Décembre - 2
Palpatine : tête pensante des méchants de la première saga Star Wars, pas spécialement attirant, n'aimerait pas croiser un paratonnerre, a fini au fond d'un trou, était censé être mort, balance des éclairs violets.
— Franchement, ma chère, je ne vois qu'une chose à faire pour toi. Me quitter. Tu pourras peut-être te trouver quelqu'un dans la salle. Je suis certaine que tu n'es pas la seule personne qui a été abandonnée par son rendez-vous.
— Quoi ? Tu m'largues ?
— Ah non, ce n'est pas ça. Je te demande à toi de me larguer moi. Ce n'est pas pareil.
Elle écarquille les yeux et fait de grands gestes. Je suis un monstre à me moquer ainsi d'elle. Un regard rapide vers Samuel m'indique qu'apparemment, c'est une réaction de méchants de romans. Il a mis sa bouche contre la manche de sa veste, et je l'entends pouffer tout doucement.
— Mais la finalité est la même !
— Certes. C'est vrai. Je n'y avais pas pensé.
Je suis tout sauf un imbécile. Pour dire, j'étais systématiquement classé deuxième à nos examens, juste derrière soit Eliot, soit Sheridan, suivant l'année. Mais ici, dans cette situation, c'est tout bonnement gratifiant de jouer à celui qui ne sait strictement rien.
— Espèce de con !
Là, Samuel n'en peut plus. Il éclate de rire, bien fort, et c'est extrêmement difficile de ne pas le suivre. C'est peut-être l'alcool que nous avons bu qui parle à notre place, mais bon sang, ce que ça fait du bien.
— Ah, merci, ça me va droit au cœur. Vraiment.
Elle fronce les sourcils, m'offre un bruit de pure colère et rentre en furie dans le bâtiment.
— Bon, je crois que je suis célibataire maintenant, déclaré-je, en observant la porte se refermer après le passage de Cassie.
— Ça a l'air de te toucher, dit donc.
— Ce n'est pas une grande perte. On ne s'appréciait pas vraiment. Je pense qu'elle est restée avec moi pour avoir un cavalier au bal. Et moi, parce que ça fait bien d'avoir une copine. Je devrais sans doute arrêter, dans la mesure où je passe vraiment pour un con de service.
Je souris toutes dents dehors en prononçant cela, et nous éclatons à nouveau de rire. Oui, définitivement, je décrète officiellement que Samuel est mon nouvel ami. C'est le point lumineux de cette soirée catastrophique.
— Bon, ce n'est pas le tout, mais j'ai réellement froid. Je vais aller chercher ma veste à l'intérieur.
— La réunion du cercle des méchants anonymes est terminée alors ?
Je me plonge dans ses iris noisette. Elles ne sont peut-être pas comparables à la magnificence d'un regard bleu ou vert, mais elles ont leur propre beauté. Et je ne peux pas m'empêcher de me demander à quoi elles ressemblent lorsqu'il fait jour, et qu'un rayon de soleil les traverse.
— Non. À moins que tu souhaites rentrer chez toi parce que tu n'en peux plus.
— Non merci. Ma sœur reviendra à la fin du bal avec sa copine et je n'ai pas spécialement envie d'assister à un concert, si tu vois ce que je veux dire.
— Oh, je comprends. J'ai aussi une sœur qui a un petit ami, et qui doit sans doute profiter de la soirée seule que je lui offre en étant ici. Je redoute sa colère si je rentre si tôt.
Ses lèvres s'étirent, et j'ose croire qu'il est content qu'on ne se sépare pas tout de suite. La lumière est en train de grossir dans mon esprit.
— Je connais un restaurant qui fait les meilleurs burgers de tout Belfast, et qui est ouvert une bonne partie de la nuit. Ça te dit d'y aller ?
— Avec grand plaisir.
Il se lève du banc, et fait mine de m'attendre devant la porte du gymnase. Je rentre dans le bâtiment, et la chaleur environnante m'envahit immédiatement. Ça change totalement de l'extérieur, et ma chemise est amplement suffisante. Je retrouve mes affaires très rapidement, mais je découvre que ma veste a été décorée par de l'huile du mauvais poulet servi au buffet. Je soupire fortement, trouvant cela très gamin de la part de Cassie de se venger de la sorte. Surtout que je remarque qu'elle est en train de discuter avec un jeune homme, bien plus grand qu'elle. Elle lui touche les biceps, et je suis prêt à parier que demain matin, ils seront encore ensemble, débraillés et satisfaits. Je grimace et souhaite bonne chance à ce pauvre garçon. Cassie a des goûts très étranges.
Lorsque je ressors, une petite pique d'appréhension vient grignoter mon cœur. Je me sens pathétique, mais pas dans la nuance dont nous avons parlé plus tôt dans la soirée. Je ne devrais pas avoir peur que Samuel ne soit plus là, parce qu'il semble tout aussi paumé que moi, et c'est lui qui a proposé la sortie. Ce n'est pas parce que mes propres amis m'ont déjà fait le coup plusieurs fois que ça va forcément recommencer.
Ma poitrine s'agite de soulagement quand je capte les iris noisette du joueur de foot. Je ne peux pas m'empêcher d'étirer mes lèvres, et ça ne lui échappe pas. Pourtant, il ne fait pas de remarques, et me rend mon sourire avec la même intensité. J'enfile ma veste, tout en grimaçant à l'immense tâche d'huile qui se trouve sur le bas du vêtement. Elle ne l'a vraiment pas raté. Heureusement que je ne l'ai pas loué, où je pourrais faire une croix sur la caution. Je sens que je vais avoir une grosse facture chez le teinturier — c'est Sybil qui va être contente.
— Bah alors, tu ne sais plus manger ? rit mon vis-à-vis en se penchant vers le gras qui décore le tissu.
— Vengeance personnelle de Cassie. Je pense qu'elle n'a pas fait exprès de lâcher plusieurs cuisses de poulet sur ma veste, qui n'avait strictement rien demandé.
— C'est puéril.
— À qui le dis-tu ?
Le jeune homme pouffe et se relève de sa position. Je remarque qu'il est effroyablement proche, pour la première fois de la soirée. Pourtant, nous étions presque collés sur le banc, et nous avons partagé un goulot d'une flasque. Pourquoi diable mon cerveau se réveille-t-il maintenant ? Ce n'est pas Cassie qui le gênait, j'en suis certain.
Nous nous fixons pendant quelques secondes de trop, avant de reprendre la marche. Bon. Je ne suis pas le seul à être troublé, ça me rassure presque. Je ne comprends simplement pas le timing de mes hormones ou de ce qui fait que je me rend compte que mon nouvel ami n'est pas du tout désagréable à regarder.
— Tu n'aurais pas une voiture, par tout hasard ?
— Je n'ai pas encore dix-sept ans. Je suis de fin décembre, le vingt-neuf pour être précis. Alors, en soi, je sais que j'aurais un moyen de me véhiculer, et mes amis sont effroyablement pressés de ne plus être obligés de prendre le bus et de monter avec moi, mais présentement, je n'ai pas le droit, parce que je n'ai pas le permis de conduire. Désolé, je crois qu'on va devoir marcher jusque'à ton restaurant.
Il grimace franchement, et m'attrape tout d'un coup le bras. J'écarquille les yeux, et il a vite fait de s'expliquer.
— Ça ne suffira pas. Il n'y a pas grands trains à cette heure-ci pour la banlieue où je souhaite aller, et les bus, c'est pareil. Donc si on ne veut pas rater le train, il va falloir courir pour attraper le bus. Tu me suis ?
J'observe sa main et hoche positivement la tête. Je suis sportif, et lui aussi, comme nous jouons tous les deux au football. Ça ne devrait pas être un problème, et tant pis pour l'état de mes habits. De la graisse, de la transpiration, rien ne me fait peur. Enfin, je vais tout de même éviter d'aller me rouler dans des substances plus que discutables. Je n'en suis pas à ce point-là.
— Bien. Alors on y va !
Et il commence à courir comme s'il était poursuivi par son pire cauchemar. Bon sang, ce qu'il est rapide. Ça ne devrait pas me surprendre, parce qu'on a déjà fait des matches ensemble, en tant qu'adversaire. Comme nous sommes aux mêmes postes — en défense — on s'est forcément retrouvés l'un en face de l'autre. Mais la vitesse à laquelle il traverse les rues, me tenant toujours par la manche, me subjugue. Si nous étions dans un film, je crois que notre petite scène serait en ralenti. Par contre, comme apparemment nous sommes des méchants de romans, je pense qu'entre nos pages, nous aurions droit à la description de notre environnement en mouvement, à cause de la vitesse à laquelle nous avançons. Dans l'imaginaire collectif, les vilains sont souvent associés aux couleurs chaudes. Il suffit de voir dans Star Wars. Les nuances prédominantes de l'Empire Galactique sont le noir... et le rouge. Cette nuance se retrouve également sur les sabres lasers, en opposition au bleu ou au vert des Jedis. Lorsque j'ai regardé la trilogie originale pour la première fois, j'ai décrété que ce n'était pas juste. Pourquoi les méchants ont le droit à une couleur, alors que les gentils en possèdent deux ? Pourquoi ne pas avoir rajouté le orange, ou même le jaune ? Au pire, le rose ? Non. Les pauvres Sith doivent se contenter du seul rouge, qui fait qu'ils sont immédiatement reconnaissables. Les gentils sont encore une fois privilégiés.
Pour en revenir à mon environnement, je ne dirais pas que la dominante est rouge. Non. Elle est jaune, et blanc froid, en raison des lumières de Noël qui ont été accrochées dans les rues. Ça crée un assemblage plutôt sympathique dans mes rétines, parce que c'est fugace et rapide. Puis, tout change lorsque j'aperçois le blanc et le rouge des bus de la ville. Je ne peux pas m'empêcher de pouffer, à cause de ma réflexion précédente. Les constructeurs ont choisi le juste milieu ; le blanc de la pureté, et le rouge des méchants, de la passion, du sang. Ce sont des transports en commun neutres, qui n'ont pas de côtés. Enfin, si on suit ma théorie farfelue, formulée pendant une course effrénée.
Nous montons au tout dernier moment, alors que le conducteur allait refermer les portes. Forcément, celui-ci grogne et nous regarde de travers. J'ai presque envie de lui dire que c'est parce que nous sommes des méchants que nous agissons de cette manière. Ce soir, lorsqu'il aura fini son service, il racontera à la personne qui partage sa vie — on peut facilement reconnaitre son alliance — que deux mécréants ont manqués de le rendre en retard. Et encore une fois, nous serons les antagonistes d'une histoire.
Alors qu'en vérité, ce n'est pas de notre faute. C'est la ville qui a coupé le budget des transports en commun, ce qui a fait que les bus ne passent plus aussi souvent qu'avant, parce que certains conducteurs ont été remerciés. S'il doit râler contre quelqu'un, ce n'est pas contre ces deux joueurs de foot qui viennent de se taper le sprint de leur vie, mais contre son employeur qui n'est pas fichu de leur allouer plus de moyens.
— Bon sang, souffle Samuel, en se positionnant contre une barre, dans l'espace réservé aux poussettes et fauteuils roulants. C'était moins une.
Le pire dans toute cette histoire, c'est que ce ne sont même pas mes joues qui me brûlent le plus, mais mon bras. Celui-là même qui a été tenu par mon vis-à-vis, comme si sa vie en dépendait. Je n'ai pas mal, et je ne lui en veux pas d'avoir fait ça, parce qu'il avait totalement raison. D'après ce que je peux voir en face de moi, le prochain bus pour la gare est dans presque quarante-cinq minutes. Bien que j'apprécie la présence de Samuel, je ne pense pas que j'aurais été capable d'être immobile pendant tout ce temps, à attendre et à faire la conversation pour que le silence ne s'installe pas entre nous.
Non, ce que je ne comprends pas, c'est cette sensation. Comme des fourmis. Je la connais, parce que je l'ai déjà ressentie, mais pas dans ce genre de contexte. Celui-ci était nettement plus intime, nettement plus secret. Je fronce les sourcils en regardant ce maudit bras. Mon corps n'a absolument pas le droit de me faire une chose pareille. Laisse-moi profiter, ne fiche pas tout en l'air. Je n'ai pas envie de tout ficher en l'air. J'ai enfin quelqu'un qui me comprend, qui sait ce que je traverse, qui est comme moi. Qui ne me juge pas lorsque je lui annonce que je ne suis out à personne — en fait, c'est presque lui le premier à qui je le dis volontairement, et sans but de séduction derrière. Qui ne me juge pas parce que je suis un connard. Qui me laisse être un gentil dans son histoire, et qui ne me catégorise pas immédiatement comme le méchant de service. Alors non, je refuse que mon bras me brûle du fait de son touché. Je refuse catégoriquement.
— Curtis ? Ça va ?
Je sursaute. C'est la première fois qu'il m'appelle par mon prénom. Et après mon système nerveux, c'est mon cœur qui entre dans la partie. C'est la surprise. Rien qu'elle. Rien d'autre.
— Oui. Désolé, je dois reprendre mon souffle. Je n'ai pas autant d'endurance que toi. Tu m'étonnes que votre équipe passe son temps à exploser la notre, et à battre tous les records. Avec quelqu'un comme toi, ça doit être du gâteau.
Il grimace, et j'ai l'impression d'avoir touché un point sensible.
Ah oui, merde.
Le joueur de foot qu'il regardait trop, qu'il observait comme il pourrait le faire avec une fille.
Bien joué, Curtis.
Je viens de rentrer dans le plat avec les deux pieds, comme il faut.
— Pardon, je ne voulais pas...
— T'inquiète, je ne grimace pas à cause de ça. C'est juste que... pour la totalité de mon équipe, je suis le mec en défense. Je suis le mec qui ne doit pas spécialement aller de l'autre côté du terrain, si ce n'est pour aider ses coéquipiers. Pour leur filer les ballons pour marquer. Et on ne se souvient pas de mes cadres, de mes magnifiques passes, de mes dribbles des joueurs adverses. On ne se rappelle que des exploits des attaquants. C'est pour ça que je les déteste, que je les trouve arrogants. Parce que sans moi, sans les gens comme moi, ils ne sont rien du tout. Et si un jour, tout ce beau monde veut devenir professionnel, entrer dans un club, il va falloir qu'ils apprennent à remercier les défenseurs, les ailiers et les avants-centres. Parce que sinon, ils ne feront pas long feu.
— Personnellement, je pense que tu aimerais bien être attaquant. Non pas parce que tu prends un certain plaisir à mettre des buts, ou que tu apprécies la gloire. Mais parce que tu es un sacré perfectionniste. Parce que tu souhaiterais guider chaque ballon de A à Z. Du bout de tes pieds vers le fond du filet. Et... je me souviens d'un match, il y a deux ans. On était en year 12. Tu avais marqué, et ton imbécile de coach t'avait viré du terrain. Parce que pour lui, tu avais outrepassé ton poste. Tu étais démarqué, tu n'avais personne sur toi et les vedettes de ton équipe étaient en étaux. C'est normal que t'aies tiré, et encore plus que t'aies marqué. Parce que je suis certain que tu ferais un bon attaquant.
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