Décembre - 10
BB-9E : Non, ce n'est pas du code informatique, mais le numéro de modèle d'un robot méchant (parce que oui, même les robots peuvent être méchants, surtout s'ils suivent l'exemple de leurs créateurs). Véritable détecteur de robots gentils en infiltration dans une boite roulante. A un oeil rouge, parce que le rouge, ça fait très méchant. Est en réalité tout aussi mignon que son petit camarade gentil.
J'avance tout doucement la cuillère vers ma bouche, les yeux rivés dans ceux de Samuel. Moi aussi, je peux jouer à ce petit jeu. Il se lève précipitamment, manquant de tomber de son siège. Mais son équilibre se reprend rapidement et il arrête mon geste juste avant que je termine le gâteau.
— Tu es si gourmand que ça ? murmuré-je pour éviter de briser le moment.
— Oui, je...
Je n'ai pas le droit à la suite. Il abaisse tout doucement ma cuillère, pour qu'elle revienne à l'assiette. Je suis une poupée de chiffon entre ses doigts, et la seule chose que je suis capable de faire, c'est respirer à intervalles réguliers.
Mes yeux sont verrouillés sur les siens. La main qu'il a utilisée pour poser le couvert est toujours en l'air, suspendue. L'un et l'autre, nous sommes dans cet état de flottement, et ce n'est pas la première fois. Mais à chaque fois que ça a eu lieu, à chaque fois que j'allais finir par parler, tout a été coupé. Cette fois-ci, je ne me laisserais pas faire.
Nos têtes se déplacent en même temps pour fixer nos bras, et ses doigts viennent rencontrer les miens. C'est léger comme un nuage et je frissonne à chaque contact sur mon épiderme. Il hésite, ou alors il a décidé d'être incroyablement doux. Je retourne lentement ma main, pour lui présenter ma paume. Et le petit exercice recommence, cette fois-ci avec la peau intérieure. Il trace les lignes une à une, s'arrête au centre et repart vers le haut. Je retiens ma respiration de peur qu'il s'en aille et que tout se termine ainsi.
Mais non.
Ses doigts viennent chatouiller les miens, avant de se coller sur leurs jumeaux. Oh. J'ai compris. Je bouge à mon tour, avec la même délicatesse que lui, et nous voilà liés. Ce n'est pas comme deux enfants qui se prennent la main ou comme il a pu le faire au moment où nous courions pour attraper le bus. C'est moins étrange que dans les toilettes après ce moment très intime. Non, je serais prêt à déclarer que ce simple geste est encore plus personnel que ce qui s'est passé derrière la porte close de la cabine. Parce que chaque mouvement est étudié, chaque mouvement est recherché.
Je relève mes yeux de notre assemblage, et je croise à nouveau les iris noisette. Elles brillent et ne sont pas plissées à cause d'un quelconque sourire. Je peux les observer à ma guise, et je devine aisément que c'est la même chose pour mon vis-à-vis. Il est plongé dans mes menthes à l'eau.
Il commence à bouger, presque imperceptiblement pour quelqu'un qui n'est pas aussi proche que moi. Il se rapproche sans un bruit. Je suis toujours assis sur mon siège et je ne compte pas partir. Parce que je veux absolument voir où ça le mène. Où est son point B. Où est son arrivée.
Il hésite, recommence et continue. Sa deuxième main vient trouver la mienne, qui repose sur ma cuisse. Son petit jeu reprend, avec la même lenteur sensuelle que le premier. Je regarde les deux danser sans parvenir à me détacher d'elles. Et finalement, je retourne le tout, la paume offerte au ciel et j'attends qu'il revienne. Ses doigts sont plus rapides que précédemment et se collent immédiatement aux miens. Nos deux mains sont dorénavant liées entre elles, et la première vient rejoindre l'autre en se soulevant du bar. Et enfin, mes yeux remontent lentement vers son visage.
Il a profité du fait que je sois occupé à observer le ballet de nos mains pour se rapprocher. Désormais, son souffle est dans le mien, et son front est à quelques millimètres de me toucher. C'est moi qui me déplace très légèrement sur mon siège pour que ça soit le cas. Il ne le remarque même pas et ferme les yeux pour goûter pleinement cet instant.
Nous restons parfaitement immobiles ainsi, à nous écouter respirer et vivre. Je ne crains que le moment soit terminé, maintenant qu'il est arrivé à destination. Une longue inspiration d'air m'indique qu'il va se mettre à parler et que le silence sera brisé en mille morceaux. J'aimerais lui bloquer les lèvres, mais je n'ai pas envie de séparer une de nos mains pour le faire. Alors je me gorge de ces dernières secondes dans cet endroit complètement hors du temps.
Mais rien ne s'arrête. Cette respiration était une demande de courage à l'air qui nous entoure. Parce que la tête bouge, non pas pour s'écarter, mais pour plus encore se rapprocher. J'ouvre les paupières à la vitesse d'un store qui saute en remontant et je verrouille l'entièreté de ma personne sur Samuel. Sa tête est penchée, et il n'est qu'à quelques millimètres de moi. Sa respiration est bruyante, signe qu'il a toujours besoin de courage.
Son nez chatouille le mien, sans volonté de me faire rire ou même étirer mon expression faciale. C'est une sensation plus agréable que celle sur mes mains, comme si cela était possible. Avec ce geste, il rapproche encore plus nos visages. Je sens chacune de ses exhalations sur ma peau, je vois le détail de son épiderme. Quelques boutons en bas des joues. Un nez très légèrement brillant. Des rougeurs sur les pommettes. De longs cils très blonds. Des lèvres charnues, qui auraient besoin d'hydratation, ainsi qu'une très légère moustache de lait à la pistache. Encore une fois, je pourrais venir l'essuyer, mais cela voudrait dire séparer nos mains. Et c'est hors de question.
J'attends la suite de ses actions. Je ne fais rien du tout pour le précipiter, parce que c'est le moment crucial. Nos lèvres vont enfin se trouver, après de nombreuses piques dragueuses, d'instants volés qui sont tombés en éclat à cause de la peur ou de notre environnement. Là, nous sommes seuls au monde.
Et puis tout d'un coup, la tête de Samuel se relâche. Elle chute sur la base de mon cou, dans une position parfaitement étrange. Il est effrayé. Juste avant de franchir les derniers espaces entre nous, il a eu la trouille. Sans un mot, je sépare l'une de nos mains et je saisis son menton de deux doigts. Je le relève délicatement en ne m'éloignant pas le moins du monde. Nos corps se frôlent plusieurs fois.
Nos fronts se coincent et je respire tout doucement pour ne pas le faire fuir. Sa main, que j'ai libérée, court dans mon dos, remonte vers ma nuque et se glisse dans mes cheveux. Il les caresse lentement, sans les brusquer. Il a peur de me faire mal, alors que je suis plutôt insensible dans ce secteur-là. Je fais de même, restant à cette séparation entre les mèches et la peau chaude du cou. Je ne suis pas passif, mes doigts naviguent lentement sur l'épiderme qui frissonne à mon contact. C'est électrisant, alors que je n'utilise qu'une extrême douceur pour le toucher.
Le blond bouge à nouveau contre moi et mon cœur se serre. Il en a marre de cette position et veut s'éloigner de moi. Ma paume commence à redescendre dans son dos, mais elle s'arrête lorsque mes yeux comprennent le message. Il ne se retire pas. Il tente à nouveau le rapprochement ultime.
Comme tout à l'heure, je respire le plus doucement possible pour ne pas l'effrayer. Je me tiens prêt et je le fixe comme jamais. Je suis totalement d'accord avec ce qui se passe. Mon cœur n'attend que ça, il est dans les starting-blocks.
La tête se penche, les nez reprennent leur danse, les respirations se mêlent. C'est plus rapide que tout à l'heure et le voilà déjà au point où il a craqué. Sa main sur ma nuque me fait des massages, et je me décide à faire de même avec la mienne. Je sens les frissons que ça lui procure avec la chair de poule qui fleurit sur sa peau. Il ne peut strictement rien me cacher, et moi non plus. Nous sommes deux grands livres ouverts, le cœur exposé et au bord des lèvres.
Celles-ci se font enfin toucher. Au début, c'est imperceptible. Une caresse. Puis il revient et là, c'est le feu d'artifice. C'est doux, il n'y a aucune brusquerie dans le geste. Nos mains liées sont ramenées à notre gauche, et sa peau quitte la mienne quelques secondes avant de se coller sur ma joue. Il hésite franchement, comme s'il avait peur de mal faire. Je frissonne encore une fois lorsque sa paume se déplace vers ma mâchoire et il prend cela pour un arrêt du baiser. Je lui souris quand il s'éloigne légèrement de moi, et recommence. Cette fois-ci, il est un peu plus entreprenant. Il ouvre la bouche, bouge mieux les lèvres. Je ne pousse pas trop loin, parce que j'ai bien compris que le brusquer n'était pas une bonne idée. Et j'aime cette ambiance douce et sensuelle, je n'ai pas envie que ça devienne gluant et à la limite du sauvage.
À bout de souffle, il se sépare à nouveau de moi et colle son front contre le mien. Ses deux mains sont sur mes joues, qu'il caresse avec la même lenteur que précédemment. Je pourrais mourir pour plus de contacts de ce genre. C'est tellement agréable.
— Je voulais goûter le chocolat, déclare-t-il tout bas.
Je le fixe droit dans les yeux et je ne peux pas m'en empêcher. J'éclate de rire si fort et si rapidement que je suis obligé de fourrer ma tête contre son torse pour éviter de faire trop de bruit.
Il pose sa main sur mes cheveux et je sens son corps se soulever à son tour. Je ne suis pas le seul dans cet état-là. Légèrement calmé, je finis par me relever en position normale. Samuel me lâche et s'éloigne, et mon cœur se tord dans ma poitrine. C'est vrai qu'il ne voulait pas m'embrasser de peur de faire n'importe quoi, que cela tourne comme avec les deux joueurs de foot de son école. Il ne va plus avoir envie de me revoir après ça.
Mais encore une fois je suis surpris au plus haut point et j'envoie bouler mon vieux pessimisme. Il ne fait que rapprocher son siège du mien pour être à la même hauteur que moi. Nos genoux se collent, tout comme nos épaules, et il a repris ma main dans la sienne. Ma respiration se coupe lorsqu'il commence à la caresser tout doucement, dans cet espace très sensible pour moi entre le pouce et les autres doigts. Ça ne m'étonnerait même pas qu'il ait déjà compris que ça me plaisait.
— Je suis vraiment bien avec toi Curtis.
— Moi aussi, Samuel. Mais...
Ses yeux accrochent les miens et ses lèvres sont pendues à ce que je vais dire. Les « mais » dans les phrases ne sont jamais bon signe.
— Il faudrait peut-être qu'on termine nos desserts, tu ne penses pas ?
C'est à lui d'éclater de rire, en posant la tête tout contre le bar. Avant qu'il ne la bascule, j'ai pu apercevoir un éclat de soulagement au fond de ses iris noisette.
J'amène une assiette de cheesecake devant nous et lui propose une des petites cuillères. J'attrape l'autre et nous commençons à manger ensemble. Je bénis le fait qu'il soit droitier et moi gaucher, ou nous ne pourrions pas garder nos mains liées. C'est peut-être ridicule et même un peu tôt dans notre relation, mais je n'en ai rien à cirer. Cette soirée est elle-même parfaitement bizarre, on a le droit de faire des choses hors du commun.
— C'est bon, mais ça ne dépasse pas le brownie, annonce-t-il en léchant le coulis de framboise.
— Le fameux brownie pour lequel tu m'as embrassé ? Si j'avais su, j'en aurai commandé dès le début, lorsqu'on est entré.
Ses joues chauffent légèrement, mais il ne se détourne pas le moins du monde de moi. Pire, nos mains se resserrent.
— Oui, ce fameux brownie. Je n'ai pas réussi à résister. Ni à toi ni à lui. Et je... est-ce que ça a été ? Je veux dire... mes expériences de baisers avec les garçons ne sont pas très...
— C'était parfait. Très sensuel et très lent. Tu as réussi à faire durer le plaisir et c'était vraiment très agréable. J'ai hâte qu'on recommence.
Je rentre les deux pieds dans le plat. Après tout, c'est mon droit le plus strict. Je dois savoir ce qu'il se passe ensuite. Est-ce que c'était quelque chose d'unique ? Ou dois-je m'attendre à goûter à nouveau ces lèvres ? Moi, je pencherais sur la deuxième option.
— Je... j'en ai aucune idée. J'ai... j'ai toujours peur de te faire du mal et de déraper. Ça peut arriver à n'importe quel moment et je ne veux pas bousiller ce qu'on a.
— Donc tu...
— Je ne vais pas me transformer en glaçon et faire comme si rien ne s'était passé. Je n'aime pas spécialement le déni. Mais je...
— Est-ce que tu vas me lâcher la main ? le coupé-je soudainement, l'appréhension filtrant dans les veines.
Si c'est le cas, je souhaite profiter des derniers instants où notre peau se touche.
— Hein ? Pas du tout. À moins que toi tu le veuilles.
— Non ! hurlé-je presque.
Il écarquille légèrement les yeux et sourit de toutes ses dents. Mon cœur accélère dans ma poitrine. J'ai laissé entrevoir une grosse part de mes sentiments dans cette injonction.
— Alors on reste comme ça et on termine nos plats.
— Avec joie.
Une fois toutes les assiettes léchées et complimentées, nous nous décidons enfin à payer. J'insiste pendant de longues minutes pour qu'il ne donne pas une livre pour les desserts, comme ça a été convenu. Mais ce fourbe parvient à glisser un billet pour rembourser son brownie tout chocolat.
— J'en ai mangé les trois quarts, se justifie-t-il.
J'accepte à contrecœur et nous nous dirigeons vers la sortie. Et c'est en apercevant les rails qu'une donnée me revient subitement en mémoire. L'heure. Je ne sais absolument pas l'heure qu'il est, puisque j'ai laissé mon téléphone moisir dans la poche de ma veste de costume et que je n'ai pas mis de montre, comme j'ai toujours l'impression d'avoir le poignet serré. Je me jette sur l'écran comme si on venait de m'annoncer une affreuse nouvelle.
Comme il s'avère que j'ai à nouveau de l'avance sur cette histoire (puisque je suis repartie dans mon monde machine à écrire), je vous propose un petit sondage. Commentez sur la partie que vous souhaitez (je le lancerais également sur Instagram, et je ferais les comptes demain, pour un départ la semaine prochaine)
— Des chapitres plus longs (environ 2.000 mots) deux fois par semaine (rien ne change au niveau des dates)
— La même taille de chapitres, mais trois fois par semaines (le vendredi serait ainsi rajouté)
Qu'est-ce qui vous plait le plus ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top