Février - 5

Les Romuliens sont l'une des races de méchants qui ont le plus une tête plus ou moins humaine (si on oublie leur sang vert, leur oreilles pointues et leur étrange épilation sourcilière). Ils sont issus d'une race de gentils, dont ils se sont séparés pour créer leur propre empire galactique (vise ton égo). Chez JJ, le mec qui ne respecte pas les chronologies, leur planète est carrément détruite, ce qui fait qu'ils sont animés par la vengeance. Et la vengeance, c'est pas beau. 


Je vais avouer à toutes ces personnes, qui ont les yeux braqués sur moi, que je suis un connard qui a agressé deux personnes. Je ne suis pas spécialement pressé de voir leur regard changer.

— N'aie pas peur, continue le noir, en posant une main sur mon épaule. Personne ici ne va te juger.

J'essaie de sourire, mais je me rends compte que je tremble. Et soudain, j'ai une idée.

— Imaginez que vous avez un Sims à votre effigie. Vous savez, ces personnages faits de pixel qui nous permettent de nous recréer une vie où les oppressions n'existent pas. Bon, il y a le mien. Il va au lycée, et il est sportif. Son truc, c'est plus la logique que le fitness, mais passons. Donc, il joue dans son équipe de foot. Et dans cette équipe, il y a certains joueurs qui... qui ne le rendent pas indifférent. Ils ne sont pas spécialement amis, mais ils rient bien dans les vestiaires. Et un jour, mon bras a dévié vers les actions romantiques, avec l'un d'eux. Et mon action n'a pas été refusée. Pire, ça a continué. Moi, derrière mon écran, je ne savais pas trop ce que j'étais en train de faire. Parce que je voyais que mon Sims en avait envie, mais moi, je n'étais pas sûr. Et mon incertitude s'est transformée en haine. Ça me soulait que mon Sims s'amuse autant. Le jeu m'a proposé d'emmener mes petits personnages dans un camp, en dehors de la ville. Nous devions jouer au football, passer de bons moments ensemble, resserrer les liens de l'équipe. Et pendant ce camp, Samuel le Sims a tenté le premier baiser avec ce joueur. Et ça ne s'est pas bien passé.

Je joue avec mes doigts, et j'ose regarder les autres membres de cette réunion. Il n'y a pas une trace de colère, ni même de pitié. Ils débordent de compassion, et ça me fout les larmes aux yeux.

— Le garçon, celui que j'ai... que Samuel le Sims a embrassé, il n'était pas contre, mais la manière dont ça s'est déroulé n'était pas top du tout. Et ça a continué. Je n'avais pas envie que Samuel le Sims s'amuse, et j'aurais préféré que mon action soit refusée. Mais non. Et j'ai... j'ai débloqué une nouvelle catégorie d'actions. Un mélange entre celles romantiques, et celles mauvaises. À chaque nouveau baiser, Samuel le Sims agressait ce pauvre joueur.

Une larme descend sur ma joue, et je la ravale comme elle est venue. Ce n'est pas moi la victime là-dedans. Ce n'est pas à moi de pleurer.

— Ça s'est fini à la rentrée de cette année. J'étais heureux, et Samuel le Sims a repris sa vie de Sims. Il avait des envies de meurtres sur un des joueurs de son équipe, un vrai salopard. Il regardait son ex-copine d'un air mélancolique, et lorsqu'il pensait à elle, il avait un état d'esprit triste. Le pauvre garçon qu'il a agressé l'a évité dès le premier jour, et il a fait de même. Jusque'à ce que Samuel le Sims se rende compte de quelque chose. Qu'un autre joueur se rapprochait de sa victime. Son meilleur ami, qu'il pensait clairement hétéro. J'ai rappelé à Samuel le Sims qu'on ne pouvait pas faire de supposition sur l'orientation sexuelle des gens, et que pour moi-même, ce n'était pas marqué bisexuel sur ma tête.

Je repense aux étiquettes de Rio en disant cela. Il y a celles qui sont visibles, celles dont on est fiers, celles dont on aimerait se débarrasser. Et celles qui sont invisibles. Celles dont on a honte. Celles qui nous posent problème. Dans son cas, celles dont on a peur.

— Et donc ce rapprochement, ça a embêté Samuel le Sims. Il était tendu comme ce n'était pas possible, pour se calmer, il courrait tôt le matin. Et pendant ces courses, il a compris pourquoi. Le premier joueur n'était pas un cas à part, une erreur de parcours sur un chemin semé de filles. Il était vraiment aussi attiré par des garçons. Samuel le Sims a voulu essayer. Moi, je n'étais pas d'accord. Parce que ça n'aurait servi à rien, puisque ce joueur semblait déjà attiré par quelqu'un d'autre. Mais il n'en a fait qu'à sa tête. Il l'a dragué. Et quand est arrivé le bal de mon... de son école, un évènement à boîte de dialogue, j'ai choisi tous les choix romantiques. Le draguer, le manger des yeux, lui envoyer des perches pour qu'il me révèle que lui aussi est attiré par les garçons. Et lorsqu'un dernier dialogue s'est ouvert, dans les vestiaires de l'école, j'ai choisi la mauvaise action. Samuel le Sims a profité du fait que son compagnon était perdu et alcoolisé pour l'embrasser. Le compagnon a détesté ça, Samuel aussi, et moi, j'ai arrêté de jouer.

Une larme coule à nouveau, et je l'essuie avec rage. Je n'ai vraiment aucun droit de pleurer.

— Voilà mon histoire. Parce que Samuel le Sims, c'est moi. Et que cette personne derrière l'écran, qui dicte chacune des actions qui craignent, c'est toujours moi. Je suis coupé en deux. Il y a une partie de moi qui veut ressentir des trucs, qui veut aller à fond dans les choses que la vie lui propose, qui veut rencontrer de nouvelles personnes, peut-être même tomber amoureuse. Et il y a l'autre, qui est sèche et méchante, qui veut tout détruire sur son passage, qui veut trouver un médicament pour enfin se débarrasser de cette saleté d'attirance. Pour les autres, il n'y a pas de problème, par contre chez moi, ce n'est pas possible.

Je tente de sourire, mais ça ne ressemble à rien de très beau. Alors j'essaie d'adopter une expression faciale plus neutre. Je ne sais pas si c'est fonctionnel, et je n'ai aucune envie de me regarder dans un miroir.

— Voilà mon histoire. Et voilà pourquoi je suis ici. Parce que je veux que cette deuxième partie disparaisse. Cette partie qui se déteste. Parce que j'en ai marre de faire du mal autour de moi, j'en ai marre de passer pour un méchant, alors que je suis un gentil, là, tout au fond de moi. J'ai besoin de rédemption, j'ai besoin d'apprendre à m'aimer. Parce que comme ça, je pourrais aimer en retour.

En disant cela, mes pensées se dirigent immédiatement vers Curtis. C'est de lui que je parle, sans le citer. C'est aussi pourquoi j'ai si peur qu'il me fasse sa déclaration. Parce que je sais qu'une question tournera dans ma tête, lorsqu'il me dira qu'il m'aime. Comment fait-il ? Comment fait-il pour aimer le monstre que je suis ?

Cette réalisation fait à nouveau couler mes larmes. J'essaie de les arrêter, de renifler, ou de mettre violemment mes mains sur mes yeux. Mais rien ne se passe et je pleure toujours.

— Putain ! juré-je, en essuyant l'eau.

— Tu peux ouvrir les vannes sans problème, m'indique Liam. Il n'y a pas de honte à avoir.

— Mais j'ai pas le droit ! hurlé-je presque. J'ai pas le droit d'être triste ! Je suis pas la victime !

— Si, continue la voix du noir, dont je ne connais toujours pas le prénom. Tu es aussi une victime de toi-même. Parce que tu souffres d'être découpé en deux. Et tu te punis.

Je le fixe, tout brouillé. Il me sourit toujours. Je viens de leur raconter une histoire affreuse et il me sourit comme si de rien n'était. Qui est cette personne et quelle est sa magie ?

— On est tous comme toi. On se punit. C'est pour ça qu'on se retrouve ici. Pour faire enfin comprendre à notre cerveau qu'on a le droit au bonheur. Avec la personne par qui on est attiré, ou alors, en accord avec qui on est intérieurement.

Il me donne une boîte de mouchoir arc-en-ciel — mais le papier est blanc — et je le remercie. Avant de finalement lui demander son prénom.

— Je m'appelle Stanislas. Et je suis heureux de te rencontrer, Samuel.

Mon cœur se vrille dans ma poitrine. On ne m'a jamais dit ça. Qu'on est heureux de me rencontrer. Bien sûr, j'ai déjà entendu de nombreuses fois qu'on est ravi de faire ma connaissance. Mais c'est une expression de pire politesse. Je ne pense pas que les personnes croient en leurs mots. Là, ça respire la sincérité et c'est pour cela que je suis si chamboulé.

— Moi aussi. Moi aussi, je suis heureux de vous rencontrer. Tous autant que vous êtes.

***

Je sors de cette première réunion rincé mais heureux. Ça m'a fait beaucoup de bien d'en parler avec des personnes qui me comprennent. Curtis jouait ce rôle quand on a créé notre petit club des méchants de roman, mais maintenant que les sentiments sont impliqués, j'ai parfois peur de me confier à lui. Surtout quand ça le concerne.

Lorsque nous revenons dans la salle du goûter, je le cherche des yeux. Je tourne la tête dans tous les sens, pour enfin croiser ses pupilles menthe à l'eau, et me laisser plonger dedans. Et quand elles entrent enfin dans mon champ de vision, mes pieds démarrent tout seuls et je me laisse guider. Une fois en face de lui, je me jette presque dans ses bras.

Je pense qu'il en avait aussi envie, parce qu'il n'est pas surpris de mon geste. Il me serre tout contre lui, et glisse sa tête sur mon épaule. Parfois, je regrette qu'il ne soit pas plus petit que moi. J'adore quand j'ai une différence de taille avec les personnes qui sont entre mes bras. Et plus encore lorsque je les embrasse.

Il se détache de moi, mais je le retiens contre moi. J'ai quelque chose à faire. Quelque chose que j'ai refusé tout à l'heure.

— Embrasse-moi, glissé-je, sérieux au possible.

— Quoi ?

— Embrasse-moi, Curtis.

— Il y a du monde autour. Tout à l'heure, tu as dit que...

— Je sais, le coupé-je. Mais maintenant, je n'ai plus peur. Et j'ai très envie que tu m'embrasses.

Ses mains se posent sur mes joues, et il sourit. Ses pupilles sont brillantes, et ça ne m'étonnerait pas qu'il ait aussi pleuré. Je n'ai pas envie de lui demander, parce que c'est intime et qu'on a été séparés dans deux réunions différentes pour cette bonne raison.

Il monte très légèrement sur sa pointe des pieds — nous n'avons que deux centimètres de différence — et colle ses lèvres aux miennes. Le baiser est doux comme tout, et très rapide. Mon corps en demande plus, mais Curtis s'est déjà reculé. Il est peut-être mal à l'aise d'être longtemps proche de moi en public, ce que je peux comprendre. Je lui souris, et lui aussi, et je déclare.

— Je suis heureux de t'avoir rencontré, Curtis Adil Razavi.

Il sursaute. Oh. Peut-être que je n'avais pas le droit d'utiliser son deuxième prénom. Je me sens con de ne pas lui avoir demandé l'autorisation.

— Moi aussi, Samuel... euh, t'a un deuxième prénom ?

— Oui. Je vais te le dire, mais tu me promets que tu ne te moqueras pas. C'est celui de mon grand-père.

— Promis.

— Ernest. C'est ça, mon deuxième prénom.

Un rire lui échappe, mais il se reprend très rapidement, en glissant à nouveau une main sur ma joue, pour me faire oublier qu'il a failli éclater de rire en rompant sa promesse.

— Moi aussi, Samuel Ernest Robertson, je suis heureux de t'avoir rencontré.

Il me sourit toujours, et rapproche sa tête de la mienne. Il cherche mes lèvres, sans se presser. Nos nez se touchent, nos sourires se répondent. Une de mes mains se déplace vers sa nuque, l'autre est sur une joue. Et enfin, ses lèvres viennent à nouveau rencontrer les miennes.

Et pendant qu'il m'embrasse, je pense à l'intérieur de moi. Je repense à la métaphore de l'armoire que Curtis m'a racontée, quand il m'a parlé de son monstre. Et je la reprends. J'enferme le mauvais Samuel, celui qui râle, celui qui déteste Curtis pour tout ce qu'il me fait ressentir, je l'enferme à l'intérieur. Et je mange la clef. Je sais très bien qu'il ressortira, parce qu'il ne va pas se laisser vaincre comme ça. Mais pour l'instant, il reste au fond de sa fichue armoire et il me laisse profiter de la douceur de mon petit ami. Il me laisse profiter de la douceur de la vie.


Pour la petite histoire, dans la toute première version de cette histoire, celle où Samuel n'existait pas, Stanislas était le nom de l'homme permettant à un Curtis âgé d'une trentaine d'année de s'aimer et de retomber amoureux. Comme j'aimais beaucoup ce personnage, j'ai décidé de le réintégrer d'une autre manière (et puis c'est un clin d'oeil à la ville dans laquelle j'ai fait mes études)

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