Décembre - 3 / TW
Jabba le Hutt : larve particulièrement immonde, chef d'une mafia locale sur la planète Tatooine où il y a nettement trop de sable au goût de n'importe qui. Est fortement sexiste, puisqu'il apprécie les femmes en petite tenue qui dansent pour lui. Apprécie les spectacles où les gens se font bouffer devant lui, par différentes bestioles pas spécialement sympathiques d'ailleurs. Va se faire trouver la peau comme un gruyère.
TW : évocation dans un dialogue d'une agression raciste et de harcèlement scolaire
Il écarquille les yeux, et je termine ma petite tirade en souriant. Je suis sincère, et j'ai les images qui défilent dans ma tête. Ça revient, tout doucement. Il nous a tous menés en bateau pendant ce match. Il a joué collectif, il s'est appuyé sur ses coéquipiers, sur leur force. Il a été un excellent joueur, et la seule chose dont il a écopé, c'est une exclusion du terrain.
— Tu parles comme...
Il baisse les yeux, honteux. Je sais à qui je ressemble. Au garçon à qui il a fait des trucs horribles. La première ou la deuxième fois, je n'en ai aucune idée, et à vrai dire, je m'en moque complètement.
— Excuse-moi.
— T'as pas à le faire. Je suis content que t'aies dit ça, et tu ne pouvais pas savoir. Mais t'inquiète. Je ne vais pas te sauter dessus. Ma dignité et ma décence ne sont pas totalement mortes.
Je ne peux pas m'empêcher de pouffer, alors que ça n'a rien de drôle. Je me sens con, sur le coup, et pour ne pas changer. Mais bon, je ne peux pas me retenir de rajouter quelque chose.
— Et moi, je ne vais pas me mettre subitement à t'insulter de tous les noms parce que je crève de jalousie et que je me déteste du plus profond de mon âme.
— Encore heureux ! rétorque-t-il immédiatement. Je t'emmène manger dans mon QG quand même.
Je souris, mais à l'intérieur, je me sens comme dans Vice-Versa, ce film Pixar. Les personnages principaux sont les émotions d'une fillette de dix ans, et le scénario raconte le voyage de Joie et Tristesse dans le centre du cerveau et de ce qui fait notre personnalité. Le Dégout, la Peur et la Colère sont également représentés. Et là, présentement, je suis un mélange entre ces deux dernières. Parce que je sais très bien ce que ma mémoire est en train de me faire. J'ai le droit à la retransmission de mon premier rendez-vous avec Valentin. Lorsque nous sommes allés au festival de musique, qui se tient tous les ans dans les rues de Belfast. Au début, ce n'en était même pas un. Sauf que, et lui, et moi, nous voulions que ça soit le cas. Et là, j'ai l'impression que c'est la même chose. Un QG, c'est quelque chose de secret. C'est quelque chose qu'on montre à ses amis proches, ou à un rendez-vous, justement. Mis à part ma sœur, je n'ai jamais amené personne dans le salon de thé que j'affectionne tout particulièrement, dans la vieille ville. Parce que c'est mon QG.
J'essaie de garder mon calme à l'extérieur et de continuer à sourire. Je ne sais pas si je fais bonne figure ou pas, mais Samuel se remet à parler, sûrement parce que le silence est trop pesant. Je le comprends, je ferais bien pareil. Mais connaissant ma saleté de langue, je risque de lancer quelque chose que je regretterais sans doute sur le coup.
— Je vais enfin avoir un point de comparaison sur le burger que tu vas manger. Voir si je suis biaisé ou non.
— Un point de comparaison ? C'est à dire ?
— Il n'y a que ma sœur qui connait cet endroit, donc il n'y a qu'elle qui l'a goûté avec moi. Je vais pouvoir vous mettre en parallèle. T'es ma seconde opinion, si tu préfères. Je m'excuse pour mon piètre anglais, mais tu comprends, je suis footballeur, je perds je ne sais combien de neurones à chaque tête que je fais. Je ne fais que suivre le cliché qu'on est bêtes comme nos pieds.
Je ris à nouveau, parce que je suis certain que ce n'est pas vrai, tout en évitant de penser à ce qu'il a dit. C'est exactement ce à quoi j'ai songé précédemment. C'est la même chose pour moi, avec mon propre QG. Il n'y a amené que sa sœur. Je suis un privilégié.
— Il va falloir que je te rende la pareille. Mais par contre, si on continue sur les clichés sur les joueurs de foot, je me doute que tu apprécies grandement le thé à la menthe.
Il m'offre un sourire en coin et penche légèrement la tête.
— Tu es un footballeur aussi, si je ne m'abuse. Alors ça ne marche pas vraiment.
— Oui, mais je suis Pakistanais. Ça fait partie de ma culture, même si j'ai quitté le pays à mes trois ans.
L'inclinaison de sa tête augmente, et je comprends que j'en ai trop dit, ou pas assez. Je vais sans doute devoir continuer, et je sens que ça ne va pas être drôle. Parce que je vais devoir parler de ma famille, ce qui n'est pas forcément une partie de plaisir.
— J'ai perdu ma mère lorsque j'avais un an et demi. Une rupture d'anévrisme, très soudain. Il n'y avait rien à faire pour la sauver, et mon père a beau eu faire venir les meilleurs médecins en urgence dans notre maison, elle était morte. Il en a voulu à la Terre entière, et il n'a jamais réussi à faire le deuil. Alors, quand un poste de diplomate s'est présenté ici, il a saisi l'occasion et on a tous déménagé : ma sœur, mon frère et moi. Moi, je ne me souviens plus vraiment de ma vie dans mon pays natal. Ce n'est pas le cas de Rahim, mon aîné. Lui, il avait neuf ans quand on est partis. Il avait ses amis, son école, tout son monde. Il refusait d'apprendre l'anglais, alors que je m'y suis rapidement mis. Il détestait l'uniforme scolaire, alors que je remuais des drapeaux britanniques lors de l'anniversaire de la Reine ou de l'apparition de la famille royale. J'étais intégré, bien trop à ses yeux. Alors il a commencé à me traiter de faux Pakistanais. À me dire que j'étais un traitre, que je n'avais pas le droit de parler arabe à la maison. Il ne m'appelait plus que par mon nom anglais — Curtis — et non par celui que notre mère avait choisi pour moi. Je pense que... que si je me déteste, c'est un peu de sa faute.
Je baisse les yeux. Je m'en doutais que j'allais partir aussi loin. C'est toujours comme ça lorsqu'on évoque le Pakistan avec moi. Habituellement, je me braque. Là, c'est sorti. C'est comme avec mon coming-out. C'est facile, parce que c'est un inconnu et que je suis presque certain qu'après cette soirée, on ne se reverra pas.
— Je me suis construit toute une personnalité autour du fait que je ne suis pas un vrai Pakistanais. Alors, j'ai nié ma couleur de peau, j'ai nié celle de mes cheveux, j'ai nié mon prénom, j'ai nié ma langue natale. Et quand... quand j'ai rencontré Eliot, que j'ai vu qu'il était à l'aise dans ce mélange entre la culture anglaise et celle du Japon, qu'il parlait japonais chez lui, j'ai cru que c'était possible. Je suis devenu ami avec lui, et je l'admirais. Parce que son anglais était parfait, mais qu'il n'oubliait pas ses origines pour autant. Que parfois, j'avais grand plaisir à les entendre discuter en japonais aux repas, avec toute sa famille. Ils s'excusaient toujours, avec ses parents et son frère, parce que je ne comprenais rien. Mais j'en avais rien à faire. J'étais bien. Je voulais être comme lui. Et puis... les brimades ont commencé à l'école.
Je baisse les yeux, et je respire fort. Mes mains se serrent contre la barre du bus, sur laquelle je suis censé prendre appui.
— Au début, ce n'était rien. On était en primary 5, on avait huit ans. Juste des petites remarques, sur le fait que ma peau n'était pas de la même couleur que la leur, que mon nom de famille était bizarre par rapport aux leurs. Eliot a également eu le droit à ce traitement. Ensuite, ils se sont posé des questions sur nos prénoms. Pourquoi on se prénommait Eliot et Curtis. Alors ils ont cherché. Je ne sais pas comment ils ont fait, mais ils ont commencé à nous appeler différemment.
Je serre encore plus la barre. Je pourrais presque me blesser, mais je n'en ai rien à faire. Je regarde toujours mes pieds.
— Je... je comprends que dire ça comme ça, ça pourrait te faire penser que j'en ai honte. Que je n'aime que Curtis. Mais ce n'est pas vrai. Seulement... il n'y a que les personnes qui sont proches de moi qui ont le droit de m'appeler par mon prénom arabe. Principalement ma sœur, en fait. Et je savais... je savais que ce n'était pas... que c'était pour se moquer qu'ils faisaient ça. Pour nous faire sentir qu'on n'était pas à notre place. Et comme on ne répondait pas, ils ont continué.
Cette fois-ci, je relève la tête d'un mouvement, et je fixe mon vis-à-vis.
— Le premier qui nous a fait un sale coup, c'était censé être un ami. Il nous a enfermés dans les toilettes. On nous volait nos goûters. On nous balançait des horreurs. Que les Américains auraient dû détruire le Japon avec leurs bombes nucléaires. Que j'étais un terroriste. Et nous, on serrait les dents. Parce qu'on avait beau se plaindre à nos professeurs, personne ne faisait rien. Et on n'osait pas en parler à nos familles. On se l'était promis, au fond de la cour de récréation. De montrer qu'on était grand, de ne rien dire à nos parents et de régler ça par nous-mêmes. La pire idée qu'on ait jamais eue, si tu veux mon avis.
Et contre toute attente, les larmes viennent poindre à l'horizon. Parce que j'arrive à la partie de l'histoire la plus horrible.
— Je ne sais plus comment ça s'est passé, dans quelle circonstance, mais... mais le noyau principal de nos harceleurs m'a approché. Je crois... ouais, c'est ça, Eliot était malade, et j'étais seul. J'avais voulu sauter l'école, mais il m'avait convaincu au bout du fil que je pourrais les affronter, et qu'il comptait sur moi. Et... ils sont venus me voir. Je pensais vraiment que j'allais encore une fois m'en prendre plein les dents, mais... non. Rien. Ils m'ont souri, m'ont proposé de me ranger avec eux, et de... déjeuner avec eux. Tu te rends compte, pour un enfant de onze ans, ce que ça fait, de manger avec les populaires ? Ils racontaient qu'ils hésitaient à passer les examens de Clear Lake, ou d'une autre Grammar School, et moi je les écoutais, avec les oreilles grandes ouvertes. Parce que j'avais le sentiment d'être accepté.
Je renifle, parce que je me sens con. C'est ça. Je suis un con depuis mes onze ans. Je n'ai pas menti tout à l'heure, au bal.
— Le lendemain, Eliot n'était toujours pas de retour, et ils sont revenus vers moi avec une proposition. C'était presque les vacances de Noël, tu comprends, et ils voulaient frapper fort. Ils m'ont avoué qu'entre nous deux, c'était moi qu'ils préféraient, parce que je n'étais pas un monsieur je-sais-tout, comme Eliot. Je gardais ma langue dans ma poche. Donc ils souhaitaient se venger, parce qu'ils en avaient marre de se faire tout le temps remballer. Ils avaient prévu un truc, mais ils avaient besoin de moi. Ils m'ont expliqué d'abord ce que j'aurais si j'acceptais.
Je sens une larme couler, et je l'efface avec rage de ma joue. Je n'ai pas le droit de pleurer, parce que je ne suis pas une victime dans cette histoire. Je suis une saleté de bourreau.
— Une place parmi eux. Le Graal. Je ferais enfin partie de leur petit groupe, et je serais invité à tous les goûters d'anniversaire possibles et imaginables. J'aurais de vrais amis sur qui compter, et je serais populaire. Plusieurs filles de la classe m'ont même avoué, avec ce rougissement mignon, mais parfaitement hypocrite qu'elles me trouvaient craquant, et que ça pouvait être chouette de faire une sortie avec moi. J'étais extatique. Je n'en croyais pas mes oreilles. Tout ce que je voulais, l'intégration, tout m'était offert sur un plateau d'argent. Je n'avais qu'à accepter leur proposition.
Je me rapproche, comme pour observer ma figure pathétique dans les yeux de Samuel. Il est parfaitement silencieux, et écoute mon histoire avec attention. J'ai l'impression de parler depuis mille ans. Quel était le sujet de départ déjà ?
— J'ai dit oui sans hésiter. Sans connaitre la nature de mon futur acte. J'ai trahi mon ami, mon meilleur ami, la personne qui a toujours été là pour moi, la personne qui ne m'a jamais rejeté, même quand j'ai couru jusque chez lui pieds nus parce que mon frère m'avait balancé des choses horribles. Je n'ai même pas pensé à lui. À ce que ça pourrait lui faire. J'ai dit oui. Et le vendredi des vacances, quand Eliot est enfin revenu, le sourire aux lèvres et guéri de sa grippe, je l'ai amené dans une salle, pour que nous révisions soi-disant toutes les notions qu'il avait manquées.
Je reprends ma respiration, et je continue.
— Dans cette salle, il y avait nos petits camarades. Toute notre classe. Les plus costaux, ceux qui faisaient déjà du rugby l'ont chopé par les pieds et le dessous des bras, et ils l'ont soulevé vers la porte arrière de la salle, qui était un local pour le club de jardinage. Ça donnait sur le jardin, mais surtout, sur les grandes poubelles de l'école. Le ramassage datait du matin, alors on savait qu'il n'y avait plus de sachet. Certains ont été chercher un escabeau dans la réserve du jardinier, et Eliot a été jeté dans la poubelle. Moi, j'ai tout regardé, j'ai ri comme les autres et je l'ai fixé bien droit dans les yeux, en lui montrant que lui et moi, nous n'étions pas les mêmes personnes. Que moi, j'étais un roi, et que lui méritait de finir au fond d'une poubelle.
Je respire rapidement, comme si je venais de courir un marathon. En soi, mon histoire n'est pas terminée, et je ne sais même plus où je voulais arriver, en la commençant. Mais je m'en moque. Je n'ai plus envie de parler. Je suis éteint.
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