleine bouche.

— Il y avait du monde autour ? Ou vous étiez seuls ?

— Quelques camarades, qui ont fait comme si de rien n'était.

Curtis grimace. Moi, ça ne me dérange pas plus que ça. Je fais la même chose avec eux, quand ils sont attaqués. Alors je ne vois pas pourquoi ils viendraient me défendre.

— Et mon capitaine, Rio. Un des...

— Je sais qui c'est, me coupe-t-il. Et lui ? Qu'est-ce qu'il a dit ?

— J'en sais rien. J'ai quitté la pièce avant lui. Je pense que John a dû se plaindre auprès de lui, comme il aime si bien le faire. Comme si c'était un pauvre petit chaton abandonné dans une boîte en carton, sous la pluie. Mais... après, le capitaine est venu me voir.

— Et ? Tu m'as dit que vous avez une relation professionnelle de coéquipiers. Mais là, ça touche à la fois l'équipe et le personnel...

— Il m'a dit qu'il m'admirait. Pour ce que je venais de faire. Je t'avoue que je m'attendais à des remontrances, parce que maintenant que John sait pour moi, il va peut-être se lancer à la recherche d'autres... connards de mon type. Et du coup... j'en ai profité pour m'excuser.

Mes yeux ne quittent pas ceux de Curtis. Les doigts toujours contre mon poignet, il doit entendre mon rythme cardiaque accélérer.

— Je lui ai parlé de toi, sans citer ton prénom, et de l'association. Du fait que ça m'avait fait réfléchir, et que ça m'avait aidé à réaliser certaines choses. Comme le fait qu'il fallait que je lui demande pardon, le plus sincèrement possible. Je ne cherche pas à redevenir ami avec lui, mais... ça m'a fait beaucoup de bien qu'il me dise que je suis quelqu'un de bien.

Les sourcils de mon voisin se froncent, et je ne peux pas m'empêcher de trouver ça adorable.

— Curtis ?

— Oui ?

— Il n'y a que toi dans ma tête. Ce n'est pas parce que Rio m'a dit que j'étais quelqu'un de bien que je vais soudainement retomber dans ses bras. De toute manière, il ne voudrait pas de moi, et moi de lui. Parce qu'il n'y a que toi dans ma tête.

— Pourquoi tu me dis tout ça ?

Un sourire, franc et généreux. Je pose ma main sur sa joue, très discrètement. Il ne m'imite pas, toujours sur mon poignet, et mon épaule.

— Parce que tu es jaloux et que ça se voit.

Il fronce encore plus les sourcils, et se raccroche plus encore à moi.

— Bah excuse-moi de l'être quand le mec que tu aimes te sort que son ancien crush et lui ont partagé une séquence émotion. Non pas que je sois mécontent que tes excuses se soient bien passées, mais...

Mais je n'aurais jamais la fin de la phrase. Parce qu'elle est avalée par Curtis, qui écarquille les yeux, tout en jurant.

— Merde, merde, merde.

Il s'éloigne de moi à toute vitesse, et continue à me fixer comme s'il avait fait la pire bêtise au monde. La bêtise en question, c'est sa déclaration.

— Ça n'aurait pas dû sortir, murmure-t-il. Je faisais attention. Pourquoi c'est sorti ?

Il se parle à lui-même. Il est en train de réprimander son cerveau, son cœur et très certainement sa bouche pour avoir agi sans son autorisation.

— Parce que tu n'en peux plus de garder ça pour toi. Parfois, il faut que ça sorte.

Il relève la tête vers moi — il l'avait baissée pour se plonger dans ses réflexions — et j'aperçois des larmes au fond de ses pupilles. Ça me brise le cœur de le voir dans un état pareil.

— Tu ne m'en veux pas ?

— T'es con ou tu le fais exprès ?

Il se choque de ma réplique, et recule plus encore. Son dos doit être sous la pluie maintenant.

— Mais tu es... hésite-t-il.

— Oui, je suis aromantique, oui, je ne te répondrais pas moi aussi. Mais ça fait toujours plaisir quand quelqu'un te dit qu'il t'aime.

Je m'avance vers lui, saisis sa main, et la colle sur ma carotide. Je me fiche que ça soit bizarre. Il faut qu'il l'entende. Il faut qu'il entende le rythme de mon cœur.

— T'es con de croire que je vais te larguer parce que tu es amoureux de moi. C'est même tout l'inverse. Maintenant, je n'ai plus aucune envie de te lâcher. Mon cœur n'a plus envie de te lâcher. Écoute comme il danse.

Ses doigts appuient sur ma peau. Ses larmes sont ravalées, et il sourit tout doucement. Entre la lumière, la pluie et la couleur de ses yeux, je ne sais pas qui est le plus magnifique. Sans doute les trois ensemble.

— Je sais que je suis un copain en carton, que parfois, je ne te parle pas pendant une semaine, que je ne t'ai même pas souhaité la Saint-Valentin, que je peux refuser d'être proche de toi, que j'ai peur que tu rencontres ma sœur. Mais... mais mon cœur est heureux quand tu es là, et tu fais ressortir tout ce qu'il y a de bon en moi, Curtis. Alors il est hors de question que je ne reste pas avec toi.

— Tu sais que ça ne va pas arranger les choses, ce que tu me dis là ?

— Je suis parfaitement au courant. Et je vais t'annoncer un truc, mon cher Curtis. Ton cœur, que tu viens de me donner, je compte le chérir le plus longtemps possible.

— Et moi, je compte bien voler le tien !

Il est tellement sérieux dans le ton qu'il a utilisé que nous finissons par en rire. Je sais que la discussion est terminée, et j'essaie d'analyser ce qui vient de se passer. Au début du mois, j'avais une peur bleue que Curtis me fasse sa déclaration, parce que je ne savais pas comment y répondre. Ma première peur, c'est qu'il ne supporte pas le fait que je ne sache pas quoi lui dire après son je t'aime, et qu'il s'en aille. Parce que même si c'est encore bien flou de ce côté-là, j'ai conscience que j'ai besoin de lui. Il est la main tendue que j'attendais, la personne penchée au-dessus de mon trou pour m'en sortir. Comme je le lui ai déclaré, il fait ressortir le bon en moi. Et pour cette simple raison, il est parfaitement hors de question que je rompe avec lui. J'en ai marre que mes couples s'effondrent sur eux-mêmes parce que je n'ai pas les mêmes sentiments que les personnes avec qui je sors.

— Samuel...

Je me sors de mes pensées. Curtis a la tête baissée, les deux mains sur mon torse.

— Oui ?

— On peut repartir s'il te plaît ? Je suis pressé d'arriver chez toi.

— Je me doute. La pluie, c'est particulièrement chiant. Surtout quand on sort de chez le coiffeur.

— Non, ce n'est pas ça.

Il relève la tête et je comprends en le regardant. Il veut arriver rapidement chez moi pour pouvoir m'embrasser. Parce qu'ici, on ne peut pas.

— D'accord. Allons-y.

Je lui saisis la main et nous repartons. Nous courrons après le bus, nous reprenons notre souffle une fois dans le véhicule. Il est blindé — les gens qui rentrent parfois à pied ont préféré se mettre à l'abri de ce seau d'eau — et plusieurs embardées ramènent le jeune homme contre moi. Ça ne me dérange aucunement, et à la fin du trajet, une de ses mains est posée sur mon épaule pour me tenir. Il serait mieux sur ma taille, mais j'ai très peur que l'on se prenne des regards désobligeants.

La pluie s'est calmée quand on arrive dans mon quartier, mais on court toujours comme des mecs poursuivis par leurs cauchemars. Nous rions jusqu'à apercevoir la porte de chez moi. Comme lui à l'hôtel, je ne parviens pas à bien insérer la clef dans la serrure et je dois m'y reprendre à deux fois avant de bien la tourner.

— On est tous seuls ? demande Curtis en reprenant son souffle.

— Oui, pourquoi ?

— Pour rien.

J'entre le premier, vérifie qu'aucune paire de chaussures n'est là, et je me retourne vers mon invité pour le rassurer. Le regard qu'il m'offre est bouillant, alors que nous tremblons de froid à cause de la pluie.

Son dos est calé contre la porte et il attend. J'ai compris. Je lâche mon sac de cours sur le sol — comme un malpropre, il faut le faire remarquer — et je m'approche à petits pas. Une fois bien en face de lui, je souris. Avant de me pencher et de coller mes lèvres sur les siennes.

S'il y a quelque chose que cette aventure m'apprend — puisque je suis sûr que c'est loin d'être terminé —, c'est que j'adore vraiment embrasser Curtis.

Fin du chapitre de février (et j'ai légèrement triché : à l'époque à laquelle j'écris, Saisons n'est pas sortie comme extension des sims, mais j'en avais besoin pour ma petite discussion) 

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