Février - 3

Les Borgs : ce sont les ennemis que j'ai rencontré en premier dans cet univers géant qu'est celui de Star Trek. Aussi loin que je me souvienne, je les ai toujours aimés. Ce sont des hommes machines, qui se promènent dans des cubes géants qui naviguent dans l'espace. Leur phrase fétiche a été pendant quelques temps un jeu avec mon frère : « toute résistance est inutile, nous allons vous assimiler ». Le but de cette race, si je peux l'appeler ainsi, est de transformer chaque vaisseau qu'ils croisent en Borg, afin de rentrer dans le Collectif, une sorte de réseau géant où tout le monde est connecté. Ça ne vous rappelle pas le principe de certaines choses que l'on trouve beaucoup sur internet ? 


Lorsque je rentre chez moi, ma soeur m'attend dans la cuisine, assise en tailleur sur une chaise, un verre d'eau devant elle. Son téléphone est posé à côté, et je suis presque certain qu'elle vient de le lâcher, en entendant les clefs tourner dans la serrure. Quand elle est dans une position pareille, je sais que je vais passer un sale quart d'heure.

— Dis-moi mon petit Samuel, tu étais où ?

Je commence à ouvrir la bouche pour lui répondre, mais elle me présente une main tendue, signe que je dois me taire et écouter. Je suis vraiment dans la merde.

— Parce que figure-toi que j'ai pensé, après avoir fait le ménage au bar, que j'allais rendre une visite à mon adorable petit frère. Tu sais très bien qu'aller à Clear Lake, ce n'est pas facile pour moi, mais comme je t'aime de tout mon coeur, j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai monté cette fichue côte. Je me suis dirigée vers la porte des sportifs, et je suis rentrée. Quelques personnes m'ont reconnue, ça m'a fait très plaisir, et j'ai demandé où tu étais. Sauf que personne n'était au courant qu'il y avait un entrainement des garçons aujourd'hui, en plein samedi. Pire, c'étaient les filles qui étaient sur le terrain. Je t'ai envoyé des messages, j'ai poireauté une bonne vingtaine de minutes dans cet endroit qui me rappelle non seulement le fait que je me suis fait harceler pendant ma dernière année, mais qu'en plus, c'est le lieu d'étude de mon ex-copine, dont je viens juste de me séparer. Et avant que tu me poses la question, oui, je suis en train de faire culpabiliser. Donc, je te reposes la question, Samuel, où est-ce que tu étais ? Et sois honnête, parce que je ne supporterais un nouveau mensonge.

Je ne pensais pas avoir été aussi long chez Curtis. Mais après notre petite aventure dans la salle de bain, nous nous sommes affalés sur le canapé, devant un film de science-fiction de seconde zone, aux effets visuels que nous n'avons cessé de critiquer. Je n'avais aucune envie de décoller, mais le retour prochain de Sybil m'a poussé vers la porte. Juste avant de m'en aller, je lui ai donné un très long baiser, qui l'a laissé complètement pantois devant sa porte. J'étais fier de mon petit effet.

— Chez quelqu'un.

— Qui est-ce ?

— Je n'ai aucune envie de te raconter ma vie, Heather. C'est pour ça que je t'ai menti.

— Je connais cette personne ?

— Non.

— Tu l'as rencontrée où ?

— À Clear Lake.

Ce qui est bien avec cette réponse, c'est que ce n'est pas un mensonge, et que ça brouille les pistes. Parce qu'on ne va pas en cours ensemble, avec Curtis.

— Est-ce que tu es heureux ?

— Hein ?

Je la fixe avec des yeux ronds comme des billes.

— Je ne suis pas cruche, Sam. J'ai compris que je n'en saurais pas plus. Mais je veux juste que tu me dises si tu es heureux ou pas.

— Et si je le suis pas ?

— Je te fais un immense câlin en te rappelant que tu es quelqu'un de bien, même si tu ne le penses pas. Et que tu mérites le bonheur.

Heather est courant pour ce que j'ai fait à Rio et Miho. Elle m'a écouté tout déblatérer un soir, alors que nous étions dans le salon. C'est ce soir la que je lui ai demandé de l'aide. C'est ce soir la qu'elle m'a donné l'adresse de son association.

— Et si je le suis ?

— Je te fais un gros câlin en te suppliant de ne pas lâcher ce bonheur, parce que c'est rare dans ce bas monde. Et si...

Elle baisse la tête, et hésite. La carapace de sévérité qu'elle s'était construite s'effrite peu à peu.

— Et si cette personne est un garçon alors...profite encore plus. Chérie le le plus que tu peux. Parce que ça peut très vite disparaître. Je sais de quoi je parle.

— Tu sais que si tu continues comme ça, c'est moi qui vais te faire un gros câlin ?

Elle sourit, et sa carapace s'effondre complètement. Elle saute sur ses deux pieds et court se réfugier entre mes bras. Parfois, je me rappelle que je suis le petit frère et elle la grande sœur. Lorsqu'on nous croise, on assume souvent que c'est l'inverse. Parce que je joue au grand frère protecteur. Et qu'il m'arrive de consoler ma sœur. Comme ce soir.

— Je sais pas pourquoi j'ai fait ça, dit-elle sur mon t-shirt. Je suis tellement conne. Je me plains que je n'arrive à garder personne, que personne ne me fait réellement confiance et quand je trouve la femme parfaite, je la vire à cause de mon vieil ego.

— Ton ego est tout à fait à sa place pour moi. Tu as le droit de vouloir habiter dans un appartement que tu es capable de te louer, et non un loft au dernier étage d'une tour comme Lola.

— Oui mais...mais je l'aime.

Pour Heather, c'est la réponse à tout. Un je t'aime peut tout régler à ses yeux. Il faut qu'il soit sincère et réciproque. Je me souviens bien lorsque l'un de ses meilleurs amis nous l'a expliqué.

Ce qu'elle ne veut pas admettre a voix haute, c'est qu'il y a une raison officieuse à sa séparation avec Lola. L'officielle, c'est qu'elle ne supporte pas la capacité de la jeune femme à l'entretenir. À chaque sortie, elle a tout payé, ne laissant pas le choix à Heather. Et quand elles ont commencé à parler de septembre, quand Lola commencera ses études d'éducation à Queens, c'est parti à vau-l'eau. La française voulait qu'elles habitent ensemble, non loin de la fac, dans un appartement entièrement payé par l'argent de son père. Heather préférait un logement dans notre quartier, à sa portée. Le temps que Lola termine ses études, elle travaillerait pour payer sa part. Et une fois que la jeune femme gagnerait son propre argent en temps qu'enseignante en primaire, elle pourrait se lancer dans sa formation de fleuristerie. Lola a refusé, ne voulant pas déménager dans un quartier malfamé comme le nôtre. S'en est suivi une affreuse dispute. Et au moment où Heather est rentrée à la maison, en pleurs, et qu'elle m'a raconté tout ça, elle a ajouté quelque chose. La raison officieuse.

— J'ai l'impression qu'elle est ailleurs. Quand on est ensemble, elle n'est pas sur la même planète que moi. J'en ai discuté avec son frère jumeau, de manière très officieuse. Peut-être pour me rassurer, pour qu'il me dise que je me fais des idées. Mais il est d'accord avec moi. Elle est ailleurs. Un soir, il l'a même retrouvée en train de pleurer, roulée en boule sur son lit. Il a eu peur qu'elle soit à nouveau harcelée, et qu'elle ait recommencé à se faire du mal. Heureusement non, mais il n'a pas réussi à lui faire cracher le morceau.

— Tu penses qu'elle est amoureuse d'une autre fille et qu'elle n'ose pas te le dire ?

— Je ne sais pas. Je ne la vois pas réagir comme ça. Ça arrive de tomber amoureux de quelqu'un d'autre. Si elle m'avait expliqué, j'aurais compris. Je n'aurais pas accepté, j'aurais été brisée, mais j'aurais compris. Je pense que ce qui se cache là-dessous, c'est autre chose.

Je ne pouvais pas l'aider. Lola a peut-être mon âge, et nous fréquentons la même école, mais nous ne sommes pas proches. J'ai une peur bleue de l'approcher, parce qu'on pourrait croire des choses pour moi. Même si elle est sympa comme tout, qu'elle a le cœur sur la main, elle représente les arcs-en-ciels de l'école. Et il est hors de question que les élèves de Clear Lake soient au courant pour ma bisexualité. Je défendrais toujours ma sœur, je défendrais toujours des personnes qui se font agresser devant moi, mais si on me pose la question, je nierais.

— Je devrais lui envoyer un message, déclare soudainement Heather, me ramenant dans le présent.

— À Lola ?

— Oui. Ses amis sont en France, elle doit se sentir toute seule, la pauvre. Peut-être qu'on pourrait...

Je reconnais ce regard. C'est elle, qui se sent seule. Et pour Heather, pour régler ce problème, il n'y a qu'une seule solution. Coucher avec quelqu'un. Elle fait ce qu'elle veut de son corps, mais je ne la laisserais pas détruire son cœur comme ça. Si elle appelle Lola et lui propose ce qu'elle a derrière la tête, elle va revenir en morceau. Et une partie de jambes en l'air, à mes yeux, ne vaut pas le coup de se détruire complètement dans l'exercice. C'est une de mes pires craintes, avec Curtis. Que ça me détruise.

— Ne fais pas ça. Je t'en supplie.

— Tu crois que je vais revenir en miettes, c'est ça ?

— Je ne croie pas, j'en suis sûr. Tu l'aimes, Heather. Elle est dans ta peau, dans ton cœur, dans ta tête. C'est sur que tu vas revenir en miettes. Et ne t'avise pas de me sortir que je suis aro et que je ne sais pas ce que c'est. Je n'ai jamais expérimenté l'amour, mais je le vois parfaitement bien chez toi.

Elle capitule, signe que son envie n'était pas si forte. Pour changer de sujet, je lui propose un film, emmitouflé dans un plaid géant.

— Tu sais comment parler à ta soeur, toi.

J'éclate de rire, et je la laisse partir vers le salon, pour préparer le lecteur de dvd. J'attrape mon téléphone pour lire l'heure, mais mes yeux tombent sur autre chose. Un message. Je n'ai même pas besoin de regarder l'envoyeur. Je sais déjà qui c'est.

> C'est particulièrement bête, mais tu as oublié ta veste d'uniforme chez moi. Tu vas devoir repasser demain pour la chercher. Et pendant ce temps...

Une photographie suit le message, où je le trouve habillé de ma veste. Elle est un peu grande pour lui, mais ça fait chauffer mes joues. La position n'est pas spécialement innocente.

> On ne sort ensemble que depuis deux semaines, et tu me piques déjà mes habits ? Je te préviens, ma garde-robe n'est pas très riche.

> Désolé. Je n'ai pas pu m'en empêcher. Elle sent comme toi.

> C'est normal, je l'ai portée.

Je délaisse légèrement mon téléphone pour choisir le film avec Heather. On opte pour de l'horreur de seconde zone — décidément, c'est la journée — où les personnages sont la plupart du temps plus bêtes que leurs pieds.

— Tu as le sourire le plus débile que je te connaisse sur les lèvres. Est-ce que tu parles à cette mystérieuse personne de Clear Lake ?

— Heather...

— Oui, je sais, respecter l'intimité, tout ça, tout ça. Mais qu'est-ce que j'y peux moi, si tu ressemble à un nuage rose bonbon prêt à s'envoler ?

— Ce n'est pas vrai. Je n'ai strictement rien de ressemblant avec un nuage rose bonbon.

— Tu avais la même tête au tout début avec Daisy. Est-ce que c'est avec elle que tu parles ?

Je me crispe, et ne réponds rien. Mon téléphone me sauve d'ailleurs en vibrant entre mes mains. Je lance un regard vers Heather, qui comprend qu'elle a été trop loin, avant de fixer l'écran.

> Et maintenant, elle va être un mélange de nos deux odeurs, parce que je vais la porter aussi.

> Tu comptes dormir avec ?

> Peut-être. J'hésite entre le pyjama et le doudou, mais une part de moi n'a pas envie de la froisser.

> Pourquoi ?

Nos messages sont tellement rapides que j'ai réellement l'impression de l'avoir en face de moi, en train de répliquer. Si c'était le cas, je pense que je l'aurais déjà attrapé par le pan de ma veste pour le ramener contre moi et l'embrasser. C'est un sérieux problème d'avoir tout le temps envie de coller mes lèvres contre les siennes, à chaque fois que je le vois.

> Parce que connaissant la réputation de ton école, tu ne peux pas te ramener avec une veste toute froissée sous peine qu'on te demande de te changer. Donc, tu serais obligé de la laver, ou de l'emmener au pressing. Et nos deux odeurs mélangées ne seraient plus. Je sens que je vais la déposer sur une chaise avant d'aller au lit, pour éviter ça.

Ça m'embête vraiment qu'il soit aussi adorable. Parce que ça ne m'aide pas à un peu le sortir de ma tête. Non pas que je veuille l'oublier. Mais j'ai le sentiment très puissant qu'il y prend toute la place. Mes pensées sont focalisées sur lui, et ça me désespère.

— Bon, écoute Samsam, c'est très sympa d'avoir proposé un film, mais si tu n'es pas avec moi, pas la peine de rester. Je préfère être seule que mal accompagnée.

Je serre les dents en me tournant vers ma soeur, emballée dans sa couverture. Elle ne prend même pas la peine de me regarder, et je suis obligé de céder. Elle a raison d'être en colère, et je n'ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie en lui rappelant Lola.

— Je peux juste lui dire que...

— Oui, oui, vas-y, continue-t-elle, les joues rondes boudeuses. De toute manière, vaut mieux que tu le fasses et que tu ne stresses pas contre moi parce que tu penses que ton Mystère est fâché contre toi.

— Mystère ?

— Oui, c'est son petit nom. Vu que je ne sais pas qui s'est, je l'appelle Mystère.

— Hum hum, marmonné-je en attrapant à nouveau mon téléphone.

— Tu vas t'empresser de lui dire, je le sens venir.

— Peut-être.

Et en effet, je commence à taper.

> Bon, ma soeur pique sa crise de jalousie parce que je te réponds à toi (qu'elle appelle Mystère), et je ne me focalise pas assez sur elle. Donc je suis désolé, mais je dois couper court à notre conversation. Merci d'être si prévenant avec ma veste, et je te reprends après si tu es toujours debout, et que tu veux bien de moi.

> Bien sûr que je veux bien de toi, il y a trop de choses à dire pour que je ne saute pas à nouveau sur mon portable dès que ton film sera fini.

Je lui envoie un smiley qui rougit. Je ne suis pas du tout à l'aise avec les cœurs, alors je préfère m'en abstenir totalement. De plus, ça pourrait l'induire en erreur, ou lui faire croire que je ressens des sentiments amoureux. Même si je sens que quelque chose en moi est en train de changer, je ne peux pas du tout affirmer quelque chose comme ça. Alors, il vaut mieux préserver son vrai coeur à lui. Je n'ai aucune envie de le lui briser.

Il ne réponds pas, et je passe mon téléphone en mode ne pas déranger, afin que je ne sois pas tenté de regarder les notifications qui s'affichent. Je le dépose sur la petite table qui jouxte le canapé, et je me resserre contre Heather.

— Voilà. Je suis tout à toi maintenant.

— Parfait. Alors prépare ta langue de vipère, les personnages sont arrivés dans la maison où je suis certaine que tous les meurtres vont avoir lieu. 

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