Avril - 3

Langue de Serpent est un personnage qui a vraiment tout d'un serpent, comme son nom l'indique. Il est perfide, glisse des mots nocifs dans les oreilles des rois, et guette sa proie sans pour autant l'approcher, attendant le moment propice pour lui sauter dessus. Il est d'abord conseiller du roi du Rohan (le royaume avec la musique de violon, ce qui fait que le deuxième film du Seigneur des Anneaux est mon préféré, parce qu'on l'entend beaucoup) avant de se faire presque posséder par l'ami Saroumane, et passer du côté obscur de la force. Il est chassé par Gandalf, revenu d'entre les morts, et est celui qui balance le coup final sur Saroumane. Dans son dos, le coup. Comme un vrai serpent. 

Oui, c'est encore une chanson de Ruelle, je l'écoute beaucoup en ce moment, et je trouve que l'ambiance va bien avec le livre !


— Curtis ?

— Oui, Coby.

— Tu sais que je suis ton meilleur ami ?

— Oui, Coby.

— Et tu sais que je ne veux que ton bien ?

— Oui Coby.

— Et que jamais je ne te mentirais ?

— Oui Coby.

Il pose ses mains sur mon visage, comme pour me prendre en sandwich. Il m'écrase un peu les joues dans l'exercice.

— Bien. Parce que t'as une tête de déterré. Tu fais flipper. On dirait un vampire. Tu deviens presque blanc. Et je m'inquiète pour toi.

Il me lâche, et m'offre un regard en biais. Il est réellement inquiet. Bon, après, il y a de quoi. Je n'ai pas dormi du week-end, je n'ai fait que ressasser, manger un peu, ressasser, éviter ma sœur et ressasser encore une fois. Je sais que c'est le monstre qui a parlé, que ce n'est pas Samuel. Mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir cette pensée au fond de ma tête qui me dit que ça ne sort pas de nulle part. Il doit réellement se haïr parce qu'il m'aime, et c'est sans doute pour ça qu'il n'arrive pas à me le dire clairement. Je pensais que ça allait mieux. Sauf que son attaque a dû exacerber cette haine, et elle a dû reprendre le pas sur l'amour. Et je suis celui qui en a fait les frais.

— Curtis ? Tu t'es endormi ?

— Non. Je suis plongé dans mes pensées.

Coby se tait, et me fait une grimace assez étrange — je le connais depuis un peu plus de deux ans maintenant, et je ne l'ai jamais vue.

— Coby ?

— Je suis en train de prendre sur moi là. Laisse-moi le temps.

Je lève les sourcils, et je prends une bouchée de mon dessert, ma dégustation ayant été interrompue par les inquiétudes de mon meilleur ami. Il a un goût fade, comme plus ou moins toute la nourriture de cette cafétéria. Mais j'ai la flemme de me faire à manger tous les jours.

— Je ne suis pas spécialement à l'aise avec tes histoires de mec, mais comme je suis certain que c'est à cause de ça que tu ressembles au Dracula Pakistanais, je vais prendre sur moi. Donc, qu'est-ce qui se passe ?

— Comment tu sais que c'est un mec ?

— Facile. Tu nous as dit que tu sortais avec quelqu'un, en février, mais tu n'as pas spécifié son genre. Premier indice. Ensuite, tu refuses parfois de me voir parce que tu es occupé. Mec, t'as même refusé qu'on aille voir Star Wars ensemble. Deuxième indice. Tu ne me l'as pas encore présenté, et ça veut dire deux choses. Soit tu n'oses pas parce que c'est un mec, soit tu as trop peur que ma beauté et mon charme fassent succomber ta copine. Troisième indice. Donc voilà. Ça paye de traîner avec Sheridan, en fait. Je deviens drôlement intelligent.

Je lui donne un petit coup de coude en sifflant entre mes dents. Mais je souris, parce que ça fait du bien qu'il prenne sur lui — comme il me l'a répété deux fois — pour m'écouter.

— Il s'appelle Samuel. On s'est rencontré au bal de Clear Lake. C'est un peu pour lui que j'ai rompu avec Cassie, d'ailleurs.

— Meilleure idée de toute ta vie, soit dit en passant. Mais continue.

— Donc, on a passé la soirée et la nuit ensemble. Je pensais que c'était qu'un coup d'un soir, même si je n'en avais aucune envie, mais on s'est revu. Et oui, en effet, je suis allé voir Star Wars avec lui. Et on a commencé à sortir ensemble. Ça allait bien, mais...

— T'es amoureux de lui ? Bah oui, suis-je bête. Tu ne serais pas dans cet état-là pour quelqu'un que tu n'aimes pas. C'est logique.

Je ris encore une fois, et je termine mon histoire.

— Un... déchet empoisonne l'équipe de foot de Clear Lake. Il s'attaque aux personnes qui ne sont pas hétéros. C'est comme si les gars d'ici se mettaient subitement à me détester.

— S'ils font ça, je leur rentre dans le lard.

Je souris, et continue mon histoire.

— Il a poussé à bout Samuel pour qu'il lui révèle sa bisexualité, et il s'est attaqué à lui. Il lui a brisé plusieurs côtes, et il a eu un poumon perforé dans l'exercice. Il a fait une hémorragie interne et j'ai vraiment flippé.

— Et c'est pour ça que t'es dans cet état-là ? Il ne va pas mieux ? Tu m'étonnes, ça doit être stressant au possible.

— Non, il s'est réveillé. J'étais là, d'ailleurs. Et je m'en suis pris plein la figure.

— Il t'a insulté ?

Les poings de Coby se serrent. Il ne supporte pas quand on me met dans une case, quand on me dit que je suis un connard. C'est l'une des raisons qui font qu'il ne veut plus entendre parler de Valentin. Pour lui, il est tout aussi coupable que moi de notre séparation.

— Il m'a dit qu'il me haïssait.

— Donc il t'a largué ? T'as le cœur brisé, du coup tu vires au blanc fantôme ?

Je ris encore de ses expressions. C'est un des nombreux arguments de pourquoi ce garçon est mon meilleur ami et pourquoi tenter une romance avec lui aurait été une erreur monumentale. Son amitié me fait énormément de bien et j'en ai besoin.

— J'en sais rien. J'veux dire... il n'a pas prononcé de mot comme j'te quitte gros naze ou dégage de ma vue ou même rupture. Il m'a juste dit qu'il préférerait que je sois loin.

— Loin comment ? À ce moment précis ou pour toujours ?

Je lui balance une onomatopée en pleine face.

— Et qu'est-ce que tu crois ? Que je lui ai demandé une explication de texte quand il a poignardé mon cœur avec un grand sourire ? Nan, j'ai pris mes cliques et mes claques et je me suis barré. J'y ai même laissé mon manteau, c'est pour dire.

— Tu veux que j'aille lui remonter les bretelles, à ton imbécile sur pattes ? Franchement, on n'arrête pas d'encenser les gens de Clear Lake parce que ce sont les meilleurs de Belfast, et tout, mais ils sont tous marteaux dans cette fichue école. Bien content de ne pas avoir tenté l'examen d'entrée.

— Non, c'est bon. Je peux me débrouiller. Même si je ne me vois pas me pointer à l'hôpital comme une fleur en mode j'ai oublié ma veste.

Coby claque des doigts et me donne un petit coup de coude avec le plat de sa main, en écarquillant très légèrement les yeux.

— Putain, mais quel génie ! Tu vas totalement faire ça, mon vieux ! Tu débarques tranquillement, avec cette excuse géniale sous le bras, et tu lui parles. Tu lui demandes des explications.

— Genre quoi ? Qu'est-ce que ça voulait dire très loin de moi ?

— Ouais. Et tu ne laisses pas planer le doute. Il te faut une réponse claire, nette et précise. Même si ça fait mal d'ailleurs. Parce que tu ne peux pas rester une loque comme ça. Tu vas t'effondrer au prochain entraînement de foot.

— Et c'est quoi le clair, net et précis pour toi ?

— Bah on est ensemble ou pas. Facile. Franchement, heureusement que tu es fatigué. Je me poserais des questions sur ton intellect sinon. Ce n'est pas parce que tu es amoureux que tu es obligé de te transformer en légume vert.

— En légume vert ?

— Bah oui. T'as déjà vu une salade intelligente toi ? Non. Une salade, c'est bête comme ses pieds. Et toi, tu n'es pas bête comme tes pieds. Donc tu vas aller voir ton Samuel à l'hôpital avec ton excuse de veste et tu vas mettre les choses au clair avec lui. Que je retrouve un meilleur ami un peu plus coloré.

— Je sens que si je refuse, tu vas me soûler jusqu'à ce que je craque.

Il m'offre un sourire plus grand que son visage. Ça met en avant ses canines un peu plus pointues que la normale. Et c'est moi qui suis traité de vampire.

— Totalement. J'adore quand mon grand pouvoir de persuasion fait effet sur toi. D'ailleurs, qu'est-ce qu'elle en dit ta sœur ? Ça me surprend de la part de Sybil qu'elle t'ait laissé blanchir comme le carrelage de votre cuisine.

— C'est obligatoire les comparaisons les plus foireuses les unes que les autres ?

— Oui. Alors, ta sœur ?

— Je l'évite.

— Curtis !

Quelques personnes se retournent vers nous. Je me recroqueville dans mes épaules pour paraître plus petit. Ce n'est pas très efficace, mais c'est une technique que j'ai mise en place depuis que je suis ami avec Coby. Sa voix porte quand il s'énerve. Comme maintenant, par exemple.

— Oui Coby ?

— Arrête d'éviter ta sœur, voyons ! Elle s'inquiète pour toi, j'en suis sûr. On est pareil tous les deux. On a un radar qui réagit quand tu n'es pas bien. Et je suis certain que le sien doit vibrer dans tous les sens lorsque tu es dans les parages.

— Tu vas me faire la leçon ?

— Clairement. Parce que je sais ce que tu fais, espèce de crétin.

Je souris, parce que cette insulte ne sera plus jamais la même depuis cette aventure au mois de janvier, où nous nous sommes disputés.

— Tu te punis encore. Parce qu'il y a cette saleté de voix pernicieuse dans ton cœur qui te répète avec son poison que tu mérites ce qui t'arrive. Tu mérites que ton copain te haïsse. Comme tu n'as pas envie de contaminer Sybil avec toute cette haine, tu te punis. Alors que t'as besoin d'elle autant que t'as besoin de moi.

— Depuis quand est-ce que tu me comprends si bien ?

— Je suis ton meilleur ami. C'est normal que je te comprenne. Et puis, Sheridan m'a un peu expliqué ton fonctionnement interne. Il t'a cerné très rapidement. Ne le prends pas mal, vraiment. Je pense qu'il fait ça pour t'aider.

C'est un truc de Sheridan ça. Briefer Coby sur la situation, et lui donner toutes les clefs pour qu'il parvienne à me remonter le moral. Il sait que j'écouterais cet imbécile bruyant qui ne veut que mon bien. Et le connaissant, il a dû servir de confident à ma sœur. Parce qu'elle n'est pas stupide. Elle a compris que je jouais à nouveau au fantôme avec elle.

— Vous êtes cons, tous les deux, sifflé-je, pour ne pas montrer que ça me touche beaucoup.

— Non, nuance. On t'aime bien. Ce n'est pas tout à fait la même chose.

Coby pose une main sur mon épaule, et laisse couler ses pupilles foncées dans les miennes.

— Tu me promets que tu iras à l'hôpital ce soir ?

— Ouais.

— Dis-le clairement ou je te prends encore une fois la tête en sandwich.

— Oui Coby, je te promets que j'irais à l'hôpital ce soir.


***


Je suis peut-être un connard pour bon nombre de personnes, je ne suis pas quelqu'un qui ne respecte pas ce qu'il dit. Comme je l'ai promis à Coby, je suis sur la route pour l'hôpital, révisant ma petite saynète dans ma tête. Je toque, j'entre, je sors l'excuse de la veste et j'en profite pour discuter avec Samuel. Je lui demande des comptes sur notre relation. Et je lui certifie que je lui ai pardonné pour ma rencontre avec son monstre intérieur. Je n'ai pas abandonné lorsqu'il m'a avoué regretter notre rapprochement après le bal, je ne vais pas laisser tomber maintenant que les sentiments se sont mêlés de cette histoire. Si je dois encore me prendre le venin du monstre en pleine face, je subirais. Si je dois attendre, j'attendrais. Si je suis obligé de restreindre mes mouvements parce qu'il ne veut pas que nous soyons proches, je m'exécuterais. Je suis prêt à toutes les éventualités, et je ne me laisserais pas faire. Le cœur de Samuel est à moi, pas au monstre.

En arrivant dans le hall qui me rappelle des souvenirs de ce week-end, je monte directement voir Samuel. Ça m'étonnerait qu'il ait changé de service entre vendredi soir et ce lundi soir. Je n'ai pas spécialement retenu le numéro de sa chambre, ce qui est un problème, mais peut-être que mon cerveau me donnera un coup de main. Quoique, il n'était pas spécialement focalisé sur le chemin lorsque je suis parti la dernière fois. Il était trop occupé à gérer mes battements de cœur qui voulaient crever le plafond, et mes larmes qui menaçaient de sortir à tout moment.

Je me résigne donc à aller voir les infirmières. Ce n'est pas que je ne les aime pas, je n'ai pas envie de leur expliquer les raisons de ma présence. Le chirurgien qui a opéré Samuel s'en est tenu au fait que je sois un membre de la famille, mais je doute que ça suffise ici. On ne se ressemble pas vraiment, avec mon petit ami.

— Bonjour, excusez-moi de vous déranger, je cherche la chambre de Samuel Robertson, je vous prie.

— Numéro cinquante-six. Mais il va falloir attendre dehors, jeune homme, parce qu'il a déjà une visite, et ce n'est pas plus d'une personne dans la chambre.

— Bien, il n'y a pas de problème. Je vous remercie.

Je grogne un peu, mais je peux comprendre. Sa mère ou sa sœur ont dû se libérer un moment dans leur emploi du temps, et elles en ont profité pour venir prendre de ses nouvelles. Si le cas s'était présenté pour ma sœur, j'aurais tout fait pour être le plus longtemps possible auprès d'elle. Je glisse donc mes écouteurs dans mes oreilles en me postant contre le mur extérieur de la chambre. Je n'ai pas envie de surprendre une conversation qui ne m'est pas destinée, et je respecte l'intimité de la famille Robertson. De plus, ça m'occupera, et ça coupera mes pensées, qui sont de plus en plus négatives.

En entendant les premières notes que mon téléphone me propose, je manque d'éclater de rire. C'est la chanson que nous avons écoutée sur le chemin en revenant du restaurant avec Samuel, celle qu'il m'a chantée avec son sourire de charmeur. I Don't Wanna Go to Bed. La voix suave de mon petit ami résonne dans ma tête, mais je ne laisse pas les souvenirs m'envahir — qui sait comment mon corps pourrait réagir aux réminiscences, et ça serait extrêmement malvenu dans un endroit tel qu'un hôpital. Je préfère la passer, et je découvre rapidement que mon application de musique est dans l'humeur de me faire écouter du Simple Plan. Celle-ci provient du même album que la précédente, mais les paroles sont moins grivoises. Et puis, j'ai l'impression qu'elles parlent de moi, et de ce que je ressens pour Samuel.

I don't care what people might think

I got your name in permanent ink

'Cause baby this ship ain't never gonna sink

Dans un monde parfait, c'est ce que je lui dirais. C'est ce que je lui dirais alors qu'on marche en pleine rue, et que nous n'osons pas nous toucher un millimètre de peau, de peur qu'on nous voie. C'est ce que j'aurais aimé lui dire à la fête de la Saint-Patrick, quand nous dansions ensemble et qu'il était magnifique à regarder. C'est que j'aimerais lui dire, quand je rentrerais dans cette chambre où un monstre m'attend sans aucun doute. Et le refrain enfonce encore plus le clou.

So kiss me

Like nobody's watching

Yeah people are talkin'

It doesn't matter what they say

Just kiss me

In the middle of the streets

To let the whole world see

That there's nobody else for me

Un jour, je serais définitivement assez courageux pour lui dire une chose pareille. Et lui le sera assez pour le faire. J'en suis sûr. On y arrivera.

La chanson suivante me fait tiquer parce que je ne la reconnais pas tout de suite. Je penche discrètement la tête vers l'écran de mon téléphone pour observer le titre, et j'écarquille les yeux, sûr et certain qu'il y a une force cosmique qui est à l'œuvre. Parce que celle-ci s'appelle carrément Monsters. Je m'en souviens maintenant. Elle est au tout début d'une série qu'on avait regardée avec Sybil — principalement parce qu'elle trouvait l'acteur principal, un blond aux yeux verts, très craquant. Moi, je n'ai pas réussi à accrocher ; je ne sais pas si c'est à cause du jeu de l'actrice principale, des costumes tout de cuir formés, ou tout simplement la mise en scène qui m'a fait me crisper plusieurs fois sur mon canapé. La seule chose qui a réussi à sauver la série est le coming-out très courageux d'un des personnages au moment où il était censé se marier avec une femme. Mais comme je n'étais pas officiellement sorti du placard avec Sybil, je n'ai pas osé réagir. À l'intérieur de moi, je me roulais en boule en hurlant de joie.

Pour en revenir à la musique en elle-même, le refrain répète simplement que nous sommes des monstres cachés dans la tête, et sous les lits. Mon propre démon intérieur se régale de tout ce qui parvient à mes oreilles.

Tu vois, je n'ai même plus besoin de te causer. Tes chansons font très bien mon boulot. Par contre, je ne le pensais pas, hein, mais t'es un peu stupide. C'est quoi le principe d'enregistrer une chanson comme celle-ci si tu veux te débarrasser de moi ? J'ai l'impression que ton sang est en train de bouillir dans tes veines tant tu as la haine.

Si j'étais seul, je lui répondrais, sans doute en gribouillant un nouveau croquis. J'appuie comme un damné sur un pauvre crayon de papier, en faisant des cercles sur une feuille. Ensuite, quand le corps est réalisé, je lui fais des yeux rouges, qui transparaissent dans la nuit. C'est ma façon de lui dire que je me moque de lui, et que ce n'est qu'une boule de graffitis immondes, rien de plus. Mais bien sûr, là, alors que je suis à l'hôpital, il gagne du terrain.

Tu ne devrais pas être ici. Il va t'envoyer bouler, parce qu'il te hait, et qu'il a bien raison. D'ailleurs, je dirais qu'il est presque plus virulent que toi. Oh bon sang, si tu l'avais entendu hurler, lorsqu'il t'a sorti ça. C'était une vraie délectation. Parce qu'il avait peur, il était terrorisé, et il ne voulait pas te perdre, le pauvre petit chou. Sauf que je pense que ce Samuel, celui qui est vraiment amoureux de toi, tu ne risques pas de le revoir de sitôt. Ce qu'on lui a fait subir à son école, ça l'a ébranlé au plus profond de lui-même.

Je serre les poings en changeant de musique. J'espère qu'elle fera partir le bavard dans mon estomac, et qu'il se lassera de mon ignorance. Sauf que non. Il continue de plus belle, à chanter les paroles de Monsters. C'est incroyablement faux, comme moi je serais capable de le faire, mais il s'en moque. Parce que ce qui importe, c'est la signification de ses mots. Pas la manière dont il les dit.

Oui Curtis, tu es un monstre. Tu es le monstre coincé dans la tête d'Eliot, lorsqu'il ne va pas bien. Celui qui lui susurre qu'il ne devrait pas exister. Tu es le monstre sous le lit de Valentin, qui lui rappelle sans cesse que tu n'as pas été là lorsqu'il avait le plus besoin de toi. Tu es celui qui peuple ses cauchemars, celui qu'il voit lorsqu'il se réveille en pensant que tout ça est terminé. C'est ce que tu es. Un monstre.

Non, murmuré-je. Ce n'est pas vrai.

Je ferme les yeux, je serre les poings et je suis prêt à me recroqueviller sur moi-même pour faire taire cette voix dans mon ventre. Sauf que c'est une autre qui transparaît dans mes oreilles. Toute douce, presque compatissante. Je ne la reconnais pas tout de suite, mais en ouvrant les yeux, je n'ai plus de doutes.

— Curtis ? Qu'est-ce qui n'est pas vrai ?

Daisy est penchée vers moi, la mine de travers, et les sourcils froncés. Entre toutes les personnes que connaît Samuel, il fallait que ça tombe sur elle. Forcément. Le monstre se régale, et moi, je me demande ce que je suis venu faire là. 

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