Avril - 5
Les Uruk-hai sont des Orcs évolués, et ça se sent directement. Ils sont le fruit d'un mélange franchement étrange entre un orc, justement (pour l'aspect chair à canon du truc) et un elfe, sans doute pour l'aspect intelligent. Le résultat est très grand, très fort, doté de parole (en soi, les orcs aussi, mais comment dire...je vous ai déjà raconté qu'ils étaient complètement débiles ?) et capable de tuer Sean Bean (mais comme il meurt dans plus ou moins tous les films ou séries qu'il fait, ce n'est pas un si grand exploit).
> Tu abuses. Tu pourrais quand même être là, AUJOURD'HUI.
> Pas la peine de me sortir les majuscules Asra, je suis occupé. Ce n'est pas parce que Papa est pour une fois à la maison pour un week-end entier que je vais chambouler tout mon programme.
Je sens qu'elle ne va pas apprécier ma réponse. Je m'en moque complètement. Je suis un garçon incroyablement têtu, qui adore camper sur ses positions.
> Il aimerait bien te voir. C'est lui qui me l'a dit.
> Asra. Tu sais quel jour on est aujourd'hui, toi qui m'as écrit ce mot en majuscules ? C'est l'anniversaire de mariage des parents. Et tu sais comment moi je le sais ? Parce que j'avais cinq ans quand Papa m'a fait la leçon en me disant qu'à l'heure qu'il est, il devrait être en train de passer un week-end de rêve avec sa femme, pas de s'occuper de ses gosses qui n'ont même plus de mère. Il va encore boire comme un trou, se remémorer le bon temps dont je ne me souviens absolument pas, car j'avais un an, et encore une fois me répéter que c'est à cause de moi qu'elle est morte. Je ne souhaite pas spécialement assister à ça. Tu devrais plutôt demander à Rahim de venir. Il doit avoir terminé ses examens à l'université.
> J'ai l'impression que tu te caches derrière tes arguments tout prêts. Que tu fuis.
> Tu n'arriveras pas à me faire dire que je suis un lâche. Je me préserve, tout simplement. Je n'ai aucune envie de me prendre trente poignards dans le cœur en affrontant le regard de Papa. Je ne suis pas prêt pour la confrontation. Et si tu n'es pas d'accord, je t'envoie le numéro de ma psy pour que vous en discutiez ensemble. C'est elle qui m'a donné cette idée.
Je dois faire face et assumer mes erreurs, mes conneries, mes méchancetés, les dégâts causés par le monstre. Mais j'ai le droit de fuir quand la victime, c'est moi. Et dans mon histoire familiale, c'est le cas. Je crois que ma seule faute, ça a été de naître.
Remarquant qu'Asra ne répond strictement rien, je continue à taper.
> Et j'étais sérieux, pour Rahim. Ça fait des lustres que tu ne l'as pas vu, et Papa aura la famille qu'il aime. Je vais m'arranger pour ne pas rentrer du week-end, et vous serez tranquilles. Je te le promets.
Le sac que j'ai sur le dos se fait plus lourd. J'ai déjà prévu le coup, et j'ai emporté toutes mes affaires pour ma nuit en dehors de la maison. Ce n'est pas la première fois que je découche, mais c'est la première fois que je suis tout seul. La mère de Coby m'aime bien, mais elle refuse catégoriquement que quiconque dorme chez eux. Quant à Samuel, il sort aujourd'hui de l'hôpital, et je n'ai aucune envie de le fatiguer avec ma présence imposée. Je vais aller m'échouer dans un hôtel que j'ai déjà réservé, commander un burger qui sera fade par rapport à celui que j'ai dégusté en décembre, et regarder des trucs débiles à la télévision. Je n'ai pas vraiment le désir de me rendre dans un bar ou un restaurant, ou de faire comme si tout allait bien.
Mon téléphone vibre dans ma poche, et je m'arrête. À cette vitesse-là, je ne serais jamais à temps à l'hôpital, pour voir Samuel sortir. Surtout que je lui ai prévu un petit cadeau, et j'aimerais lui donner quand nous serons seuls.
> Adil...
Oh, ça y est. Ma sœur a pitié de moi. Elle est passée de l'exaspération face à mon prétendu égoïsme, à ce sentiment exécrable parce que je suis le pauvre rejeté de la famille Razavi. Je joue ce rôle-là depuis des années, ça ne me dérange plus tant que ça. Mais aujourd'hui, j'ai décidé que je ne subirais pas la colère, les beuveries et les remarques acerbes de Papa. Ça ne changera rien à la situation. Pire, ça l'aggravera. Parce que le monstre sera réveillé, griffera à l'intérieur de mon estomac, et qui sait ce qu'il pourrait me faire faire.
> S'il te plaît Asra. Ne me balance pas ce sentiment en pleine face. C'est comme ça. Appelle Rahim, je t'en prie. Profite de mon absence.
Je range mon téléphone dans ma poche, en enclenchant le mode silencieux. Il ne vibrera même plus, et c'est tant mieux. Ainsi, je pourrais me concentrer sur ce qui est important aujourd'hui. La sortie de Samuel.
Au cours de la semaine dernière, il a quitté le service de cardiologie. Il n'y a plus rien à craindre vis-à-vis de son poumon perforé, et on peut très bien vivre sans rate — elle a explosé suite au choc des coups donnés, et ils ont dû la retirer. C'est ensuite qu'il a été bougé dans le service de chirurgie orthopédique, pour qu'on s'occupe de son pied. Celui-ci avait été un peu laissé de côté, parce que le pronostic vital n'était pas en jeu. Il était soigné à coups d'antidouleurs, en attendant un créneau pour une opération. La fracture était déplacée, et ils ont dû la remettre en place avec des vis et des clous. Ensuite, il a été plâtré et on lui a donné des béquilles. Je n'étais pas là lorsqu'il les a essayées, mais il a demandé à quelqu'un de le prendre en photo dans les couloirs de l'hôpital, et il me l'a envoyée. En la voyant, j'ai ressenti une poussée de fierté. Coby s'est moqué de moi toute la journée, en imitant, d'après lui, mon regard énamouré. Intérieurement, ça m'a rassuré. J'ai eu peur qu'en lui annonçant que je sortais avec un garçon, il préfère que je ne lui parle pas de tout ça, parce que ça le gêne ou qu'il est mal à l'aise à l'idée de ce que je pourrais faire avec Samuel. Je suis ravi que Coby ne soit pas un je ne suis pas homophobe, mais, et qu'il agisse avec moi comme il le ferait si j'avais une copine.
— Juste, m'avait-il dit avant de clore le sujet, essaie de ne pas m'oublier. Je sais que je ne suis pas raide dingue amoureux de toi et que je ne bois pas toutes tes paroles, mais je suis ton meilleur ami. Et je le serais toujours. Alors, ne me zappe pas trop vite.
J'en avais été tout retourné. Non pas à cause du début de sentiment que j'avais pu ressentir pour lui, mais tout bêtement parce que Coby se comportait comme un frère à mes yeux. Comme le frère que je n'avais plus. Je lui avais sauté dans les bras, je l'avais serré fraternellement — une de ses expressions favorites —, et que je lui avais dit, d'une voix forte.
— Il en est hors de question.
C'est en me remémorant cet épisode que j'arrive à l'hôpital. Samuel ne sait pas que je serais présent, parce que je n'ai tout bêtement pas pu le voir depuis deux jours. Pas à cause des médecins ou de sa sœur, ou même de sa mère. Mais de son tout nouveau compagnon de chambre.
Jeudi, il a eu l'horreur de découvrir que le Déchet Intergalactique avait encore frappé. Comme il lui avait indiqué avant de le laisser se vider intérieurement de son sang, son capitaine avait été le suivant. Rio Hardy, le joueur vedette de Clear Lake, était le voisin de Samuel. Touché au niveau des orteils, cet emplacement avait été visé en tout état de cause, tout comme le tibia de mon petit ami. De par cette arrivée inopinée, je n'avais plus eu le droit de rendre visite à Samuel, parce qu'il ne voulait pas que Rio soit au courant pour moi. Je n'ai pas cherché à comprendre, et j'ai accepté. Je pense sincèrement qu'une part de moi avait peur que le monstre me saute encore une fois au visage pour me hurler qu'il a honte de moi. Je sais que ce n'est pas vrai.
Je ne suis pas dans un état de manque absolu parce que je n'ai pas vu Samuel depuis deux jours complets, mais je ne nierais pas que je suis heureux de le retrouver. Surtout que je vais lui faire une surprise. Le connaissant, et connaissant un peu sa famille, il va être seul à la sortie de l'hôpital, sa sœur et sa mère travaillant. Il doit s'être mis en tête de rentrer chez lui en transports en commun, et ça me hérisse le poil d'y penser. Même s'il refuse ou qu'il a l'impression que je lui fais la charité, je lui commanderais un taxi pour qu'il rejoigne sa maison dans de meilleures conditions que ballotté entre les habitants de Belfast.
Je me suis très discrètement renseigné sur les heures de sorties de l'hôpital. Elles sont programmées à dix heures et demie, le matin. Si Samuel accepte, je me vois bien lui faire à manger chez lui. Même s'il risque fortement de se moquer de mon manque d'habitude face à ses plaques de cuisson, ou de l'emplacement de ses casseroles. Ce n'est pas ma faute si je suis mal latéralisé.
Il est dix heures vingt-neuf et je me rends compte que je trépigne. Je suis ridicule. Coby a bien raison.
— Bah... Qu'est-ce que tu fais là ?
Je me laisse plonger dans ses yeux noisette. Il vient de passer les doubles portes du hall, et il commence à se lever de son fauteuil roulant réglementaire. L'infirmier qui l'accompagne lui donne ses béquilles pour qu'il tienne debout en marchant. Son sac de vêtements lui barre le torse, tout comme celui de cours, dans l'autre sens. Je l'imagine déjà tomber à la renverse, déplacer à nouveau sa fracture ou même se casser un os différent.
— Laisse-moi porter tes bagages. Que tu sois libre de tes mouvements.
— Merci.
Je lui souris très discrètement, et l'infirmier s'en va, non sans rajouter une remarque à notre encontre.
— Heureusement que votre ami est là. Ça me faisait mal de vous laisser partir comme ça.
Les joues de Samuel sont délicatement rouges, mais je sais que si je lui dis, il répliquera que c'est à cause du froid ambiant. C'est vrai qu'il ne fait pas spécialement chaud, et je m'en veux d'avoir uniquement ma petite veste sur le dos.
— Tu m'as espionné pour connaître mon heure de sortie ?
— Un peu, je te l'avoue.
— Je suis désolé de t'avoir tenu écarté de ma chambre. Ma relation avec Rio est tellement... je marche sur des œufs quand je suis avec lui que j'ai préféré éviter de faire les présentations. Si ça peut te rassurer, son petit-ami n'est pas venu non plus. Même si c'est parce qu'il me déteste.
— Tu n'as pas besoin de te justifier. Je te fais confiance, Samuel. Mais je te préviens, aujourd'hui, je te garde pour moi tout seul. Enfin, si tu veux bien. Je ne suis pas spécialement pour le kidnapping.
— Ça ne me dérange pas que tu me kidnappes pour la journée. Ça me change de mon programme tout tracé. Regarder la télévision et sans doute un peu jouer aux jeux vidéo.
— C'était plus ou moins le même que le mien, avant que je me dise que ça serait trop bête qu'on ne soit pas ensemble.
Je souris et il me répond. C'est notre manière de nous embrasser, sans que l'on se fasse d'idées sur nous. J'adore ça, parce qu'on n'attend pas de l'autre qu'il assume totalement la relation. Ça me change tellement d'avant. Samuel ne me pousse pas dans mes derniers retranchements. Il ne réveille pas le monstre.
— Alors ? Qu'as-tu prévu de beau ? M'emmènes-tu chez toi pour me faire découvrir de nouvelles choses ?
— Je pensais te faire à manger. Mais chez moi, c'est impossible. Du coup, il y a chez toi. Ou ma chambre d'hôtel, qui, ça me revient, dispose d'une petite cuisine. Rien de très luxueux, mais bien assez pour te faire ce que j'ai en tête.
— Et puis au moins, tu ne seras pas bloqué devant la plaque de cuisson. Étant donné que je suis censé ne pas trop bouger, je ne pourrais pas venir t'aider comme la dernière fois.
Je réponds de la manière la plus intelligente qui soit. Je lui tire la langue, avant de commencer à lentement marcher.
— Excuse-moi d'être aussi franc Curtis, mais tu étais ridicule dans ma cuisine.
— Je sais. J'étais perturbé.
— Parce que tout ne respirait pas la haute technologie comme chez toi ?
— Non, parce que tu étais malade et que je m'inquiétais pour toi. J'avais peur que tu t'effondres, car tu n'avais pas assez mangé, ou pour une tout autre raison.
— Tu es tout le temps comme ça quand quelqu'un ne va pas bien ?
— Oui.
Je m'arrête, le cœur au bord des lèvres. J'ai les larmes aux yeux, comme plus ou moins à chaque fois qu'on parle de ma maman.
— C'est à cause de ma mère. Je ne me souviens pas de cet horrible jour, mais j'ai quand même un traumatisme au fond de moi, et le monstre l'adore. Et donc, j'ai toujours peur pour les personnes que j'aime. Coby se moque de moi parce que je suis aux petits soins quand il a un rhume, mais je sais qu'il comprend.
J'ai pris cet exemple pour le tester un peu. Et comme je m'y attendais, il fronce très légèrement les sourcils. Gagné.
— Tu es jaloux, déclaré-je, fier de moi.
— Pas du tout.
— Si. Parce que je considère Coby comme un frère et que je l'aime. Tu es jaloux de ça. Ça se voit.
J'ai l'impression de rejouer une scène de février, sauf que les rôles sont inversés. Je rigole intérieurement.
— Que veux-tu que j'y fasse ? Savoir que mon mec, celui que j'aime, est aux petits soins pour un ancien crush, ça me rend un peu jaloux, voilà tout.
Je fonds comme neige au soleil. Il l'a dit, encore une fois. Le verbe aimer. Et lui aussi, il a clairement fait exprès. Pour que ses mots me figent dans un état de statue au cœur battant.
— Maintenant, mettons-nous en route.
— Tu as mal à la jambe ? À tes côtes ?
— Oui, un peu, mais pas seulement. Le monstre me lacère l'intérieur à cause de ce que je viens de dire, et j'ai besoin assez expressément de ta bouche sur la mienne pour le faire taire.
— Oh. Et bien, allons-y. Direction la station de taxis.
— Je n'ai pas spécialement les moyens de m'en payer un... si j'ai refusé l'ambulance, c'est pour une bonne raison.
— Je te rappelle que je te kidnappe. Tu n'as pas à faire de remarques sur la manière dont nous atteindrons notre point B en venant de ce point A.
Il roule un peu des yeux, mais accepte. Je m'en doutais qu'il allait réagir comme ça. J'ai déjà peur de lui expliquer pourquoi je suis dans une chambre d'hôtel et non chez moi. Heureusement, il semble avoir oublié ce petit détail.
— Au fait, comme ça se fait que tu n'ailles pas dans ta maison ?
J'ai parlé trop vite.
— Mon père est là, et c'est l'anniversaire de mariage de mes parents. Il va très certainement passer sa journée à boire, à pleurer et à m'insulter parce que c'est à cause de moi qu'elle est morte.
— À cause de toi ? Mais tu ne m'as pas parlé d'une rupture d'anévrisme ? C'est quelque chose qui peut survenir à tous moments, si je me souviens bien.
— Exactement. Personne n'est responsable, mis à part peut-être l'univers. Mais il en fallait un pour mon père. Et c'est tombé sur moi, le dernier-né.
— Oh. Je comprends. Tu te protèges en te réfugiant à l'hôtel.
— Oui.
J'ai envie de l'embrasser. Il n'a pas dit que je fuis. Il ne m'a pas traité de lâche. Comme il l'a soulevé, il saisit tout le compliqué de la situation.
— Et puis j'ai demandé à Sybil d'appeler Rahim. Ça fait des lustres qu'ils n'ont pas passé du temps ensemble, et ça lui changera les idées de son campus universitaire. Le croiser équivaudrait à se jeter dans un bassin de requins, tu vois ?
— Oui. Et donc, tu es libre tout le week-end ?
— En effet. J'ai la chambre pour deux jours.
— Oh.
Mon envie se fait encore plus pressante. Parce qu'il ne m'a pas interrogé sur Rahim et sur son université, et son sourire veut en dire long. Très très long.
— Tu me sembles ravi, déclaré-je.
— Totalement. Toi et moi pendant deux jours complets. Sans personne pour nous déranger. Je sens que ça va être très intéressant.
— Tu veux jouer au couple qui n'arrive pas à quitter le lit et qui se commande à manger au room service ?
— Absolument. À vrai dire...
Il se rapproche de moi, se penche très légèrement sur ses béquilles et me glisse.
— C'est un fantasme.
Je pense que mon visage change complètement de couleur, et je me tourne vers Samuel qui s'éloigne déjà. Ma poitrine est habitée par un tambourin géant.
— Tu sais quoi ? Je vais appeler directement un chauffeur d'ici. Pas besoin d'aller à la station de taxis.
— Serez-vous pressé, Monsieur Razavi ?
— Vous mettez le feu à mon cœur, Monsieur Robertson. Alors oui. Je suis pressé.
— Parfait.
Il s'approche encore une fois. Il est tout à côté de mon oreille. Heureusement que nous sommes camouflés par quelques voitures du parking. Parce que ce qui se passe n'est pas du tout innocent.
— C'était le but.
— Arrête de me chauffer, répliqué-je.
— Non.
— Pourquoi ? J'ai déjà envie de toi, tu sais, murmuré-je.
— Je suis au courant. Mais c'est trop bon de te faire un peu perdre la tête. Et ça exaspère le monstre.
— Il est dans son placard ?
— Enfermé à double tour. J'ai assez de force pour le museler. Et je t'ai toi pour m'en donner.
— Je meurs d'envie de t'embrasser. Pourquoi on n'est pas dans Star Trek ? Je pourrais demander à mon équipage de nous téléporter directement dans ma chambre de capitaine.
— Capitaine ? Direct ? Tu es ambitieux.
— Que veux-tu ? Je me vois bien diriger plein de personnes, et avoir la classe dans mon fauteuil. Faire une pose classe et détendu avant de dire en avant ou même pleine puissance, Monsieur Solo.
— Tu te prends carrément pour Kirk ?
Je cligne des yeux avant de pencher la tête du côté droit.
— Répète ?
— Tu crois que tu as la carrure, le charisme, le style du grand Capitaine de l'Enterprise, James T. Kirk ?
— Okay, je suis en train de tomber encore plus amoureux de toi là. Depuis quand est-ce que tu connais Star Trek ?
— Hum... depuis que Chris Pine est sexy ?
J'éclate de rire, avant de dégainer mon téléphone. Tout en répondant à Samuel, je nous commande enfin un taxi.
— Pourquoi ça ne m'étonne pas ?
— Ne me prends pas pour une cruche. Toi, tu as regardé pour la beauté des décors ?
— Quand tu t'es payé toutes les séries originales, avec les effets spéciaux très discutables dus au fait qu'on ne faisait pas mieux à l'époque, oui, je t'avoue que les décors ont flatté mon œil.
Le regard de Samuel se plonge dans le mien, qui remonte après la confirmation de la commande de notre moyen de transport. Il ne me croit pas.
— Bon, pour les acteurs. Et les actrices. Ça va, t'es content ?
— En vérité, je l'ai aussi regardé pour te lancer ce genre de phrase. Et t'emmener dans... ma couchette.
Je sens mes oreilles chauffer. Je suis presque certain que mes joues sont dans le même état.
— Tu n'en as pas besoin. Enfin, pas aujourd'hui. J'ai très envie de partager ta couchette, si tu veux tout savoir.
— Les membres de ton équipage vont me fixer avec un drôle d'air alors. J'ai les faveurs du capitaine. Ça va jaser devant les synthétiseurs.
— Ce taxi met un temps fou pour arriver !
Je change de sujet en me détestant de ne pas avoir pris un hôtel proche de l'hôpital. Nous aurions pu y aller à pied.
— Tu es gêné ?
— C'est un euphémisme.
— Bon, je vais me taire alors. Tu n'aurais pas de la musique qu'on puisse écouter ? Pour faire passer le temps. Ma sœur m'a ramené mon séparateur d'écouteurs. C'est une invention de génie. Par contre, il est dans la poche de devant de ma sacoche. Tu peux l'attraper s'il te plaît ?
Je hoche la tête et commence à fouiller dans ladite poche. Mes mains tâtent d'abord un porte-feuille, un paquet de bonbons vide, un stylo et une chose indéterminée, avant de trouver le petit ustensile pour écouteurs. Malheureusement, il ne rentre pas dans mon téléphone.
— On va devoir utiliser le tien.
— Pas de problème. Chacun son tour du coup.
Je souris, assez heureux de découvrir l'univers musical de Samuel. Je sors mes écouteurs filaires, débranche l'adaptateur pour mon portable et je clipse la prise jack dans l'appareil de Samuel. Nous sommes obligés d'être proches pour que nos fils ne soient pas tendus comme des cordes à linge. Ça ne me dérange aucunement, même si je suis certain qu'il va en profiter pour me gêner.
D'après ce que je peux entendre pendant les vingt prochaines minutes, le style de Samuel est très pop. Un peu de rock, un peu de folk et même de la country. Ce n'est pas trop mon truc, mais j'apprécie la nouveauté. Ça me change de la chanson de Ruelle, Monsters, qui tourne en boucle dans ma tête.
Nous quittons nos écouteurs lorsque le taxi arrive enfin. Je laisse Samuel s'installer le premier, et je lui prends ses béquilles, qui vont dans le coffre avec ses bagages. J'indique au chauffeur l'adresse de mon hôtel et bien qu'il semble surpris, il ne fait aucune remarque. Samuel se mure dans le silence — je pense qu'il n'a pas envie d'être écouté par le conducteur — et je fais de même, zonant sur mon téléphone. Au moment où je m'en désintéresse pour regarder l'extérieur, il vibre.
De : Asra
Quand rentres-tu ? Et ne me réponds pas dimanche soir, je le sais. J'aimerais connaître l'heure exacte.
> J'en ai aucune idée, je ne me suis pas décidé. Dix-sept heures ? Pourquoi cette question ?
> Parce que j'ai invité Rahim. Et il lui faut un horaire de retour.
Je me crispe sur mon siège. C'est moi qui ai suggéré ça à Asra, j'en ai bien conscience. Mais je ne pensais pas que savoir que mon frère est à Belfast me ferait cet effet-là. Elle me demande ça pour éviter que nous nous croisions et que cela déclenche une troisième guerre mondiale. Elle est prévenante, et ça me fait chaud au cœur. Même si en soi, dans une famille plus normale, elle n'aurait pas à faire ça. À être au milieu et à supporter les trois hommes de la maison.
> Dix-sept heures. Je serais de retour à dix-sept heures. Essaie de le faire partir pour moins le quart, comme ça, il n'y aura pas de risque.
> Parfait. Je lui raconterais que j'ai rendez-vous avec Sheridan.
Je tique à cette excuse. Pourquoi ne dit-elle pas la vérité ?
> Pourquoi lui mentir ?
> Parce qu'il ne veut pas entendre parler de toi. Du tout. On fait comme si tu avais déménagé.
Sauf que pour moi, ce sont d'autres mots qui s'étalent sur l'écran de mon téléphone. On fait comme si tu n'existais pas. Le degré de haine de mon propre frère me touche au plus profond de moi-même. Le monstre gratte en balançant des horreurs sur ma famille. J'avale bruyamment ma salive avant de répondre.
> OK.
Je me contente de ce simple petit mot, parce que sinon, je vais exploser. Tout mon estomac est tendu, et je serre les poings sur le siège du milieu. Jusqu'à ce que je sente une chaleur sur ma peau.
Je tourne vivement la tête pour découvrir Samuel qui me fixe avec les yeux les inquiets que je connaisse. Il a remarqué mon changement de comportement et il prend sur lui pour poser une main réconfortante sur la mienne. Ça me fait encore plus tomber amoureux de lui. Et à l'intérieur, je m'adresse à mon monstre.
Tu vois. Il n'y a pas personne qui m'aime. Il y en a au moins une. Je ne suis pas tout seul.
Ça lui cloue le bec en beauté.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top