Décembre - 6

Dark Maul : Méchant qui est tellement méchant qu'il en est devenu tout rouge et tout pointu. Est une allégorie vivante des couleurs de l'Empire Galactique. Se bat avec un sabre à double lame, ce qui le rend absolument badass (seul compliment que je lui ferais). S'est retrouvé coupé en deux par notre réponse D favorite (j'ai nommé Obi-Wan Kenobi), mais apparement, dans l'univers de Star Wars, ça ne signifie pas forcément la mort. 


Nous entrons sous une petite sonnerie, qui fait se relever comme une flèche une serveuse qui était accoudée à une table, zonant sur son téléphone portable. Elle regarde dans notre direction et sourit de toutes ses dents en reconnaissant mon blond d'accompagnant.

— Mais c'est qu'on est tout beau, le BurgerFast. Laisse-moi deviner. Je te sers comme d'habitude ?

— Exactement, Aurora. Et je sors du bal de mon école, c'est pour cette raison que je suis tout beau, comme tu dis.

Elle doit avoir la cinquantaine, des cheveux platine qui ne sont plus de première jeunesse, mais des yeux bleus à couper le souffle, savamment maquillés d'un grand trait de khôl noir. Elle me fixe avec un regard curieux, et finit même par se tourner vers moi.

— Et ton bel accompagnant, qu'est-ce qu'il prendra ?

— En quoi consiste le menu habituel de Sam ?

— Notre fameux burger, une tonne de frites et un grand Cola sans glaçon parce que le pauvre petit est sensible des dents.

Le pauvre petit en question lui tire la langue comme un serpent pour toute réponse, et j'avale un rire.

— Eh bien, je prendrais la même chose, mais avec beaucoup de glace. Je ne suis pas sensible, moi.

— Ton ami est sympathique, je sens qu'on va bien s'entendre tous les deux ! s'amuse la serveuse en me faisant un clin d'œil. Allez vous installer au bar, j'vais aller réveiller la cuisine. On n'a pas l'habitude d'avoir des clients un vendredi soir, alors, ça va lui faire tout bizarre de devoir se mettre au travail.

Elle semble particulièrement heureuse à cette perspective, et rit dans sa barbe inexistante, avant de nous prévenir que nos commandes ne devraient pas tarder à arriver. Nous nous asseyons donc au bar, qui brille de mille feux. Comme nous sommes parfaitement seuls, nous déposons nos vestes directement sur le comptoir. Je ne me donne même pas la peine de sortir mon téléphone portable de ma poche. Je ne l'ai pas consulté depuis le bal.

Samuel, par contre, est apparemment en train de prendre une photographie de son environnement, et s'arrête juste avant que j'entre dans la lentille.

— C'est une vidéo que j'envoie à ma sœur. Tu veux en être ou pas ?

Je ne me pose pas de questions et je réponds presque immédiatement.

— Avec joie.

Je me rassieds un peu mieux sur la chaise de bar, et bombe le torse. Samuel siffle légèrement entre ses dents en me voyant positionné ainsi.

— Quel charmeur, déclare-t-il, avant de me braquer de son appareil.

Je souris avec toute la lumière dont je suis capable lorsqu'il m'offre ce compliment. J'hésite presque à passer la main dans mes cheveux rouges, mais je me ravise au dernier moment. Il va croire que je drague sa sœur, alors que ce n'est pas du tout mon attention et que de toute manière, c'est inutile.

— Pas besoin d'en faire des caisses, tu sais. Heather est lesbienne.

— Qui te dit que c'est pour elle que je fais tout ça ?

J'ose même le clin d'œil. Quitte à rentrer les deux pieds dans le plat, autant y aller à fond. Mon vis-à-vis écarquille les yeux, mais se ravise — malheureusement — vite. Ce n'est pas la première fois qu'il a cette réaction suite à l'une de mes paroles, comme s'il laissait ses sentiments s'exprimer quelques secondes, avant de les enfermer à nouveau dans une boîte. Est-ce à cause de ce qu'il a fait pendant le bal ? Je n'en ai aucune idée, et j'avoue que ce n'est pas vraiment le moment de poser la question.

— C'est envoyé, réplique-t-il en rangeant son téléphone.

Le silence qui s'installe entre nous est coupé par la porte de la cuisine qui s'ouvre, et la serveuse qui en ressort.

— Je te préviens, déclare-t-il soudainement, avec un immense sourire aux lèvres, ce qui va se passer ici est une véritable preuve d'amitié envers toi. Après ça, tu seras obligé de me considérer comme ton ami.

Nos commandes sont déposées sur la table. L'assiette est très généreuse, avec des frites qui partent dans tous les sens et qui sortent de la friture, sans pourtant dégouliner d'huile. Le verre de Cola est rempli à ras bord et le burger est riche à souhait. Je l'observe de toutes les coutures, essayant de trouver un moyen de le manger proprement. Malheureusement, les couverts ont carrément été oubliés dans la distribution. Nous sommes obligés de nous nourrir avec nos mains.

— À la une.

Mes yeux se relèvent vers Samuel, qui attrape doucement son pain.

— À la deux.

Il le place devant sa bouche et j'attends, comme s'il allait me révéler un secret très bien enfoui dans sa poitrine.

— À la trois.

Et d'un coup, il mord dans le sandwich. Le ketchup et la sauce orange dont le nom m'échappe coulent de partout et une tomate glisse même sur ses doigts avant d'atterrir sur son assiette. Je reste silencieux quelques secondes, puis j'éclate de rire. C'est franc et généreux et je me fiche complètement de faire trop de bruit. De toute manière, nous sommes pratiquement seuls.

Je ris, c'est tout.

— Je t'avais prévenu. Maintenant, tu es obligé de devenir mon ami pour me promettre de ne jamais répéter ça. Tu comprends mieux pourquoi je n'ai amené que ma sœur ici ?

— Totalement, dis-je, en m'esclaffant toujours comme une otarie dans son bassin.

— Franchement, j'aimerais t'y voir, continue Samuel en me désignant mon assiette qui n'a pas encore été touchée. Rira bien qui rira le dernier.

— Okay. Je veux bien jouer le jeu. 

J'attrape le burger de mes deux mains et le fixe. Il a l'air vraiment délicieux, même si je sais maintenant que je risque fortement de m'en mettre partout. Je croque dans le pain en essayant de garder tout en place, mais ce n'est pas très efficace. Les cornichons s'échappent, ainsi que de très nombreuses feuilles de salade. Je peux aussi sentir la sauce sur mes babines, qu'il faudrait que je lèche. J'avise la serviette qui est à mes côtés et je commence à tapoter ma bouche pour supprimer tous signes du crime.

— Et voilà, nu vu ni connu, déclaré-je une fois mon travail terminé.

— Peut-être, mais tu vas devoir continuer à manger. Et puis il te reste une petite trace.

Je le fixe, comme s'il était un miroir dans lequel je peux m'observer. Je hausse les sourcils parce que je ne comprends pas où se trouve cette fameuse trace. J'appuie un doigt sur le coin droit de ma bouche.

— Là ?

— Non.

Je glisse de l'autre côté et recommence mon petit manège.

— Ici alors ?

— Non plus.

Le visage de Samuel est tordu de rire, et pose une main sur sa joue, pour y reposer sa tête. La lumière de la pièce joue avec son sourire et j'essaie de ne pas réagir.

— Sur le menton alors ?

— Absolument pas, rit-il encore.

— Dis, tu comptes m'aider ou continuer à te moquer de moi comme tu le fais ? On croirait que tu y prends un certain plaisir.

— Peut-être.

Il se lève légèrement de son tabouret de bar et se penche vers moi. J'écarquille les yeux alors qu'il approche de mon espace personnel. Il colle un doigt plié sur l'os de ma mâchoire, et le pouce sur ma joue. Il efface la trace d'un coup et sourit, tout en restant proche.

— Et voilà, murmure-t-il. Disparue.

Il revient à sa place comme si de rien n'était, alors que ça remue de partout en moi. Il était à quelques centimètres de ma bouche, et s'il l'avait voulu, il aurait clairement pu en faire plus. Nettement plus.

J'essaie de ne pas le fixer avec des yeux ronds pour éviter de lui faire peur ou de nous lancer dans des questions trop compliquées pour cette petite soirée. Je pourrais mettre ça sur le dos de l'alcool — je suis moi-même un peu engourdi et dans un léger brouillard — mais je n'en ai pas envie. Même si nous n'avions pas bu, je pense qu'il l'aurait fait.

Je tente donc de calmer ce qui se passe en moi, en remerciant la faible lumière du bar qui ne me vise pas. Samuel continue à m'observer, la tête dans la paume, en grignotant quelques frites. J'ai l'impression d'être sondé et je ne sais pas si j'adore cette sensation ou si elle me met extrêmement mal à l'aise. Je décide donc de l'imiter en tout état de cause, et je commence à avaler frite sur frite, tout en me plongeant dans ses iris noisette.

Quand nous étions au bal, je me suis demandé à quoi elles pouvaient ressembler à la lumière du jour, lorsqu'un rayon de soleil les traversait. J'ai une partie de ma réponse. Elles brillent de mille feux, et adoptent cette couleur rougeâtre, tout en restant très claire. C'est magnifique, et je ne sais pas s'il se rend compte de l'effet que ça me fait, chaque fois qu'il me regarde comme ça.

Le silence s'installe entre nous et je l'apprécie de plus en plus. Je me souviens, au moment où je sortais avec Valentin, nous avons eu une discussion sur les blancs, sur l'absence de bruit dans une conversation ou juste une après-midi passée ensemble. Il m'a avoué, avec une toute petite voix, qu'il n'aimait pas ça. Qu'il avait le sentiment d'être de trop, et que l'impression que je donnais, c'était que je me plaisais dans le silence. Pire, que je sortais avec lui. C'est certain que c'était moins contraignant que devoir se promener dans la rue avec lui, ou assumer d'être en couple avec un autre garçon.

Il y avait une petite part de vrai là-dedans. Je me complais réellement dans le silence. Je l'apprécie particulièrement, parce que pour moi, il est aussi important que les mots. Quand je me taisais, pendant nos après-midi avec Valentin, je ne faisais que profiter de sa présence. La plénitude de savoir qu'il était là, à côté de moi, et que je n'avais qu'à tendre la main pour le toucher. Ici, c'est encore différent. Notre discussion, avec Samuel, c'est le silence. Il parle pour nous, dit les mots qui sont trop gros pour être prononcés, annonce les futures phrases qui nous foutent les jetons. Révèle simplement à l'autre qu'il est beau. Le silence, pour moi, c'est ça. Et justement pour cette qualité immense que je l'aime tellement.

Samuel finit ses frites et semble déçu. Je suis presque certain que ce n'est pas qu'à cause du bon goût des pommes de terre. Mais je n'oserais jamais m'avancer, de peur de ruiner complètement l'ambiance. Il reprend donc, sans un mot, son burger et croque dedans. Les pertes sont plus minimes que la dernière fois. Il arrose tout ça d'une longue gorgée de cola, toujours en silence et en ne me lâchant pas des yeux. Le moment n'est pas terminé, pour mon plus grand plaisir. Je l'imite donc, en prenant garde à ne pas désintégrer complètement mon pauvre burger. Je pousse les tomates pour qu'elles restent en place et je peste contre le manque de couteau qui me permettrait de mieux étaler la sauce orange sur le pain.

— Vas-y avec tes doigts.

Le silence est coupé par cette phrase, tout sauf innocente. Okay, on en est déjà à l'ultra-subjectif ? Bien, je ne vais pas me faire prier. J'ouvre donc le burger en deux, attrape la sauce avec un index habile et commence à bien l'étaler sur le bun. Je sens le regard chaud de Samuel sur moi, mais je fais comme si de rien n'était. Je continue mon petit manège sur l'autre partie du pain, pour que tout soit bien égal, et je reconstruis le tout. Puis, relevant les yeux vers mon vis-à-vis, je me lèche le doigt. Il voulait du subjectif ? Le voilà servi. Ce n'est pas parce que je n'ai pas beaucoup d'expérience avec les garçons que je ne sais pas faire. En plus, cette façon d'agir ne dépend absolument pas, à mon humble avis, du genre de la personne avec qui je sors.

Je fais exprès de ne pas bien lécher — j'aurais pu enlever la sauce d'un seul coup de langue — pour revenir et observer l'effet que ça fait à mon vis-à-vis. Je devine le rouge sur ses joues, et pire, je perçois une agitation sur sa chaise. J'aimerais qu'il pousse sur ses pieds pour me rejoindre et réaliser ce qui est en train de marteler dans son cœur — et sans doute à un autre endroit plus stratégique. Ça pourrait me mettre mal à l'aise, étant donné que je me hais et que je déteste ce genre d'attirance. Mais non. J'en suis tout émoustillé à l'idée de lui faire de l'effet. Avec les filles, ça a toujours été plus simple et ça m'a conforté que c'était bien et normal, ce que je faisais — les draguer, les chauffer en bonne et due forme ou aller plus loin.

Mais là, aujourd'hui, après ce bal désastreux et ma rupture avec Cassie, après la création du club de méchants anonymes, de la course rouge pour rattraper le bus, après le trajet de train, les pieds sur le fauteuil, j'en ai envie. J'ai envie de tenter le truc. Pas de me prendre la tête. Juste... profiter du moment présent.

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