Septembre - 9

- Elles les ont laminé, ces filles de South Coast ! Je suis vraiment fière d'elles. Et on va en finale, vous vous rendez compte ? C'était vraiment magique, hurle Daisy à qui veut l'entendre.

Nous ne sommes pas sur le toit, mais dans un petit coin ombragé de la cour intérieure du lycée. Nous ne sommes pas seuls, et la plupart des personnes présentes se retournent vers nous en entendant les vociférations de Daisy. Elle s'excuse rapidement, rougit, et s'enfonce dans sur le banc sur lequel elle est assise. Nous reprenons alors la discussion précédent le réveil de la voix de la fille de notre groupe. Nous nous faisons couper par un quelqu'un qui s'avance vers nous. Comme parfaitement synchronisés, nous tournons la tête vers cette personne.

C'est un garçon et la première chose que je peux dire, c'est qu'il me ressemble légèrement. Ses cheveux sont coupés courts et sont aussi noirs que de l'encre de Chine, tout comme ses yeux, qui paraissent tellement vide. Sa peau est livide, et la ressemblance d'avec un vampire me vient presque à l'esprit. Je ne connais pas sa nationalité, mais je suis presque certain qu'il est aussi asiatique que moi.

- Toi, la fille aux cheveux roses, je t'ai entendu. Tu es méchante, et hideuse. Absolument hideuse, dans ton apparence comme dans ta personnalité. Je ne comprends pas comment tu peux avoir des amis. Tu ne le mérite pas.

Après avoir déversé son venin sur mon amie, il tourne les talons sans un mot de plus. Outré au possible, Valentin est prêt à se lever et à aller faire comprendre à cette odieuse personne sa façon de penser de tout cela. Mais il se fait devancer par Daisy qui attrape la manche d'uniforme de l'énergumène en question.

- Je ne t'ai clairement pas demandé ton avis sur la question mon bonhomme. Je te connais pas, je sais pas d'où tu viens ni ce qui te permet de m'insulter totalement gratuitement comme tu viens de le faire. Mais je vais te dire un truc : On a tous notre vision de l'hideux et du magnifique, je te le concède. Les peintres, les auteurs, les poètes, les gens sans talents, ils ont tous une vision différente. Toi et moi on a une vision différente. Mais tu sais quoi, moi, je te la donne pas à voix haute devant tes amis. Je me tais, je la garde pour moi, je l'écris dans mon journal ou je sais pas quoi. Alors maintenant, va retrouver tes idiots d'amis et ne viens plus m'embêter.

- Intéressante vision des choses. Je n'avais pas prévu que tu me répondes ainsi. Tu en viendrais presque à m'intriguer. Alors, je vais te poser une petite question : que penses-tu de moi, qui te trouve hideuse ?

- Franchement, je me disais tout à l'heure que tu n'étais pas mal mais maintenant je te trouve juste affreusement horripilant à me prendre de haut comme tu le fais. Surtout que je ne sais même pas qui t'es !

- Je m'appelle Oswald Walton. Ne t'embêtes pas à me donner ton prénom, je le connais déjà, Daisy Clarke.

Il attrape un petit carton dans la poche de son uniforme et le tends à Daisy, avant de tourner les talons et de se détourner de nous à grands pas, empêchant ainsi à mon amie de pouvoir le rattraper. Elle nous regarde tour à tour, les yeux presque écarquillés, la bouche à demi ouverte.

- Je suis la seule à ne pas comprendre ce qu'il vient de se passer ?

Nous hochons négativement la tête pour lui faire comprendre que nous sommes tout aussi perdus qu'elle. Le gargouillis du ventre de Valentin nous ramène à des préoccupations bien plus terre à terre et matérielles : il est midi passé et nous devrions aller manger.

***

- Bon...ce n'est pas que je ne vous aime pas mais je dois aller m'entrainer pour ma propre épreuve. Et j'ai vraiment besoin de concentration. Daisy, tu vas tout déchirer parce que t'es la meilleure. Et puis en plus, t'auras des super encouragements dans les gradins, n'est-ce pas ?

Le blond nous fixe tous les deux, assis sur le banc où nous sommes retournés, debout devant nous. Nous sourions de toutes nos dents, heureux. Je meurs d'envie de l'embrasser, mais je n'ai pas envie de gêner la rose.

- Je vais me débarbouiller un peu, tu ne bouges hein ? J'en ai pour cinq minutes.

Elle nous fait un clin d'oeil et s'envole vers les toilettes, à l'intérieur du bâtiment. Valentin se rapproche de moi et vient se placer à mes côté, à demi-tourné sur le banc.

- Vient-elle de trouver une excuse pour nous laisser seuls ? commencé-je.

- Carrément. Et je t'arrête tout de suite, je n'y suis pour rien.

- C'est une véritable amie. Depuis que nous avons discuté sur ce toit, je l'apprécie de plus en plus. Je la trouve plus nature que lorsque tu me l'as présentée en juin.

- Parce que là, tu as le droit à la vraie Daisy, pas une espèce de contrefaçon qu'elle essayait d'être pour te plaire. Mais...

Je me fixe, n'arrivant pas à terminer sa phrase. Je sens son mal-être transparaitre par tout les pores de sa peau. Je ne souhaite pas le déconcentrer, ni lui faire perdre confiance en lui, en moi ou même en nous. Prenant une respiration, comme pour me donner du courage, je déclare.

- Tu n'as pas à t'inquiéter Valentin. Mon ciel d'été, c'est toi.

Il écarquille les yeux comme des billes et m'attrape les épaules.

- Répète ? Qu'est-ce que t'as dit ?

- Que tu étais mon ciel d'été. Tu trouves cette réplique maladroite ? Elle te fait mal ? Je m'en excuse si c'est le cas et je retire ce que j'ai dit.

- Non, surtout pas ! hurle-t-il presque presque, faisant retourner plusieurs regards vers nous.

Il baisse la tête et me lâche, extrêmement gêné. Fixant ses genoux, il continue à un ton beaucoup plus bas et posé.

- C'est super adorable ce que tu me dis. Je suis juste surpris parce que mis à part ta super déclaration d'y il y a quelques jours, ainsi que celles dans l'aquarium, tu n'as jamais dit de telle choses. Et c'est vraiment beau en fait. C'est pour ça que j'ai réagi comme ça.

Il relève doucement les yeux vers moi. Ses yeux sont tellement brillants, tellement vivants, que je pourrais en arrêter de respirer dans la minute. Et sa réplique suivante n'arrange pas les choses, surtout qu'elle est en français.

- Si moi je suis un ciel d'été, toi, tu es un ciel étoilé.

Je rougis fortement à cette désignation, restant les pupilles plongées dans celles de Valentin. Je ne sais pas quoi lui répondre, tant son action de reprendre mon amour du ciel pour me qualifier. J'ai une envie infinie de l'embrasser, mais il y a beaucoup de passages autour de nous, et ni l'un ni l'autre, nous n'avons envie de nous afficher devant l'entièreté du lycée. Et la sonnerie annonçant la reprise des épreuves ne nous aide pas. Au contraire. Daisy revient tranquillement, de peur de déranger. En un coup d'oeil, elle comprend. Elle passe une main sur l'épaule, de Valentin, lui glisse un baiser sur la joue et me sourit discrètement.

- Je suis vraiment désolée les garçons. Si vous saviez.

- On s'en doute, petite fleur. Mais ça fait du bien d'avoir quelqu'un comme toi avec nous.

Elle s'assoit entre nous et nous serre dans ses bras, chacun d'un côté.

- Vous aussi, vous êtes précieux pour moi. D'ailleurs, ce week-end, vous ne voulez pas qu'on se fasse un trucs tous les trois ? Genre, aller en ville, boire un jus de fruit et discuter de tout et de rien ?

- Complètement, sourit le blond. Je connais un endroit qui sert de super jus d'orange sanguine.

Elle étire ses lèvres, comprenant sans doute une référence qui m'échappe. Nous nous levons en même temps, pour repartir vers nos occupations - les matchs pour Daisy, les gradins pour moi. J'ai du mal à lâcher Valentin des yeux, mais mes pupilles sont attirées par deux autres, beaucoup plus loin de moi. Le vert d'eau de Curtis, qui cette fois-ci, m'a également vu.

***

Notre après midi est rythmée par les matchs de football qui se succèdent en se ressemblant malheureusement tous. J'ai regardé le premier avec un intéressement tout particulier, curieux de découvrir Daisy sur le terrain. Mon front se souvient encore de la balle qu'il a reçu au début du mois lors de mes propres entrainements. Mais la curiosité a laissé place à cette pesante impression de déjà vu entre chaque matches, avant de tout à fait se transformer en ennui. Je suis seul dans les gradins, Valentin étant parti s'entraîner aux vues de sa propre épreuve. Les nombreuses filles présentes me dévorent des yeux - je me retiens pour ne pas leur rappeler que je ne suis pas l'attraction principale. Je suis d'ailleurs grandement surpris de ne pas m'être fait approché par l'une d'elle, étant sans mon accompagnateur habituel.

- Tu n'aimes pas le football, survient tout d'un coup une voix non loin de moi.

Croyant tout d'abord à une totale hallucination ou à une intervention inopinée de ma conscience dans mon cerveau, je tourne la tête à la recherche de la personne - qui, j'espère, existe - qui m'a adressé la parole. Je finis par tomber sur des yeux noirs et inexpressifs qui me regardent sans me regarder. Oswald Walton, celui qui est venu insulter Daisy sans la connaître.

- C'est pathétique de rester là pour elle. Premièrement, elle ne vaut la peine que tu t'ennuis ainsi. Je suis certain que Baudelaire t'appelle du plus profond de sa tombe en France pour que tu viennes le lire. Deuxièmement, malgré ce qu'elle te dit, elle n'accepte pas beaucoup ta relation avec Godeau Valentin. Elle est jalouse de votre complicité, elle est jalouse de votre amitié presque fulgurante et elle est jalouse de l'importance que tu lui portes, tout comme de tes sentiments à l'égard de ce garçon. Tout simplement parce qu'elle aimerait être à sa place. Daisy est une menteuse, en plus d'être hideuse.

Je me raidis sur mon siège et sers les poings. Comment est-il au courant de tout cela ? Comment sait-il pour Valentin et moi ?

- Je vois à la raideur de tes bras et à celle de tes poings qu'un sentiment de colère et d'incompréhension te traverse. C'est tout à fait normal. Mais vois-tu, l'avantage avec mon apparence, c'est qu'on peut se glisser dans la foule sans être vu, ni remarqué. C'est un avantage et un inconvénient. Je suis dans la classe de Daisy depuis la première année de collège, au même titre que Valentin. Je suis amoureux d'elle depuis presque le même nombre d'année. Mais elle ne m'a jamais vu. Trop banal je pense. Je l'observe tous les jours, elle hante mes nuits, elle hante mes toiles, aussi médiocres soient elles. Mais moi, je ne suis qu'un fantôme dans sa vie. Un camarade de classe parmi tant d'autre, qu'elle quittera au mois de juillet de l'année prochaine pour aller sauver des vies en tant que médecin. Alors, pour me faire remarquer, je suis devenu cette infâme personne qui traite la seule personne qu'elle n'a jamais aimé de fille hideuse. Je joue un rôle devant elle, ça ne me plait pas, mais au moins, elle sait qui je suis maintenant.

- Comment le sais-tu ? Tout ceci, sur Daisy, sur Valentin, sur moi ?

- J'observe, je déduis, je collecte des informations pour les corréler. J'aime beaucoup votre petit groupe, j'espère simplement qu'il ne sera pas gangrené par la nature humaine.

- Je pense que tu sais que ce que tu viens de me dire ne me rassure pas. Surtout que tu connais l'un de mes secrets, ce qui peut t'amener à me faire chanter, à me menacer et à m'humilier devant mes pairs.

- Ne t'inquiètes pas pour ça. Je ne suis pas comme cela. Oui, j'aime beaucoup connaître les petites vies des gens, oui, je connais beaucoup de choses sur beaucoup de personnes. Mais je n'interfère jamais. Je ne suis qu'un observateur, pas un acteur. Je n'entre dans la vie des gens que j'y suis invité, jamais autrement.

Je le fixe droit dans les yeux, essayant de lui faire comprendre que je ne lui fais aucunement confiance. Il profère sans doute des mensonges sur Daisy afin de nous séparer, et est tout à fait capable de me faire chanter. Oswald Walton, je garde un oeil sur toi.

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